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Les commissaires voyant désavouer leur fonction publique, refusèrent de communiquer avec Longwood, comme particuliers. Ainsi, trois personnes que leurs habitudes sociales eussent rapprochées de l'exilé et des gens de sa maison, furent exclues de cette solitude.

La société de Sainte-Hélène reçoit momentanément une grande augmentation; lorsque les vaisseaux s'y arrêtent dans leur passage aux Indes, ou à leur retour en Europe. Tous les passagers étaient désireux de voir un personnage aussi célèbre que Napoléon; et il pouvait s'en trouver quelquefois qu'il avait lui-même du plaisir à recevoir. Le règlement de ces visites à Longwood semble avoir été du petit nombre des articles du système général sur lesquels Napoléon n'éleva aucune plainte. Il répugnait naturellement à satisfaire la vaine curiosité des étrangers, et les règlemens le protégeaient efficacement contre leurs visites. Toutes les personnes qui désiraient voir Napoléon étaient obligées de s'adresser en premier lieu au gouverneur; celuici transmettait leurs noms au général Bertrand comme grand-maréchal de la maison

de Napoléon, qui lui communiquait la réponse, et, si elle était favorable, il assignait l'heure à laquelle il recevrait.

Napoléon désirait, particulièrement dans ces occasions, que l'étiquette impériale fût observée, tandis que le gouverneur, au contraire, enjoignait strictement à ceux qui le visitaient, de ne pas aller au-delà de ce qui était dû à un général de distinction.. Si donc, comme il arrivait quelquefois, la présentation avait lieu en plein air, les Français de la suite de Buonaparte restaient découverts, tandis que les Anglais remettaient leurs chapeaux après les premiers saluts. Napoléon comprit combien cette chose était inconvenante, et donna des ordres à ses compagnons d'exil pour imiter les Anglais en ce point. On dit qu'ils n'obéirent pas sans scrupules et sans mur

mures.

Ceux qui étaient admis à rendre leurs devoirs à Longwood, étaient principalement des personnes de grande naissance, des officiers distingués dans l'armée et la marine, des savans à qui il faisait grand accueil, ou des voyageurs des contrées étrangères, qui lui rendaient, par leurs

relations, le plaisir qu'ils recevaient d'être admis en la présence d'un si grand homme. Plusieurs de ceux qui jouirent de ces entrevues en ont publié la relation, et nous avons vu le manuscrit des autres. Tous s'accordent à louer la bonne grâce, la dignité, et l'air de bienveillance que Napoléon montrait dans ces réceptions, et qui permettaient à peine aux spectateurs de croire que surpris jamais par un accès de colère, ou choisissant quelqu'un pour l'en accabler à dessein, il pût être ce despote emporté et farouche que dénonçaient d'autres récits. Il posait généralement ses questions avec beaucoup de tact, de manière à mettre à l'aise celui qu'il interrogeait, en amenant le sujet qu'il possédait le mieux, pour lui donner l'occasion d'émettre quelque idée nouvelle et remarquable sur l'objet spécial de ses connais

sances.

Le journal de Basil Hall, capitaine de la marine royale, bien connu par ses talens dans sa profession et dans les lettres, fournit un exemple intéressant de ce que nous avons tâché de faire connaître, et en même temps il donne de curieux détails sur l'é

pu re

tonnante mémoire de Buonaparte. Il reconnut sur-le-champ le nom du capitaine Hall, parce qu'il avait vu son père, le baronnet sir James Hall, à l'école de Brienne que ce gentilhomme était allé visiter, conduit par le seul amour de la science. Buonaparte expliqua comment il avait connaître un simple particulier pour s'être rencontré un instant avec son père : « Ce n'est point étonnant, dit-il au capitaine, votre père était le premier Anglais que j'eusse jamais vu, c'est pourquoi j'en ai gardé le souvenir toute ma vie.» Il fit beaucoup de questions sur la société royale d'Edimbourg, dont sir James avait été longtemps président. Puis il vint à parler de l'île de Loo-Choo récemment découverte. Le capitaine Hall donne des détails si intéressans sur toutes les questions que lui fit Buonaparte, que nous craindrions de leur öter ce qu'ils ont de curieux en essayant de les abréger.

Après avoir déterminé la situation de l'île, il me fit une foule de questions sur les habitans, avec un ordre, je pourrais dire avec une rigueur d'investigation, dont je n'aurais pu me faire une idée. Ses ques

tions n'étaient pas jetées au hasard, mais chacune avait un rapport très-précis avec la précédente, ou avec celle qui allait suivre. Je me sentis bientôt tellement mis à jour devant lui, qu'il m'eût été impossible de dissimuler ou de déguiser la plus légère particularité. Telle était sa rapidité à saisir les objets intéressans, et son étonnante facilité à tout arranger en points de vue généraux, que quelquefois il prenait les devans sur moi, voyait ma conclusion avant que je l'eusse exprimée, et s'emparait luimême du récit que j'étais chargé de lui faire.

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>> Plusieurs détails sur le peuple de LooChoo l'étonnèrent beaucoup, et j'eus la satisfaction de le voir plus d'une fois embarrassé, et ne pouvant expliquer ce que je lui rapportais. Ce qui le frappa davantage, ce fut que les habitans de cette île n'eussent point d'armes. « Point d'armes! s'écria-t-il, c'est-à-dire point de canons; ils ont des fusils? sils, répondis-je.

Non, pas même de fu

Eh bien donc, des lances, ou au moins des arcs et des flèches?»> Je lui dis qu'ils n'avaient rien de tout cela. * Ni poignards? » cria-t-il avec un accent

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