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»De tout quoi il résulte définitivement que l'arrêt dénoncé a fait, dans l'espèce, une fausse application de l'art. 938 du Code civil, et formellement violé les dispositions des art. 939 et 941, en décidant que les demandeurs ne pouvaient opposer le défaut de transcription de la donation consentie aux défendeurs ;

» La cour casse et annulle l'arrêt de la cour de Colmar du 4 août 1812.... (1) ».

Le second arrêt a été rendu dans l'espèce suivante :

En 1813, le sieur Lignières fait donation -entre-vifs à son fils d'un domaine connu sous le nom de Saint-Estève.

Cette donation n'est pas transcrite.

Le 20 juin 1820, le donataire vend le domaine de Saint-Estève au sieur Daude, sous la garantie de son père, qui intervient à cet effet dans l'acte.

Le sieur Daude fait transcrire son contrat d'acquisition; et quinze jours s'écoulent sans qu'il survienne aucune inscription du chef du vendeur, ni de son auteur.

Le 14 août suivant, le sieur Rouet obtient un jugement qui prononce à son profit des condamnations contre le sieur Lignières père, et il prend en conséquence une inscription

sur le domaine de Saint-Estève.

Peu de temps après, se fondant sur le défaut de transcription de la donation de 1813, et concluant de là qu'elle est, à son égard, censée n'avoir jamais existé, il actionne hypothécairement le sieur Daude, détenteur de ce domaine, et il en poursuit l'expropriation

forcée.

Le sieur Daude, regardant ces poursuites comme la conséquence inévitable de l'art. 1041 du Code civil, et n'ayant rien à y opposer, laisse procéder à l'adjudication définitive, sans mettre en cause, ni le sieur Lignières fils, ni le sieur Lignières père; mais il se pourvoit contre eux en dommages-intérêts pour l'inexécution de la vente consentie par l'un et cautionnée par l'autre.

Ils répondent, en invoquant l'art. 1640 du Code civil, que, si les poursuites du sieur Rouet leur avaient été dénoncées à temps, ils les auraient arrêtées, et auraient, par là, prévenu l'expropriation forcée, en établissant que le domaine de Saint-Estève était, entre les mains du sieur Daude, à l'abri de toute éviction, 1o parcequ'aux termes de l'art. 938, la

(1) Bulletin civil de la cour de cassation, tome 17, page 84; Journal des audiences de la cour de cassation, année 1815, page 258; jurisprudence de la cour de cassation, tome 15, page 161.

donation de 1813 avait, par elle-même, transféré au donataire la propriété du donateur; 2o parceque le titre hypothécaire du sieur Rouet était postérieur à la donation; 3o parceque le défaut de transcription de la donation était, au besoin, couvert par la transcription de l'acte de vente du 20 juin 1810; qu'ainsi, c'est par sa faute que le sieur Daude a été évincé, et que, dès-lors, ils ne peuvent pas être responsables de l'éviction qu'il a soufferte.

Le 19 juillet 1824, jugement du tribunal civil de Narbonne qui, sans avoir égard à ces moyens de défense, condamne les sieurs Lignières, père et fils, aux dommages-intérêts du sieur Daude.

Appel de la part des sieurs Lignières, père et fils, à la cour royale de Montpellier.

Le 18 juillet 1826, arrêt qui confirme ce jugement,

« Attendu que le sieur Rouet, créancier de Lignières père, avait fait inscrire l'hypothèque résultant pour lui du jugement dont il était porteur; que cette hypothèque, générale de sa nature, frappait notamment sur les biens de Lignières, père;

» Qu'aux termes de l'art. 941 du Code civil, Rouet, comme tiers, pouvait exciper du défaut de transcription de la donation, et la faire, par rapport à lui, considérer comme non avenue; d'où il suit que, par rapport à lui, les biens donnés étaient réputés n'avoir pas cessé d'appartenir à Lignières père;

» Attendu que la transcription de la vente consentie par Lignières fils, à Gérauld Daude, ne pouvait tenir lieu de la transcription de la donation même, parceque la transcription d'une donation, n'est pas, comme la transcription d'une vente, une simple formalité hypothécaire, mais bien une condition essentielle qui seule donne effet à la donation vis-à-vis des tiers ;

» Attendu d'ailleurs que Lignières, père et fils, n'ayant pu ignorer les poursuites de Rouet contre Gerauld Daude, auraient à s'imputer de ne les avoir pas arrêtées, s'ils eussent cru en avoir les moyens ».

Les sieurs Lignières, père et fils, se pourvoient en cassation, et font, en ces termes, valoir deux moyens :

10 Violation de l'art. 1583 du Code civil. S'il était vrai que la donation faite par Lignières père à Lignières fils, ne dût pas être considérée comme translative de propriété, à l'égard des tiers, à cause du défaut de transcription, du moins doit-il être vrai aussi que le concours du père à la vente de l'objet donné, consentie par le fils, imprima à cette vente un

caractère translatif de propriété en faveur de l'acquéreur on pouvait donc, dans l'espèce, se dispenser d'examiner le mérite de la donation, parceque, même en la supposant sans aucun effet, en admettant que l'objet donné eût continué à résider sur la tête du donateur, Daude n'en serait pas moins devenu acquéreur de cet objet.

>> Vainement dirait-on,d'ailleurs, que la vente ne fut pas consentie par Lignières pere, mais bien par Lignières fils. Lignières père garantit, en effet, l'exécution de la vente, et cette garantie dut produire tout l'effet qu'aurait produit une déclaration même de vente; car la vente est parfaite par le seul consentement des parties (Code civil, art. 1583); et celui qui garantit l'exécution d'une vente, consent, par cela même, à se dépouiller de tous ses droits sur l'objet vendu.

» Or, si la vente consentie à Daude, transporta sur sa tête le domaine de Saint-Estève, qui en formait l'objet, les créanciers de Lignières père, qui n'avaient pas déjà d'hypothèque sur ce domaine, ne purent en acquérir par la suite; donc, etc.

» 20 Fausse application de l'art. 941 et violation de l'art. 2183 du Code civil.

la

» Les demandeurs ne méconnaissaient pas règle que la donation non transcrite ne peut pas être opposée aux tiers: mais ils soutiennent que cette règle n'est applicable qu'au cas où les biens donnes continuent à résider sur la tête du donataire ; que, s'ils passent sur la tête d'un tiers-acquéreur de bonne foi, ce tiersacquéreur devient propriétaire incommutable de l'objet donné, par le seul effet de la vente, sauf toutefois l'exercice d'hypothèques déjà existantes au profit des créanciers, soit du donateur, soit du donataire; enfin, que l'acquéreur devenant propriétaire, peut purger et se mettre ainsi à l'abri de toute action hypothécaire; que, dès-lors, dans l'espèce, Daude ayant purgé sans qu'il eût été pris aucune ins. cription sur les biens acquis, il ne pouvait pas être inquiété, ni par les créanciers de Lignières père, ni par les créanciers de Lignières

fils.

» Au surplus, en admettant que le défaut de transcription de la donation pût être opposé au tiers-acquéreur, même par des créan ciers postérieurs à la donation, il ne devait pas en être ainsi dans l'espèce, parceque Daude avait fait transcrire un contrat d'acquisition avant même que Rouet, créancier, qui avait exercé l'action hypothécaire, eût acquis hypotheque sur les biens de Lignières père. Cette transcription de la vente dut au moins suppléer au défaut de transcription de la donation,

puisqu'ainsi que l'aurait fait la transcription de la donation, elle avertit les tiers que Lignières père avait cessé d'être propriétaire ».

Mais par arrêt du 21 février 1828, au rapport de M. de Mousnier-Buisson, et sur les conclusions de M. l'avocat-général Lebeau,

«Attendu (sur le premier moyen) que la question de savoir si Joseph Lignières père était co-vendeur du domaine de Saint-Estève, par lui donné à Jean Lignières, son fils, dès l'année 1813, n'a pas été nettement proposée ni devant la cour d'appel de Montpellier, ni de- ́ vant le tribunal de Carcassonne, saisi de la cause en première instance; que cette question, qui aurait été préjudicielle, ne peut être soulevée devant la cour, ni être proposée, par conséquent, comme moyen de cassation; que, pour la résoudre, il faudrait entrer dans l'interprétation d'un acte, ce qui est hors des attributions de la cour; que d'ailleurs il résulte de l'arrêt attaqué, que la validité du délaissement consenti par Gérauld Daude, a été motivée sur défaut de transcription de la donation de 1813, faite par le père à son fils, ce qui suppose que ladite cour de Montpellier n'a vu et reconnu dans la personne de Joseph Lignières père, que la qualité de donateur, et exclusivement dans celle de Jean Lignières fils, celle de vendeur du contrat du 20 juin 1820, par suite de la donation à lui faite en 1813 du même domaine, qui ferait l'objet de la vente; d'où résulterait une interprétation irrégulière, mais suffisante, de ce même acte de vente; que la qualité de vendeur ou de co-vendeur étant ainsi écartée de la personne de Joseph Lignières père, l'art. 1583 du Code civil n'etait pas applicable; et la cour d'appel de Montpellier ne l'a ni violé ni pu violer ;

» Attendu (sur le second moyen ) qu'aux termes de l'art. 941 du Code civil, la donation faite par Joseph Lignières à son fils, ne pouvait nuire aux tiers intéressés ni leur être opposée utilement, tant qu'elle n'avait pas été transcrite; qu'à leur égard et jusqu'à la transcription, le donateur restait propriétaire de la chose donnée, et que cette même chose pouvait être valablement affectée aux créances et autres reprises qu'ils avaient contre ce donateur; que cette formalité, qui seule imprime à la donation le caractère d'aliénation, à l'égard des tiers, ne peut être ni remplacée ni suppléée par aucun équivalent; que c'est l'acte même de donation qui doit fournir la preuve qu'elle a été remplie ; que c'est à cet acte qu'elle doit s'attacher, en s'identifiant en quelque sorte à lui; qu'ainsi, il est indifférent de s'enquérir et même de savoir que cette donation non transcrite était mentionnée dars

un contrat transcrit, contenant vente de l'objet donné, comme dans l'espèce, la vente ayant ́été faite par le donataire ;

>> La cour (chambre des requêtes) rejette le pourvoi....... (1) ».

III. Lorsqu'un immeuble a été successivement donné entre-vifs à deux personnes différentes, le second donataire qui a fait transcrire son titre, peut-il opposer au premier le défaut de transcription du sien, et doit-il, en conséquence,lui être préféré,comme il le serait incontestablement, s'il était acquéreur à titre onéreux ?

L'affirmative semblerait être la conséquence du principe établi au no précédent, que les art. 939 et 941 du Code civil ne font qu'appli quer et restreindre aux donations entre-vifs, la disposition de l'art. 26 de la loi du 11 bru maire an 7 qui voulait qu'aucun acte d'aliénation ne pût, à défaut de transcription, être opposé aux tiers; car on ne peut douter que, par cette disposition, la loi du 11 brumaire an 7 n'entendit préférer un second donataire dont le titre serait transcrit, à un premier donataire qui n'aurait pas fait revétir le sien de la formalité de la transcription; et telle a été évi demment la pensée de la cour d'appel de Limoges, lorsque, par son arrêt (déjà cité au no 1) du 10 janvier 1810, elle a dit qu'aucun terme fatal n'étant prescrit par le Code civil pour la transcription, il suffisait, dans l'intérêt du donataire, qu'il ne se présentát aucun DONATAIRE ou acquéreur postérieurs ayant un contrat transcrit antérieurement, pour que

l'acte de donation du 19 nivóse an 10 ne put étre critiqué à défaut d'une transcription plus rapprochée.

Mais peut-on croire que le Code civil ait voulu, en cette matière, traiter aussi favorablement un second donataire, qu'un acquéreur à titre onéreux, et que, par ces termes de l'art. 941, toutes personnes ayant intérêt, il ait entendu les personnes dont l'intérêt est de ne pas manquer à gagner, quæ certant de les lucro captando, ni plus ni moins perque sonnes dont l'intérêt est de ne pas perdre, quæ certant de damno vitando?

Je sais bien qu'en général, on ne peut pas distinguer quand la loi ne distingue pas; mais je sais aussi que, pour bien connaître l'esprit d'une loi, sur une matière quelconque, il faut, au lieu de s'arrêter isolément à telle ou telle de ses dispositions qui la concernent, les rassembler toutes et les comparer entre elles in

(1) Jurisprudence de la cour de cassation, tome 28, page 139.

civile est ( dit la loi 24, D. de legibus ), nisi totá lege perspectâ, uná aliquá particulá ejus propositá, judicare vel respondere. Or, ce n'est pas seulement dans l'art. 941 que le Code civil s'occupe des personnes qui, à raison de l'intérêt qu'elles y ont, peuvent opposer à un donataire le défaut de transcription de son titre ; il s'en occupe encore dans les art. 1070 et 1072; et là, décomposant l'expression générale, toutes personnes ayant intérét, il déclare bien y comprendre les créanciers et les tiers-acquéreurs; mais en même temps il en exclud formellement les DONATAires, les légataires, et méme les héritiers légitimes de celui qui a fait la disposition.

Il est vrai que ces deux articles n'ont pour objet, quant aux donations entre-vifs, que le défaut de transcription de celles qui sont grevées de substitution, dans les cas permis par les art. 1048 et 1049; mais qu'importe ? Ils n'en sont pas moins applicables, comme je crois l'avoir démontré dans les conclusions du 13 décembre 1810, rappelées ci-dessus, no I, au défaut de transcription des donations pures et simples.

Aussi M. Jaubert, dans son rapport au tribunat, sur le titre des donations et testamens, n'a-t-il pas hésité à dire qu'à la vérité, l'art. 941 appelle à exciper du défaut de transcription, les tiers-acquéreurs et les créanciers du donateur, mais qu'il n'y admet pas les donataires postérieurs.

Aussi est-il dit dans l'arrêt de la cour de cassation, du 13 décembre 1810, qu'en rapprochant toutes les dispositions du Code sur la transcription, et en les combinant avec celles des art. 1069, 1070 et 1072, on sera forcé de reconnaitre que l'insinuation n'est remplacée par la transcription, que dans l'intérêt des créanciers et des tiers-acquéreurs des dona

teurs.

IV. Celui à qui un testateur a légué un immeuble qu'il avait précédemment donné entrevifs, peut-il opposer le défaut de transcription au donataire?

La négative est évidente, d'après ce qui est dit au no précédent; elle en résulte même à fortiori; car il serait absurde qu'un légataire eût plus de droits qu'un second donataire entre-vifs.

Cependant on a vu un tribunal de première instance juger le contraire en faveur des sieurs Saraude, à qui le sieur Abot avait légué, par son testament, la terre de Cerney, qu'il avait précédemment donnée entre vifs à la demoiselle Havard. Mais sur l'appel de ce jugement,

à la cour de Caen, il y est intervenu, le 27 janvier 1813, un arrêt ainsi conçu :

« Considérant qu'il existe une différence essentielle entre la formalité de l'insinuation voulue par l'ordonnance de 1731, et celle de la transcription exigée par l'art. 939 du Code civil ; que, dès-là, les principes et les effets de la première ne peuvent être appliqués à la seconde, et qu'en interpretant les dispositions du Code par celles de l'ordonnance, le premier juge a commis une erreur évidente;

>> Considérant que la transcription n'est point une formalité substantielle de la donation qui est parfaite par le consentement des parties;

» Considérant que, si le donateur ne peut opposer au donataire le défaut de transcrip tion, ceux qui n'ont d'autres droits que les siens, et qui sont responsables de ses faits, ne le peuvent pas davantage; qu'ainsi, les héritiers et légataires qui représentent le défunt, qui ne sont avec lui qu'une seule et même personne, sont sans qualité pour se prévaloir du défaut de transcription;

» Considérant, dans le fait, que le 23 août 1810, Pierre-Gilles Abot a fait donation à Louise-Marguerite Havard, femme Chevalier, de la terre de Cerney; que, depuis, il a légué cette même terre aux frères Saraude la Charpenterie; et qu'ainsi, à raison de ce legs, les sieurs la Charpenterie sont les représentans du défunt, et ne peuvent exercer que le droit qu'il pourrait exercer lui-même ;

» Considérant que les héritiers et légataires voudraient en vain se prévaloir des termes de l'art. 941 du Code civil; qu'il est évident que cet article n'est applicable qu'aux tiers qui ne sont point responsables des faits du défunt, et que ces mots toutes personnes ayant intérét, ne peuvent s'entendre que de tout individu créancier ou acquéreur à titre onéreux des biens précédemment donnés, et qui aurait contracté de bonne foi dans l'ignorance de la donation

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» Considérant que cette interprétation de l'art. 941 résulte évidemment de discussions au conseil d'état sur l'art. 939, et de l'esprit du législateur qui, en empruntant à la loi du 11 brumaire cette formalité de rigueur, n'en a changé ni la nature ni les effets. Or, sous l'empire de cette loi, la transcription ne fut requise que dans l'intérêt des créanciers et des tiers acquéreurs, et c'est faute d'avoir saisi cette analogie entre la loi de brumaire et le Code qui eût indiqué le véritable esprit des art. 939 et 941, que le premier juge est tombé dans une interprétation erronée des mêmes articles;

Par ces motifs, la cour, vidant le délibéré, infirme le jugement dont est appel, ordonne que la donation sortira son plein et entier effet, au préjudice du legs.......... (1) ».

V. De ce que l'art. 941 du Code civil excepte du nombre des personnes ayant intérêt, qui peuvent opposer le défaut de transcription d'une donation entre-vifs, celles qui sont char gées de la faire transcrire ou leurs ayantCAUSE, et les donateurs, s'ensuit-il que, si, sans avoir fait transcrire la donation qu'il a faite à sa femme par contrat de mariage, un mari vend l'immeuble qui en a été l'objet, l'acquéreur ne peut pas opposer le défaut de transcription à la donataire qui revendique sur lui ce bien?

L'affirmative ne peut être susceptible d'aucun doute, dans la supposition que l'acquéreur soit, dans le sens de l'art. 941, l'ayantcause du mari considéré comme chargé, par l'art. 940, de faire faire la transcription, en même temps qu'il l'est du mari considéré comme donateur; et c'est effectivement dans cette supposition que l'a jugé ainsi, par les raisons qu'il a parfaitement expliquées, un arrêt de la cour de cassation, dont voici l'espèce :

Le g octobre 1812, contrat de mariage par lequel le sieur Conrard-Mahé fait à sa future épouse donation entre-vifs et irrévocable de la propriété de deux métairies.

Cet acte n'est transcrit après la célébration du mariage, ni à la diligence du sieur ConrardMahé, ni à celle de son épouse.

Le 20 mai 1818, acte sous seing-privé, enregistré et transcrit peu de temps après, par lequel le sieur Conrard-Mahé vend aux sieur et dame d'Amour l'usufruit des deux métairies dont il a précédemment donné la nue propriété à sa femme.

Le 4 juin suivant, nouvel acte sous seingprivé, par lequel le sieur Conrard-Mahé s'oblige de transporter aux sieur et dame d'Amour la nue propriété de ces mêmes métairies, et d'en passer contrat devant notaire, au prix de 11,600 francs, et sous peine de 6,000 francs de dommages-intérêts.

Le 16 du même mois, les sieur et dame d'Amour font transcrire cet acte au bureau des hypothèques.

Le 4 juillet de la même année, acte notarié par lequel le sieur Conrard-Mahé et son épouse, autorisée de lui, vendent au sieur Cantereau la nue propriété des deux métairies,

(1) Jurisprudence de la cour de cassation, tome 13, partie 2, page 102.

moyennant la somme de 20,000 francs, qu'ils reconnaissent avoir reçue.

Quelque temps après, le sieur ConrardMahé forme,contre les sieur et dame d'Amour, une demande en nullité des deux actes des 20 mai et 4 juin 1818.

Le sieur Cantereau intervient, et adhérant à cette demande, il conclud à ce que la vente faite à son profit par l'acte notarié du 4 juillet suivant, soit seul exécuté, attendu qu'elle est la seule consentie par la dame Conrard-Mahé, devenue propriétaire exclusive des deux métairies par l'effet du contrat de mariage de 1812. Le 24 août 1819, jugement qui, entr'autres dispositions, rejette la demande en nullité de la vente faite aux sieur et dame d'Amour, le 20 mai 1818, de l'usufruit des deux métairies, mais annulle celle qui leur a été faite le 4 juin suivant, de la nue propriété de ces immeubles, et en conséquence maintient le sieur Cantereau dans cette nue propriété, attendu, d'une part, qu'elle lui a été valablement vendue par la dame Conrard-Mahé, et que, de l'autre, les sieur et dame d'Amour, n'étant que les ayant-cause du sieur Conrard-Mahé, ne peuvent pas, plus que celui-ci, d'après l'art. 941 du Code civil, se prévaloir contre la donataire, ni par conséquent contre le sieur Cantereau, acquéreur de ses droits,du défaut de transcription de la donation.

Les sieur et dame d'Amour appellent de ce jugement à la cour royale de Poitiers, et soutiennent que, s'ils sont ayant-cause du sieur Conrard-Mahé, considéré comme donateur, ils ne le sont pas du sieur Conrard-Mahé, considéré comme mari de la donataire et chargé, en cette qualité, de faire transcrire la donation; qu'ainsi, le défaut de transcription ne peut pas leur être opposé par la donataire, ni par conséquent par le sieur Cantereau.

Le 20 mars 1821, arrêt qui confirme le jugement, « attendu qu'aux termes de l'art. 941 du » Code civil, le défaut de transcription des » donations ne peut être opposé par ceux qui » sont chargés de la faire faire, ni par leurs >> ayant-cause; et que les sieurs et dame d'A»mour sont ayant-cause de Conrard-Mahé

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qui était chargé de faire transcrire la dona» tion par lui faite à son épouse en son contrat » de mariage ».

Les sieur et dame d'Amour se pourvoient en cassation contre cet arrêt, et l'attaquent comme violant l'art. 941 du Code civil.

L'affaire portée à la section civile, d'après un arrêt d'admission de la section des requêtes, M. Gandon, rapporteur, expose ainsi le moyen de cassation sur lequel il s'agit de statuer:

«Le sieur d'Amour, demandeur en cassation, ne nie pas que l'ayant-cause de celui

qui est chargé de faire transcrire, aux termes · de l'art. 940 du Code civil, ne soit exclu par l'art. 941, de la faculté d'opposer au donataire le défaut de transcription.

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Mais, selon lui, il faut distinguer deux personnes dans le sieur Conrard-Mahé, savoir, le mari qui était obligé de faire transcrire, et le donateur qui n'était pas tenu de cette obligation. Il convient que le mari et ses ayantcause sont privés, par l'art. 941, du droit de se prévaloir du défaut de transcription ; mais, s'il en est de même, suivant la disposition finale de cet article, du donateur personnellement, il en est autrement de ses ayant-cause; c'est même pour eux qu'a été introduite, contre l'effet de la donation, l'exception résultant du défaut de transcription.

» Cela posé, le sieur d'Amour maintient qu'il n'est ayant-cause que du sieur Conrard-Mahé, donateur, et nullement du sieur ConrardMahé, mari; d'où il conclud qu'il est fondé à opposer le défaut de transcription.

» Vous voyez à quoi se réduit le moyen: la réponse n'est pas plus longue; la voici :

» Les qualités d'un même individu, qui étaient réunies en sa personne, quand il a contracté, influent sur sa capacité et sur ses droits, ainsi que sur les exceptions que la loi attache au traité qu'il a consenti. Le sieur ConrardMahé était sans doute donateur, mais il était, à un autre titre, comme mari, chargé de faire opérer la transcription. Le sicur d'Amour, qui a acquis de lui, est son ayant-cause à deux titres : le sieur Conrard n'a pu vendre les immeubles par lui donnés, sans que son acquéreur fût exclu ḍu droit d'opposer le défaut de transcription, comme il en était exclu lui

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