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Je ne crois pas faire un grand présent au public, en lui donnant ces deux lettres; il en a vu une il y a un an, et je lui aurois abandonné l'autre bientôt après, si quelques considérations ne m'avoient obligé de la retenir. Je n'avois point prétendu m'engager dans une longue querelle, en prenant l'intérêt de la comédie: mon dessein étoit seulement d'avertir l'auteur des Imaginaires d'être un peu plus réservé à prononcer contre plusieurs personnes innocentes. Je crus qu'un homme qui se mêloit de railler tant de monde, étoit obligé d'entendre raillerie, et j'eus regret de la liberté que j'avois prise, dès qu'on m'eut dit qu'il prenoit l'affaire sérieusement.

Ce n'est pas que je crusse que son ressentiment dût

aller bien loin. J'avois vu ma lettre entre les mains de quelques gens de sa connoissance, qui en avoient

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Vers la fin de l'année 1667, Nicole, sous le nom supposé de Damvilliers, ayant fait faire à Liège une nouvelle édition de ses Imaginaires, dans laquelle il fit insérer les deux lettres qui précè dent, avec de grands éloges aux dépens du jeune auteur qui avoit pris la défense du théâtre, Racine, piqué de cette nouvelle provocation, se disposa alors à publier sa seconde lettre à la suite de la première, en les faisant précéder de cette préface. Mais Boileau, à qui il communiqua son projet, n'eut pas de peine à le lui faire abandonner. (Voyez les Mémoires sur la vie de Racine, t. I, p. 36.)

ri comme les autres, mais qui l'avoient regardée comme une bagatelle qui ne pouvoit nuire à personne; et Dieu sait si j'en avois eu la moindre pensée ! Je savois que le Port-Royal n'avoit pas accoutumé de répondre à tout le monde. Ils se vantoient assez souvent de n'avoir jamais daigné accorder cet honneur à des personnes qui le briguoient depuis dix ans, et je fus fort étonné quand je vis deux lettres qu'ils prirent la peine de publier contre la mienne.

J'avoue qu'elles m'encouragèrent à en faire une seconde; mais lorsque j'étois prêt à la laisser imprimer, quelques uns de mes amis me firent comprendre qu'il n'y avoit point de plaisir à rire avec des gens délicats, qui se plaignent qu'on les déchire dès qu'on les nomme; qu'il ne falloit pas trouver étrange que l'auteur des Imaginaires eût écrit contre la comédie, et qu'il n'y avoit presque point de régent dans les colleges qui n'exhortât ses écoliers à n'y point aller : et d'autres des leurs me dirent que les lettres qu'on avoit faites contre moi étoient désavouées de tout le Port-Royal; qu'elles étoient même assez inconnues dans le monde, et qu'il n'y avoit rien de plus incommode que de se défendre devant mille gens qui ne savent pas seulement que l'on nous ait attaqués. Enfin, ils m'assurèrent que ces messieurs n'en garderoient pas la moindre animosité contre moi; et ils me promirent, de leur part, un silence que je n'avois pas songé à leur demander.

Je me rendis facilement à ces raisons. Je crus qu'il ne seroit plus parlé ni de la lettre, ni des réponses; et, sans m'intéresser davantage dans le parti des comédies ni des tragédies, je me résolus de leur laisser jouer à leur aise celles qu'ils nous donnoient tous les jours avec Desmarêts et les Jésuites.

Mais je vois bien que ces bons solitaires sont aussi sensibles que les gens du monde; qu'ils ne souffrent volontiers que les mortifications qu'ils se sont imposées à eux-mêmes, et qu'ils ne sont pas si fort occupés au bien commun de l'Église, qu'ils ne songent de temps en temps aux petits déplaisirs qui les regardent en particulier. Ils ont publié, depuis huit jours, un Recueil de toutes leurs Visionnaires, imprimé en Hollande. Ce n'est pas qu'on leur demandât cette seconde édition avec beaucoup d'empressement. La première, quoique défendue, n'a pas encore été débitée à Paris. Mais l'auteur s'est imaginé peut-être qu'on liroit plus volontiers, en deux volumes, des lettres qu'on n'avoit pas voulu lire en deux feuilles. Il a eu soin de les faire imprimer en même caractère que les dix-huit Lettres Provinciales, comme il avoit eu soin de les pousser jusqu'à la dix-huitième, sans nécessité, et il avoit impatience de servir de seconde partie à M. Pascal.

Il dit déja, dans l'une de ses préfaces, que quelques personnes ont voulu égaler ses Lettres aux Provinciales. Il leur répond modestement à la vérité; mais on

trouve qu'il y avoit plus de modestie à lui, et même plus de bon sens, de ne point du tout parler de cette objection, qui apparemment ne lui avoit été faite que par lui-même. On voit peu de fondement à cette ressemblance affectée; et l'on commence à dire que la seconde partie de M. Pascal sera aussi peu lue que la suite du Cid et le supplément de Virgile '.

Quoi qu'il en soit, les réponses qu'on m'avoit faites n'avoient pas assez persuadé le monde que je n'avois point de bon sens. On n'avoit point encore honte d'avoir ri en lisant ma lettre. Mais aussi ne falloit-il pas qu'un homme d'autorité comme l'auteur des Imaginaires, se donnât la peine de prouver ce qui en étoit. C'est bien assez pour lui de prononcer, il n'importe que ce soit dans sa propre cause. L'intérêt n'est pas capable de séduire de si grands hommes; ils sont les seuls infaillibles. Il dit donc que je suis un jeune poëte; il déclare que tout étoit faux dans ma lettre, et contre le bon sens, depuis le commencement jusqu'à la fin. Cela est décisif: cependant elle fut lue de plusieurs personnes, qui n'y remarquèrent rien contre le sens commun; mais ces personnes étoient sans doute de ces petits esprits dont le monde est plein. Ils n'ont que le

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En 1637, il parut une tragi-comédie d'Urbain Chevreau, intitulée la Suite et le Mariage du Cid. La même année, Desfontaines fit jouer la vraie suite du Cid. Le supplément de Virgile est un poëme latin faisant suite au XIIe livre de l'Énéide; il est de Maffée Vegio, mort en 1458. (Anon.)

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