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sibilité de ne pas déterminer d'avance la durée d'une peine de liberté n'y est pas discutée; ou si elle est présentée c'est, comme dit M. Gautier, « par amour de la symétrie, pour opposer les peines sans durée préfixe aux peines déterminées, et pour flétrir les mauvais jours de l'arbitraire et des lettres de cachet ». Il n'est plus permis, malheureusement, de traiter la question en si peu de mots, ni de la condamner sur des souvenirs du temps passé, depuis que, devenue d'actualité, elle inspire les orateurs des congrès et les polémistes des revues savantes.

On s'accorde très généralement à reconnaître aux criminalistes américains l'honneur d'avoir renouvelé le sujet et de l'avoir présenté plus vivant et plus jeune à l'attention des pénologues et des législateurs. Ce n'est pas la seule invention, même dans cette science, que nous devions à l'esprit ingénieux et pratique des Américains; et certains partisans du système semblent tirer quelque avantage de cet heureux hasard qui fit éclore l'idée nouvelle dans ce pays de philanthropie utilitaire, où les initiatives audacieuses ne s'embarrassent guère de préjugés ni peut-être de traditions juridiques. Ainsi, pour les nouveautés pénitentiaires, les ÉtatsUnis créent la mode! La sentence indéterminée prit donc essor en Amérique, où elle passionna les philosophes et les jurisconsultes. Nous la voyons apparaître d'une façon certaine, au congrès de Cincinnati, en 1870; le principe y est expressément formulé et discuté. Remarquons ce détail que la comparaison entre le prisonnier et le malade qui, entrant à l'hôpital, n'en sortira que guéri, comparaison antique sans doute, y fut également éditée et associée à la destinée du principe qu'elle devait suivre par le monde. La sentence indéterminée fut dis

cutée plus tard, aux congrès pénitentiaires de Toronto, Boston, Nashville, etc. Mais le fait vraiment important, c'est que dès 1876 (1), le principe reçut sa première application, sans doute, dans l'établissement d'Elmira (État de New-York), sous la direction d'un homme très considérable, M. Brockway.

Cette expérience fut apparemment suivie de quelque succès, puisque plusieurs États de l'Union imitèrent cet exemple et créèrent des établissements sur ce modèle; citons les Reformatories de Concord (Massachussetts), 1884, et Huntingdon (Pensylvanie), 1887. Nous consacrerons un chapitre à l'étude d'Elmira, des principes qui y sont appliqués, des résultats obtenus.

Comment du nouveau monde où, par l'heureux privilège des inventions de ce temps, elle s'était si rapidement propagée, l'idée des sentences indéterminées fut-elle apportée à l'ancien continent? La conception pénale sur laquelle le principe se fonde y fut discutée avant qu'il eût été appliqué dans les Reformatories. La doctrine d'amendement, dont l'indétermination est une conséquence logique, fut examinée et l'indétermination critiquée dans la grande enquête parlementaire sur les prisons, en 1875. Mais cette théorie n'était point nouvelle, nous le verrons, ce n'était qu'une vieille idée, retour d'Amérique. Ce n'est pas par la description des procédés d'amendement en usage dans les Reformatories que la sentence indéterminée se répandit : l'ouvrage de M. Aschrott sur Concord et Elmira ne parut qu'en 1889, la brochure de M. Winter, en 1890. Cependant dès 1880 le système des peines indéfinies était présenté au congrès de Stoc

(1) M. Vidal prétend que le système fut appliqué dès 1868 dans l'État de Michigan.

kholm (1) par M. Richard Vaux, directeur du pénitencier de Philadelphie, et l'exemple de l'État de New-York qui venait de créer Elmira fut cité et commenté par M. le Dr Wines, à qui se joignit M. le Dr Guillaume. En 1880 aussi, parut l'ouvrage de M. Kræpelin (2), où l'auteur, médecin-aliéniste, développait une opinion personnelle sur le fondement du droit de punir et aboutissait à cette conclusion de l'abolition de toute peine fixe. Mais l'honneur d'avoir attiré l'attention du monde savant sur l'idée des sentences indéterminées revient à un éminent criminaliste allemand, M. von Liszt, professeur à Marbourg. Le système indéterminé qu'il a préconisé s'écarte sensiblement du principe américain, dont il avait prédit la fortune (3); l'auteur se défend même d'avoir imaginé un système qui puisse être désigné du même nom que l'invention des philanthropes des États-Unis. Mais l'importance accordée par l'Union internationale de droit pénal à la discussion de l'idée de peines indéterminées permet de considérer M. von Liszt et M. Van Hamel comme les promoteurs du mouvement qui a mis la question à l'ordre du jour de tous les congrès. En 1883, M. von Liszt exposait, dans la revue (4), Zeitschrift fur die gesamte Strafrechtswissenschaft, sous le titre

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Der Zweckgedanke im Strafrecht, une théorie originale sur le fondement et le but de la peine, dont il présentait la peine indéterminée comme le couronnement logique. Il

(1) La science pénitentiaire au congrès de Stockholm, par MM. Desportes et Lefébure, 1880, p. 75 et p. 245.

(2) Die Abschaffung des Strafmasses. Stuttgart, 1880.

(3) Il écrivait à un criminaliste américain : « votre idée de sentences indéterminées fera le tour du monde. >>

(4) Zeitschrift, dritter Band, erstes Heft, 1883.

est resté le défenseur le plus autorisé de l'idée, qu'il a développée depuis avec une activité inlassable dans les revues et les congrès. Lorsque fut fondée, en mai 1889, l'Union internationale de droit pénal, par l'initiative de MM. von Liszt, Van Hamel et Prins, elle inscrivit parmi ses principes fondamentaux (1): «En ce qui concerne les peines d'emprisonnement de longue durée, l'Union estime qu'il faut faire dépendre la durée de l'emprisonnement, non pas uniquement de la gravité matérielle et morale de l'infraction commise, mais aussi des résulats obtenus par le régime pénitentiaire ». A cette déclaration se rattachait, disait-on : « le droit pour le juge de prononcer des sentences indéterminées n'indiquant que le minimum et le maximum de l'emprisonnement ». Cette adhésion de l'Union au principe a été l'une des causes sans doute de sa rapide propagation à travers les programmes et les discussions des réunions savantes.

Il n'est presque pas de session où l'Union n'ait examiné sous quelque face le problème de l'indétermination et ne l'ait mis à l'ordre du jour de la session suivante, malgré l'opposition que rencontrait le principe chez certains des membres les plus éminents de l'Union comme M. Prins, comme M. Léveillé aussi, adversaires bienveillants tous deux. En 1893, le groupe belge de l'Union discute la question de la sentence indéterminée; le Bulletin de mai 1893 contient le rapport de M. Van Hamel sur les sentences indéterminées; celui de mai 1894 un rapport de M. Prins sur la même question; la 4 session à Paris (2) examine longuement le problème dans

(1) Bulletin de l'Union, mai 1889.

(2) Bulletin de mai 1894.

la séance du 26 juin 1893; la question est posée à la 5o session à Anvers (1), et des rapports présentés par M. Alfred Gautier et M. Prins à la séance du 26 juillet 1894.

En même temps, accomplissant la prédiction de M. von Liszt, l'idée faisait en effet le tour du monde, le tour du monde savant. Il n'est peut-être pas de congrès pénitentiaire où elle n'ait été présentée ou incidemment discutée à Stockholm, 1880; à Rome, 1885; à Saint-Pétersbourg, 1890 (2), par M. Pagès, M. Sichart, M. Dubois, M. Brockway, directeur du pénitencier d'Elmira, qui propose le principe des sentences indéterminées pour les criminels incorrigibles aussi; à Paris en 1895. Les congrès d'Anthropologie criminelle ne pouvaient manquer de mettre l'idée nouvelle au programme de leurs délibérations (Congrès de Paris 1889(3), congrès de Bruxelles 1892). Mais tandis que la dernière en date de ces réunions savantes, le Congrès pénitentiaire de Paris, examinait le principe des peines indéterminées pour le traitement à infliger aux vagabonds adultes et aux jeunes délinquants, il ne semble pas que cette agitation des audacieux congressistes ait gagné le prudent législateur. Deux pays ont préparé récemment ou préparent encore la revision de leur Code Pénal, la Suisse et la France. Dans le projet élaboré par la commission française, nous chercherions en vain l'influence des idées indéterministes, et, à vrai dire, nous ne trouvons non plus ni le nom ni la chose dans le projet des rédacteurs suisses; mais nous savons par M. Stooss que le principe des peines sans durée

(1) Bulletin de 1895.

(2) Actes du Congrès, 3o volume p. 387, p. 415 et s.

(3) Actes du Congrès, p. 79, rapport du docteur Semal; p. 389, rapport de M. Pierre Sarraute.

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