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entrevoir des mauvaises dispositions des pays parcourus par Bonaparte avec tant de rapidité, ious les fonctionnaires locaux, tous les chefs civils ou militaires. J'en appelle à cette rapidité même de sa marche, et au succès même de son audacieuse entreprise.

>> Ouvrez, avec moi, la plupart des journaux, qui, les 11, 12 et 13 mars, rendaient compte de ce qui s'était passé sur la route de Bonaparte. Les journaux officiels, ou demi-officiels, le Moniteur, par exemple, quoiqu'ils aient pris soin de ne pas trop sonner l'alarme. Qu'y lirez vous? Que les émissaires de Bonaparte se répandaient partout; qu'ils pénétraient dans les villes, dans les campagnes, au milieu des corps armés; que partout ils avaient, dès les 7 et 8 mars, répandu des proclamations qui excitaient le peuple à la révolte, et les soldats à la désertion.

» Mais, si tels avaient déjà été les succès prodigieux de ces missionnaires de discorde, il y avait donc dans bien des esprits une trop fatale tendance à l'agitation. Il y avait donc mouvement populaire; autrement un seul de ces prôneurs d'insurrection en fût-il venu à ses fins ? Tous n'eussent-ils pas péri victimes de leurs propositions incendiaires, ou du moins n'eussent-ils pas été livrés aux tribunaux, ou autres autorités chargées de la vengeance des lois ?

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» N'est-ce pas cette funeste direction donnée à l'esprit public, et rendue plus saillante par toutes les angoisses éprouvées dès les premiers jours de mars, que le 10 mars, la chambre des députés, dans son adresse au Roi, appelait une crise profitable!

» N'est-ce pas cet état de choses, voisin d'une subversion totale, qui, dans un compte rendu à yous-mêmes, Messieurs, le 11 mars, de la situation réelle de la France, faisaït dire, par son auteur si justement révéré :

Bonaparte, arrivé avec onze cents hommes, fait » de rapides progrès; les défections ne sont pas >> douteuscs...... Il est à craindre que beaucoup » d'hommes égarés ne cèdent à ses perfides insi»> nuations...... On ne peut guère arrêter l'effet » des mauvaises dispositions qui nous alar»ment, qu'en s'aidant beaucoup de cette bonne » et fidèle garde nationale, etc. etc.

» Au Moniteur du 16 mars, je lis, comme relation de faits qui datent des 12 et 15 mars, ces particularités frappantes : « Bonaparte vient de >> chercher un appui dans le système d'anarchie, » de désorganisation et de terreur........ Ses cou>> reurs, ou plutôt ses émissaires, sont parvenus » à soulever à Mâcon, à Tournus, à Châlons, la lie » de la populace........ A Châlons, les mêmes » moyens, les mêmes provocations incendiaires

» avaient déjà excité les mêmes scènes.... La popu>> lace s'est jetée avec fureur sur des pièces d'ar» tillerie, et les a précipitées dans la Saône. Il n'y » a rien eu à opposer à cette multitude égarée.... » Les mêmes événemens se sont passés à Dijon, >> au même moment et toujours par les mêmes » moyens insurrectionnels. M. Terray, préfet, hors » d'état de résister à la sédition, s'est rendu à » Châtillon-sur-Seine, etc.

« Je ne crois pas, Messieurs, pouvoir terminer mieux cet affligeant, mais véridique tableau, que par un mot énergique sorti de la bouche d'un témoin, qui certes ne l'a point lâché pour excuser le maréchal Ney. Il est du préfet du Doubs (M. le baron de Capelle), qui l'était alors du département de l'Ain. Accouru de Bourg à Lons-le-Saulnier, dans la soirée du 13 mars, tout consterné, fuyant de son chef-lieu, cet administrateur, pour rendre cet esprit de vertige ou plutôt de délire qui, en deux ou trois jours, venait de tourner toutes les têtes, s'écria que c'était une rechute de la révolution; mot terrible, qui, joint à un concours inouï d'autres circonstances que je résumerai tout à l'heure, n'a pas peu contribué à entraîner le maréchal dans le précipice.

>> On ne peut donc, Messieurs, à moins de vouloir nier l'évidence, ne pas nous accorder que,

dans toute cette partie de la France, en avant et en arrière de la cité où le maréchal Ney était resserré 'avec sa petite armée, la population était follement enivrée plusieurs jours avant le 14 mars; que le maréchal existait au milieu du tourbillon, dans un véritable foyer d'agitations populaires et de sédition. >> Maintenant et ce point accordé, j'interrogerai toutes les personnes de bonne foi, capables de juger impartialement quels peuvent avoir été les effets d'une révolution semblable; je leur demanderai, avant de rien préciser sur ce qui fut personnel au maréchal Ney dans la journée du 14 mars, quelle culpabilité, en général, il est possible d'attacher aux actes que le spectacle d'une telle commotion peut arracher aux hommes qui sont le plus en évidence? Je leur demanderai, si, entraînés par la foule qu'ils avaient à maintenir,. maîtrisés par les forces qu'ils avaient à commander, ils sont censés avoir rien fait librement, par inclination et avec la volonté de manquer à leur devoir?

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Quelle serait affreuse la condition des fonctionnaires publics, des hommes d'état, des généraux, des administrateurs, dans de pareilles conjonctures, si tous les liens de la civilisation venant à se rompre, se trouvant jetés au fort de la tempête et dans l'impuissance de gouverner le vaisseau, de le diriger vers le port du salut, ils étaient réputés

criminels, pour l'avoir seulement empêché d'aller se briser contre les rochers!

>> N'arrive-t-il pas le plus souvent, en ces rencontres, que le chef est contraint, par ses subordonnés en révolte, d'embrasser précisément la résolution qui est la plus contraire à ses principes,. à ses goûts, à ses intérêts personnels?

» Ce que je dis là, Messieurs, à la décharge de tous ceux que leur mauvaise étoile peut placer à la tête de troupes insurgées, cesse, à l'égard du maréchal Ney, d'être une simple présomption. Par une singularité, que je puis dire précieuse en ce moment, il est prouvé au procès, par les documens les plus authentiques, par la plus notable de toutes les anecdotes, que le parti de se réunir à Bonaparte a dû être et a été effectivement celui pour lequel il avait et devait avoir la plus grande répugnance.

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Qui ne connaît en effet, du maréchal Ney, la démarche hardie d'avoir osé, le 5 avril 1814, notifier seul à Bonaparte dans Fontainebleau, que les troupes restées autour de lui ne voulaient plus ni combattre pour sa personne, ni se retirer avec lui sur les bords de la Loire; que, dans la cruelle adversité où il avait réduit la France, il ne lui restait d'autre parti à prendre que d'abdiquer l'empire et de négocier avec les puissances maîtresses de

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