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paroles, souvent en un mot; mais la justification du général accusé, de ses opérations, de sa conduite entière, exige de longs développemens, parce qu'elle ne peut résulter que d'une foule de circonstances à rassembler.

>> Ce n'est pas que déjà Ja remarquable franchise du maréchal n'ait lancé plusieurs traits de lumière qui vous ont fait voir, au fond de son cœur, qu'il n'avait pas cessé d'être bon Français, Mais une défense ne peut que se compléter de quelques traits, quand elle se compose aussi de plusieurs moyens de droit dont il n'est pas permis de faire le sacrifice. L'esprit de chicane ne percera dans aucun. Je me suis mis d'ailleurs à l'abri des difficultés en écrivant ce dont je dois parler avec circonspection,

>> En commençant la défense justificative du maréchal Ney, je dois rendre de respectueuses et éclatantes actions de grâces à Sa Majesté de ce qu'elle a voulu que cette défense fût libre, publique, protégée même par une grande solennité. Sa Majesté pouvait-elle signaler plus dignement cet amour constant pour la justice qu'elle entend faire régner, cette sagesse, cette grandeur d'ame, supérieures à toutes les passions qu'il est dans son cœur de réprimer et d'éteindre?

>>

Après avoir payé à ce prince auguste notre

TOME II.

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juste tribut de reconnaissance et d'admiration, comment acquitterons-nous celui que nous vous devons, Messieurs, pour la généreuse concession que vous avez daigné nous faire d'un délai devenu nécessaire, à l'effet de faire arriver les témoins qui ont déposé à la décharge du maréchal Ney, et de rassembler toutes les preuves de sa justification ?

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» Déjà, Messieurs, vous en avez la conviction; ce délai n'est pas perdu pour la justice, dont vous êtes les impassibles oracles, puisqu'il a permis à la vérité, ce guide éternel des magistrats, de se manifester sous plus d'un rapport, et d'alléger considérablement le fardeau des terribles préventions qui pesaient sur la tête du maréchal Ney.

>> Nous devons à vos équitables temporisations, Messieurs, de voir cette accusation capitale du crime de haute trahison et d'attentat à la súreté de l'état dégagée désormais, et bien solennellement, par les accusateurs eux-mêmes, de cette masse accablante de soupçons, de reproches même, qui avaient si malheureusement chargé le maréchal Ney, à l'entrée de cette douloureuse carrière. Plus de préméditation dans sa conduite antérieure au 14 mars dernier : ce précurseur ordinaire du crime, celui sans lequel il est rare qu'il puisse exister, a disparu entièrement.

» Non, le maréchal Ney ne s'est rendu coupable d'aucune de ces pensées réfléchies, qui conduisent une âme basse et fausse à trahir ses devoirs. Non, le maréchal Ney, en partant pour aller combattre l'ennemi de son Roi, n'a souillé ni ses mains par l'acceptation d'un salaire honteux, ni ses lèvres par la plus sacrilége des démonstrations. Non, le maréchal Ney. n'a combiné aucune de ces manoeuvres impies dont le but aurait été de favoriser l'entreprise de Bonaparte. Plus d'intentions perfides, plus de sourdes menées, plus de préparations fallacieuses. Le maréchal Ney en est enfin sans retour et pleinement disculpé.

>> Mais, Messieurs, un deuxième bienfait, non moins incalculable, dû à votre libéral ajournement de l'ouverture des débats, est cette précieuse révélation des sentimens dont tous les cabinets alliés de l'Europe se sont montrés, le 20 du mois dernier, unanimement imbus. C'est l'arrivée au grand jour de cette profession de foi européenne, qui se repose avec le plus juste abandon sur ces dispositions aussi sages que généreuses, annoncées à toutes les époques par Sa Majesté, de faire cesser les haines, les divisions, les alarmes, les mécontentemens inséparables de tant de chocs, de tant de calamités, et de ne conserver, des

temps passés, que le bien que la Providence en a fait sortir.

>> A ces touchantes expressions des vœux que forme aujourd'hui, pour nous, cette même Europe que nous avons si long-temps tourmentée, plus qu'aucun autre, le maréchal Ney s'est senti soulagé tout à coup de l'une de ses peines les plus cruelles ; il a reçu la plus douce et la plus salutaire des consolations. Il en eût trop coûté à cette âme qui fut toujours compatissante aux maux que son bras avait été forcé de faire à l'ennemi, de vérifier qu'en effet celui-ci, redevenu vainqueur, au sein de la victoire, ne lui pardonnait pas des avantages désormais plus que compensés, et qu'il s'acharnait à sa perte, au point de la demander à grands cris aux tribunaux français.

» Ainsi donc, le tableau déchirant de l'accusa tion cesse d'être rembruni par les hideuses couleurs d'un crime froidement calculé, et de l'Europe conjurée pour en poursuivre judiciairement l'expiation.

» Il ne me reste donc plus, Messieurs, qu'à vous convaincre de ces propositions inverses : que, dans la matinée du 14 mars, le maréchal Ney n'a pris aucune détermination spontanée; qu'il n'a point agi de son propre mouvement; qu'il a simplement cédé à la force majeure la

plus-irrésistible; qu'il a été loin a été loin, en y cédant, d'imaginer qu'il allait décider du sort de la cause royale, et d'en entreprendre la ruine; qu'il y a, dans tous les cas, une injustice évidente à s'en prendre au maréchal Ney, à sa démarche isolée, de même qu'à sa volonté, des funestes suites du retour de Bonaparte.

» Dans le développement de ces moyens, les plus directement justificatifs, je n'oublierai pas, Messieurs, ce qu'a hautement proclamé dans cette enceinte, le 23 novembre dernier, l'éloquent organe du ministère public, que vous étiez. des jurés dont les nobles consciences ne pouvaient pas être assujetties à tant de formes. Je ne me séparerai pas de cette idée, que je parle devant un grand juri national, l'élite et l'ornement de la France, convoqué spécialement pour prononcer sur un fait survenu dans l'une des crises les plus violentes que l'état puisse jamais éprouver; que c'est, en un mot, de la connaissance d'un événement politique, né des nos discordes civiles, que vous êtes exclusivement saisis.

causes

>> Cette part faite aux arbitres suprêmes de l'intention, aux appréciateurs éclairés des réelles de l'événement dont nous gémissons tous, à la loyauté si étrangement compromise d'un maréchal de France, et, je puis l'ajouter, à la dignité

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