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de s'approprier, en quelque région que ce soit, tous les produits des autres climats: il est, suivant les degrés de latitude, une distribution de végétaux dont il est interdit à l'homme de changer l'ordre.

C'est envers les régions intertropicales que la nature s'est montrée le plus prodigue de ses dons. Si elle leur a refusé les grandes productions des zones moyennes, en revanche elle leur a attribué les farineux les plus riches, les racines et les fruits les plus divers, la canne à sucre, les épices, et un nombre infini de plantes aromatiques, textiles, tinctoriales et médicinales. La diversité des végétaux cultivables est moindre dans les contrées tempérées, et elle décroit à mesure que le contraste des saisons se manifeste davantage. L'Espagne et l'Italie, à toutes les cultures du reste de l'Europe, en joignent beaucoup d'autres; ainsi | elles ont le riz et l'olivier, qui ne viennent plus au-delà du 44° degré; et la vigne qui ne dépasse pas le 51; puis peu à peu, en avançant vers les pôles, se réduit la quantité des plantes cultivables, et enfin n'apparaissent plus que des lichens, pâture des rennes, les derniers des animaux dont la présence permette à l'homme de subsister sur un sol où la vie s'éteint, et qui, un peu plus loin, finit par disparaître sous des glaces éternelles.

La Providence n'a point fait acte de sévérité en limitant le nombre des cultures que les différentes régions du monde habitable ont droit de s'emprunter mutuellement sous l'empire des lois qu'elle a imposées à la création, il eût été impossible que des végétaux, également aptes à fructifier sous toutes les latitudes, fussent doués de propriétés bien distinctes: il ne fallait pas moins que la puissance de l'extrême inégalité des températures pour leur communiquer les qualités particulières dont la diversité se reproduit dans les moyens de bien-être qu'ils fournissent; et tel est, en effet, le résultat éminemment bienfaisant que les arrangements de la nature ont eu pour but de produire. L'humanité aurait tort de s'en plaindre; ce qui lui manque dans un lieu, rien ne l'empêche d'aller le chercher dans un autre. Il suffit aux peuples de l'Europe d'envoyer sous l'équateur leurs vins, leurs huiles, leurs céréales pour entrer en possession du coton, du café, des épices, des produits recherchés que leur propre sol leur refuse, et il n'est pas un point du globe dont les habitants ne soient libres d'attirer à eux tout ce qui se récolte au-delà de leurs frontières.

Peu importe même que la dureté du climat réduise ceux qui l'habitent à un très petit nombre de cultures; il leur est toujours loisible d'étendre celles qui conviennent le mieux à leur climat, de manière à disposer d'un excédant échangeable; et la Russie, grâce à ses blés et à ses chanvres, à ses résines et à ses bois de construction, n'éprouve pas plus de difficulté que tout autre pays a se pourvoir des produits les plus rares de l'Inde et de l'Amérique.

La diversité des végétaux distribués entre les diverses parties de la terre n'a pas seulement pour effet de multiplier et de varier les jouissances attachées à leur consommation, elle contribue à appeler les peuples d'une part à nouer entre eux

des communications non moins profitables à l'agrandissement de leurs lumières qu'au développement de leur bien-être, de l'autre à imprimer à leurs efforts la direction la plus efficace. Chaque pays a ses aptitudes spéciales, et plus il les consulte dans ses œuvres, plus l'assistance de la nature les rend fructueuses. Si tous les peuples avaient été pleinement libres d'échanger entre eux les produits qu'ils récoltent, chacun aurait eu le monde entier pour acheteur de ceux qu'il obtient aux moindres frais; partout le travail aurait atteint le plus haut degré de puissance compatible avec l'état des arts et des connaissances, et la richesse universelle serait aujourd'hui infiniment plus grande. Mais les hommes ne sont pas moins sujets aux erreurs de l'esprit qu'aux infirmités du corps, et loin de se soumettre aux plans bienfaisants de la Providence, ils y ont substitué les conceptions étroites et fausses de leur propre sagesse. Au lieu de laisser au commerce son cours naturel, ils l'ont chargé d'entraves légales; ils ont refusé ou chargé de taxes répulsives les productions d'origine étrangère, et, par là, ils ont empèché les cultures de se répartir dans l'ordre et la mesure que la différence des circonstances locales n'aurait pas manqué de leur assigner. Le mal causé par ce système a été immense. Toute nation qui repoussait les choses recueillies au dehors à meilleur marché que chez elle se condamnait, pour les avoir, à compenser par des excédants de dépense ce qui lui manquait en bonnes conditions de production, et de plus privait du surcroît d'essor que leur eût imprimé la facilité d'en placer les créations hors de son sein, les labeurs dans lesquels la supériorité lui avait été dévolue. Il y avait pour elle deux pertes à la fois l'une résultant du moindre profit tiré des moyens de travail engagés dans des voies ingrates; l'autre résultant du mauvais emploi de capitaux et de main-d'œuvre dont l'usage, dans les industries favorisées par le sol et le climat, en eût largement étendu la fécondité. Certes, personne ne pourrait marquer le point auquel la prospérité des sociétés serait arrivée maintenant, şi nul obstacle artificiel n'était venu arrêter, troubler et décourager la marche de leurs relations en matière d'échange; mais ce qui est certain, c'est que toutes, si elles eussent pu diriger constamment leur activité vers les espèces de culture dans lesquelles l'avantage leur appartenait, tireraient aujourd'hui bien meilleur parti du sol qu'elles ont en partage.

Les anciens connaissaient toute l'importance de l'agriculture, et ceux de leurs livres qui sont arrivés jusqu'à nous attestent en quel honneur la tenaient les personnages les plus éminents. Il n'en fut pas ainsi durant les âges qui suivirent la chute du monde romain; abandonnée aux mains de populations asservies, l'agriculture fut dédaignée, et à peine deux siècles et demi se sont-ils écoulés depuis qu'elle a commencé à retrouver l'attention que mérite la grandeur de ses services. Aujourd'hui, la faveur publique lui est revenue; aucune autre industrie n'est le sujet d'autant d'études et de recherches, aucune ne donne naissance à des écrits aussi nombreux; il n'en est pas dont les gouvernements se préoccupent davantage, ♣

laquelle on consacre tant d'établissements et d'institutions, dans l'espoir d'en assurer le prompt et vif essor, et dont les intérêts donnent lieu à de plus nombreuses controverses.

Au nombre des questions agitées dans l'intérêt de l'agriculture, il en est que leur caractère particulier recommande à l'examen. Ce sont celles dont la solution pratique réclame l'intervention plus ou moins directe des lois : il est opportun de rappeler ici en quoi elles consistent, et de quelles données la science dispose pour en éclairer la discussion.

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dont les fruits se recueillent en peu de temps; 3° enfin il les excite soit à négliger, soit à épuiser les terres dont ils se proposent de cesser prochainement l'occupation. Ces inconvénients sont réels, et il n'est pas possible de les écarter complétement. Il est toutefois un remède d'une efficacité marquée, c'est l'extension de la durée des baux. Plus les baux sont longs, plus ceux qui en jouissent ont intérêt à ménager le sol, plus sont puissants les motifs qui leur en font désirer l'amendement. Des œuvres qui semblent trop hasardeuses à qui n'a que peu d'années pour rentrer dans les dépenses qu'elles exigent, cessent de le paraître à qui en a devant soi un plus grand nombre; et partout les cultivateurs montrent d'autant plus d'inclination à féconder l'avenir qu'il leur appartient davantage. L'obstacle à l'extension de la durée des baux git principalement dans l'appréhension où sont les propriétaires de ne pas obtenir assez tôt leur part des augmentations de revenu produltes par la culture. Or, cet obstacle n'est nullement invincible. Parmi les L'influence des systèmes d'amodiation sur divers moyens proposés dans le but de le suppril'état et la marche de l'agriculture est considé-mer, voici celui qui semble réunir au plus haut rable. Jamais la terre n'est bien cultivée que par des mains fortement stimulées à en arracher tout ce qu'elle peut rapporter, et il n'est de modes de location bien favorables aux progrès de la production que ceux qui, par des stipulations bien entendues, créent aux cultivateurs un intérêt continu à ne rien négliger pour féconder de plus en plus le présent et l'avenir.

Les principales d'entre ces questions se rapportent: 1o aux divers systèmes d'amodiation et de louage des terres; 2o aux conditions légales faites à la propriété territoriale; 3° aux formes et aux dimensions des cultures; 4o aux régimes hypothécaires et aux institutions à l'aide desquels les emprunts des propriétaires peuvent être plus ou moins facilités. Envisagées au point de vue économique, voici les observations qu'elles "suggèrent:

Malheureusement, tel n'est pas l'effet de la plupart des arrangements entre les propriétaires du sol et ceux qui le font valoir. On y retrouve de nombreux vestiges des temps où les classes rurales ne s'appartenaient pas à elles-mêmes, et l'agriculture a peine à se dégager du poids d'usages et de coutumes qui continuent à en comprimer les développements.

Parmi les régimes actuellement en vigueur, il en est deux qui, à raison de l'étendue de leur application, appellent une attention toute particulière; l'un est connu sous le nom de bail à ferme, l'autre sous le nom de bail à partage des fruits ou de métayage.

Le bail à ferme, c'est la cession faite par le propriétaire, à prix d'argent et pour un temps déterminé, du droit d'exploiter les terres qui lui appartiennent. Ce système a prévalu en Angleterre, dans une partie de la France, en Belgique, et généralement dans les contrées les plus avancées de l'ouest et du centre de l'Europe. C'est évidemment celui dont les conditions peuvent le mieux se concilier avec les intérêts véritables de la production. Le preneur ou fermier est libre de choisir l'espèce de culture qui, à superficie égale, produit le plus. Du moment où il paye régulièrement le montant du loyer, et ne dégrade pas le fonds confié à ses soins, rien ne le gène dans des entreprises dont les bénéfices lui demeurent, et il est nécessairement incité à tirer de la terre tout ce qu'elle peut rapporter. Les reproches adressés à ce régime sont les suivants: 1° il n'intéresse pas suffisamment les propriétaires

aux améliorations dont les frais réclament son

concours; 2° il ne permet aux fermiers que celles

degré toutes les conditions de succès désirables: c'est de laisser aux preneurs le droit, toutes les fois que le bail expire, d'en obtenir le renouvellement moyennant une addition convenue d'avance au prix originaire, et au bailleur celui de rentrer dans son bien à la même époque, moyennant remise d'une indemnité dont le montant aurait été fixé dans les contrats de louage. Ainsi, les fermiers auraient la certitude d'être pleinement dédommagés au cas où le temps de recueillir le profit de leurs avances viendrait à leur manquer, et c'en serait assez pour les déterminer à faire aux grandes améliorations les sacrifices qu'elles nécessitent toujours. Assurément, il n'est pas de combinaison qui puisse jamais susciter chez de simples locataires les sentiments dont la puissance gouverne les propriétaires, et les rend les plus habiles et les meilleurs des cultivateurs; mais il faut, autant que possible, rechercher les conditions les plus propres à leur en inspirer une partie. Tout consiste à leur conférer toute liberté d'action et toute sûreté d'avenir. Cela fait, ils n'hésiteraient plus à accomplir, afin d'améliorer la culture, bien des dépenses devant lesquelles ils reculent encore, de peur de travailler pour autrui.

Le système d'amodiation, dit métayage, est en pratique dans presque tout le midi de l'Europe, ainsi que dans la majeure partie des départements de l'ouest, du centre et du midi de la France. Ce système établit une sorte d'association assez étroite entre le propriétaire du fonds et le cultivateur. L'un et l'autre concourent pour moitié à l'achat comme à l'extension de la monture de l'exploitation; le propriétaire entre pour quelque chose dans certains frais de la culture, et c'est en nature qu'il partage avec le cultivateur les produits récoltés, tout en laissant d'ordinaire à celui-ci le soin de les vendre. Le partage, ainsi que l'indique le nom meme de ce mode de louage, s'effectue habituellement par moitié; il est des lieux cependant où !! donne aux propriétaires les deux tiers du produit brut, d'autres où il ne leur laisse que les deux cin

quièmes et moins encore. Le métayage a des avantages dont la valeur n'est pas la même dans tous les pays où il existe. D'abord, il a pour effet d'assurer, par la fixité même des conditions sur lesquelles il repose, la stabilité du sort des exploitants qui n'ont pas, comme les fermiers à bail, à redouter que des concurrents viennent, à l'aide de surenchères, les forcer à se retirer; en second lieu, en attribuant immédiatement aux propriétaires une part aux bénéfices résultant des améliorations, il les invite à souscrire à tous les sacrifices qu'en requiert l'obtention. De tels avantages méritent qu'on en tienne grand compte; mais ils ne donnent pas partout des fruits également bons, et il est des pays où ils sont loin de suffire pour contre-balancer les inconvénients non moins réels du système.

C'est dans les contrées méridionales de l'Europe que le métayage agit le plus heureusement sur les cultures. Là tout, dans la constitution et le régime des campagnes, fait de l'intervention active et directe du propriétaire une nécessité à peu près constante. D'une part, une portion notable des récoltes consiste en huiles, en vins, en fruits, parfois même en cocons de soie; et les cultivateurs, naturellement plus préoccupés du présent que de l'avenir, seraient toujours peu disposés à se charger des frais de plantation de vignes et d'arbres dont ils auraient trop longtemps à attendre le produit. D'un autre côté, beaucoup de terrains ne rapportent que grâce à des travaux d'irrigation qui chargent le sol de constructions fort coûteuses, et que le propriétaire seul peut exécuter. Il faut, pour obtenir et conduire l'eau, sans laquelle le sol demeurerait peu productif, des puits, des réservoirs, des machines, des canaux, des rigoles, sujets à de trop nombreuses détériorations, pour qu'il soit possible de s'en remettre à des locataires exposés à quitter le domaine à fin de bail du soin de les maintenir en bon état. A la différence de ce qu'on voit dans le Nord, il y a en Italie et en Espagne bon nombre de domaines où il a fallu immobiliser, sous forme de plantations et de moyens d'irrigation, des capitaux d'une valeur bien supérieure à celle du terrain ; et c'est ce qui explique la proportion du produit, au premier aspect excessive, qui revient aux propriétaires. En effet, il y a dans leur part deux éléments distincts, l'un représentant le revenu de la terre elle-même, l'autre, l'intérêt des sommes considérables dont l'emploi l'a rendue cultivable ou en a augmenté la fertilité. Les circonstances qui prêtent à l'association entre les maîtres du fonds et ceux qui l'exploitent tant d'utilité dans le midi de l'Europe, perdent de leur empire à mesure que le climat se refroidit et que la production rurale cesse d'exiger autant de dépenses de fonds. Au centre de la France, par exemple, les métairies n'ont ni oliviers, ni mûriers; la plupart même ne possèdent que très peu de vignes; c'est en grains, en herbe, en animaux que s'opèrent leurs récoltes. L'irrigation n'y est pas une nécessité, les proprié taires n'ont à entretenir, à réparer qu'un petit nombre de bâtiments de service, et comme rien ne réclame de leur part des dépenses productives continues, le régime adopté a plus d'inconvénients que d'avantages.

Le métayage a un vice radical, dès longtemps aperçu par Adam Smith, c'est la forme dans laquelle s'effectue le partage du revenu territorial. En attribuant au propriétaire pour prix de loyer une proportion fixe du produit brut de l'exploita.tion, il exclut des cultures les végétaux qui réclament les plus grands frais de production ou ne leur y laisse pas une place suffisante, et par là il arrête les progrès de l'art et de la richesse agricoles. Ceci demande, pour être bien compris, quelques explications.

Ce qui marque le degré de la richesse rurale, c'est la grandeur du revenu net extrait de la terre. La terre, c'est le fonds mis en rapport, le capital que l'industrie humaine fait valoir, et plus elle donne de revenu net à superficie égale, plus l'industrie qui l'exploite est puissante, plus est considérable la richesse qu'elle crée dans l'intérêt de tous. Il n'y a pas à se préoccuper de la quotité du fonds roulant à l'aide duquel sont payés les frais de production; car, forte ou faible, cette quotité a, dans tous les cas, sa rétribution distincte, prélevée sur la récolte brute, et le revenu net ne se compose jamais que de l'excédant qui subsiste après qu'elle a reçu la part qui lui est due. Le progrès consiste donc, en agriculture, dans l'élévation de la portion du produit qui, les frais de la production remboursés, demeure nette et subvient au payement du loyer ainsi qu'aux bénéfices du cultivateur. C'est ce produit net qui donne la véritable mesure de la puissance de l'art; et les meilleures cultures sont partout celles qui l'élèvent le plus haut, compte fait de l'étendue du terrain qu'elles occupent. Or, le métayage a précisément pour effet d'empêcher les cultivateurs de préférer les récoltes qui, à raison de l'espace qu'elles prennent, laissent l'excédant ou produit net le plus considérable.

La raison en est simple. Le métayer paye en nature: ce qu'il doit, c'est une certaine proportion du produit brut obtenu, et dès lors il a un intérêt constant à consulter dans le choix des récoltes, non pas ce qu'elles peuvent laisser par hectare, les dépenses de culture recouvrées, mais le rapport établi entre le montant des frais de production et la valeur totale des récoltes. Four lui, les meilleures cultures sont celles qui demandent peu d'avances, les plus mauvaises sont celles qui en demandent beaucoup, quel que puisse être le chiffre de l'excédant réalisé. Supposez, par exemple, un lieu où l'hectare cultivé en seigle exige 45 francs de frais de production pour rendre 125 francs, et où le même hectare cultivé en froment exige 120 francs de frais pour rapporter 250 francs, un fermier n'hésitera pas à préférer la culture du blé. C'est en numéraire qu'il solde son fermage, et une culture qui lui rendra net 130 francs vaudra pour lui beaucoup mieux qu'une culture qui, à superficie semblable, ne lui en rendrait que 80. Un métayer sera contraint de calculer tout autrement. L'hectare en seigle, pour 45 francs en donne 125, et la moitié de la récolte lui demeurant, c'est 15 francs qu'il aura de bénéfice; l'hectare en blé, au contraire, coùtant 120 francs pour en produire 250, ne lui lais sera, vu ses avances, pour sa moitié, qui montera à 125 francs, que 5 francs de rétribution,

livre aux localités où les règles du fermage laissent
aux cultivateurs toute liberté dans le choix de leurs
travaux. Il faudrait, pour améliorer la situation
qu'il fait aux cultures, des proportions de partage
différentes, suivant les natures de production.
mais alors que de gêne et de difficultés encore !
que d'embarras dans les évaluations et de tenta-
tions offertes aux fraudes et à la mauvaise foi!
Il est d'autant plus essentiel de laisser aux cul-
tivateurs toute latitude dans l'usage de leur in-
dustrie, que la culture ne croit en fécondité qu'à
la condition de multiplier de plus en plus les
avances dont le sol a besoin. Quand on l'examine
à ses divers âges de développement, on voit qu'à
mesure qu'elle grandit et prospère, les charges de

c'est pour la culture du seigle qu'il optera. A plus forte raison, le métayer s'abstiendra-t-il de porter son travail sur les plantes qui, comme le Îin, le chanvre, le colza, coûtent en frais de culture au-delà de la moitié de la valeur du produit obtenu. Vainement ces plantes, à superficie pareille, donnent-elles les plus beaux résultats, il ne lui resterait rien aux mains, le partage achevé avec le propriétaire; et s'il les faisait entrer dans ses cultures, des pertes irremediables viendraient châtier son imprévoyance. Ainsi pèsent sur le métayer des conditions de louage sous lesquelles il ne saurait, sans courir à sa ruine, s'attacher aux sortes de productions qui, par cela même qu'elles permettent de retirer net des terres plus que les autres, sont le plus fécondes en ri-la production deviennent plus considérables sur la chesse et en prospérité rurales. C'est là un obstacle sérieux au développement progressif de l'agriculture, et un de ces obstacles qu'il n'est possible à aucune combinaison de jamais faire complétement disparaître.

même étendue de terrain, et que le progrès se résume en deux faits: accroissement de dépenses et accroissement d'excédant et de produit net. La France est, sous le rapport agricole, le pays des contrastes elle renferme des départements qui semblent avoir à peine marché depuis un siècle; elle en a d'autres où l'agriculture a pris un essor brillant, et n'est pas moins fructueuse que dans les contrées de l'Europe les plus avancées. Eh bien! voici quelles sont les situations respectives. Dans les départements les plus arriérés, les frais de production ne dépassent pas, en moyenne, toute compensation faite entre les diverses cultures, 30 francs par hectare, et l'on y obtient environ 70 francs de revenu brut. Dans les départements avancés, au contraire, la dépense monte à 200 francs et plus par hectare; et, à ce prix, on réalise un produit brut de 320 francs au moins, laissant aux fermiers, tant pour acquitter le loyer du sol que pour leurs bénéfices, environ 120 francs. Dans ceux-ci, la richesse annuellement retirée du sol, en sus du coût de la production, arrive au triple de ce qu'elle est dans les autres, et c'est au moyen d'avances presque septuples qu'on la recueille. C'est ainsi que s'accomplissent les progrès. Les parties de la France en retard ne pourront se rapprocher de celles qui les ont devancées qu'en portant sur les terres plus de capitaux et de travail; mais quelles que soient les quantités addi

Si les inconvénients du métayage sont peu sensibles dans les régions les plus méridionales de l'Europe, il faut en rendre grâce à l'espèce particulière ainsi qu'à la prompte succession des récoltes. Les produits les plus importants dont elles se composent nécessitent en général peu de frais | annuels, et il en est un bon nombre que le temps à peu près seul fait fructifier. Sismondi a indiqué dans un tableau des récoltes d'une métairie de la Toscane les éléments divers qui concourent à les former, et sur un produit total de 1275 livres du pays, la part des vins, des huiles et des cocons compte à elle seule pour 850 livres. Avec de telles récoltes, il est aisé au métayer de fournir un bon travail et de se tirer d'affaire. Les vignes, les mûriers, les oliviers donnent leurs fruits à peu près gratuitement, la culture qu'ils exigent est presque sans charge, et sert à compenser le surcroît de peines et de labeurs nécessaire à l'obtention des céréales, des farineux et des plantes horticoles, recueillis proportionnellement en petite quantité. En France aussi, le métayer qui aurait beaucoup de pacages ou de prairies dont il vendrait les herbes, ou dans lesquels il élèverait et nourrirait des animaux de rente, parviendrait àtionnelles dont elles feront usage, du jour de leurs réaliser des bénéfices, parce qu'il récolterait sans être tenu à des avances et à des labeurs notables; mais tel n'est pas le cas habituel, et du moment où l'on s'éloigne du littoral de la Méditerranée ou des points où la vigne constitue la majeure partie de la production, on ne rencontre plus que des métayers pauvres et hors d'état d'imprimer à l'agriculture les mouvements progressifs dont elle a besoin.

Sans doute, la proportion suivant laquelle s'opère le partage des fruits étend ou resserre les inconvénients du métayage. Le laboureur qui conserve les deux tiers des récoltes peut entreprendre des cultures interdites à celui qui n'en garde que la moitié; mais l'obstacle, bien que reculé, n'en continue pas moins à subsister. On sait que le maintien de la dime a suffi pour bannir la culture de la garance des pays catholiques et la concentrer dans les pays protestants. Ainsi agit toujours, dans une certaine mesure, le métayage à l'égard des produits coûteux et difficiles à obtenir; il les

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frais de culture remboursés, elles seront parvenues à doubler leur revenu net, elles seront deux fois plus riches, et l'agriculture pourra fournir à la consommation dont elles sont le siége deux fois plus de denrées qu'elle ne le fait à présent.

Il est, au reste, à remarquer que la sphère où se meut le métayage se resserre graduellement en France. Dans l'ouest et dans le centre, des départements, où l'amodiation à prix d'argent n'était pas en usage, comptent déjà bon nombre de fermiers aux mains desquels passent chaque année de nouvelles exploitations. Entre des métayers sur le travail desquels pèsent des gênes continues, et des hommes maîtres d'user à leur gré de moyens de production qui leur appartiennent tout entiers, la lutte ne peut être bien longue. Ceux-ci, certains de réaliser des bénéfices interdits à leurs concurrents, assurent aux propriétaires de meilleures conditions de loyer, et devant leurs offres tombe pièce à pièce un système incapable de se défendre.

Au nombre des causes qui influent sensiblement sur les développements de l'art agricole figurent les lois qui régissent la propriété territoriale; ces lois ne sont favorables à la prospérité des campagnes, ou du moins ne la laissent prendre tout son essor, que dans la mesure où elles garantissent, d'une part, la sécurité de la possession, et, de l'autre, la liberté des transmissions.

Pas d'agriculture qui puisse accomplir le moindre progrès quand la propriété n'a pas toute sécurité dans le présent et dans l'avenir. On ne sème que dans l'espoir de récolter; on ne défriche, on ne plante, on ne bâtit, on ne confie ses épargnes à la terre, qu'à la condition de n'avoir pas à appréhender la perte de ses avances. L'agriculture la plus florissante ne tarderait pas à dépérir, si le sol venait à trembler sous les pas de ceux qui le possèdent; si, n'importe par quelle cause, il leur fallait appréhender des évictions, des actes de violence ou de spoliation : la décadence serait d'autant plus prompte que le péril aurait plus d'imminence et de gravité. Assurément, la sureté de la possession ne suffit pas toujours pour imprimer aux labeurs agricoles une activité puissante; mais il est sans exemple que ces labeurs alent prospéré sans elle; et parmi les causes qui ont laissé les populations de l'Asie si en arrière de celles de l'Europe, il n'en est pas dont l'action ait été plus pernicieuse que l'incertitude où elles sont sur l'avenir qui les attend dans des contrées où les lois, en attribuant aux souverains un droit supérieur sur la terre, ne permettent à chacun de jouir de ses biens que sous le bon plaisir du maitre.

Après la sûreté de la propriété, vient, comme moyen nécessaire de progrès agricole, la liberté des transmissions; les lois qui l'interdisent ou la genent ont infailliblement pour effet d'empêcher la propriété d'arriver aux mains les plus aptes à la faire produire abondamment, et de mettre obstacle aux transformations que les modes de culture devraient subir pour répondre à des besoins qui changent et se multiplient à mesure que les populations croissent en nombre et en aisance.

Sous ce rapport, les institutions d'origine féodale ont eu et ont encore, là où elles continuent à agir, de sérieux inconvénients. Ces institutions avaient pour but de conserver aux classes privilégiées les biens et les richesses dont elles étaient en possession. Elles interdisaient l'aliénation des domaines qui leur appartenaient les héritages, dévolus à l'aîné des enfants, et frappés de substitution, descendaient de måle en mâle, sans qu'aucun des titulaires eût la faculté de s'en dessaisir, et eût au fond d'autres intérêts et d'autres droits que ceux d'un simple usufruitier.

Ce qu'ont produit ces institutions, c'est l'appauvrissement de ceux-là mêmes en faveur desquels elles existaient. Vainement le désir de maintenir dans tout son lustre un nom titré agissait-il, des affections d'une puissance supérieure luttaient avec avantage; peu de pères se résignaient à laisser leurs enfants puînés dénués de tout avoir: ils attribuaient, sur leur fortune, des dots aux filles, des pensions aux garçons; et les biens finissaient tôt ou tard par n'échoir à l'héritier privilégié que grevés de charges dont

l'acquittement en affaiblissait sensiblement le revenu. C'était là un mal dont se ressentait fortement l'agriculture. Non-seulement la terre, clouée à des mains qui ne pouvaient s'en séparer, n'allait pas à des acheteurs qui l'eussent amendée afin d'en augmenter le produit, mais elle restait à des maitres incapables de lui faire aucune avance, et qui, trop souvent, se voyaient contraints d'épuiser l'avenir au profit du présent, et de consommer avant la maturité des fruits que le temps aurait accrus et multipliés.

Un autre inconvénient fort grave de la mise hors de la circulation d'une partie considérable du sol, c'est l'obstacle apporté à la formation ou au développement de la classe des cultivateurs la plus apte à faire fleurir l'agriculture, celle des cultivateurs propriétaires. Partout, la culture gagne beaucoup à l'existence de cette classe Les propriétaires qui exploitent leurs propres domaines ont des avantages de position qui impriment à leurs labeurs la plus énergique activité. Au désir le plus vif de réaliser toutes les améliorations possibles, ils unissent une liberté d'action refusée à des fermiers qui, comme eux, n'ont jamais la certitude de pouvoir recueillir en totalité les fruits de celles de leurs entreprises dont le succès réclame l'assistance du temps. Aussi, les voit-on partout donner l'exemple des innovations, et contribuer plus que les autres exploitants à l'accroissement progressif de la production.

Bien qu'il n'y ait aucun rapport nécessaire entre les formes de la propriété et les formes de la culture, les lois qui immobilisent le sol ne laissent pas cependant de contrarier et de ralentir l'accomplissement des diverses modifications dont la culture peut avoir besoin dans ses dimensions et ses modes d'activité. Toutes les fois que les populations s'amassent et s'enrichissent, elles éprouvent des besoins nouveaux ; il leur faut, en proportion plus grande, tels ou tels produits, et il importe que le régime établi se prête aux arrangements appelés par les changements qui surviennent dans l'esprit et l'étendue des demandes. L'inaliénabilité des terres occasionne, à cet égard, des difficultés nombreuses. S'il demeure toujours possible de subdiviser les exploitations existantes, il l'est moins de les agrandir, quand leur extension nécessiterait l'achat de portions contigues du sol, que leur maître n'a pas le droit de vendre. Dans tous les cas, les transformations ne s'accomplissent jamais avec toute la rapidité désirable, et elles ne suivent que de loin les progrès mêmes qui les rendent désirables ou nécessaires.

Voici soixante ans maintenant que la France a dégagé la propriété territoriale de toutes les entraves qui en génaient ou en empêchaient la libre circulation, et jamais ne se sont accomplis, en aussi peu de temps, dans son sein, des progrès d'une si considérable étendue. Vainement vingtdeux années de grandes guerres ont-elles enlevé aux campagnes la fleur de leur population, et fait peser sur elles des charges croissantes; vainement plusieurs révolutions ont-elles tour à tour enfanté des crises et des désordres redoutables, partout où de mauvais systèmes d'amodiation n'ont pas comprimé trop étroitement son essor, l'agriculture a réalisé les plus bienfaisantes améliorations, et il

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