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de la guerre, envoya, par un de ses aides-de-camp, au maréchal Ney, qui était dans sa terre des Coudreaux, près Châteaudun, l'ordre de se rendre dans son gouvernement de Besançon, où il trouverait des instructions.

>> Le maréchal Ney vint à Paris le 6 ou le 7 (car le jour est resté incertain; et au surplus cette circonstance est peu importante), au lieu de se rendre directement dans son gouvernement.

» La raison qu'il en a donnée, est qu'il n'avait pas ses uniformes.

>> Elle est plausible.

» Ce qui l'est moins, c'est que, suivant le maréchal, il ignorait encore, lorsqu'il est arrivé à Paris, et l'événement du débarquement de Baonaparte à Cannes, et la vraie cause de l'ordre qu'on lui donnait de se rendre dans son gouvernement de Besançon. Il est bien invraisemblable que l'aidede-camp du ministre de la guerre ait fait au maréchal, à qui il portait l'ordre de partir subitement, un secret si bizarre de cette nouvelle, devenue l'objet de l'attention et des conversations générales; secret dont on ne peut même soupçonner le motif; comme il ne l'est pas moins que le maréchal ait manqué de curiosité sur les causes qui lui faisaient ordonner de partir soudain pour son gouvernement, et n'ait pas interrogé l'aide-de-camp

qui n'eût pu alors se défendre de répondre.

» Le maréchal veut pourtant qu'on admette cette supposition; et il soutient qu'il n'a appris cette grande nouvelle qu'à Paris, par hasard, et chez son notaire, Batardi.

» Le maréchal a-t-il cru qu'en affectant cette ignorance prolongée du débarquement de Buo naparte, il ferait plus facilement croire qu'il n'était pour rien dans les mesures qui l'ont préparé, puisqu'en effet il n'eût pas dû rester indifférent à ce point sur le résultat du complot? On n'en sait rien. Ce qu'on sait, c'est que cette ignorance n'est pas naturelle, et qu'elle est plus propre à accroître qu'à dissiper les soupçons sur la possibilité que le maréchal ait trempé dans les manoeuvres dont ce débarquement a été le funeste résultat.

>> Ces soupçons, sur la participation que le maréchal a pu prendre à ces manœuvres, se sont considérablement augmentés par les dépositions d'un assez grand nombre de témoins, qui ont rapporté divers propos attribués au maréchal, dont la conséquence serait que le maréchal était prévenu de

cette arrivée.

>> C'est ainsi que le sieur Beausire dépose que, peu de temps après sa défection, le maréchal lui disait que, quand lui Beausire avait traité d'une fourniture avec le gouvernement du Roi, il avait

dû prévoir qu'il traitait pour le souverain légitime (Buonaparte).

» Le comte de La Genetière dépose qu'après avoir fait lecture de la proclamation, dont il va bientôt être question, le maréchal dit aux per sonnes qui l'entouraient : Que le retour de Buonaparte était arrangé depuis trois mois.

>> Le comte de Faverney assure aussi qu'au dire du général Lecourbe, le maréchal lui avait dit qu'il avait pris toutes les mesures pour rendre plus nécessaire et plus inévitable la défection de ses troupes, qu'il sut ensuite déterminer par la lecture de la proclamation.

» D'autres témoins encore, comme les sieurs Magin, Perrache, et Pantin, affirment qu'on leur a dit que le maréchal avait positivement déclaré, dans une auberge de Montereau, que le retour de Buonaparte avait été concerté dès long-temps. A ces témoignages on en eût pu ajouter plusieurs encore, comme ceux du baron Capelle, du marquis de Vaulchier, du sieur Beauregard, et du sieur Garnier, maire de Dôle, qui ont été entendus, sur commissions rogatoires, dans la procédure tenue devant le conseil de guerre, où fut d'abord traduit le maréchal Ney. Mais, ces témoins n'étant plus sur les lieux, on a cru pouvoir négliger de les faire entendre de nouveau. Leurs dépositions, déjà re

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cueillies

par des officiers publics, restent du moins comme renseignemens.

» La justice toutefois exige que l'on dise que plusieurs autres témoins, qui ont vu agir le maréchal dans les jours qui ont précédé la lecture de la proclamation, paraissent croire que jusque-là il fut de bonne foi, et déposent de faits qui annonceraient qu'à moins d'une profonde dissimulation, le maréchal était alors dans la disposition d'être fidèle au Roi.

>>

Quoi qu'il en soit, au reste, de cette disposition réelle ou feinte, et, si elle fat réelle, de sa durée, le maréchal, avant de quitter Paris, eut l'honneur de voir le Roi, qui lui parla avec la bonté la plus touchante, comme avec la plus grande confiance. Le maréchal parut pénétré de l'opinion que son souverain conservait de sa loyauté; et, dans un transport vrai ou simulé, il protesta de ramener Buonaparte dans une cage de fer, et scella ses protestations de dévouement en baisant la main que le Roi lui tendit. Le maréchal ayait d'abord voulu nier et cette expression de l'enthousiasme apparent de son zèle, et la liberté que le Roi lui avait permis de prendre. Il a fini par en convenir.

a

» C'est le 8 ou le 9 que le maréchal partit de Paris. Il n'a pas su fixer le jour avec exactitude. » Il trouva à Besançon des instructions du mi

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nistre de la guerre. Ces ordres portaient en substance : « qu'il réunirait le plus de forces disponibles, afin de pouvoir seconder efficacement les opérations de S. A, R. Monsieur, et de manœuvrer de manière à inquiéter ou détruire l'ennemi. >>

>> On a vu que, d'après les récits opposés de certains témoins, dont les uns rapportent des discours du maréchal qui sembleraient supposer qu'il savait dès long-temps ce que méditait l'ennemi de la France, et dont les autres assurent n'avoir remarqué dans ses mesures et dans ses discours que de la droiture, il est au moins permis de conserver beaucoup de doutes à cet égard.

» Mais ce sur quoi toutes les opinions se réunissent, c'est sur la conduite que le maréchal tint à Lons-le-Saulnier, le 14 mars.

» Le maréchal avait dirigé sur cette ville toutes les forces qui étaient éparses sous son commandement.

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Quelques officiers, bons observateurs, et même des administrateurs locaux, qui avaient conçu de justes inquiétudes sur les dispositions de plusieurs militaires de divers grades, et sur des insinuations perfides faites aux soldats, avaient indiqué au maréchal, comme un moyen probable d'affaiblir ces mauvaises inspirations, le mélange qu'il pourrait faire de bons et fidèles serviteurs du Roi, qu'on

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