Page images
PDF
EPUB

la solidarité des cens dans d'autres départements, les biens communaux dans tous, et une foule d'autres objets qui appellent également notre attention dans ce moment l'Assemblée nationale n'a ouvert la discussion que sur les droits casuels, et c'est à cela que je vais me

borner.

:

Je sais, Messieurs, que l'intrigue et l'intérêt personnel qui s'agitent continuellement autour de cette enceinte, n'ont rien négligé pour que cette discussion se présentât d'une manière défavorable à l'opinion que je soutiens écrits anonymes distribués à plusieurs reprises aux portes de cette salle; observations injurieuses à votre comité; lettre sur l'état des finances écrite au président du comité des finances; pétitions même à cette barre, tantôt par de prétendus redevables de droits casuels auxquels on a fait demander la conservation de ces droits, tantôt par de soi-disant créanciers des propriétaires des mêmes droits, tout a été mis en usage pour vous inspirer des préventions défavorables contre le projet de décret du comité; mais je connaissais trop l'Assemblée nationale pour craindre un instant l'effet de pareilles manœuvres, et elle a déjà prouvé qu'on n'en pouvait pas moins devant elle se livrer avec confiance à l'examen de cette question.

Plusieurs des opinants qui m'ont précédé à cette tribune, ont développé la doctrine des publicistes les plus célèbres, sur l'origine, les progrès de la féodalité, et l'établissement des droits casuels en particulier. Ils ont fortifié l'appui qu'ils en ont tiré, par le sentiment, moins imposant, sans doute, mais cependant digne d'attention aussi des jurisconsultes et feudistes, qui malgré la rouille des préjugés de leur état et des temps où ils vivaient, s'accordent néanmoins pour soutenir que les droits casuels ne sont pas et ne peuvent pas être présumés le prix d'une concession originaire de fonds on a cité entre autres un jurisconsulte du XVIe siècle, Dumoulin, dont le génie libre, dans un siècle esclave, s'indignait souvent avec énergie contre l'absurdité et la barbarie d'un régime dont il traçait cependant les règles.

J'arrive trop tard à la tribune, pour que je me permette d'entrer dans la même discussion, je sens d'ailleurs que je le ferais inutilement, parce que les faits et les vérités que je pourrais en tirer ne sont étrangers à aucun de vous.

Mais j'oserai demander comment l'Assemblée constituante a pu donner pour motif à la conservation et au rachat des droits casuels, qu'on devait les présumer le prix d'une concession originaire de fonds. Car, Messieurs, n'oubliez pas que c'est sur l'unique fondement de cette présomption nettement énoncée, dans le décret du 3 mai 1790, que ce décret prescrit le payement de ces droits jusqu'au rachat.

Quoi! ces prestations seraient le prix d'une concession originaire, et tous les monuments de notre histoire qui vous ont été rappelés et l'opinion de nos publicistes, de nos meilleurs écrivains en droit féodal, démentent formellement ce fait, dont nous ne voyons d'ailleurs aucune mention dans les anciens actes d'inféodation et d'accensement que l'on connaît.

Est-il possible, d'un autre côté, de penser que des concédants aussi avides, aussi empressés de jouir que l'étaient ceux dont il s'agit, aient pu stipuler pour prix de leurs concessions, qui elles-mêmes, pour la majeure partie, sont plus qu'incertaines, aient pu stipuler, dis-je, des pres

tations casuelles dont il pouvait arriver, et cela, en effet, est arrivé souvent, qu'un siècle entier ne fournit pas un seul. Il faudrait être bien étranger à tout ce que l'on sait sur l'esprit, le caractère et les besoins de ceux qu'on appelait grands autrefois, pour supposer de pareilles stipulations.

Si quelque chose pouvait être supposé le prix d'une concession originaire, ce ne serait que les redevances fixes, soit en argent, soit en nature, dont l'infinie variété, tantôt en grains, tantôt en vin, tantôt en volailles, tantôt en toute autre espèce de denrées et de comestibles, prouve que les seigneurs avaient cherché, par cette voie, à tirer de leurs vassaux et censitaires tout ce qui était nécessaire à leur subsistance, pour se dispenser à cet égard de tout travail et de tout

soin.

Mais, pour les droits casuels, il est évident, par tout ce qui a été dit, qu'en général, lors de la concession, si toutefois, on peut en supposer une, il n'en fut pas question. Vous avez vu, Messieurs, notamment dans le discours de M. Mailhe, comment s'est introduit l'usage.

Je ne reviendrai pas sur les preuves qui, déjà, vous ont été exposées à cet égard, mais qu'il me soit permis d'y ajouter quelques réflexions nouvelles.

Selon l'une des bases fondamentales du gouvernement féodal, les vassaux étaient tenus, comme vous le savez, Messieurs, de suivre leur seigneur à la guerre et de l'assister dans ses cours de justice. De là, ceux qui avaient la force en main et à qui, par cette raison, tout était facile, en firent naturellement découler cette conséquence, que ce qu'on appelait les hommes de fief devaient toujours être, sinon choisis, du moins approuvés par le propriétaire du fief dominant. Et, cette conséquence une fois établie, la nécessité de l'approbation une fois admise en principe, vous voyez, Messieurs, ce qui en dût résulter. Il en dut résulter que le seigneur put retirer des fiefs mouvant de lui, de la main d'un tenancier qu'il n'avait point approuvé, ou que, pour obtenir son approbation, qui était toujours libre, il fallait payer le laudimium, c'est-à-dire le droit d'approbation selon le taux qu'il lui plut de fixer.

Cette conséquence, en effet, si favorable à l'orgueil et à l'avarice des seigneurs, se convertit bientôt en usage pour les fiefs; des fiefs, elle passa aux héritages casuels, qui eux-mêmes étaient une émanation des fiefs, et voilà, Messieurs, la seule et unique cause du retrait féodal comme du retrait censuel, et celle des droits casuels établis pour remplacer ces deux retraits, il n'y en a évidemment pas d'autre.

Ces usages dérivés de la force et consacrés par le fait, vous concevez, Messieurs, qu'il n'y eut pas la moindre difficulté à les faire insérer dans la rédaction des coutumes et ceci répondra aux inductions tirées de l'autorité des coutumes, car, d'un côté, cette rédaction ne se compose jamais que des pratiques préexistantes, et on s'y occupa, non pas de ce qui devait être, mais seulement de ce qui était; et d'un autre côté, cette rédaction fut toujours sous l'influence prédominante des nobles et du clergé, et si le corps de la nation, c'est-à-dire ce qu'on osait alors appeler le tiers-état, y était représenté, c'était uniquement pour la forme, c'était en petit nombre, c'était par des hommes, le plus souvent agents eux-mêmes, et profitant des abus dont gémissait le peuple, et toujours incapables de balancer l'as

cendant de ce qu'on qualifiait les deux premiers ordres.

Me permettez-vous, Messieurs, de démontrer de plus en plus par un exemple, la facilité avec laquelle les droits ont dù s'établir, quoique sans convention préexistante, et par le seul fait du droit de consentir ou d'approuver.

Selon plusieurs de nos coutumes, le vassal ou le censitaire ne pouvait, et cela a existé jusqu'au moment de la Revolution, ne pouvait, dís-je, démolir les bâtiments existants sur un fond pour les transporter sur un autre, ou pour toute disposition, sans le consentement du seigneur. Il n'était pas dit, dans ces coutumes, que ce consentement devrait ou pourrait être payé à prix d'argent, et cependant, Messieurs, de fait, et par la seule raison qu'il pouvait être refusé, il fallait le payer, ou bien se résoudre à ne toucher jamais à des constructions qu'on pouvait convertir à d'autres usages; et j'ai vu des bâtiments considérables, que les propriétaires avaient cessé d'habiter, tomber en ruines précisément parce que, pour obtenir la permission de les enlever, ces propriétaires ne pouvaient ou refusaient de payer le prix que, par caprice, avarice ou autrement, le seigneur avait jugé à propos de mettre à son consentement.

Voilà, Messieurs, ce qui est toujours résulté et ce qui résultera toujours du droit de consentir ou d'approuver, et les réflexions qu'offre cet exemple s'appliquent elles-mêmes aux droits casuels.

Mais quand le droit de consentir ou d'approuver est írrévocablement anéanti, comme la prérogative féodale qui lui avait donné naissance, quand il n'y a plus ni foi et hommage, ni investiture, ni accensement, peut-il exister, je ne dirai pas une raison plausible, mais un prétexte même pour conserver les droits casuels qui en étaient la suite. Par quelle singularité faudraitil que, contre les règles les plus communes, l'effet, ici, survécût à la cause?

D'ailleurs, Messieurs, j'oserai dire que, sur ce point, nous n'avons pas même la liberté du choix dans le parti qui est à prendre.

Daignez, considérer, en effet, Messieurs, que les droits casuels n'étaient pas les seules conséquences de la prérogative féodale d'approuver les mutations, que ces droits avaient pour coeffet le retrait féodal et le retrait censuel, ou plutôt qu'ils n'étaient véritablement que le remplacement de l'exercice de ces deux actions.

Or, Messieurs, le retrait censuel et le retrait féodal sont l'un et l'autre supprimés, et supprimés sans indemnité, comme toute la chaîne des prérogatives féodales qui y avaient donné naissance et cette suppression, quand elle serait isolée de tous les autres motifs, devrait né. cessairement entraîner celle des droits casuels : co-effets et remplacements des retraits, procédant de la même cause, leur conservation, après l'anéantissement des retraits, serait une véritable monstruosité dans notre droit civil, monstruosité d'autant plus odieuse qu'elle frapperait sur le corps, si longtemps opprimé, de la nation. On a fait, Messieurs, contre tant de raisonnements décisifs, quelques objections, l'examen le plus rapide va suffire pour les faire disparaître.

Et, d'abord, Messieurs, vous parlerai-je, ai-je besoin de vous parler de la réclamation des soidisant créanciers des propriétaires de droits casuels.

Daignez considérer que les droits casuels sortent de la classe ordinaire des autres droits,

qu'étant le prix d'un simple consentement, ils se payaient souvent et pouvaient se payer toujours de la main à la main, sans qu'il en fut fait mention dans l'acte d'investiture ou d'ensaisinement; que jamais peut-être, ils n'ont servi à l'acquittement d'aucun créancier; que toujours, il y a eu sur ces droits des remises volontaires de la part des ci-devant seigneurs, remises que les créanciers n'ont jamais essayé ni pu essayer d'empêcher, comme encore aujourd'hui, ils ne pourraient pas empêcher que les propriétaires cédant à l'exemple généreux donné par quelques-uns d'entre eux, n'en fissent la remise absolue aux redevables. Enfin, Messieurs, daignez faire attention que le rachat de ces droits ne pourrait même jamais être revendiqué par les créanciers, puisque, comme je l'établiraí par la suite, ce rachat ne ferait que passer par les cidevant seigneurs, pour arriver ensuite, de propriétaire en propriétaire, entre les mains de la nation, à laquelle en définitive, tout doit revenir, et vous reconnaîtrez, Messieurs, que c'est véritablement une chimère, que l'on poursuit ici, en faveur des créanciers, ou plutôt, vous avez sûrement déjà reconnu que le nom des créanciers n'est là qu'un voile adroit, derrière lequel se cachent les ci-devant seigneurs pour mieux influencer votre jugement, et mieux détourner l'effet de votre justice.

Autant il en faut dire des pétitions des soidisant redevables de droits casuels; qui pourrait croire en effet, qui croit sérieusement que ces redevables, au moment où l'on agite dans l'Assemblée la question de savoir si l'on supprimera sans indemnité des droits qui les grèvent, viennent cependant solliciter la conservation de ces droits, et se borner à la prorogation du délai pour leur rachat? Il y a ici trop d'invraisemblance, et il est évident que ce sont encore les ci devant seigneurs qui, en cette occasion, parlent par la bouche des prétendus redevables.

Mais, Messieurs, on a prétendu que la suppression des droits casuels serait une violation de la propriété, de la propriété à laquelle on soutient, et avec raison, que l'Assemblée nationale n'a ni le droit, ni 'le pouvoir de porter atteinte.

Personne de vous, Messieurs, n'oublie que c'était aussi avec ce mot de propriété qu'on voulait à chaque pas arrèter nos prédécesseurs dans les utiles réformes qu'ils firent, et comme corps législatif et comme corps constituant. Voyons si on n'abuse pas ici de ce mot, comme on en a si souvent abusé dans l'Assemblée constituante.

De quoi s'agit-il, en effet, est-ce d'anéantir sans rachat les droits casuels dont on pourra prouver l'établissement? Non, mais c'est uniquement de supprimer celles de ces prestations qui sont dénuées de titres justificatifs, et que tout s'accorde, par cette raison, à ranger dans la nombreuse catégorie des usurpations féodales; c'est de faire à l'égard des droits casuels, ce que nos prédécesseurs ont fait à l'égard de la banalité, et de mettre la preuve de l'exception à la charge du réclamant, au lieu de la laisser à la charge du propriétaire, c'est d'anéantir l'ouvrage de la force, qui durant tant de siècles a disposé de tout en France, de la force qui ne fait jamais droit, quelle que soit la durée de ses effets, c'est enfin de nettoyer la propriété d'entraves qui la gênent et la dégradent.

Il n'est donc pas question de détruire une propriété quelconque, ce qui serait au-dessus du pouvoir, non seulement de l'Assemblée, mais

encore d'un corps constituant, car la propriété étant le fondement de la société, et sa conservation devant être le but principal de toutes les lois, ne peut légitimement être attaquée par

aucune.

Et délivrer la propriété d'usurpations qui en sont une violation manifeste, la défendre dans ce qu'elle a de plus précieux, dans la liberté, qui lui est essentielle et nécessaire, ce n'est pas, ce me semble, excéder nos pouvoirs, c'est au contraire remplir notre devoir le plus sacré et atteindre le but que doit se proposer toute législation sensée.

Quoi! doit-on supprimer des droits sans offrir de dédommagement à leurs possesseurs?

Mais, quand ces droits, quand ceux qui leur servaient de fondement, quand le ridicule amas de prérogatives immorales attachées à la fédalité ont été établies sur la propriété, les propriétaires dépouillés ont-ils reçu quelque dédommagement? Je ne crois pas que personne ici puisse le soutenir, à moins qu'on n'appelle de ce nom peut-être la promesse faite dans certains cas d'une protection qui, loin d'être jamais réelle, fut toujours au contraire dans la main des prétendus protecteurs un nouveau moyen d'oppression.

Et, aujourd'hui, pour faire cesser une spoliation, ouvrage de la force et de l'injustice, il faudrait à une jouissance illégitime, dont la durée, pendant plusieurs siècles a ruiné et abattu lé peuple, il faudrait, dis-je, ajouter une indemnité considérable prise encore sur ce même peuple. J'ose dire que la proposition est à la fois dérisoire et immorale.

Mais, d'ailleurs, les droits casuels étaient-ils donc les seuls profits utiles des ci-devant fiefs. N'y avait-il pas les corvées seigneuriales, la taille personnelle, n'y avait-il pas le droit de plantation, le droit de justice, celui exclusif de colombier et de chasse, qui n'étaient pas de simples servitudes personnelles, n'y avait-il pas une multitude innombrable d'autres droits, aussi odieux qu'oppressifs, dont la variété et les ramifications sont un témoignage des ressources du génie féodal pour trouver des formes et des moyens d'oppression.

Tous ces droits qu'on décorait aussi du nom de propriété ont été supprimés. L'ont-ils été avec indemnité? non sans doute. Ce n'est pas qu'on n'ait beaucoup crié à l'injustice, à la spoliation, qu'on n'ait beaucoup fait valoir la position des ci-devant seigneurs, et surtout celle des nouveaux acquéreurs. Mais la vérité, la justice, l'évidence ont triomphé alors des cris de l'intérêt personnel, elles en triompheront encore aujourd'hui; et dans l'alternative, ou de respecter des prestations usurpées, ou d'affranchir le peuple de droits et d'entraves dont la force et l'avidité de concert étaient parvenues à l'accabler, les représentants de ce même peuple ne sauraient balancer un instant.

Au surplus, une réflexion simple doit ici tranquilliser tout le monde sur le sort des ci-devant seigneurs :

Tous les fiefs relevaient médiatement ou immédiatement de ce qu'on appelait autrefois le domaine de la couronne, c'est-à-dire le domaine de la nation; ainsi, en dernière analyse, c'est dans les mains de la nation que reviendrait le prix de tous les rachats. Vous connaissez, à cet égard, les dispositions de la loi du 3 mai 1790; Vous connaissez les précautions qu'elle établit pour que le propriétaire du fief dominant soit

instruit dans le plus bref délai, des rachats faits à celui du fief servant, pour assurer la conservation de ses droits, et pour qu'enfin le rachat ne puisse manquer de lui revenir.

Ainsi la nation, au moyen de sa suzeraineté générale sur tous les ci-devant fiefs de l'Empire, serait celle qui, en définitive, profiterait des droits casuels, et les deniers de ce rachat ne feraient véritablement que passer par les mains des proprietaires, pour arriver dans les siennes.

Maintenant, je le demande, si la nation renonce pour elle, à tous ces droits, quel préjudice leur suppression pourrait-elle donc faire éprouver aux propriétaires de fiefs?

Mais, Messieurs, et c'est ici la dernière objection, on prétend que supprimer les droits casuels, c'est porter aux finances de l'Etat un coup funeste, et leur faire perdre, comme on l'a dít dans quelques feuilles, un revenu annuel de 20 millions.

D'abord, il y a dans ce calcul une exagération évidente.

On parle de 20 millions de revenu, et cependant le capital, non seulement des droits casuels, mais encore de tous les champarts, terrages, rentes et redevances fixes, ne va pas, d'après les calculs de vos comités des finances, à plus de 208 millions; or, comment un pareil capital pourrait-il produire 20 millions de revenu, c'està-dire le denier 10, tous frais de régie et de contributions déduits?

D'un autre côté, quels sont les droits incorporels qui devront véritablement produire, et sur le rachat desquels on puisse compter? Ce sont les terrages, c'est la foule immense des champarts, ce sont les revenus fixes, soit en nature, soit en argent, par cela qu'ils pèsent à chaque instant sur les redevables, ils seront nécessairement rachetés, et même, il est plus que probable que les rachats faits depuis 2 ans, s appliquent presque entièrement à ces droits.

Or, ces droits ne seront pas supprimés, du moins ceux dont on pourra prouver l'établissement. Mais les droits casuels non justifiés (car il ne s'agit que de ceux-là, et encore une fois, les autres continueront d'être rachetables) les droits casuels, dis-je, non justifiés, ne sont pas dans le même cas. D'abord, leur poids ne se fera sentir que de loin en loin, ensuite, il y a mille moyens de s'y soustraire ou du moins de l'affaiblir; ainsi ils ne seraient jamais rachetés, du moins pour la majeure partie, et quand ils le seraient en entier, ce qui ne pourrait arriver qu'après bien des longueurs, bien des frais, bien des abus, bien des vexations même, leur produit ne fournirait qu'un objet peu important dans le capital attribué à la valeur générale des droits feodaux.

Ainsi, Messieurs, nous sommes loin d'avoir sur ce point, pour nos finances, le grand intérêt dont on n'a tant parlé que pour influencer par là vos opinions.

Mais, Messieurs, le franc-fief aussi offrait une ressource importante pour nos finances, et, cependant, il a été supprimé : la taille, la corvée, les impôts indirects de toute nature, présentaient aussi de grandes ressources, ils ont été supprimés également.

Pourquoi les considérations qui n'ont pas arrêté nos prédécesseurs, dans ces suppressions, non plus que dans celles de tous les autres droits féodaux abolis sans rachat, nous arrêtaient-elles aujourd'hui nous-mêmes, dans la suppression des droits casuels, de ce fléau de la classe agri

cole, des nourriciers de l'Etat, de ces fermes et solides appuis de la Révolution.

Pourquoi, nous arrêtaient-elles, quand il est aisé de suppléer par un impôt d'une perception simple, égale, facile au produit incertain, inégal, difficile de ces droits, et quand surtout leur rachat et leur perception seraient une source de vexations, de fraudes et d'abus, de complications dans la comptabilité, d'embarras et de travail pour les corps administratifs, en même temps qu'ils offriraient une immense pâture aux gens de pratique, qui, dès qu'ils ont vu les combinaisons et les formalités diverses du mode de rachat, se sont flattés et se flattent peut-être encore de gagner plus par là qu'ils n'ont perdu par toutes les réformes faites dans le régime judiciaire.

Et si, Messieurs, si, pour appeler votre attention sur une considération d'un autre genre, si, dis-je, ces droits qu'on veut conserver et qui sont véritablement comme la pierre d'attente de toutes les prérogatives féodales qui en ont été détachées, ne pouvaient pas être bientôt rachetées, qu'arriverait-il, Messieurs. Ils continueraient de laisser à une classe accoutumée à la domination un ascendant certain sur leurs redevables, et cet ascendant ne tarderait pas à porter la corruption dans notre régime électif, dans notre gouvernement représentatif, et deviendrait l'écueil infaillible de la Révolution.

Messieurs, de célèbres écrivains en politique ont dit que qui avait les terres, avait bientôt les hommes, que les citoyens ne pouvaient pas être libres, quand leur propriété était asservíe.

Daignez peser ces grandes considérations dans tous leurs rapports, et particulièrement dans leur application à la matière que nous trai

tons.

Loin de moi, sans doute, l'idée que les fortunes puissent jamais être ramenées un instant à l'égalité et s'y maintenir; loin de moi l'idée d'un partage imaginaire dont on parle beaucoup, mais auquel personne ne croit sérieusement, et qu'il ne viendra du moins jamais à la tête d'un homme sensé de proposer ou de consentir.

Mais je parle ici à des législateurs, je parle à des amis de la liberté et de la Révolution, et, à ce titre, il peut, je crois, m'être permis de vous supplier, Messieurs, de considérer que l'égalité politique et la Constitution n'ont pas d'ennemis plus à craindre que l'excessive inégalité des fortunes, que la première cause peut-être de celle qui s'est établie en France tient au régime féodal et aux extorsions de tout genre qui en ont été la suite, et que, par conséquent, épargner, les droits casuels, après la suppression du régime féodal, ce serait, non seulement commettre une inconséquence et une injustice, comme je crois l'avoir prouvé, mais encore négliger une occasion bien favorable et bien précieuse d'attaquer le fléau politique dont la destruction par des moyens justes et non convulsifs, doit être l'objet continuel de nos soins, parce qu'elle importe essentiellement au soutien de la Constitution que nous avons juré de maintenir.

Ainsi, Messieurs, c'est la raison, c'est la justice, c'est l'intérêt public et l'affermissement de la Constitution, ce sont tous les motifs faits pour agir sur des législateurs, qui sollicitent ici, de concert, la suppression des droits casuels, ne la différons donc pas davantage.

Je demande qu'on aille aux voix sur le projet de décret du comité.

Plusieurs membres : L'impression!

(L'Assemblée ordonne l'impression du discours de M. Louvet).

Un officier invalide, qui n'avait pu se joindre hier à ses camarades, est admis à la barre et offre à la patrie 25 livres pour contribuer aux frais de la guerre. (Applaudissements.)

M. le Président accorde à cet officier invalide les honneurs de la séance.

(L'Assemblée accepte l'offrande et en décrète la mention honorable au procès-verbal dont un extrait sera remis au donateur.)

(La séance est levée à trois heures et demie).

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Séance du mardi 12 juin 1792, au soir.
PRÉSIDENCE DE M. FRANÇAIS (DE NANTES).

La séance est ouverte à six heures du soir. Un de MM. les secrétaires donne lecture du procès-verbal de la séance du dimanche 10 juin 1792, dont la rédaction est adoptée.

Un de MM. les secrétaires donne lecture du procès-verbal de la séance du lundi 11 juin 1792, au matin, dont la rédaction est adoptée.

Un de MM. les secrétaires donne lecture du procès-verbal de la séance du lundi 11 juin 1792, au soir, dont la rédaction est adoptée.

Un membre offre un assignat de 50 livres qui lui a été envoyé par M. Leny, curé de la paroisse de Plouézec.

Un de MM. les secrétaires annonce les dons patriotiques suivants :

1o Le sieur Carra envoie 25 livres en assignats, qu'il a reçues du sieur L. D. Barthélemy Aiguilley. Il envoie aussi 5 livres en assignats qu'il a reçues du sieur Pottier, jeune clerc tonsuré de Mortain, département de la Manche;

2o Des citoyens de Pont-de-Vaux, département de l'Ain, amis de la Constitution et de la liberté, offrent, en assignats, la somme de 400 livres ;

3o Le sieur Delorier, qui réclame une somme de 24,000 livres qu'il dit lui être due pour service rendu à la nation dans le Canada, offre 4,000 livres sur cette somme, en don patriotique.

(L'Assemblée accepte toutes ces offrandes avec les plus vits applaudissements et en décrète la mention honorable au procès-verbal, dont un extrait sera remis aux donateurs.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture des lettres, adresses et pétitions suivantes :

1° Lettre de M. Clavière, ministre des contributions publiques, qui envoie différentes pièces relatives à la gestion des forges de la Chaussade;

(L'Assemblée renvoie cette lettre et les pièces y jointes aux comités de marine et des domaines réunis.)

2° Lettre de M. Clavière, ministre des contributions publiques, qui envoie un mémoire sur la dénonciation faite à l'Assemblée nationale, le 6 du mois dernier, par 3 citoyens du département du Bas-Rhin, relativement au discrédit des assignats et à la perception des contributions dans ce département (1);

(1) Voy. Archives parlementaires, 1a série, t. XLIII, séance du 6 mai 1792, page 58.

(L'Assemblée renvoie la lettre et le mémoire aux comités des assignats et monnaies et de l'ordinaire des finances réunis.)

3o Lettre du sieur Curtius, capitaine de chasseurs du bataillon de Nazareth, qui, au nom de sa compagnie, rétracte des signatures à la pétition dite des 8,000, présentée à l'Assemblée nationale le dimanche 10 de ce mois ;

4° Lettre du sieur Benoit, grenadier volontaire du 5o bataillon de la 6o légion, contenant pareille rétractation;

(L'Assemblée renvoie ces deux lettres aux comités de législation et de surveillance réunis.)

5o Lettre de M. Duranthon, ministre de la justice, qui envoie l'état des jugements rendus par le tribunal criminel du département du Gard, dans ses trois sessions de mars, avril et mai derniers; ces pièces sont ainsi conçues (1):

« Paris, le 12 juin 1792.

. Monsieur le Président.

« Je vous prie de mettre sous les yeux de l'Assemblée nationale l'état ci-joint des jugements rendus par le tribunal criminel du département du Gard dans les trois sessions de mars, avril et mai; je crois devoir ce témoignage de satisfaction et de reconnaissance à l'activité que ce tribunal a mise dans ses opérations et je me flatte que l'Assemblée nationale me saura quelque gré de lui faire connaître le zèle qu'apportent dans l'exercice de leurs fonctions les magistrats sur qui reposent plus particulièrement la tranquillité et la sûreté publiques. L'Assemblée remarquera sans doute avec satisfaction que dans le nombre de 32 audiences tenues par ce tribunal il en est quelques-unes qui ont duré 20 heures. Une des plus douces obligations du ministère qui m'a été confié sera toujours de mettre l'Assemblée nationale à portée d'apprécier les avantages que le peuple français recueille des sages institutions de ses législateurs.

« Je suis avec respect...

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

à être détenu dans la maison de correction pendant 12 années.

" Du 20 mars. Jugement qui condamne Martin Chaumette et Giraud Berjeaud, cordonnier, déclarés convaincus de vol dans une maison où ils étaient occupés et salariés, à 10 années de fers.

« Du 21 mars. -Jugement qui condamne François Creissent et Jean Berthezène, déclarés convaincus de fabrication de fausse monnaie, à 15 années de fers.

« Du 23 mars.- Jugement qui acquitte le sieur Carteira de, maire, et le sieur Vedrines, procureur de la commune de Lanuéjols, déclarés convaincus d'avoir signé par ignorance une délibération incendiaire et inconstitutionnelle.

• Du 24 mars. - Jugement qui condamne Antoine Paulin, déclaré convaincu de vol sur un chemin, étant armé d'un fusil, à 18 années de fers.

[blocks in formation]
[ocr errors]

« Du 16 avril. Jugement qui condamne Adrien Giloux, déclaré convaincu du faux d'une lettre de change, à 6 années de fers.

« Du 17 avril. -Jugement qui condamne Boulet fils, déclaré convaincu de vol avec effraction, à 12 années de fers.

"Du 18 avril. - Jugement qui condamne le nommé Pierre, déclaré convaincu de vol de bois exposé sur la voie publique, à 4 années de détention.

« Du 20 avril. - Jugement qui a acquitté Baptiste Corsois de l'accusation de vol dans une auberge.

« Du 21 avril. Jugement qui condamne le sieur Giraud, ci-devant curé de Pignan, déclaré convaincu d'avoir baptisé et fait le catéchisme, depuis sa destitution, à 2 années de gêne.

« Du 23 avril. — Jugement qui acquitte Michel Banache d'une accusation de vol avec effraction.

« Du 24 avril. - Jugement en police correctionnelle qui condamne Joseph Roux à être emprisonné, pendant une année, pour s'être introduit pendant la nuit dans la maison du sieur Attier.

« Du 25 avril. - Jugement qui condamne Vielsaure, déclaré convaincu de vol de moutons, dans la nuit, exposés sur la voie publique, à six années de gêne.

« Du 27 avril. L'affaire contre Guilh Charonier a été renvoyée à cause de la non-comparution des témoins.

« Du 28 avril. - Celle contre Simon Roure a été aussi renvoyée pour la même cause.

"Du 30 avril. Jugement qui condamne Joseph Pelatan, ancien procureur à Nîmes, déclaré convaincu d'avoir exercé des fonctions publiques au préjudice d'un arrêt qui les lui interdisaît, à 2 années de gêne.

[blocks in formation]
[ocr errors]
« PreviousContinue »