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dès cinq ou six heures. M. Arnauld s'endormoit souvent, après avoir roulé ses jarretières devant elle : ce qui la faisoit un peu souffrir. M. Nicole étoit le plus poli des deux, et étoit plus à son goût. Madame de Longueville se dégoûtoit fort aisément; et, d'une grande envie de voir les gens, passoit tout-à-coup à une fort grande peine de les voir.

M. Nicole fut toujours bien avec elle: elle trouvoit qu'il avoit raison dans toutes les disputes. Il dit qu'à sa mort il perdit beaucoup de considération:

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J'y perdis même, dit-il, mon abbaye; car on ne m'appeloit plus M. l'abbé Nicole, mais M. Nicole << tout simplement.»

"

Elle étoit quelquefois jalouse de mademoiselle de Vertus, qui étoit plus égale et plus attirante.

Grand différent contre M. Pascal. Il vouloit qu'on défendît toujours les propositions par le bon sens qu'elles avoient, et qu'on n'en signât point la condamnation. M. Arnauld et M. Nicole étoient d'avis contraire. M. Arnauld, entre autres, fit un écrit où il terrassoit M. Pascal, qui étoit petit devant lui. C'est ce qui a donné lieu au bruit qui se répandit que M. Pascal avoit abjuré le jansénisme. Celui-ci, dans sa dernière maladie, ayant lâché quelques mots de ce différent au curé de Saint-Étienne, qui comprit que, puisque M. Pascal avoit été de contraire avis avec ces messieurs, il avoit été d'avis de l'entière soumission au Formulaire, feu M. de Paris en tira avantage, fit signer cette déposition par le curé, qui,

ayant été depuis convaincu du contraire, voulut en . vain revenir contre sa signature. M. l'archevêque se moqua de lui1.

M. Nicole appelle tout cela les guerres civiles de Port-Royal.

La mère Angélique de Saint-Jean étoit entêtée aussi qu'elles ne devoient signer en aucune sorte; et quand l'accommodement fut fait, elle persistoit toujours dans son opinion. M. d'Aleth lui écrivit, M. Arnauld, M. de Sacy: tout cela inutilement. M. Nicole eut ordre de faire un écrit pour la convaincre. Enfin, elle se rendit, il ne sait comment, en disant qu'elle n'étoit nullement convaincue.

Il estime qu'elle avoit plus d'esprit même que M. Arnauld, très exacte à ses devoirs, très sainte, mais naturellement un peu scientifique, et qui n'aimoit pas à être contredite. Madame de Longueville ne l'aimoit pas, et pourtant convenoit de toutes ses bonnes qualités. Elle avoit plus de goût pour la mère du Fargis, qui savoit beaucoup mieux vivre.

Deux partis dans la maison : l'un, la mère Angélique, la sœur Briquet, et M. de Sacy; l'autre, la mère du Fargis, M. de Sainte-Marthe, et M. Nicole. Ces derniers avoient toujours raison; mais, pour l'union, M. de Sainte-Marthe cédoit toujours.

M. Nicole dit que c'est le plus saint homme qu'il ait vu à Port-Royal. Il sautoit par-dessus les murs,

Voyez l'Histoire de Port-Royal, seconde partie.

pour aller porter la communion aux religieuses malades, et cela de l'avis de M. d'Aleth: en sorte qu'il n'en est pas mort une sans sacrements. Cependant la mère Angélique de Saint-Jean n'avoit nul goût pour lui; et, quoiqu'il le sût, il n'en étoit pas moins prêt à se sacrifier pour la maison.

M. Arnauld, le plus souvent, n'avoit nulle voix en chapitre. On le croyoit trop bon: et c'étoit assez qu'il dit du bien d'une religieuse, pour que l'on n'en fit plus de cas. Ainsi il prônoit fort la sœur Gertrude; et la mère Angélique de Saint-Jean se retiroit d'elle.

La mère Angélique, à force de se confier à la sœur Christine, et de la vouloir former aux grandes choses, comme une abbesse future, lui inspira un peu trop de mépris pour les autres mères : en telle sorte qu'elle étoit en grande froideur pour la mère du Fargis, et mourut sans lui en demander pardon. Madame de Fonspertuis contribuoit un peu à tout cela: bonne femme, bonne amie, mais un peu portée à l'intrigue, et ne haïssant pas à se faire de fête, sur-tout avec les grands seigneurs.

M. de Pompone demandoit un jour à M. Nicole : << Tout de bon, croyez-vous que ma sœur ait autant d'esprit que madame Duplessis-Guénégaud? » M. Nicole traita d'un grand mépris une pareille question.

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On subsistoit comme on pouvoit des livres et des écrits qu'on faisoit. Les Apologies des religieuses

valurent cinq mille francs; les Imaginaires, cinq cents écus. Bien des gens croyoient que M. Nicole, en tirant quelque profit de la Perpétuité, s'enrichissoit du travail de M. Arnauld, et il souffroit tout cela. On tira des Traités de piété seize cents francs. M. Nicole les fit donner à M. Guelphe; et celui-ci y ayant joint quelque trois ou quatre mille francs de M. Arnauld, les prêta à un nommé Martin, qui leur a fait banqueroute.

Lorsque les religieuses étoient renfermées au PortRoyal de Paris, elles trouvoient moyen de faire tenir tous les jours de leurs nouvelles à M. Arnauld, et d'en recevoir. M. Nicole dit que c'étoient des lettres merveilleuses, et toutes pleines d'esprit. La sœur Briquet y avoit la principale part. La sœur de Brégy vouloit aussi s'en mêler : elle avoit quelque vivacité, mais son tour d'esprit étoit faux, et n'avoit rien de solide.

Elles confièrent deux ou trois coffres de papiers à M. Arnauld, lorsqu'elles furent dispersées. C'est par ce moyen qu'on a eu les Constitutions de Port-Royal, et d'autres Traités qu'on a imprimés.

M. Nicole a travaillé seul aux préfaces de la Logique et à toutes les additions. La première, la deuxième, et la troisième partie, ont été composées en commun. M. Arnauld a fait toute la quatrième.

ÉPITAPHE

DE C. F. DE BRETAGNE,

DEMOISELLE DE VERTUS'.

Ici repose Catherine-Françoise de Bretagne, demoiselle de Vertus. Elle passa sa plus tendre jeunesse dans le desir de se donner à Dieu, pratiquant dès-lors, avec un goût particulier, la régle de saint Benoît dans un monastère. Mais, engagée dans le monde par ses parents, les flatteries des gens du siècle, et cette estime dangereuse que lui attiroient les graces de sa personne et les agréments de son esprit, l'emportèrent bientôt sur ses premiers sentiments, dont elle ne laissoit pas d'être toujours combattue. Pour surcroît de malheur, se trouvant mêlée fort avant dans les cabales qui divisoient alors la cour, elle prit, hélas! trop de part aux plaisirs et aux intrigues que dans son ame elle condamnoit. Mais Dieu, qui ne vouloit pas qu'elle pérît, jeta une amertume salutaire sur ses vaines occupations, et permit que, rebutée de leur mauvais succès, elle en connût

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Mademoiselle de Vertus, descendue des anciens ducs de Bretague, jetée par les circonstances dans les intrigues de la fronde et dans les plaisirs de la cour, fut un rare exemple du pouvoir de la religion. Moins fameuse que la duchesse de Longueville, elle eut un caractère plus ferme et des vertus plus solides. (G.)

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