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esclaves d'une beauté piquante; leur longue chevelure relevait encore la régularité de leurs traits. Quoiqu'affublé d'un froc, Grégoire fut frappé à l'aspect de ces jolies figures, et demanda d'où on avait tiré ces esclaves, et s'ils étaient chrétiens; ils sont de la Grande-Bretagne, lui répondit-on, et ces jeunes gens ignorent la vraie religion. Grégoire jeta alors un profond soupir et s'écria : Quel sujet de larmes que des beautés si accomplies soient sous la domination du prince des ténèbres. Et dès ce moment il résolut d'aller prêcher l'évangile dans cette contrée. Les Anglais auraient donc été plus long-temps assis dans l'ombre de la mort, si le moine Grégoire, le menton penché sur sa poitrine, n'avait pas eu la témérité de jeter furtivement les yeux sur de jeunes beautés! Il ne réalisa néanmoins son dessein que pendant son pontificat. Alors il envoya des missionnaires qui fondèrent plusieurs églises parmi les insulaires de la Bretagne. Il travailla beaucoup à la conversion des Lombards. Exact observateur de la discipline, il voulut que les ecclésiastiques réglassent leur conduite sur les canons. Il fit aussi plusieurs réglemens pour l'ordonnance des cérémonies dans l'église. Il distribua l'of

fice divin avec plus de méthode et le fit chanter avec décence. Je ne sache pas cependant qu'il ait imaginé d'introduire des chœurs de filles pour mieux attirer les fidèles aux assemblées des chrétiens; il était réservé à notre siècle de voir cet usage s'introduire dans les églises. Ce grand pape n'eût pas souffert que le sanctuaire de la divinité présentât jamais l'image d'une assemblée toute mondaine.

On prétend que ce saint, tout savant qu'il fût, était pourtant animé d'une haine mortelle contre les sciences et les arts. C'est sa piété qui l'égarait, et qui lui faisait prendre pour zèle ce qui n'était que fanatisme. Quoiqu'il ne soit pas bien sûr qu'il ait brûlé la bibliothéque palatine qu'Auguste avait fondée, du moins estil certain qu'il fit mutiler les statues qui embellissaient Rome, et qu'il tenta d'exterminer par le feu, Tite-Live et les poètes Ennius et Afranius, dont nous ne possédons que quelques fragmens. Je respecte ses intentions, qui pouvaient être bonnes, mais je le condamne d'avoir souhaité que les peuples subissent le joug de l'ignorance. Il est fâcheux que le savoir ait été, dans tous les temps, l'objet de la haine de quelques ecclésiastiques. Du reste saint Gré

goire était bienfaisant et très-charitable. Nous lisons dans une de ses lettres : « Que ce n'est » point par la violence, mais par la prédication, » qu'il faut gagner les hommes...; que le sacri»fice fait à Dieu doit être volontaire. » On voit avec peine qu'il s'écarte de cette maxime dans une lettre adressée à un gouvernement d'Afrique. Il l'exhorte à réprimer sévèrement l'orgueil et l'insolence des donatistes. Mais ce qui fait le plus de tort à la mémoire de ce grand pape, c'est d'avoir prodigué ses flatteries à une reine aussi méchante que Brunéhaut. Seraitce parce qu'elle donna des biens au clergé et qu'elle fonda quantité de monastères? Mais on ne doit immoler des victimes au Seigneur qu'après avoir rompu tout pacte avec le crime, sinon le tribunal de Dieu se montre aussi inexorable que celui des hommes : ainsi Brunéhaut, qui ne devenait pas meilleure après ces offrandes, n'avait aucun droit aux éloges d'un ministre de l'évangile. On l'a vu également prostituer ses louanges à Phocas, meurtrier de l'empereur Maurice et de ses enfans. Si ces flatteries sont indignes d'un homme d'honneur, que deviennent-elles dans la bouche d'un souverain pontife? L'histoire nous apprend que ce Mau

rice s'était déclaré en faveur du patriarche Jean dans une dispute que celui-ci avait eue avec saint Grégoire. Je veux croire que le titre d'évêque universel fut une usurpation de Jean, comme le lui reprochait Grégoire : fallait-il pour cela flétrir la mémoire de Maurice en félicitant son assassin Phocas sur son avénement au trône? Il ne se trouve presque pas d'exemple d'une vertu qui ait été à l'épreuve de la jalousie d'autorité ou de l'intérêt. Au reste, la conduite de saint Grégoire est un exemple remarquable de la servitude où l'on tombe quand on veut se maintenir dans les postes élevés et conserver les faveurs des grands.

L'église, sans doute pour couronner ses vertus privées et son zèle ardent pour propager la foi, l'a mis au rang des saints.

Élu en 604.

SABINIEN

Morten 606.

67 PAPE.

Les mœurs de ce pontife forment un frappant contraste avec celles de son prédécesseur. Autant saint Grégoire avait eu de tendresse pour les malheureux, autant Sabinien montra

de dureté et d'inhumanité à leur égard. Il leur vendit, dans un temps de disette, le blé qu'il avait en abondance: Néron en avait fait autant au rapport de Tacite, mais c'était Néron. Il était tellement jaloux de la renommée que saint Grégoire s'était acquise par ses talens, qu'il résolut de livrer aux flammes ses écrits, sous l'infâme prétexte qu'ils étaient hérétiques.

Né Romain, et élu en 606.

BONIFACE III,
68 PAPE.

Mort dans la même année.

Au commencement de son pontificat, Boniface convoqua un concile de 72 évêques, dans lequel on anathématisa ceux qui parleraient de désigner des successeurs aux papes et aux évêques pendant leur vie. Précaution' sage, mais toujours infructueuse : car, comme l'a dit avec esprit un écrivain de ce siècle, les abus les plus difficiles à extirper sont ceux qui ont des racines d'or. On dit qu'il obtint de l'empereur Phocas que le patriarche de Constantinople ne prendrait plus le titre d'évêque universel. On ajoute qu'il lui accorda le second rang parmi les patriarches.

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