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sens commun en partage; ils ne savent pas qu'il y a un véritable bon sens, qui n'est pas donné à tout le monde, et qui est réservé à ceux qui connoissent le véritable sens de Jansenius.

A l'égard des faussetés qu'il m'impute, je demanderois volontiers à ce vénérable théologien en quoi j'ai erré; si c'est dans le droit ou dans le fait ? J'ai avancé que la comédie étoit innocente; le Port-Royal dit qu'elle est criminelle; mais je ne crois pas qu'on puisse taxer ma proposition d'hérésie; c'est bien assez de la taxer de témérité. Pour le fait, ils n'ont nié que celui des capucins; encore ne l'ont-ils pas nié tout entier. Mais ils en croiront tout ce qu'ils voudront: je sais bien que quand ils se sont mis en tête de nier un fait, toute la terre ne les obligeroit pas de l'avouer.

Toute la grace que je lui demande, c'est qu'il ne m'oblige pas non plus à croire un fait qu'il avance, lorsqu'il dit que le monde fut partagé entre les réponses qu'on fit à ma lettre, et qu'on disputa longtemps laquelle des deux étoit la plus belle. Il n'y eut pas la moindre dispute là-dessus; et, d'une commune Voix, elles furent jugées aussi froides l'une que l'autre. Il ne falloit pas qu'il les redonnât au public, s'il avoit envie de les faire passer pour bonnes. Il eût parlé de loin, et on l'auroit pu croire sur sa parole.

'Distinction sur laquelle se retranchoient alors les opposants au formulaire. Les cinq propositions sont-elles condamnables? c'étoit le droit. Sont-elles dans le livre de Jansenius? c'étoit le fait. (Anon.)

Mais tout ce qu'on fait pour ces messieurs a toujours un caractère de bonté que tout le monde ne connoît pas; il n'importe que l'on compare dans un écrit les fêtes retranchées avec les auvents retranchés, il suffit que cet écrit soit contre M. l'archevêque; ils le placeront tôt ou tard dans leurs recueils: ces impiétés ont toujours quelque chose d'utile à l'Église.

Enfin, il est aisé de connoître, par le soin qu'ils ont pris d'immortaliser ces réponses, qu'ils y avoient plus de part qu'ils ne me disoient. A la vérité, ce n'est pas leur coutume de laisser rien imprimer pour eux, qu'ils n'y mettent quelque chose du leur. On les a vus plus d'une fois porter aux docteurs les approbations toutes dressées : la louange de leurs livres leur est une chose trop précieuse. Ils ne s'en fient pas à la louange de la Sorbonne : les avis de l'imprimeur sont d'ordinaire des éloges qu'ils se donnent à eux-mêmes; et l'on scelleroit à la chancellerie des priviléges fort éloquents, si leurs livres s'imprimoient avec privilège.

Un arrêt du conseil du 19 novembre 1666, rendu sur une ordonnance du prevót de Paris, avoit fixé la hauteur et la saillie des auvents qu'on étoit alors dans l'usage de construire au-devant des boutiques dans les rues de Paris Ce fut dans ce même temps que parut l'ordonnance de l'archevêque de Paris, qui supprimoit un certain nombre de fêtes. L'auteur d'une lettre sur l'ordonnance de l'archevêque avoit cru trouver une plaisanterie ingénieuse, en faisant le rapprochement de ces deux circonstances. Cette lettre étoit en vers, et elle fut attribuée à Barbier d'Aucourt. ( Anon. )

SECONDE LETTRE

DE RACINE,

EN

RÉPLIQUE AUX DEUX RÉPONSES PRÉCÉDENTES

Paris, ce 10 mai 1666.

Je pourrois, messieurs, vous faire le même compliment que vous me faites: je pourrois vous dire qu'on vous fait beaucoup d'honneur de vous répondre; mais j'ai une plus haute idée de tout ce qui sort de Port-Royal, et je me tiens, au contraire, fort honoré d'entretenir quelque commerce avec ceux qui approchent de si grands hommes. Toute la grace que je vous demande, c'est qu'il me soit permis de vous répondre en même temps à tous deux : car, quoique vos lettres soient écrites d'une manière bien différente, il suffit que vous combattiez pour la même cause; je n'ai point d'égard à l'inégalité de vos humeurs, et je ferois conscience de sé

'On peut voir, dans les Mémoires sur la vie de Jean Racine, comment il se décida, d'après les conseils de Boileau, à ne pas publier cette seconde lettre. Elle fut trouvée, on ne sait par quel hasard, dans les papiers de l'abbé Dupin, et ses héritiers la firent imprimer.

parer deux jansénistes: aussi bien je vois que

vous

me reprochez à-peu-près les mêmes crimes; toute la différence qu'il y a, c'est que l'un me les reproche avec chagrin, et tâche par-tout d'émouvoir la pitié et l'indignation de ses lecteurs, au lieu que l'autre s'est chargé de les réjouir. Il est vrai que vous n'êtes pas venus à bout de votre dessein: le monde vous a laissé rire et pleurer tout seuls. Mais le monde est d'une étrange humeur: il ne vous rend point justice; pour moi, qui fais profession de vous la rendre, je vous puis assurer au moins que le mélancolique m'a fait rire, et que le plaisant m'a fait pitié. Ce n'est pas que vous demeuriez toujours dans les bornes de votre partage: il prend quelquefois envie au plaisant de se fâcher, et au mélancolique de s'égayer; car, sans compter la manière ingénieuse dont il nous peint ces Romains qu'on voyoit à la tête d'une armée et à la queue d'une charrue, il me dit assez galamment « que, si je veux me servir de l'autorité de << saint Grégoire en faveur de la tragédie, il faut me « résoudre à être toute ma vie le poëte de la Passion. » Voyez à quoi l'on s'expose quand on force son naturel! il n'a pu rire sans abuser du plus saint de nos mystères; et la seule plaisanterie qu'il fait est une impiété.

Mais vous vous accordez sur-tout dans la pensée que je suis un poëte de théâtre, vous en êtes pleinement persuadés; et c'est le sujet de toutes vos réflexions sévères et enjouées. Où en seriez-vous, messieurs, si l'on découvroit que je n'ai point fait

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de comédies1? Voilà bien des lieux communs hasardés, et vous auriez pénétré inutilement tous les replis du cœur d'un poëte.

Par exemple, messieurs, si je supposois que vous êtes deux grands docteurs; si je prenois mes mesures là-dessus, et qu'ensuite (car il arrive des choses plus extraordinaires) on vînt à découvrir que vous n'êtes rien moins tous deux que de savants théologiens, que ne diriez-vous point de moi? Vous ne manqueriez pas encore de vous écrier que je ne me connois point en auteurs, que je confonds les Chamillardes avec les Visionnaires, et que je prends des hommes fort communs pour de grands hommes: aussi ne prétendez pas que je vous donne cet avantage sur moi; j'aime mieux croire, sur votre parole, que vous ne savez pas les Pères, et que vous n'êtes tout au plus que les très humbles serviteurs de l'auteur des Imaginaires.

Je croirai même, si vous voulez, que vous n'êtes point de Port-Royal, comme le dit un de vous, quoiqu'à dire le vrai, j'ai peine à comprendre qu'il ait renoncé de gaieté de cœur à sa plus belle qualité. Combien de gens ont lu sa lettre, qui ne l'eussent pas regardée si le Port-Royal ne l'eût adoptée, si ces messieurs ne l'eussent distribuée avec les mêmes éloges qu'un de leurs écrits! Il a voulu peut-être imiter M. Pascal, qui dit, dans quelqu'une de ses lettres, qu'il n'est point de Port-Royal. Mais, mes

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