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sion, et à les détourner du moyen séditieux dont leurs camarades à Bourg s'étaient servis, il n'arrêta pas cette décision dans l'ombre, ni de sa seule autorité, sans consulter personne.

» Deux circonstances bien importantes seront éternellement ineffaçables dans ce procès.

» La première, que dans la matinée du 14 mars, deux heures avant d'en faire la lecture, le maréchal manda auprès de lui les deux hommes de son armée réputés les plus sages et les plus sûrs dans l'occurrence, les généraux Lecourbe et de Bourmont, du grade le plus éminent après lui, et ses conseils naturels; qu'il leur soumit la proclamation qui était sur sa table, et qu'après qu'ils l'eurent lue, chacun de leur côté, il les consulta sur la question urgente de savoir s'il devait ou s'il ne devait pas en faire la lecture aux troupes.

» Je ne m'arrête pas ici sur la vive opposition. qui existe entre M. de Bourmont et M. le maréchal, au sujet de l'opinion qui fut émise en réponse par ce témoin. Pour tous ceux qui ont quelques notions des règles et des usages militaires cette opinion est toute révélée par ce qui va suivre.

» La deuxième circonstance prononcée est que, deux heures après cette délibération, le général Lecourbe et M. de Bourmont revinrent auprès du ma

réchal; et dansquel dessein,Messieurs? pour l'accompagner sur le terrain où la troupe était rassemblée, pour l'assister, en grande connaissance de cause, dans la lecture qu'il en allait faire.

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de la

» Cette assistance, je le demande, n'est-elle part de M. de Bourmont aussi-bien que du général Lecourbe, la plus forte approbation de la pièce ? n'en certioraient-ils, n'en corroboraient-ils pas la teneur, par le seul fait de leur présence, eux, encore une fois, officiers si marquans, si influens dans l'armée ?

» C'est ce que le général Lecourbe a parfaitement senti, lorsque, fort heureusement interpellé quelques beures avant sa mort, il a répondu mot pour mot :

« Oui, je ne pouvais pas m'empêcher, ainsi >> que le général Bourmont, de paraître à l'assem>> blée des troupes leur esprit était monté au >> point qu'il y eût eu du danger, en pure perte, » à ne pas le faire; ce que le maréchal Ney nous >> fit envisager.

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-» Qu'elle est à la fois ingénue et concluante, cette confession du général Lecourbe! Ne vous dit-elle pas tout, Messieurs, pour l'excuse du maréchal Ney lui-même d'avoir lu? Quoi! il y aurait eu du danger pour le général Lecourbe, pour M. de Bourmont, et un danger en pure perte,

s'ils se fussent seulement abstenus de paraître à la tête des corps, eux qui, après tout, n'étaient pourtant que des personnages secondaires! qu'y auraitil donc eu pour le maréchal Ney, et quel traitement les soldats lui eussent-ils réservé, s'il se fût obstiné à garder le silence?

» Je fais trêve à ces réflexions qui me paraissent tranchantes, pour rendre un hommage public (puisque l'occasion m'en est donnée par mon sujet même) à la loyauté invariable du général Lecourbe. La tombe nous a enlevé l'avantage, qui eût été bienprécieux pour le maréchal Ney, de le faire confronter avec M. de Bourmont sur quelques articles mal éclaircis. Toutefois, le général Lecourbe, dont la déposition écrite a, dans l'espèce, toute l'autorité d'un testament de mort, a été assez véridique sur les objets capitaux, pour que nous regrettions du moins ses explications ultérieures sur les accessoires.

>> Sa déposition vous attestera, Messieurs, que le général Lecourbe avait reconnu dans le plan de campagne du maréchal Ney, que cette manoeuvre était militaire; dans la situation donnée de l'occupation de Lyon, qu'il n'était plus temps de rien sauver, dans les moyens d'opérer, qu'il n'y avait pas d'artillerie; daus la nuit du 13 au `14 mars, qu'elle avait été fort agitée à Lons

le-Saulnier. Ces observations de l'homme de guerre consommé dispensent d'en entendre davantage : sauf un dernier mot, non moins saillant, de cet excellent officier, que je vais tout à l'heure placer en son lieu.

>> Messieurs, sur cette partie morale de la défense du maréchal, je crois avoir satisfait vos consciences, et ma tâche devrait être remplie. Je me suis fait fort, en l'entreprenant, de cette conscience solennelle et indélébile de nos accusateurs, qu'il n'y avait eu aucune préméditation. La conduite du maréchal avec ses deux deux supérieurs, Monsieur, et le ministre de la guerre, avec ses dignes collègues les maréchaux Suchet et Oudinot, avec les chefs de corps, vous a prouvé que, loin d'avoir rien préparé pour les succès de l'usurpateur, toutes ses mesures militaires, tracées par le zèle le plus pur, avaient été prises, observées, recueillies et jugées comme les plus propres à faire échouer Bonaparte. De nombreux témoins vous ont appris quelle avait été la prodigieuse activité des actes de son commandement, multipliés dans le court espace de trois à quatre jours; quelle avait été l'énergie de ses discours aux troupes; comment ils avaient eu perpétuellement pour but d'encourager, de soutenir la fidélité des uns, de contenir ou de réprimer J'esprit d'insurrection des autres.

» Vous avez, enfin, vu se développer sous vos yeux la longue et déchirante série des causes générales qui, pour le malheur de la patrie, nous ramenant Bonaparte, nous a plongés tout à coup dans une nouvelle révolution. Vous ne doutez plus que, dès le 10 mars, cette révolution ne fût faite à Lyon; qu'à plus forte raison, le 14, à vingttrois lieues de Lyon, elle ne fût aussi opérée, complète dans Lons-le-Saulnier; que tous les esprits, ceux du soldat notamment, ne fussent malheureusement disposés à l'embrasser avec enthousiasme, même à faire des victimes de quiconque aurait entrepris de s'y opposer; de leur chef, tout le premier, s'il se fût refusé de permettre l'explosion de leurs sentimens. Et vous êtes convaincus, Messieurs, que si le maréchal a cédé au torrent il ne l'a fait du moins que lorsqu'il a eu la ferme opinion que tout était perdu, que toute défense de la cause royale était abandonnée, impraticable, dangereuse même dans la région occupée, s'il l'avait tentée avec des moyens partiels, nuls, contre des masses fortement lancées; qu'il ne serait résulté d'une semblable tentative, que l'inutile déchirement de la patrie.

» Eh! Messieurs, ce qui, cinq jours plus tard, est arrivé à Paris, de la détermination et du sort des princes, comme ce qui est arrivé le 9 à Lyon, ne suffit-il pas pour justifier le maréchal Ney de

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