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question, et s'il fallait adopter ceux de M. Mailhe, il ne serait point de propriété qui pût échapper à la proscription, parce qu'il n'en serait point qu'on ne pût attaquer avec le même avantage. Mais M. Mailhe a tout confondu dans la féodalité, il n'a pas su discerner ce qui tenait exclusivement au régime féodal proprement dit, d'avec ce qui concernait uniquement les droits respectifs des particuliers entre eux; il n'a pas distingué dans la féodalité ce qui n'appartenait qu'au gouvernement, d'avec le mode spécial qui s'y était introduit pour déterminer le commerce d'une espèce particulière de propriété de là, il est arrivé, qu'il a appliqué les mêmes principes à des choses de nature absolument distinctes. Il n'a point considéré que si l'usurpation des choses purement politiques ne peut jamais être légitimée par les lois, ni par la sanction du temps, il en est autrement de celles qui, mises dans le commerce, ont pu, par leur nature même, devenir la propriété des particuliers. En un mot, il n'a pas observé qu'une société existante, quelque changement qu'elle introduise dans son organisation générale, ne peut jamais porter atteinte aux propriétés, quelle que soit leur origine, lorsqu'une fois elles ont été reconnues et réglées par les lois. Pour s'écarter de ce principe, il faudrait que la société constituée déclarât avant tout sa dissolution totale, et que se réformant de nouveau dans toutes ses parties, elle assignât à chacun une part nouvelle dans la masse de tous les biens et déterminât la manière d'en jouir et d'en disposer. Voilà les principes que M. Mailhe a méconnus, et son système disparaîtrait entièrement devant eux.

J'ai démontré que les droits incorporels étaient véritablement une propriété, qu'en conséquence, il ne vous était pas permis d'y porter atteinte; je vous ai fait entrevoir les effets injustes et vexatoires de leur suppression absolue, il ne me reste plus qu'à répondre à un raisonnement, dans lequel les partisans du système que je combats, paraissent mettre toute leur confiance; c'est le seul aussi qui puisse faire une sorte d'impression sur les bons esprits; j'établirai l'absurdité de ce raisonnement, et je prouverai que la suppression proposée serait impolitique et nuisible à l'intérêt national. Voici comment raisonnent les partisans de la suppression : tous les rachats de degré en degré remontent jusqu'au domaine de la Couronne, qui sont euxmêmes aujourd'hui la propriété de la nation; la nation peut donc, en accordant gratuitement la franchise à tous les redevables ou censitaires immédiats, leur imposer la charge d'affranchir, à leur tour, leurs censitaires jusqu'au dernier échelon de la hiérarchie féodale.

M. Dorliac, dans son excellente opinion, vous a déjà fait sentir toutes les injustices que produirait cette opération; il vous a fait observer que, parmi les terres, il en était beaucoup qui consistaient plus en droits qu'en domaines, tandis que les autres consistaient presque uniquement én domaines, avec peu de droits annexés, et il Vous a prouvé que les propriétaires seraient également lésés dans l'un et dans l'autre cas. Je n'ajouterai rien à ce qu'il vous a dit sur ce point, mais je prétends qu'il n'est pas au pouvoir de la nation de remettre ainsi les droits aux grands propriétaires.

Lorsque l'Assemblée constituante a déclaré, au nom de la nation, que la dette de l'Etat était mise sous la sauvegarde de la loyauté française, elle a spécialement affecté les domaines natio

naux au payement des créanciers; dès lors, la nation s'est interdit la faculté de disposer de ses domaines autrement que pour l'acquit de ses obligations. Or, les droits incorporels qui lui appartiennent, soit en raison de la directe immédiate, soit à cause des biens du ci-devant clergé qu'elle a remis dans sa main, font incontestablement partie des domaines nationaux. Ainsi donc, les créanciers de l'Etat, et, par conséquent tous porteurs d'assignats, ont un droit acquis sur cette nature de propriété, qu'on ne peut leur enlever. Car, il est de principe, en matière d hypothèque, que les effets s'étendent tellement sur l'intégralité des biens du débiteur, que chaque partie quelle qu'elle soit, y est également soumise; cela est si vrai que si le débiteur, au mépris de l'hypothèque, s'avisait d'aliéner la moindre portion du gage, les créanciers auraient non seulement le droit de le faire condamner pour avoir violé ses engagements, mais ils auraient encore celui de suivre la portion de leur gage dans quelque main qu'elle pût se trouver. Si ces principes sont vrais, pour les particuliers, ils doivent être sacrés pour la nation, par la raison même qu'elle aurait le pouvoir de s'y soustraire, parce que là où commence l'injustice là finit aussi la puissance nationale.

Ces réflexions suffisent, sans doute, pour démontrer que la religion des engagements solennellement contractés par la nation ne lui permet pas de remettre à ses censitaires immédiats les droits incorporels qu'ils lui doivent. Mais je veux bien supposer un instant qu'elle en ait véritablement le droit, je demanderai si l'intérêt national ne s'oppose point invinciblement à cette remise absolument gratuite.

Ce serait peut-être ici le cas de me livrer à une recherche exacte du produit des droits dont la nation est propriétaire, mais j'observerai que nous n'avons encore aucune donnée certaine à cet égard. Les uns prétendent que ce produit ne va pas au delà de 200 millions, les autres veulent qu'il excède cette valeur de près de moitié, d'autres enfin soutiennent qu'il ira jusqu'à 5 ou 600 millions. Vos comités des finances vous ont dit qu'eux-mêmes ne pouvaient pas encore vous donner d'aperçu sur ce point.

Quoi qu'il en soit, on ne peut pas du moins révoquer en doute que la suppression des droits nationaux n'entraîne après elle une perte de plusieurs millions pour le Trésor public. Or, je vous le demande, Messieurs, pouvons-nous renoncer à cette ressource quelle qu'elle soit, dans les circonstances où nous sommes, lorsque nous cherchons tous les moyens d'égaler la recette à la dépense, surtout à l'instant même où nous venons d'entreprendre contre les ennemis de notre Constitution, une guerre dont nous ne pouvons pas prévoir encore le terme. Souvenons-nous qu'il ne nous est pas permis de disposer à notre gré des propriétés nationales, que nous n'en sommes que les administrateurs et les économes. Les droits nationaux appartiennent à tous les membres de la sociéte, nous ne pouvons pas les employer pour en gratifier quelquesuns au préjudice des autres. Certes, il est évident que leur suppression serait une véritable libéralité que nous exercerions envers les censitaires, car il est incontestable qu'ils n'ont acquis qu'à la condition des redevances fixes et casuelles, et que leur propriété se borne à la valeur du fonds, déduction faite de la charge. Comment pourriez-vous donc, Messieurs, vous décider à

leur faire cette gratification, si vous considérez que le produit des droits servira d'autant à l'acquit des charges publiques ou au remboursement de la dette? En supprimant cette ressource, il vous faudra nécessairement la remplacer par des contributions, et quand même vous pourriez faire autrement, il n'en serait pas moins vrai que cette suppression occasionnerait, d'une manière équivalente, une augmentation dans les impositions, par cela même qu'elle empêcherait de les diminuer à concurrence du produit des droits. Or, cette augmentation de contributions, équivalente ou réelle, serait supportée, non seulement par les propriétaires à qui la remise des droits serait utile, mais encore par ceux qui n'en profiteraient point; et parmi ces derniers, il faut comprendre la plupart des négociants, les artisans des villes, la classe la plus nombreuse des habitants des campagnes, et les propriétaires qui possèdent dans les coutumês allodiales dont le nombre est assez considérable dans le royaume, et, l'on sait que les biens gouvernés par ces coutumes, n'étaient pas soumis au régime féodal. Il n'est donc pas vrai, comme le prétend M. Mailhe, que les 99 centièmes des citoyens gagneraient à la suppression; il est evident au contraire qu'elle enrichirait gratuitement une petite portion de citoyens de la dépouille du plus grand nombre.

M. le rapporteur a cru détruire à l'avance toute la force de l'objection, en disant que la perte sera compensée par la perception d'un droit d'enregistrement, devenu plus fort, attendu que les biens, vu l'affranchissement des droits, seront vendus plus cher qu'auparavant. A cela, je réponds d'abord que, d'autre part, le droit d'enregistrement sera diminué de ce qu'il ne se fera plus de vente des droits supprimés, c'est doncici le cas d'offrir une compensation de l'une à l'autre perception, et non pas une indemnité de la perte des droits. J'ajoute ensuite que cette augmentation, sur le prix des ventes, qui ne peut guère, dans l'hypothèse la plus favorable, aller au delà du sixième, sera toujours beaucoup au-dessous du bénéfice qu'auraient donné les droits nationaux. Il faut observer en outre qu'avec le temps, la nation profitera de l'un et l'autre produit; en effet, à mesure que les rachats s'effectueront, leur prix entrera dans le Trésor public, qui s'enrichira de plus encore par l'augmentation de l'enregistrement qu'occasionnera l'accroissement du prix de la vente des biens rachetés. J'aperçois donc un double bénéfice là où M. le rapporteur n'avait vu qu'une compensation.

Je pourrais attaquer, tour à tour, avec le même avantage, chaque argument du rapport; mais je pense les avoir tous victorieusement renversés, par ce que j'ai dit dans le cours de cette discussion. Je ne puis cependant pas passer sous silence l'injustice frappante qui résulte de la dernière partie de l'article 2 du projet de décret, qui porte que ce qui aura été payé, ne pourra pas être répété. Je sais bien qu'on me dira que décréter autrement, ce serait donner un effet rétroactif à la loi. Il n'en est pas moins vrai que cette disposition donnera des regrets à ceux qui ont eu confiance dans le nouvel ordre de choses. Ne serait-il pas contradictoire de leur ôter la faculté de se faire restituer ce qu'ils ont payé pour le rachat, tandis qu'on accordera gratuitement la remise des droits à ceux qui n'ont pas voulu se soumettre à la loi. Ainsi donc l'incivisme aurait à s'applaudir d'avoir bravé la peine

encourue par ceux qui ne se sont pas rachetés dans les 2 premières années. Ceci confirme de plus en plus ce que j'ai déjà dit pour établir que rien ne serait aussi dangereux en législation que l'instabilité des lois qui règlent les propriétés.

Enfin, je sais qu'on a dit, et j'ai même entendu dire que la mesure qu'on vous propose serait très avantageuse à la chose publique, en ce qu'elle augmenterait le nombre des partisans de la Révolution; mais qu'est-ce donc que cette popularité trompeuse et dérisoire qui ferait enrichir quelques citoyens de la dépouille des autres, qui tendrait à élever une aristocratie de richesse sur les ruines de toutes les aristocraties que la Révolution a détruites, car il est évident, et je l'ai démontré, que la suppression des droits incorporels serait tout à l'avantage des riches propriétaires, sans aucun profit pour les autres citoyens, et cependant c'est de la partie la plus nombreuse et la plus intéressante de la nation, qu'il convient de s'occuper de préférence. Son intérêt est sans doute qu'on lui conserve le revenu de plusieurs millions que produiront les droits fixes et casuels, parce qu'elle sera préservée, par là, d'un surcroît de contributions qu'il faudrait établir en remplacement de ce produit. Certes, Messieurs, ce serait imiter l'art odieux des tyrans que de tromper ainsi le peuple sur ses véritables intérêts. Jamais les législateurs de la France n'auront recours à ces moyens perfides, pour faire aimer la Constitution; elle est fondée sur les bases immuables de la justice et de la vérité. C'est en éclairant le peuple sur ses droits, c'est en lui inspirant l'amour de la justice et de ses devoirs et le respect pour les lois, que vous l'attacherez à cette Constitution bienfaisante de laquelle il a le droit d'attendre son bonheur.

Je me résume. J'ai prouvé que les droits incorporels étaient fondés sur la propriété, soit qu'on remonte à leur origine, soit que l'on consulte leur nature et leur essence. J'ai prouvé de plus que la suppression de ceux dont la nation est propriétaire diminuerait le gage des créanciers de l'Etat, et causerait une perte considérable pour le Trésor public; il est donc évident que la justice, la Constitution et l'intérêt national s'opposent à ce que vous prononciez la suppression absolue des droits fixes et casuels.

Il existe sans doute encore des droits exorbitants que les coutumes n'ont pas consacrés ; c'est sur ceux-là que vous pouvez vous montrer sévères; exigez à leur égard que, pour les conserver, les propriétaires soient tenus de justifier de leur titre originaire ou de deux reconnaissances en bonne forme, accompagnées d'une possession non interrompue. Soyez convaincus que cette mesure anéantira le plus grand nombre de ces droits exorbitants qui pèsent plus que la directe et que les droits ordinaires fixés par les coutumes. Vous verrez s'évanouir également une foule de droits établis par les commentaires, mais la propriété ne sera pas attaquée directement, les droits publiquement et solennellement reconnus par la nation, lors de la rédaction des coutumes, ne seront pas violés, enfin la propriété légitime demeurera respectée. Vous pouvez encore, sans violer directement la propriété, autoriser, comme on vous l'a déjà proposé, le rachat partiel des redevances fixes, sans être tenu de racheter en même temps les droits casuels et réciproquement, mais toute disposition au delà

de celles de la même nature serait une violation de la propriété garantie par la Constitution.

Je demande donc la question préalable sur les projets de décret de M. Mailhe et du comité, et si, comme je l'espère, la question préalable est adoptée, je demanderai le renvoi au comité féodal du projet de M. Dorliac, ainsi que de toutes les autres propostions concernant le rachat, pour que ce comité fasse le plus tôt possible un rapport sur le tout, et qu'il vous présente une réforme générale sur le taux et le mode du rachat. (Vifs applaudissements.)

Un grand nombre de membres: L'impression! (L'Assemblée ordonne, presqu'à l'unanimité, l'impression du discours de M. Deusy.)

(La discussion est interrompue.)

M. le Président. Voici le résultat du deuxième tour de scrutin pour l'élection d'un vice-président. Sur 427 votants, la majorité absolue est de 214 voix. M. Gérardin a obtenu 206 suffrages et M. Delacroix 204. Aucun n'ayant la majorité absolue, il sera procédé demain à un troisième tour de scrutin entre ces deux concurrents seulement.

M. le Président cède le fauteuil à M. Lemontey, ex-président.

PRÉSIDENCE de M. LemonTEY.

Un membre: Je demande la parole au sujet du scrutin qui vient d'être proclamé, pour rendre compte d'un fait. Dans le recensement on a trouvé 50 bulletins écrits de la même main. Je propose que MM. les commissaires rendent compte de ce qui s'est passé au scrutin.

M. Brival. Le nombre des votants excède celui des inscrits sur les listes. J'ai vu de mes yeux que 40 ou 50 bulletins, tous portant le nom M. Gérardin, sont écrits de la même main. Je demande qu'on nomme des commissaires pour aller vérifier ce fait.

Plusieurs membres : Appuyé!

M. Saladin. Je demande l'ordre du jour... Plusieurs membres: Non! non! il faut vérifier. M. Saladin... parce qu'il suffit que le fait ait été dénoncé pour qu'un pareil abus ne se reproduise pas. (Murmures prolongés.)

M. Dumolard. Je m'étonne qu'on demande à passer à l'ordre du jour. Si le fait est exact, il faut que l'Assemblée déploie une grande sévé. rité contre le membre qui s'est permis une pareille chose. Je demande donc qu'il soit nommé des commissaires.

(L'Assemblée décrète qu'il sera nommé des commissaires pour vérifier le fait dénoncé.)

M. Basire. Je demande qu'on nomme les com. missaires à l'instant.

(L'Assemblée nationale décrète la motion de M. Basire.)

MM. Chabot, Charlier, Chassagnac et Chasteau sont nommés commissaires.

M. le Président. La parole est à M. le ministre de la justice.

M. Duranthon, ministre de la justice. Messieurs, j'ai reçu à une heure le décret par lequel l'Assemblée nationale ordonne que le ministre de la justice rendra compte, séance tenante, des mesures qu'il a prises pour prévenir et arrêter l'impression et la publication des écrits incendiaires qui sont journellement proclamés et

vendus dans les diverses places de la capitale (1). Je n'ai eu que le temps de faire la recherche des diverses lettres que je pouvais avoir écrites à ce sujet, pour parvenir à rendre compte à l'Assemblée pendant la séance même.

Je prie l'Assemblée nationale d'observer d'abord que toutes les mesures que j'aurais pu prendre pour prévenir et arrêter l'impression de ces écrits, auraient été de ma part des mesures inconstitutionnelles, et qu'il n'appartient qu'au Corps législatif de prendre, par voie de police, des mesures qui puissent nous garantir efficacement de cette licence, qui devient chaque jour, plus audacieuse et plus funeste. A cet égard, je crois que l'Assemblée nationale rendrait le plus grand service à la nation, si elle voulait bien mettre dans les mains des officiers de police des moyens répressifs qui puissent empêcher que des écrits de toutes les manières provoquent le crime, la résistance aux lois, et tendent à un véritable bouleversement de l'ordre social; mais quant à moi il me suffft de lire dans la Constitution ces mots : « La Constitution garantit à tout homme la liberté de parler, d'écrire, d'imprimer et publier ses pensées, sans que ses écrits puissent être soumis à aucune censure avant leur publication», il me suffit, dis-je, de connaître cette loi pour que je doive m'interdire de prendre aucune espèce de mesure antérieure au délit (Murmures.); je ne dois pas non plus influencer les tribunaux. Le pouvoir judiciaire est un pouvoir absolument indépendant du ministre, et tout ce que je peux faire c'est d'exciter le zèle des tribunaux, c'est de les diriger dans leur cours, et de les éclairer. Mais dans leurs opérations judiciaires, dans leurs jugements, je dois m'interdire absolument, non seulement toute incitation, mais même la manifestation d'opinion que je pourrais avoir, et à cet égard je suis très scrupuleux. En revanche c'est à moi à provoquer le zèle des tribunaux, l'activité des commissaires du roi. A cet égard je crois n'avoir aucun reproche à me faire.

Dès que j'entrai dans mes fonctions, je m'annonçai à tous les tribunaux par une lettre circulaire relative aux troubles religieux, et aux autres objets de discorde qui divisent les diverses parties de l'Empire. Je leur adressai une nouvelle lettre circulaire, le 14 mai; dans cette lettre circulaire, après leur avoir rappelé les divers objets qui devaient exciter leur surveillance et leur zèle, je leur dis: Réprimez le fanatisme qui met en feu nos villes et nos campagnes, réprimez la licence homicide de ces écrivains vendus à nos ennemis, qui, criant sans cesse à la trahison, à la perfidie, brisent les ressorts du gouvernement, décrient par leurs calomnies les administrateurs et les chefs les plus patriotes et remplissent tous les pays de terreurs paniques ou de fureurs insensées. >>

Je ne me contentai pas de cette lettre, et comme je sentais bien que Paris était le centre, le foyer de tous ces écrivains incendiaires, j'écrivis le même jour au commissaire du roi près le tribunal criminel du département. Voici en quels termes je lui écrivis :

Il semble, Monsieur, que depuis quelque temps la licence des écrits devient chaque jour plus extrême, plus effrayante; on dirait que le mal que les libelles ont produit déjà est devenu

(1) Voy. ci dessus, même séance, page 107, le décret à ce sujet.

un encouragement à de plus grands excès. La calomnie contre les autorités constituées, la décision des lois, les excès, la provocation à tous les crimes, se succèdent et se reproduisent tour à tour dans les feuilles périodiques et dans d'autres ouvrages qui ne semblent consacrés qu'à la de la société; il est instant, Monsieur, que les fonctionnaires publics se saisissent de tous les moyens que la loi leur donne, pour faire cesser ces désordres et contenir par la crainte de l'animadversion des tribunaux les écrivains sans pudeur qui paraissent se faire gloire de leur audace trop longtemps impunie.

« Je vous prie de vous concerter avec l'accusateur public, et d'exciter son zèle pour que luimême surveille les juges de paix et les officiers de police, et les oblige à répondre à la confiance publique; en procédant avec toute la rigueur des lois, contre les écrivains séditieux qui portent le trouble et la dissolution dans nos villes, la discorde et le découragement dans nos armées. J'ai déjà écrit une lettre circulaire à tous les tribunaux pour les conjurer de redoubler de zèle et d'activité dans la circonstance critique où nous nous trouvons. Vous devez l'avoir déjà, mais je ne crois pas que cet avertissement général soit suffisant pour Paris, qui est en quelque sorte le foyer de toutes les factions, et l'atelier où se fabriquent plus particulièrement tous les écrits incendiaires. C'est surtout dans cette capitale que les fonctionnaires publics doivent se distinguer par une sollicitude plus active et une vigilance qu'on ne puisse jamais surprendre. Je sais que votre ministère ne vous permet pas une action immédiate sur les auteurs de ces attentats, mais vous pouvez provoquer le zèle de l'accusateur public; et nous pouvons compter également sur ses lumières, son respect pour les lois et son amour pour l'ordre public. J'ose croire qu'il suffira que vous lui manifestiez vos inquiétudes et les miennes, ou plutôt celles de tous les gens de bien, pour qu'il déploie toute l'autorité que la loi lui donne, sur ceux qui les premiers doivent agir; et j'ose croire aussi qu'il suffira qu'il les avertisse, pour que ceux-ci se montrent dignes des fonctions honorables qui leur sont confiées, et dont l'exercice est devenu si nécessaire. »

Depuis cette lettre j'ai eu occasion de dénoncer moi-même d'autres feuilles; j'ai porté mon ministère plus loin peut-être qu'il ne m'était permis. J'ai chargé le commissaire du roi de prier l'accusateur public de charger les officiers de police d'arrêter les colporteurs de ces libelles coupables, comme étant des hommes surpris en flagrant délit, et de les conduire devant l'officier de police, pour qu'on pût découvrir par eux quels étaient les auteurs de ces feuilles, et où elles s'imprimaient, afin que la justice, avec tous ces renseignements, pût sévir contre les auteurs, et s'il le fallait enfin, saisir et supprimer les presses comme complices, pour ainsi dire, du crime commis.

Voilà les précautions que j'ai prises, je ne pouvais pas en prendre d'autres. Peut-être même ai-je étendu mon autorité trop loin, en ordonnant cet arrêt pour voie de fait. Cependant, j'ai cru trouver dans les lois cette faculté, de faire interroger les colporteurs, en ce que je les regarde comme des hommes pris en flagrant délit, et qu'on peut arrêter. C'est ce qui m'a enhardi à prendre une mesure que ma circonspection extrême me défendait, mais que mon zèle, l'importance des

circonstances et l'autorisation que j'ai cru trouver dans les lois m'ont définitivement suggérée. (Applaudissements.) Je ne peux pas surveiller les colporteurs, je ne peux pas donner immédiatement ordre de les arrêter; c'est aux officiers de police seuls à agir, comme c'est aux tribunaux seuls à les juger. Vous voyez que j'ai fait tout ce qu'il était en mon pouvoir de faire pour arrêter la publication des écrits calomnieux et incendiaires. A présent je dois me faire renseigner sur le résultat des ordres que j'ai donnés à cet égard. Je ne perdrai pas un moment pour savoir quel a été auprès des différents tribunaux le succès de mes sollicitations et j'en rendrai compte à l'Assemblée nationale. (Vifs applaudissements).

M. Bigot de Préameneu. Le rapport que vient de vous faire le ministre de la justice doit fixer l'attention de l'Assemblée nationale sur l'état actuel de la législation relative à la liberté des opinions et de la presse. Les principes sont à cet égard fixés par la Constitution; la Constitution déclare que l'on peut être, par l'abus de la presse, criminel aux différents degrés qu'elle a exprimés et même encourir la peine capitale. Mais, Messieurs, dans votre législation,les moyens d'exécution manquent la Constitution ne les a point assez développés. Nous n'avons aucune loi précise à ce sujet.

La Constitution porte que les actions civiles ou criminelles, qui peuvent résulter des abus de la presse, ne s'exerceront qu'après qu'il aura été déclaré par un juré que l'écrit est coupable.

Or, Messieurs, je vous le demande, quelqu'un de vous a-t-il l'idée d'une loi qui forme un juré au civil? En matière civile à quel juré s'adressera-t-on? Sera-ce devant le juré d'accusation, ou devant le juré du tribunal criminel? Comment voulez-vous que dans les tribunaux on procède à cet égard? Je vous ferai la même question relativement aux poursuites que l'on peut faire au criminel Quel sera le juré qui prononcera d'abord qu'il y a une intention coupable de la part des écrivains? Quelques-uns prétendent que ce doit être le juré d'accusation. D'autres réservent cette fonction au juré du tribunal criminel. La liberté de la presse repose sur cette prononciation faite par le juré. Le peuple s'est réservé dans la personne des jurés de s'assurer s'il y a une intention coupable, afin d'éviter tous les abus d'autorité; mais il est indispensable de déterminer comment doit être composé ce juré, et comment les officiers de police et les tribunaux doivent opérer.

J'irai plus loin encore vous n'avez point de loi pénale portée, cependant la Constitution déclare que la liberté de la presse peut devenir non seulement un crime capital relativement aux individus, mais encore un crime de lèsenation; comment se peut-il faire que nous restions un jour de plus sans nous occuper d'une loi aussi essentielle? Je pourrais même dire comment ne nous en sommes-nous pas occupés jusqu'à ce moment?

J'ai l'honneur de répéter à l'Assemblée que la liberté ne doit pas être alarmée de cette loi. D'un côté, on ne doit pas confondre avec la liberté de la presse cet esprit d'intolérance qui peut porter atteinte à ce droit précieux. D'un autre, on ne peut être insensible au gémissement universel de tous les bons citoyens qui sont exposés à être victimes de la calomnie. lls

peuvent être dénoncés comme des conspirateurs contre l'Etat, ce qui est pour une âme honnête plus cruel que la mort même et ils n'ont aucun moyen pour en obtenir la réparation.

Je demande que le comité de législation soit chargé, puisque les principes sont fixés et qu'il ne s'agit plus que des moyens d'exécution, de vous indiquer, sous 3 jours, le juré auquel on s'adressera, tant au civil qu'au criminel, pour déterminer d'après la Constitution quelles seront les peines et pour les graduer relativement à la gravité des crimes de la presse.

M. Basire. Je demande la parole pour un fait.

Plusieurs membres : Monsieur le Président, fermez la discussion !

D'autres membres: Non! non!

(L'Assemblée décrète que M. Basire sera entendu.)

M. Basire. Les lois déjà faites sur les abus qui résultent de la liberté de la presse me paraissent bien suffisantes. (Murmures.) Si on n'en ressent pas aujourd'hui tous les effets, je crois que c'est aux officiers publics chargés de l'exécution qu'il faut particulièrement et uniquement s'en prendre. Je vais prouver que non seulement ils ne font pas leur devoir à cet égard, mais même qu'il y en a de très criminels.

Il s'instruit dans ce moment devant M. Légier, juge de paix de la section des Postes, une affaire qui jettera sur la question un très grand jour. Il en résulte que des officiers municipaux et des juges de paix sont les principaux auteurs et distributeurs des écrits qui se répandent journellement et qui tendent à l'avilissement du Corps législatif. Il résulte encore de l'instruction que l'on affiche dans les rues et sur les murs de la ville de Paris, des placards bien plus dangereux, bien plus funestes que les écrits qui se colportent et s'achètent dans la ville. Cette procédure doit être très instructive: elle doit nous conduire à la source de toutes les manœuvres. Le comité de surveillance, instruit que ce délit intéressait la sûreté générale, s'autorisant du décret qui permet à vos comités de se procurer des renseignements auprès des autorités constituées, a écrit 3 fois à M. Légier pour demander copie de la procédure, M. Légier l'a toujours promise et ne l'a pas envoyée. Je demande qu'avant de rien statuer sur ce dont il s'agit, l'Assemblée charge le ministre de la justice de se faire rendre compte, sous le plus court délai, de cette procédure pour en faire son rapport à l'Assemblée nationalė. (Murmures.)

Voix diverses: La discussion fermée! Aux voix la motion de M. Bigot!

(L'Assemblée ferme la discussion.)

Un membre: Je demande la question préalable sur la motion de M. Bigot.

(L'Assemblée, à la presque unamité, rejette la question préalable et adopte la proposition de M. Bigot de Préameneu tendant à ce que le comité de législation présente sous 3 jours un projet de décret concernant les moyens d'exécution des principes établis par la Constitution sur la liberté de la presse.)

Plusieurs membres demandent l'ordre du jour sur la motion de M. Basire.

(L'Assemblée passe à l'ordre du jour sur la motion de M. Basire.)

L'Assemblée reprend la discussion (1) du projet de décret du comité féodal concernant la suppression sans indemnité de divers droits féodaux déclarés rachetables par le décret du 15 mars 1790.

M. Louvet. Messieurs (2), si l'Assemblée constituante eût pu se tenir toujours dans ses réformes à la hauteur où elle s'est si souvent élevée, si elle eût pu ne dévier jamais des grands principes qui ont servi de bases à la majeure partie de ses opérations, vous ne seriez pas, en ce moment, obligés à discuter l'importante question qui vous est soumise.

Après avoir, dans une nuit à jamais célèbre, solennellement proclamé la destruction absolue du régime féodal en France, elle n'aurait pas, 6 mois après, consacré le maintien des usurpations connues sous le nom de droits casuels, elle n'aurait pas rétabli ces honteux monuments des triomphes obtenus sans intervalle pendant plusieurs siècles, par la force sur la faiblesse, par le despotisme sur l'esclavage, par la duplicite et la ruse sur la simplicité et la bonne foi; ou du moins, ce qui revient au même, elle n'aurait pas imposé à cet égard l'obligation d'un rachat devenu impossible par la multiplicité des objets à rembourser sur un même fonds, par la difficulté et l'embarras des formes à remplir, et par la crainte des procès sans nombre auxquels ce rachat tel qu'il est combiné, exposerait nécessairement les particuliers vis-à-vis des ci-devant seigneurs, ceux-ci entre eux et la nation vis-àvis de tous.

Les circonstances, les nombreux intéressés dont l'Assemblée constituante était envionnée, les accusations d'injustice et de spoliation, sans cesse dirigées contre elle, hors de son sein, par 2 factions puissantes réunies, pour sauver leurs usurpations réciproques, accusations répétées par toutes les bouches et par toutes les plumes vendues à ces 2 factions; voilà à quoi il faut attribuer les pas rétrogrades que nos prédécesseurs firent tout tout à coup dans une carrière qu'ils avaient promis de parcourir tout entière. Nous avons sans doute à regretter qu'ils n'aient pas à cet égard complété leur ouvrage.

Mais, nous devons faire plus; la justice, notre devoir, l'intérêt politique de l'Etat, nous commandent d'achever ce qu'ils ont laissé incomplet, de réparer leurs fautes comme nos successeurs devront un jour réparer les nôtres.

J'ai dit l'intérêt politique de l'Etat, car, Messieurs, et j'en appelle à vous tous, nous n'obtiendrons, il ne faut pas nous le dissimuler, nous n'obtiendrons la consolidation entière de notre Révolution, que le jour où sera réglé entre les citoyens selon le vœu de la justice et de la raison, que le jour où disparaîtraient à jamais les derniers vestiges de la servitude et des usurpations dont le peuple a été si longtemps la victime.

Hâtons-nous donc d'améliorer nos lois sur ce point; nous avons beaucoup à faire, nous avons les champarts et autres redevances fixes, dont il conviendra peut-être de faire dépendre la perception de la preuve de leur établissement; nous avons les baux à domaine congéable qui désolent encore nos départements du Morbihan, du Finistère et des Côtes-du-Nord; nous avons

(1) Voy. ci-dessus, même séance, page 110, le commoncement de la discussion.

(2) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Féodalité, n° 6.

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