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Majesté jugera sans doute qu'elle ne doit pas négliger les mesures de précaution que peut exiger sur cette frontière la sûreté du territoire de l'Empire.

Si le plus grand nombre des gouvernemens européens entre dans la masse qui se réunit contre nous, il y a, malgré l'apparente uniformité de leur état extérieur, des dissemblances infinies dans leurs dispositions effectives. Cette différence dans leurs dispositions résulte de la différence des intérêts respectifs, de la différence des passions individuelles des princes, de la différence des vues des cabinets, enfin de la différence des avantages qu'ils peuvent trouver dans un nouveau choc, comme des risques qu'ils peuvent y courir. Elle résulte encore de la situation dans laquelle des Etats de premier et second ordre se trouvent réciproquement placés par suite de la dernière guerre et des opérations du congrès.

Quatre puissances ont incontestablement un même but, quoique toutes quatre n'aient pas un même intérêt. Les cours de Londres, de Pétersbourg, de Vienne et de Berlin conspirent toutes, par des motifs différens, l'affaiblissement et le démembrement de la France.

L'Angleterre veut détruire à-la-fois le principe de notre force continentale et celui de notre force maritime. Même dans la dernière époque où notre marine existait à peine, la force continentale de la France a porté des coups sensibles à la prospérité du commerce anglais.

La Russie, qui joue aujourd'hui sur le continent le rôle que la France a joué pendant quinze ans, craint de perdre la domination territoriale, ou même de la partager; elle ne veut point qu'il existe à l'occident de l'Europe un gouvernement assez fort pour balancer ou limiter son ascendant sur les Etats intermédiaires.

La monarchie militaire fondée par Frederic II., destinée par l'esprit de ses institutions à être un Etat conquérant et uniquement occupé à étendre ses limites afin d'englober ensuite tous les territoires situés dans ses immenses embranchemens, la Prusse ne voit d'avenir pour elle que dans la ruine de la nation énergique dont l'existence seule oppose une invincible barrière à ses usurpations.

L'Autriche, et c'est-là une de ces erreurs que la raison cherche en vain à s'expliquer, l'Autriche, dont la Russie presse les flancs sur une ligne immense, et que la Prusse seule ose déjà braver, cédant à l'empire de circonstances sous lesquelles un Etat de second ordre est seul excusable de fléchir, l'Autriche marche aussi contre la France, comme pour augmenter le triomphe du cabinet de Pétersbourg et s'attacher elle-même à son char. La fatale passion de se reporter vers le Rhin, l'espoir d'obtenir sur la rive gauche de ce fleuve des pays qui ont jadis fait partie de l'empire d'Allemagne; lui fait oublier tous les dangers qu'elle se prépare et ne lui laisse pas voir que c'est du Nord vers le Midi que marche, dans tous les tems, ms, le génie de l'invasion; que c'est du Nord et de l'Est que l'oppression pèse déjà sur elle, et qu'elle ne fait que forger ses propres chaînes en prêtant la main à la perte des Etats d'occident, qui seuls peuvent la protéger contre l'asservissement plus ou moins prochain dont elle est menacée.

Ces quatres grandes puissances entraînent naturellement avec elles tous les Etats qui touchent leur territoire ou qui se trouvent sur leur passage; mais cet entraînement matériel n'aura de durée qu'aussi long-tems que subsistera la force étrangère qui le produit. Les chances variées que fait naître la diversité des intérêts prendront une direction contraire ou favorable, selon le résultat des premiers événemens militaires.

Sire, la question de la guerre ne peut plus être mise en doute. Le ministère britannique, après avoir reçu les réponses de ses allies, a déclaré qu'il regarde le traité du 25 mars comme ayant constitué l'état d'hostilité entre la France et l'Angleterre. Il a déclaré que le dernier message du prince-regent devait être considéré comme un message de guerre, en sorte que, si un mouvement général d'agression n'a pas eu lieu encore, c'est qu'il a convenu aux puissances d'en différer le moment pour laisser arriver toutes leurs forces. Cependant si, jusqu'à ce jour, elles n'ont fait que préluder à la guerre, déjà ces préludes ont été sanglans. Le 30 avril, en pleine paix, la frégate la Melpomène a été attaquée et prise près l'ile d'Ischia, par le vaisseau anglais le Rivoli: la Dryade a été attaquée le 10 mai. Des bâtimens anglais jettent sur nos côtes des hommes, des armes et des munitions de guerre (Pièce No. 17). J'ai l'honneur de soumettre ci-joint à V. M. une indication de diverses autres voies de fait, et de mesures hostiles (Pièce No. 18.) qui se multiplient depuis quelques mois, et que ne peut tolérer plus long-tems une nation qui a le sentiment de sa dignité et de ses droits.

Croire à la possibilité du maintien de la paix serait aujourd'hui un dangereux aveuglement. Si cette espérance, à laquelle il faut entièrement renoncer, si l'assemblée du Champ-de-Mai, et l'ouverture des chambres ont dû retenir Votre Majesté dans la capitale, ces motifs de délai n'existent plus: la guerre nous entoure de toutes parts. Ce n'est plus que sur le champ de bataille que la France peut reconquérir la paix. Lorsque l'étranger n'a suspendu ses coups que pour nous frapper plus sûrement, l'intérêt national ordonne de les prévenir au lieu de les attendre. Les Anglais, les Prussiens, les Autrichiens sont en ligne. Les Russes sont en pleine marche: la tête de leur première colonne a passé Nuremberg le 19 mai, et se trouve sur les bords du Rhin. L'empereur de Russie et le roi de Prusse ont quitté Vienne le 26 mai, et l'empereur d'Autriche le 27: ces souveraines sont maintenant à la tête de leurs armées, et V. M. est encore à Paris..... Sire, toute hésitation peut désormais compromettre les interêts de la patrie.

La lutte qui va s'engager ne sera pas une lutte d'un jour; peut-être voudra-t-elle de longs efforts, une longue patience. Il est important que la nation en soit convaincue, et V. M. jugera sans doute à propos de mettre sous les yeux des chambres toutes les pièces relatives à notre situation. Eclairées sur la nature des périls dont la France est menacée, leur patriotisme et leur énergique sagesse repondront à l'appel qui les leur aura fait connaître; elles sentiront qu'il faut au gouvernement de grandes ressources en tout genre; elles n'hésiteront pas à les lui donner. La France veut être indépendante, la France restera indépendante, et l'union sincère du peuple avec le monarque formera autour de la patrie un mur d'airain, contre lequel viendront se briser tous les efforts des ennemis de son bonheur et de sa liberté, de l'industrie nationale et de l'honneur français.

Signé, CAULAINCOURT, duc de VICENCE.

No. XX.

Report of the Duke of Otranto to the Emperor on the state of the Empire.

SIRE,

Paris, le 18 juin, 1815.

Chargé par V. M. de lui faire connaître la situation de l'Empire, sous les rapports de l'ordre et de la sûreté publique: c'est d'après cette connaissance que les chambres pourront apprecier les mésures que le Gouvernement a prises,et délibérer sur celles que la crise actuelle rend nécessaires,

Tandis que V. M. marche à la tête des armées françaises pour repousser des forces étrangères, elle a le droit d'attendre de l'énergie et de la fidélité des représentans de la nation les moyens légaux d'arrêter ou de punir les entreprises des ennemis intérieurs.

Toutefois, Sire, les ennemis, aujourd'hui comme précédemment, sont peu nombreux: ils ne s'agitent que dans quel

ques départemens; et, dans ceux où ils ont le plus de suecès, la masse de la population les rejette, les désavoue, et n'aspire qu'à s'en séparer.

Sire, je dois vous dire la vérité toute entière: Nos ennemis ont de l'activité, de l'audace, des instrumens au dehors, des appuis au dedans; ils n'attendent que le moment favorable pour réaliser le plan conçu, depuis 20 ans, et depuis 20 ans déjoué, d'unir le camp de Jalés à la Vendée, et d'entraîner une partie de la multitude dans cette conspiration qui s'étend de la Manche à la Méditerranée.

Dans ce systême, les campagnes de la rive gauche de la Loire, dont la population est plus facile à égarer, sont le principal foyer de l'insurrection, qui doit, à l'aide des bandes errantes de la Bretagne, se propager jusqu'en Normandie, où le voisinage des îles et les dispositions de la côte, rendent les communications plus faciles; elle s'appuie d'un autre côté sur les Cévennes pour s'étendre jusqu'aux rives du Rhône, par les révoltes qu'on peut exciter dans quelques parties du Languedoc et de la Provence. Bordeaux est depuis l'origine le centre de direction de ces mouvemens.

Ce systême n'a pas été abandonné. Il y a plus, le parti s'est grossi, à chaque phase de notre révolution, de tous les mécontens que les évenemens produisaient, de tous les factieux encouragés dans leurs projets par la certitude de l'amnistie, de tous les ambitieux qui desiraient acquérir quelque importance politique dans les changemens qu'on présageait. De sorte que si on considère aujourd'hui les élémens hétérogènes dont ce parti se compose, si on observe la diversité d'opinions, de vues et d'intérêts qu'il renferme, on ne peut le qualifier de royaliste, qu'en ce sens qu'il est l'ennemi du gouvernement; car il n'a point de but fixé et déterminé dans ses intentions ultérieures, et par conséquent point de caractère uniforme et général.

C'est ce parti qui trouble maintenant la tranquillité intérieure; c'est lui qui agite Marseille, Toulouse et Bordeaux; Marseille, où l'esprit de sédition anime jusqu'aux dernières classes de la population, où les lois ont été méconnues; Toulouse, qui semble encore sous l'influence de l'organisation révolutionnaire qui lui fut donné il y a quelques mois; Bordeaux, où reposent et fermentent avec intensité tous les germes de révolte; Bordeaux, où la patrie trouva jadis de si nombreux défenseurs, où la liberté excita de si généreux sacrifices et de si nobles dévouemens; Bordeaux qui récèle maintenant des apôtres de la guerre civile !

C'est ce parti qui, par de fausses alarmes, de fausses espérances, des distributions d'argent, et l'emploi des menaces, est parvenu à soulever les paisibles cultivateurs dans tout le territoire enclavé entre la Loire, la Vendée, l'Océan, et le Thouet. On y a débarqué des armes, des munitions de guerre. D'anciens noms, des hommes nouveaux paraissent sur ce sanglant theatre; l'hydra de la rebellion renaît, se produit partout où il exerça jadis ses ravages, et n'est point abattu par nos succès d'Esuai, de Saint-Gilles et de Palluau. De l'autre côté de la Loire des bandes désolent le département du Morbihan, quelques parties de l'Ille et Vilaine, des côtes du Nord et de la Sarthe: elles ont un moment envahi les villes d'Aurai, de Rhedon, de Ploermel, les campagnes de la Mayenne jusqu'aux portes de Laval; elles arrêtent les marins et les militaires rappelés; elles désarment les propriétaires, se grossissent des paysans qu'elles font marcher de force, pillent les caisses publiques, anéantissent les instrumens de l'administration, menacent les fonctionnaires, s'emparent les diligences, saisissent les couriers, et ont intercepté un instant les communications du Mans à Angers, d'Angers à Nantes, de Nantes à Rennes, de Rennes à Vannes.

Sur les bords de la Manche, Dieppe, le Havre, ont été agités par des mouvemens séditieux. Dans toute la 15e divivision, les bataillons de milice nationale n'ont été formés qu'avec la plus grande difficulté. Les militaires et les marins ont refusé de repondre aux appels, et n'ont obéi qu'aux moyens de contrainte. On oppose aux mesures que les circonstances exigent une résistance condamnable, ou une force d'inertie plus dangereuse et plus difficile à vaincre que la résistance. Caen à été troublée deux fois par des réactions royalistes, et dans quelques arrondissemens de l'Orne, des bandes se forment comme en Bretagne, et dans la Mayenne.

Enfin tous les écrits qui peuvent décourager les hommes faibles, enhardir les factieux, ébranler la confiance, diviser la nation, jeter de la déconsidération sur son gouvernement; tous les pamphlets qui sortent des presses de la Belgique ou des imprimeries clandestines de France; tout ce que les journaux étrangers publient contre nous, tout ce que les écrivains du parti composent, se distribue, se colporte, se répand impunément par le défaut de lois répressives, et l'abus de la liberté de la presse.

Inébranlable dans le systême de modération qu'elle avait adopté, V. M. crut devoir attendre la convocation des chambres, pour n'opposer que des précautions légales aux manœuvres que la législation ordinaire ne punit pas toujours, et qu'elle ni pouvait ni prévoir ni prévenir.

Ce n'est pas qu'en remontant à des époques antérieures à votre avénement, il n'eût été facile de trouver des lois nées dans des circonstances analogues, et qu'une politique moins

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