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Paris, pour en obtenir un traitement avantageux?

>> Je ne citerais pas, Messieurs, le passage de la lettre du prince de la Moscowa, adressée à ce sujet le 5 avril 1814 au gouvernement provisoire, où il déclare avoir signifié de plus à Bonaparte, qu'il ne restait plus aux Français qu'à'embrasser entièrement la cause de leurs anciens Rois, si ce dernier trait, de dure confidence du maréchal à Bonaparte, ne venait pas de plus en plus fortifier mon argument.

» Qui de nous, Messieurs, ignore à présent à quel degré était porté chez Bonaparte le sentiment de la vengeance? combien il était irritable sur tout ce qui blessait son orgueil ? qui ne se figure à quel point il devait être secrètement humilié de la proposition altière et décisivé du maréchal Ney? quel insurmontable ressentiment il' devait lui en conserver? De quelle profonde ter reur celui-ci a dû être frappé, à la nouvelle que Bonaparte ressaisissait audacieusement les rênes du pouvoir, et reparaissait sur la scène du monde en touré de tant d'hommages!

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» D'autres que le maréchal Ney n'en avaient-ils pas conçu, pour lui, les plus vives alarmes ? M. de Bourmont, qui n'est assurément pas un témoin bienveillant pour le maréchal, ne nous apprend-il pas qu'il l'a averti qu'il avait tout à craindre de cet

enragé? M. de Bourmont ne nous a-t-il

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pas mis cette réponse du maréchal, «que Bonaparte » le haissait, lui Ney, qu'il ne lui pardon»nerait jamais son abdication....; qu'il pour » rait bien lui faire couper la téte avant six » mois. etc, etc.? »

<< Voilà donc une preuve, et nous n'en admettons pas de plus forte, que le maréchal Ney avait un intérêt immense, supérieur à toute autre con sidération humaine, d'empêcher que Bonaparte ne se mît à la tête des affaires en France.

» Comment s'est-il fait que cependant, aux risques de sa propre sûreté, le maréchal Ney tout à coup ait paru y consentir ?on

» Pour solution de ce problème, l'acte d'accusation prononce affirmativement, que ce fut dans des vues d'intérêt personnel que le maréchal se rangea de ce parti. « Sa vanité, y est-il dit, fut » flattée, son ambition se réveilla, le crime fut » accepté.»

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«Eh! quels étaient donc ces gages si séducteurs offerts, par Bonaparte rentrant, à la vanité du maréchal Ney? à quels postes d'honneur plus éminens que ceux de pair de France, de maréchal, de prince, pouvait-il l'élever ? avait-il, pour réveiller son ambition, lui si jaloux dans ses délégations de puissance, à lui conférer des emplois

TOME II.

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plus considérables que ceux de gouverneur de l'une des divisions militaires et de général en chef des armées, dont le maréchal se trouvait tout investi par la majesté royale?

>> Mon intention, Messieurs, n'est pas à beaucoup près de vous occuper ici d'une longue apologie des talens militaires, ni des brillans exploits du maréchal Ney; il est accusé; l'énumération même, quoique légitime, des grands et nombreux services qu'il a rendus à son pays, ne l'absoudrait pas, je le sens, du crime de l'avoir trahi dans un jour de péril.

33 » Mais permettez que du moins je m'empare de ce qu'eurent d'honorable vingt-cinq années de travaux, de fatigues inouïes, de dangers affrontés, de triomphes, pour en conclure seulement qu'il ne manquait rien à l'ambition du maréchal; que père de quatre fils en bas âge, il ne lui convenait plus de courir de nouveaux hasards, sous la bannière surtout d'un insensé qui, dans ses trois dernières campagnes de Russie, de Saxe et de Brie, avait si opiniâtrément tout compromis.

>> Rien ne le rapprochait donc de ce fougueux dominateur, et tout l'en éloignait.

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que

Puisque c'est des couleurs de la trahison l'acte d'accusation charge sans cesse la résolution prise le 14 mars par le maréchal Ney, qu'il

suppose cette résolution arrêtée, comme c'est le propre des trattres, au fond de sa maison et dans le secret de la nuit, tout m'avertit, Messieurs (pour la défense de celui que le même organe accusateur a plus d'une fois ici dénommé l'illustre accusé), de ne rien négliger de ce qui dissuade de lui imputer même une minute de lâcheté, de bassesse ou de perfidie.

» Où seront, je vous en conjure', les interprètes sûrs des actions des hommes, si vingt-cinq années d'une vie irréprochable, consacrée toute entière au bien de la patrie, ne suffisent pas pour en donner la clef? si tant de traits donnés de la noble indépendance de son caractère, d'une franchise à l'épreuve des cours, d'une loyauté préconisée même par les ennemis, d'une générosité d'âme que l'infortune, même obscure, trouva toujours secourable; si ces révélations journalières d'une conscience pure, inaltérable, ne servent pas même à rechercher, dans une inconcevable détermination, ce qu'elle peut avoir eu d'innocent ?

» C'en est donc fait de cet empire jusque - là si assuré de l'expérience. La pratique la plus constante des vertus sociales les plus précieuses ne sera plus comptée pour rien: celui qui leur rendi le culte le plus assidu, pas plus que l'aventurier ou que tout être équivoque, n'inspirera le désir

de scruter son intérieur, d'en démêler tous les replis, et n'obtiendra que l'on revienne d'une première impression, qui si souvent est fausse.

» Vous n'êtes pas, Messieurs, du nombre de ces personnes ou superficielles, ou passionnées, ou prévenues, pour qui un quart de siècle rempli par l'honneur n'équivaut pas même à un indice. Le caractère prononcé et bien connu du maréchal Ney sera votre premier guide dans l'examen de l'action qui nous occupe.

» A vos dernières séances, Messieurs, on a cru tout faire pour la décharge du maréchal Ney, en nous accordant qu'un homme décoré de tant de triomphes, n'avait pas pu entrer si lâchement dans un complot, ni en combiner le plan ; en renonçant à suspecter en rien la bonne foi du maréchal Ney, sa fidélité à la cause royale jusqu'au 14 mars.

» Je l'ai déjà prouvé, Messieurs, je suis loin de négliger de pareilles concessions; elles sont d'un trop grand poids dans la balance de la justice: mais je ne puis m'en contenter.

>> Autre chose est pour le maréchal Ney d'être absous du reproche d'avoir prémédité la trahison; autre chose, de faire passer rapidement sous vos yeux, Messieurs, l'esquisse de tout ce que son zèle avait exécuté jusqu'au 14 mars, pour faire triom

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