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que les ministres seuls fussent chargés de fixer le mode d'instruire et de juger; qu'ils allassent en prendre le modèle dans les cours spéciales, et qu'ils le modifiassent sur une foule d'articles majeurs et de formalités tutélaires?

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>> Permettez-moi de placer ici quelques réflexions générales qui viendront se fondre dans le développement des principes politiques. Nous marchons au milieu de ruines d'édifices dessinés par d'habiles architectes, et dont les plans font encore illusion.

>>> Vous êtes actuellement tous les jours occupés du soin de mettre la Charte en harmonie avec des lois antérieurement posées. L'érection de la pairie, entre autres, en un tribunal de justice criminelle pour juger de toute accusation contre ses membres, est une institution nouvelle. Rien de cette profonde pensée ne se retrouve dans nos usages, dans nos souvenirs anciens ou récens; rien, soit pour la spécification des crimes ou leur classement, soit pour la qualité des prévenus; encore moins sur l'organisation du tribunal, sur la garantie qu'il doit offrir. Cependant on est obligé de tout emprunter à la législation précédente; mais cet emprunt est-il légal? est-il fait par une autorité suffisante, ou en tout cas dans l'intégrité nécessaire ? Voilà le point de vue sous lequel l'exception pré

judicielle doit être présentée et méditée par vous.

» En l'examinant plus à fond, vous trouverez dans cette fusion des principes de la législation précédente avec ceux posés par la Charte, deux singularités qui doivent vous empêcher de l'adopter; d'abord, c'est que cette fusion est imaginée uniquement pour le besoin particulier d'une affaire spéciale, et qu'aucune loi ni règlement ne peuvent être portés que pour disposer sur les cas généraux et à l'égard de tous les membres de l'état. Voilà ce qui fait sentir la nécessité d'une loi générale.

» La seconde singularité, c'est la fusion des anciens principes de la jurisprudence criminelle, opérée par la seule puissance des ministres de S. M., qui sont en même temps accusateurs du maréchal.

>> Sans doute, les ministres sont tous mus par le sentiment du devoir; sans doute, ils sont tous citoyens en même temps qu'hommes d'état ; mais, dans l'occurrence particulière, toujours est-il qu'i's sont chargés par le prince de la poursuite d'une offense envers sa personne; ét alors, comment concevoir qu'ils puissent être revêtus de cette double qualité de législateurs et d'accusateurs ?

» Il faut une ligne de démarcation fortement tracée pour que les pouvoirs ne soient pas confondus dans leur exercice, pour qu'il y ait entre le

TOME II.

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prince qui fixe la punition et le coupable qui doit la subir, des pouvoirs intermédiaires qui l'appliquent ; autrement, plus de monarchie constitutionnelle.

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» Ces réflexions, dans l'ordre général, nous amènent à cette proposition, dans notre espèce, que l'érection de la pairie en tribunal ne peut être faite que par une loi qui la complète pour tous les membres de la cité et pour tous les temps; et cette proposition démontre la nécessité d'une loi générale rattachée à la Charte, et qui règle le sort de tous ceux qui pourraient en être atteints. It ne faut pas qu'on se laisse aller à aucune idée, même éloignée, que le tribunal qui a prononcé était un tribunal d'une institution transitoire, extraordinaire, momentanée. Il ne faut pas que l'on réveille ces réflexions de la censure, qu'il y aurait là l'image d'une commission. Il ne faut pas que vous ayez à concevoir la moindre inquiétude qu'on assimile, vous, membres du premier corps de l'état, à des commissaires; votre dignité en serait trop blessée; vous craindriez la répétition d'un premier abus, et vous vous reprocheriez d'avoir débuté dans cette noble carrière de juges par une procédure, j'ose le dire, totalement arbitraire. La qualité de juge, qui vous est attribuée et par la Charte constitutionnelle, et par l'ordonnance des

ministres de Sa Majesté, et par la réclamation de l'accusé; cette qualité, qui vous est si dignement déférée, ne compose pas seule tous les pouvoirs qui peuvent vous être nécessaires, ne précise pas toutes les matières qui pourront être de votre compétence; il faut que l'exercice de vos pouvoirs soit régularisé; il faut décider si vous êtes au-dessus de toute possibilité de recours; il faut déterminer si vous prononcerez comme un tribunal réuni à des jurés, ou comme un grand juri national; si la chambre des pairs ne sera pas laissée à sa noble conscience; il faut qu'on précise la nature même de vos délibérations, l'esprit que vous aurez à y apporter, si vous serez juges de l'intention, dans le cas d'avoir égard aux circonstances atténuantes dans des matières aussi délicates. C'est surtout dans une cause où l'accusation est née de circonstances aussi imprévues, née de discordes civiles, de troubles intérieurs, de divergence d'opinions, née d'une entreprise dont l'audace fut extrême, qu'il faut que la chambre des pairs arrive à l'examen du prévenu avec la conviction qu'il lui sera possible d'avoir égard aux actes de force majeure qui ont précédé la journée où la loyauté du maréchal Ney a été compromise. Il faut qu'elle ait la puissance de déterminer quelle influence ont pu avoir sur la volonté et sur les facultés morales du maréchal, les

actions de ceux qui favorisaient les démarches de l'usurpateur; deses coopérateurs déjà innombrables qui ne sont pas recherchés; qui, vu leur nombre, ne sont pas recherchables, et qui se trouvaient les auteurs de l'entraînement de plusieurs, et notamment de celui auquel le maréchal Ney n'aurait pu opposer aucune résistance. Voilà l'idée de l'auguste ministère dont vous êtes investis légalement.

» Au milieu de si graves considérations, vous serez étonnés de voir que l'acte d'accusation vous range sèchement, vous, chambre des pairs, vous premier ordre de l'état, dans la classe d'une cour criminelle spéciale.

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Lorsque le maréchal Ney, pour lequel plaident tant de belles actions, a songé à réclamer sa qualité de pair, cette qualité dont il était investi au 14 mars, quelle a été sa condition? C'est que la cour des pairs ne lui serait pas plus défavorable qu'un autre tribunal. Le maréchal Ney a espéré trouver dans un tribunal si respectable des juges généreux; il a espéré trouver ce que vous êtes en effet, le sénat de la nation; il a espéré trouver l'élite de toutes les classes de la société, et, si j'ase m'exprimer ainsi, le creuset qui neutralisait tous les partis. Il a dû espérer trouver en vos dignités une autorité qui partageait la pensée de celui qui pouvait tout, et investie d'un grand pouvoir dis

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