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du trône et de la famille régnante, il restera pour les conseils du maréchal Ney à prouver que le fait qui lui est imputé n'est prévu par aucune des lois existantes.

» Dans cette deuxième partie de la défense, vous serez loin, Messieurs, de voir désormais le maréchal de France marchandant sa vie, et s'épuisant en moyens de droit, pour conserver ce qu'il a si souvent prodigué. Vous ne verrez que le défenseur de la loi, dévoué également et au prince légitime et à la patrie, aspirant de tous ses vœux au bonheur de l'un et de l'autre, fortement con+ vaincu que les événemens déplorables du mois de mars sont dus à une fatalité sans exemple, qui heureusement ne saurait se reproduire.

» J'examinerai donc successivement avec toute - l'indépendance de la fonction que j'exerce ici, avec toute la circonspection que m'impose l'intérêt public, si ces événemens de mars sont de nature à faire retomber la criminalité sur d'autres que leur détestable auteur (Bonaparte ), et trèsintermédiairement sur le maréchal Ney, en particulier ?

>> Si l'Europe, qui s'est armée contre ce grand coupable,ayant renoncé au droit qu'elle avait de le frapper, le maréchal Ney, qu'on prétend avoir été

son complice, pourrait être traité avec moins de ménagement?

» Si aucune des circonstances qui caractérisent, dans l'espèce, le crime politique le plus imprévu, comporterait une application raisonnable des peines portées, soit par le code pénal, promulgué en 1810, contre les auteurs ou complices des crimes qu'il a définis, soit par le code pénal militaire ?

» Si, à ces événemens de mars, n'a pas sucédé, en France, heureusement pour un court intervalle, un ordre de choses suffisamment reconnu, même encore à présent, pour rendre impraticable la poursuite criminelle intentée contre le maréchal Ney?

» Enfin, si de l'ensemble des conventions politiques, arrêtées entre la France et les puissances alliées, les 30 mai 1814, 3 juillet et 20 novembre 1815, il ne résulte pas que les fautes provenues d'erreurs d'opinion doivent être remises?

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Je terminerai, Messieurs, par des considérations respectueuses sur ce que la magnanime bonté du roi nous permet d'espérer, dans le cas où, éclairée par votre délibération sur ce procès, elle reconnaîtrait qu'en effet le maréchal Ney trompé sur les vrais intérêts de la France, a été loin de vouloir rien méditer ni exécuter qui lui ût contraire.

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PREMIÈRE PARTIE.

Refutation de l'acte d'accusation et des six Chefs de criminalité dont il se compose.

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Jamais on ne parviendra à qualifier exacte ment la conduite tenue par le maréchal Ney, dans la matinée du 14 mars, si l'on n'a pas commencé par se mettre franchement d'accord sur la nature qu'avaient dès leur principe, ou, en tout cas, sur le caractère qu'avaient acquis ce jour-là, les événemens déplorables auxquels le maréchal a eu le malheur de prendre part.

» A en raisonner d'après. l'acte d'accusation, il ne se serait agi, encore au 14 mars, que d'un complot tramé par les fraudes et les intrigues de Bonaparte, secondé par quelques manœuvres dans l'intérieur, et qui n'était encore soutenu que par une poignée d'hommes! Ce serait la défection subite du maréchal Ney, ce seraient ses provocations toutes seules qui auraient ébranlé la fidélité des troupes sous ses ordres, et qui les auraient contraintes en quelque sorte à quitter les meilleures résolutions pour suivre leur chef dans la route du parjure où il les entraînait après lui! » Vue de cette manière, la conduite du maré

chal Ney, quoique non réfléchie, pourrait recevoir les qualifications les plus odieuses, et être présentée comme une des causes de nos malheurs.

» Mais la vérité, l'éternelle vérité, dont les droits sont imprescriptibles, et qui tôt ou tard se fait jour à travers les nuages dont on voudrait l'obscurcir, la vérité commande impérieusement d'en revenir aux réalités notoires, aux symptômes effrayans et sinistres qui déjà, bien avant le 14 mars, avaient si extraordinairement changé notre scène politique. Pourrait-on, sans frémir, et lorsqu'il s'agit de la recherche et de la punition d'un crime de haute trahison, d'un attentat à la súreté de l'état, pourrait-on s'étourdir une minute sur ce qu'en peuvent déposer tant de milliers de contemporains et de témoins oculaires; sur ce qu'en ont pensé en France, avec tous les ordres de l'état, les dépositaires mêmes de l'autorité légitime ?

» Sans qu'il soit besoin de recourir encore à aucune tradition, demandons - nous seulement comment il s'était fait que Bonaparte, en moins de dix jours, eût traversé depuis Cannes jusqu'à Lyon, un espace de 80 lieues, sans éprouver la moindre résistance; que dis-je? en grossissant incessamment son parti, en obtenant sur son passage, de la multitude égarée sans doute, mais enfin de

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la multitude, des démonstrations vraiment frénétiques du plus aveugle enthousiasme ?

>> Comment cela s'était fait? évidemment parce que la minorité du peuple, si l'on veut, mais une minorité agissante, s'était soulevée en sa faveur; évidemment parce que la majorité inerte, stupéfaite, avait tout laissé faire.

» Au 14 mars, il y avait quatre jours que Bonaparte était entré dans Lyon, la deuxième ville du royaume par sa population; qu'il en avait parcouru les rues, les promenades, les places publiques, librement, sans escorte, pour ainsi dire, sans que personne eût songé, même par des plaintes, ni par la moindre menace, à le faire repentir de sa témérité.

>> y avait donc constamment, d'un côté engouement et délire; de l'autre, stupeur et silence.

» Et ces impressions, pendant quatre jours, avaient eu tout le temps de se propager au loin, d'atteindre et de dépasser la ligne de Lons-le-Saulnier, puisque, comme vous le verrez, Messieurs, elles avaient été reçues à Dijon, et dans toutes les classes.

>> J'en appelle maintenant, Messieurs, et trèssurabondamment, aux témoignages les plus irrécusables de cette époque, à ce qu'ont dit, ou fait

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