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que tout le monde sait, que les sujets sont bien différents, et qu'un enjouement perpétuel seroit peutêtre un aussi grand défaut dans les Imaginaires, comme il est une grande grace dans les Provinciales. Je vous demande seulement pourquoi vous jugez des intentions d'un auteur, qui vous sont cachées, et pourquoi vous n'avez pas voulu juger des actions et des livres de Desmarêts, qui sont visibles à tout le monde? Ce ne peut être que par une raison fort mauvaise pour vous; n'obligez personne à la découvrir, et ne dites point de vous-même que l'auteur des Lettres a voulu écrire comme M. Pascal. Il n'a voulu faire que ce qu'il a fait; il a voulu convaincre ses lecteurs de la fausseté d'une prétendue hérésie, et il les a convaincus d'une manière qui, sans comparaison, est forte, évidente, agréable et très facile.

On peut en juger par les efforts que vous avez faits contre lui, puisque vous avez été chercher des railleries jusque dans l'Écriture Sainte. « Jetez-vous « sur les injures, lui dites-vous, vous êtes appelé à « ce style, et il faut que chacun suive sa vocation. »> Vous pensez donc que la vocation porte au mal et aux injures. La Sorbonne diroit absolument que c'est une erreur; mais, pour moi, je dis seulement que c'est une mauvaise raillerie, et peut-être que vous serez plus touché d'avoir fait un mensonge ridicule, que d'avoir outragé la vérité.

Il paroit assez, par la profession que vous faites, et par la manière dont vous écrivez, que vous crai

gnez moins d'offenser Dieu que de ne plaire pas aux hommes; puisque, pour flatter la passion de quelques uns, vous vous moquez de l'Écriture, des conciles, des saints pères, et des personnes qui tâchent d'imiter leurs vertus.

Pour justifier la comédie, qui est une source de corruption, vous raillez la pénitence, qui est le principe de la vie spirituelle; vous riez de l'humilité que saint Bernard appelle la vertu de Jésus-Christ; et vous parlez, avec une vanité de païen, des actions les plus saintes, et des ouvrages les plus chrétiens. Vous pensez qu'en nommant seulement les livres de Port-Royal, vous les avez entièrement détruits; et vous croyez avoir suffisamment répondu à tous les anciens conciles, en disant seulement qu'ils ne sont pas nouveaux.

Désabusez-vous, monsieur, et ne vous imaginez point que le monde soit assez injuste pour juger selon votre passion: il n'y a personne, au contraire, qui n'ait horreur de voir que votre haine va déterrer les morts, et outrager lâchement la mémoire de M. Le Maistre et de la mère Angélique par des railleries et des calomnies ridicules.

Mais, quoi que vous disiez contre des personnes d'un mérite si connu dans le monde et dans l'Église, ce sera par leur vertu qu'on jugera de vos discours; on joindra le mépris que vous avez pour elles, avec les abus que vous faites de l'Écriture et des saints pères; et l'on verra qu'il faut que vous soyez étrangement passionné, et que ceux contre qui vous écri

vez soient bien innocents, puisque vous n'avez pu les accuser sans vous railler de ce qu'il y a de plus saint dans la religion et de plus inviolable parmi les hommes, et sans blesser en même temps la raison, la justice, l'innocence et la piété.

SECONDE REPONSE

PAR M. BARBIER D'AUCOURT.

1er avril 1666.

MONSIEUR,

Je ne sais si l'auteur des Hérésies imaginaires jugera à propos de vous faire réponse. Je connois des gens qui auroient sujet de se plaindre s'il le faisoit. Ils ont souffert avec patience qu'on ait répondu à M. Desmarêts, et je ne m'en étonne pas: un prophéte mérite quelque préférence. Mais vous, monsieur, qui n'avez pas encore prophétisé, il y auroit de l'injustice à vous traiter mieux qu'on ne les a traités. Pour moi, qui ne suis point de Port-Royal, et qui n'ai de part à tout ceci qu'autant que j'y en veux prendre, je crois que, sans vous faire d'affaire avec le père du Bosc, ni avec M. de Marandé, je vous puis dire un mot sur le sujet de votre lettre. J'espère que cela ne sera pas inutile pour en faire

'Jean Barbier, qui depuis ajouta à son nom celui de d'Aucourt, étoit alors un jeune avocat dont la plume étoit estimée, et qui écrivoit en faveur de Port-Royal, par haine pour les Jésuites. Huit ans après cette lettre, il fit une méchante satire en vers sur l'Iphigénie de Racine. Il fut reçu à l'académie françoise en 1683, et mourut en 1694. (Anon.)

connoître le prix. Le monde passe quelquefois trop légèrement sur les choses; il est bon de les lui faire

remarquer.

Vous avez grand soin, pour vous mettre bien dans l'esprit du lecteur, de l'avertir, avant toutes choses, que vous ne prenez point le parti de M. Desmarêts. C'est fort prudemment fait. Vous avez bien senti qu'il n'y a point d'honneur à gagner. Il commence à étre connu dans le monde, et vous savez ce qu'on en a dit en assez bon lieu. Mais, sans mentir, cette prudence ne dure guère. Et comment peut-on dire, dans les trois premières lignes d'une lettre, qu'on ne se déclare point pour Desmarêts, et qu'on laisse à juger au monde lequel est le visionnaire de lui ou de l'auteur des Imaginaires? En vérité, tout homme qui peut parler de cette sorte est bien déclaré.

Cela n'étoit pas difficile à voir; mais l'envie de dire un bon mot vous a emporté; et cette manière de dire à celui que vous attaquez qu'il est visionnaire, vous a paru si heureuse et si galante, que vous n'avez su vous retenir.

Mais, monsieur, croyez-vous qu'il n'y ait qu'à dire des injures aux gens, et ne savez-vous pas qu'il y a un choix d'injures comme de louanges; qu'il faut que les unes et les autres conviennent, et qu'il n'y a rien de si misérable que de les appliquer au hasard? On a pu traiter Desmarêts de visionnaire, parcequ'il est reconnu pour tel, et qu'il a eu soin d'en donner d'assez belles marques. Vous voudriez bien lui faire avoir sa revanche, mais la voie que

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