Page images
PDF
EPUB

j'aille m'acquitter de mes devoirs comme soldat, dès que j'aurai déposé mes comptes entre ses mains.

« J'ai l'honneur d'être avec un profond respect, Monsieur le Président, etc...

« Signé : JOSEPH SERVAN. »

(Applaudissements).

M. Dusaulx. Messieurs, toute la France tressaillit de joie lorsque des patriotes furent appelés au ministère. Hélas! on ne nous préparait donc que des regrets! Vous venez de l'entendre; nous perdons M. Servan! Quelle est donc la cause de cette disgrâce soudaine? Je l'ignore: mais je sais, et la France entière sait avec moi, que nul homme n'a, en si peu de temps, fait plus de bien que lui dans le département de la guerre, qui était entravé de toutes parts.

Un membre: C'est vrai! (Applaudissements réitérés à gauche et dans les tribunes.)

M. Dusaulx... Et ce qui me consterne, c'est que le bien qu'il a eu le courage de faire, il ne l'a pas fait impunément. Il a purgé ses bureaux des malveillants qui les infestaient; nos armées manquaient de tout; encore quelques jours, et ses soins y ramenaient l'abondance. Est-ce par une pareille conduite qu'il aurait pu ne pas encourir la haine de nos ennemis? Oui, nous savons par quels services il s'est attiré sa disgrâce, et pourquoi l'on a arrêté dans son triomphe cé soldat citoyen, qui, depuis qu'il respire, a constamment bien mérité de son pays. (Bravo! bravo! Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes.)

S'il n'avait été renvoyé, Messieurs, qu'à cause de la fermeté de son caractère patriotique; si le roi avait été surpris par des manœuvres perfides; si... mais pourquoi tant de suppositions, quand personne ne saurait révoquer en doute la vertu, le mérite et l'intégrité de M. Servan? (Applaudissements réitérés à gauche et dans les tribunes.)

Témoins de son zèle, témoins de ses efforts pour régénérer l'armée et soutenir la Révolution, je crois apercevoir, je suis même sûr que la plupart d'entre vous brûlent de lui donner sur-lechamp une marque authentique...

Un grand nombre de membres à gauche : Oui! oui nous tous! (Applaudissements réitérés dans les tribunes.)

M. Dusaulx. Une marque authentique d'estime et de reconnaissance. (Applaudissements réitérés.) J'ose dire que nous la lui devons, tant pour lui-même que pour ceux qui lui succéderont; nous la lui devons, s'il est vrai que nous ayons fait de bonne foi le serment de tout sacrifier pour la liberté. (Applaudissements). Dans une démarche commandée par l'intérêt public, rien ne doit nous arrêter. Je propose donc que l'Assemblée décrète, et sans désemparer, que M. Servan, sortant du ministère, emporte les regrets de la nation. (Oui! oui! Bravo! bravo! - Vifs applaudissements dans une grande partie de l'Assemblée et dans les tribunes.)

M. le Président. Je vais consulter l'Assemblée sur la motion de M. Dusaulx.

Quelques membres à droite : L'ajournement! M. Dehaussy-Robecourt. Je demande la parole.

M. le Président. Vous avez la parole.

M. Dehaussy-Robecourt. Messieurs, ce n'est point pour m'opposer à la proposition qui vient de vous être faite par M. Dusaulx que j'ai demandé la parole. Je voulais seulement observer à l'Assemblée que, dans des circonstances à peu près semblables, le roi ayant retiré le portefeuille à M. de Narbonne (Murmures.), on fit la même proposition. On demanda et l'Assemblée décréta sagement l'ajournement de cette motion jusqu'à ce que M. de Narbonne eût rendu ses comptes; certainement, Messieurs, si vous adoptiez aujourd'hui la même mesure, les témoignages d'estime que vous donneriez ensuite à M. Servan seraient infiniment plus glorieux et plus flatteurs. (Murmures.) J'ai plus de plaisir à faire l'éloge des ministres patriotes qu'à entendre dénoncer indistinctement tous les ministres. Je demande l'ajournement de la proposition jusqu'après l'entier apurement des comptes - Murde M. Servan.(Applaudissements à droite. mures à gauche).

-

M. Couthon. L'argument tiré d'une comparaison entre M. de Narbonne et M. Servan ne me paraît pas mériter la peine d'être réfuté. (Murmures à droite. Applaudissements dans les tribunes.) J'appuie la motion de M. Dusaulx et j'y joins l'amendement que M. le Président soit chargé par l'Assemblée d'envoyer à M. Servan une expédition du décret. (Applaudissements.)

M. Guadet. Lorsque l'Assemblée nationale se détermina à ajourner la motion qui tendait à décréter que M. de Narbonne emportait les regrets de la nation, M. de Narbonne était dénoncé sur plusieurs faits relatifs à son administration; il était, en outre, dénoncé par plusieurs membres de l'Assemblée nationale, qui avaient déjà remis au comité militaire des pièces au moyen desquelles ils entendaient justifier leurs dénonciations. Contre M. Servan, au contraire, nulle dénonciation n'a été portée, si ce n'est peut-être celle des ennemis de la chose publique (Applaudissements à gauche et dans les tribunes.), dénonciation qui, seule, devrait peut-être lui obtenir l'honorable déclaration qu'on vous a demandée. En voilà sans doute assez pour répondre à la proposition d'ajournement de M. Dehaussy; ainsi la motion doit être rejetée. (Rires et murmures.) J'appuie la motion de M. Dusaulx. Mais Vous me permettrez, dussé-je retarder pour quelques moments celui où vous rendrez à M. Servan la justice que M. Dusaulx réclame pour lui; vous me permettrez, dis-je, de faire ici quelques réflexions.

Sans doute, il ne pouvait convenir aux ennemis de la patrie, le ministre patriote qui, j'ose le dire, la porta toujours dans son cœur et la servit avec autant de constance que de fidélité. Il ne pouvait convenir aux ennemis du bien public, celui qui porta dans son administration un zèle infatigable, celui qui vit nos dangers et et qui voulut les prévenir. C'est pourquoi au moment même où les intrigues coupables et le succès de la corruption ont pu faire espérer de détruire le ministère par le ministère lui-même, on a saisi avec empressement cette occasion, et on a disgracié M. Servan. Ainsi que tout l'annonçait, il a été désigné le premier, parce que les premières manoeuvres étaient dirigées contre lui.

Messieurs, quand verrons-nous donc finir ces complots.....

Un membre: Quand vous voudrez.

N. Guadet... qui compromettent à chaque ins

tant la chose publique? (Applaudissements.) Ils finiront, Messieurs, lorsque les représentants du peuple consentiront à voir le précipice où l'on pousse la patrie; ils finiront lorsque vous consentirez à garder l'attitude imposante que vous avez prise quelquefois; ils finiront lorsque vous consentirez à ne pas prendre des apparences pour des réalités; lorsque vous ne souffrirez pas qu'une garde licenciée par un décret sanctionné, conserve de fait son ancienne existence, attende encore les ordres ultérieurs du roi et en reçoive une solde, lorsque vous ne permettrez pas que cette garde, par une proclamation signée d'Hervilly, reçoive des témoignages de satisfaction pour la conduite distinguée qu'elle a tenue auprès de la personne du roi (Applaudissements.); ils finiront enfin, Messieurs, lorsque vous consentirez à croire qu'il existe véritablement des conspirateurs, lorsque vous aurez le courage de les punir. Je demande donc que le projet de décret, qui vous a été présenté par M. Gensonné, soit incessamment discuté (1). Du reste, j'appuie la motion de M. Dussaulx, et je demande qu'elle soit sur-le-champ mise aux voix. (Applaudissements.)

M. Viénot-Vaublanc. Je demande la parole. M. Basire. Je demande que la discussion soit fermée et qu'on aille aux voix sur la proposition de M. Dussaulx. (Murmures.)

M. Viénot-Vaublane. Je supplie l'Assemblée de considérer qu'elle ne doit se déterminer que d'après les principes. On vous propose de décréter qu'un ministre, du patriotisme duquel personne ne doute (Applaudissements.), je dirai même contre lequel aucune plainte n'a été portée à l'Assemblée nationale, emporte les regrets de la nation; mais, Messieurs, quand un ministre quitte ses fonctions, le Corps législatif a deux devoirs à remplir: examiner le compte d'administration et le compte de dépenses. Je ne conçois pas comment le Corps législatif pourrait prendre une détermination à l'égard d'un ministre avant d'avoir rempli lui-même le devoir qui lui est imposé. Or, je prie l'Assemblée nationale de se rendre compte un instant combien est beau, combien est glorieux le décret qu'on lui propose de rendre sur-le-champ et sans examen. Plus un pareil décret a de force et doit produire d'effet, plus il doit être le résultat d'un mûr examen. L'enthousiasme qui s'est manifesté dans l'Assemblée et qui s'est mêlé à ses regrets marque d'une manière bien honorable l'instant précis de la retraite de M. Servan. Le décret que l'Assemblée rendra ensuite après un mûr examen, marquera à la fois d'une manière plus glorieuse pour l'Assemblée et plus justificative de sa conduite, cette même retraite de M. Servan. Vous ne pouvez jamais faire fléchir les principes, et il est contraire aux principes de décréter qu'un ministre emporte les regrets de la nation avant d'avoir examiné sa conduite administrative.

L'Assemblée doit se garder tout à la fois de décerner la louange comme le blâme avec trop de promptitude et d'accorder sans réflexion la plus belle des récompenses. Une belle action peut très bien être suivie d'un décret spontané, d'un décret inspiré par l'enthousiasme; mais ici ce n'est point une seule action, c'est une suite d'actions qui ont marqué une administration que

(1) Voy. Archives parlementaires, 1. série, t. XLIV, séance du 30 mai 1792, au soir, page 352, le projet de décret de M. Gensonné.

1ro SÉRIE. T. XLV.

vous devez examiner. Je demande donc l'ajournement de la proposition de M. Dussaulx, et en cela, je crois bien faire pour la gloire même de l'Assemblée. Je propose cependant de décréter que M. Servan aura la faculté d'aller aux frontières, et ce décret sera déjà une grande marque de confiance et d'estime que vous lui décernerez.

M. Vergniaud. Si la cause pour laquelle M. Servan a été renvoyé du ministère n'était pas connue de tout le monde...

Plusieurs membres à droite: Nous ne la connaissons pas.

M. Vergniaud. Si elle n'était pas pour lui un titre de gloire et aux yeux de la nation un titre d'estime, nous pourrions consentir à l'ajournement. Mais cette cause, nul homme de bonne foi ne peut se la dissimuler (Murmures.), et elle est de telle nature que vous devez à la nation entière, à toutes les gardes nationales de l'Empire, autant qu'à M. Servan lui-même, de lui donner un témoignage d'estime.

M. Servan avait proposé un projet qui tendait à en imposer aux ennemis intérieurs en même temps qu'à nous garantir, en cas d'événements, des tentatives des ennemis extérieurs. On a calomnié ce projet, même après que vous l'aviez adopté par un décret; on a prétendu qu'il était injurieux à la garde nationale parisienne. Des libelles répandus avec profusion représentèrent les gardes nationaux des départements appelés à former un camp à quelques lieues de la capitale, comme un ramassis de brigands. Vous avez tous lu ces infâmes libelles. On a surpris le roi; on l'a égaré avec ces écrits perfides. Nous ne pouvons pas douter que ce ne soit la seule cause de la disgrâce de M. Servan, qui en est une pour tous les amis de la chose publique. (Applaudissements.) Que la perfidie s'applaudisse, si elle veut, du succès momentané et honteux qu'elle vient de remporter! Mais, puisqu'on ne veut pas prendre les précautions que le salut public semble exiger, puisqu'à force de calomnies, on est parvenu à égarer l'esprit des citoyens de Paris au point que quelques-uns d'entre eux ont montré de la répugnance à fraterniser avec leurs frères des autres départements.....

Plusieurs membres à droite : C'est faux!

D'autres membres à gauche. Si! si! c'est vrai! (Vifs applaudissements dans les tribunes.)

M. Vergniaud..... puisqu'on a porté la scélératesse jusqu'à employer des moyens aussi infâmes, vous devez récompenser le ministre qui a eu le courage de braver, pour le salut public, les cris de la malveillance; vous devez distinguer la conduite politique de la gestion particulière des affaires et des deniers de son administration; et vous vous rendriez, j'ose le dire, complices de ces trames odieuses, si vous ne lui témoigniez vos regrets de le voir victime de ces abominables complots. (Applaudissements réitérés à gauche et dans les tribunes.) Vous vous le devez à vous-mêmes et vous le devez à la nation. C'est pour ces divers motifs que j'appuie la proposition de M. Dussaulx. (Aux voix! aux voix !)

Plusieurs membres : L'ajournement!

D'autres membres : La question préalable sur l'ajournement!

(L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'ajournement, puis, après avoir décrété l'urgence, décide presqu'à l'unanimité, et au bruit des applaudissements de tous les

11

spectateurs, que M. Servan, sortant du ministère de la guerre, emporte les regrets de la nation.) Un membre. Je demande que le décret soit envoyé sur-le-champ à M. Servan.

M. Jaucourt. Je demande comme motion d'ordre, que l'Assemblée motive pourquoi et sur quoi M. Servan emporte les regrets de la nation. (Murmures et exclamations à gauche et dans les tribunes.) J'insiste sur ma proposition. (Vive agitation.)

Quelques membres à gauche: A l'Abbaye! à l'Abbaye!

M. Kersaint. On peut motiver le décret sur ce que la disgrâce de M. Servan fait la joie des mauvais citoyens.

M. le Président. Le ministre de la justice me transmet une lettre du roi dont on va vous donner lecture.

M. Guyton-Morveau. Vous venez de décréter que M. Servan emportait les regrets de la nation. Au nombre des motifs qui nous ont été proposés, il y en a plusieurs qui ont déterminé votre décret; mais il y en a un qui doit vous décider à l'envoyer aux 83 départements. Il est temps que l'Assemblée nationale porte son attention sur une vérité importante qu'il est essentiel de connaître ; c'est qu'à mesure que les ennemis publics perdent l'espérance de résister par la force, ils conçoivent une autre espérance non moins perfide, c'est d'amener la chose insensiblement au point de prouver que la machine politique ne peut point marcher d'après la Constitution. Or, il est temps que vous appreniez à la nation, que si elle ne marche pas, c'est qu'on a voulu des ministres qui ne la fissent pas marcher (Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes.), et que quand le ministère est composé de personnes qui réunissent la bonne volonté à la capacité, on parvient à les faire renvoyer; il faut que la nation connaisse cette grande vérité par l'envoi de votre décret. C'est l'objet de ma motion. (Applaudissements.)

(L'Assemblée ordonne que le décret sera envoyé aux 83 départements.)

M. Merlet. Je rappelle à l'Assemblée que M. Servan demandait dans sa lettre la permission de rendre ses comptes et d'aller à l'armée; je convertis cette demande en motion.

(L'Assemblée, après avoir décrété l'urgence, décrète que M. Servan pourra aller s'acquitter de ses devoirs comme militaire, dès qu'il aura déposé ses comptes.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture de la lettre du ministre de la justice et de la lettre du roi; elles sont ainsi conçues: (1)

[blocks in formation]

venir l'Assemblée nationale que je viens de changer les ministres de la guerre, de l'intérieur et des contributions publiques (Murmures à gauche.), et de les remplacer, le premier par M. Dumouriez, le second par M. Mourgues; je n'ai pas encore remplacé le troisième; M. de Naillac, ministre aux Deux-Ponts, remplacera M. Dumouriez aux affaires étrangères.

« Je veux la Constitution..... (Murmures prolongé à gauche.)

M. Maribon-Montaut et quelques membres à gauche L'ordre du jour ! (Murmures.)

M. Viénot-Vaublanc. Je demande la parole contre ceux qui demandent l'ordre du jour; ils déchirent la Constitution.

M. le secrétaire continuant la lecture. « Je veux la Constitution, mais avec la Constitution, je veux l'ordre et l'exécution dans toutes les parties de l'administration, et tous mes soins seront constamment dirigés à la maintenir par tous les moyens qui sont en mon pouvoir.

[ocr errors][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

« J'ai l'honneur d'informer l'Assemblée nationale que j'ai reçu ordre du roi de remettre à M. le ministre de la justice, le portefeuille des contributions publiques; je vais m'occuper du compte qui me reste à rendre à l'Assemblée.

« Je rentre dans mon état avec la satisfaction de l'honnête homme : celle d'avoir consacré tous les moments de ma courte administration à mériter l'estime des bons citoyens et d'avoir entrevu qu'il n'y a dans le département dont j'étais chargé aucun obstacle dont on ne puisse espérer de triompher avec du zèle, de l'assiduité et le soin de faire parler la raison. (Applaudissements.)

« Je suis avec respect, etc,

[ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

des principes qui paraissaient animer également tous les membres du conseil.

« Dévoué sans réserve au bien public, je me suis efforcé de remplir l'honorable tâche qui m'était imposée. Je reçois en ce moment l'ordre du roi de remettre le portefeuille de l'intérieur à M. Mourgues. Je me retire avec ma conscience et tranquillement appuyé sur elle. Mais je dois à l'Assemblée, à l'opinion publique communication d'une lettre que j'ai eu l'honneur d'adresser au roi lundi dernier; la vérité, dont je m'honore d'imprimer le caractère sur toutes mes actions, me l'avait dictée, c'est elle encore qui m'ordonne d'en faire part à l'Assemblée. (Applaudissements.)

« Je suis avec respect, Monsieur le Président, etc.

[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

« L'état actuel de la France ne peut subsister longtemps; c'est un état de crise dont la violence atteint le plus haut degré; il faut qu'il se termine par un éclat qui doit intéresser Votre Majesté autant qu'il importe à tout l'Empire.

« Honoré de votre confiance, et placé dans un poste où je vous dois la vérité, j'oserai la dire tout entière; c'est une obligation qui m'est imposée par vous-même.

«Les Français se sont donné une Constitution; elle a fait des mécontents et des rebelles la majorité de la nation la veut maintenir; elle a juré de la défendre au prix de son sang; et elle a vu, avec joie, la guerre qui lui offrait un grand moyen de l'assurer. Cependant la minorité, soutenue par des espérances, a réuni tous ses efforts pour emporter l'avantage. De là, cette lutte intestine contre les lois, cette anarchie dont gémissent les bons citoyens, et dont les malveillants ont bien soin de se prévaloir pour calomnier le nouveau régime de là, cette division partout répandue et partout excitée; car nulle part il n'existe d'indifférence: on veut ou le triomphe ou le changement de la Constitution; on agit pour la soutenir ou pour l'altérer. Je m'abstiendrai d'examiner ce qu'elle est en elle-même, pour considérer seulement ce que les circonstances exigent; et, me rendant étranger à la chose, autant qu'il est possible, je chercherai ce que l'ont peut attendre, et ce qu'il convient de favoriser.

"Votre Majesté jouissait de grandes prérogatives qu'elle croyait appartenir à la royauté. Elevée dans l'idée de les conserver, elle n'a pu se les voir enlever avec plaisir. Le désir de se les faire rendre était aussi naturel que le regret de les voir anéantir. Ces sentiments, qui tiennent à la nature du cœur humain, ont dù entrer dans le calcul des ennemis de la Révolution. Ils ont donc compté sur une faveur secrète, jusqu'à ce que les circonstances permissent une

(1) Procès-verbaux de l'Assemblée législative, tome IX, page 236.

protection déclarée. Ces dispositions ne pouvaient échapper à la nation elle-même, et elles ont dù la tenir en défiance.

་་

Votre Majesté a donc été constamment dans l'alternative de céder à ses premières habitudes, à ses affections particulières, ou de faire des sacrifices dictés par la philosophie, exigés par la nécessité; par conséquent d'enhardir les rebelles, en inquiétant la nation, ou d'apaiser celle-ci en vous unissant avec elle. Tout a son temps, et celui de l'incertitude est enfin arrivé. » Votre Majesté peut-elle aujourd'hui s'allier ouvertement avec ceux qui prétendent réformer la Constitution, ou doit-elle généreusement se dévouer sans réserve à la faire triompher? Telle est la véritable question dont l'état actuel des choses rend la solution inévitable. Quant à celle, très métaphysique, de savoir si les Français sont mûrs pour la liberté, sa discussion ne fait rien ici; car il ne s'agit point de juger ce que nous serons devenus dans un siècle, mais de voir ce dont est capable la génération présente.

« Au milieu des agitations dans lesquelles nous vivons depuis 4 ans, qu'est-il arrivé?... Des privilèges onéreux pour le peuple ont été abolis; les idées de justice et d'égalité se sont universellement répandues, elles ont pénétré partout; l'opinion des droits du peuple a justifié le sentiment de ces droits; la reconnaissance de ceuxci, faite solennellement, est devenue une doctrine sacrée; la haine de la noblesse, inspirée depuis longtemps par la féodalité, s'est invétérée exaspérée par l'opposition manifeste de la plupart des nobles à la Constitution qui la détruit. « Durant la première année de la Révolution, le peuple,voyait dans ces nobles des hommes odieux par les privilèges oppresseurs dont ils avaient joui, mais qu'ils auraient cessé de haïr après la destruction de ces privilèges, si la conduite de la noblesse, depuis cette époque, n'avait fortifié toutes les raisons possibles de la redouter et de la combattre comme une irréconciliable ennemie.

«L'attachement pour la Constitution s'est accru dans la même proportion; non seulement le peuple lui devait des bienfaits sensibles, mais il a jugé qu'elle lui en préparait de plus grands, puisque ceux qui étaient habitués à lui faire porter toutes les charges cherchaient si puissamment à la détruire ou à la modifier.

« La Déclaration des Droits est devenue un évangile politique, et la Constitution française une religion pour laquelle le peuple est prêt à périr.

Aussi le zèle a-t-il été déjà quelquefois jusqu'à suppléer à la loi; et lorsque celle-ci n'était pas assez réprimante pour contenir les perturbateurs, les citoyens se sont permis de les punir eux-mêmes.

« C'est ainsi que des propriétés d'émigrés ont été exposées aux ravages qu'inspirait la vengeance; c'est pourquoi tant de départements se sont cru forcés de sévir contre les prêtres que l'opinion avait proscrits, et dont elle aurait fait des victimes.

Dans ce choc des intérêts, tous les sentiments ont pris l'accent de la passion. La patrie n'est point un mot que l'imagination se soit complu d'embellir; c'est un être auquel on a fait des sacrifices, à qui l'on s'attache chaque jour davantage par les sollicitudes qu'il cause, qu'on a créé par de grands efforts, qui s'élève au milieu des inquiétudes, et qu'on aime parce qu'il coûte, autant que par ce qu'on en espère. Toutes les

atteintes qu'on lui porte sont des moyens d'enflammer l'enthousiasme pour elle. A quel point cet enthousiasme va-t-il monter, à l'instant où les forces ennemies réunies au dehors, se concertent avec les intrigues intérieures pour porter les coups les plus funestes ?... La fermentation est extrême dans toutes les parties de l'Empire; elle éclatera d'une manière terrible, à moins qu'une confiance raisonnée dans les intentions de Votre Majesté ne puisse enfin la calmer; mais cette confiance ne s'établira pas sur des protestations; elle ne saurait plus avoir pour base que des faits. (Applaudissements.)

"

«Il est évident pour la nation française que la Constitution peut marcher; que le gouvernement aura toute la force qui lui est nécessaire, du moment où Votre Majesté, voulant absolument le triomphe de cette Constitution, soutiendra le Corps législatif de toute la puissance de l'exécution, ôtera tout prétexte aux inquiétudes du peuple, et tout espoir aux mécontents. (Applaudissements à gauche et dans les tribunes.)

"

a Parexemple, deux décrets importants ont été rendus; tous deux intéressent essentiellement la tranquillité publique et le salut de l'Etat. Le retard de leur sanction inspire des défiances; s'il est prolongé, il causera du mécontentement; et, je dois le dire, dans l'effervescence actuelle des esprits, les mécontentements peuvent mener à tout.

« Il n'est plus temps de reculer, il n'y a même plus moyen de temporiser. La révolution est faite dans les esprits; elle s'achèvera au prix du sang.....

Voix dans les tribunes: Oui! oui! bravo!

M. le secrétaire, lisant : Elle s'achèvera au prix du sang, et sera cimentée par lui, si la sagesse ne prévient pas les malheurs qu'il est encore possible d'éviter.

« Je sais qu'on peut imaginer tout opérer et tout contenir par des mesures extrêmes; mais, quand on aurait déploye la force pour contraindre l'Assemblée, quand on aurait répandu l'effroi dans Paris, la division et la stupeur dans ses environs, toute la France se lèverait avec indignation...

Voix dans les tribunes: Oui! oui! (Vifs applaudissements.)

M. le secrétaire, lisant et se déchirant ellemême dans les horreurs d'une guerre civile, développerait cette sombre énergie, mère des vertus et des crimes, toujours funeste à ceux qui l'ont provoquée.

« Le salut de l'Etat et le bonheur de Votre Majesté sont intimement liés; aucune puissance n'est capable de les séparer; de cruelles angoisses et des malheurs certains environneront votre trône, s'il n'est appuyé par vous-même sur les bases de la Constitution, et affermi dans la paix que son maintien doit enfin nous procurer. Ainsi, la disposition des esprits, le cours des choses, les raisons de la politique, l'intérêt de Votre Majesté, rendent indispensable l'obligation de s'unir au Corps législatif, et de répondre au vœu de la nation; ils font une nécessité de ce que les principes présentent comme devoir mais la sensibilité naturelle à ce peuple affectueux est prête à y trouver un motif de reconnaissance. On vous a cruellement trompé, Sire, quand on vous a inspiré de l'éloignement ou de la méfiance de ce peuple facile à toucher; c'est en vous inquiétant perpétuellement, qu'on vous a porté à une conduite propre à l'alarmer lui

même. Qu'il voie que vous êtes résolu à faire marcher cette Constitution à laquelle il a attaché sa félicité, et bientôt vous deviendrez le sujet des actions de grâce.

La conduite des prêtres en beaucoup d'endroits, les prétextes que fournissait le fanatisme aux mécontents, ont fait porter une loi sage contre ces perturbateurs; que Votre Majesté lui donne sa sanction, la tranquillité publique la réclame, et le salut des prêtres la sollicite. Si cette loi n'est mise en vigueur, les départements seront forcés de lui substituer, comme ils font de toutes parts, des mesures violentes; et le peuple irrité y suppléera par des excès.

"Les tentatives de nos ennemis, les agitations qui se sont manifestées dans la capitale; l'extrême inquiétude qu'avait excitée la conduite de votre garde, et qu'entretiennent encore les témoignages de satisfaction qu'on lui a fait donner par Votre Majesté, par une proclamation vraiment impolitique dans les circonstances (Applaudissements); la situation de Paris, sa proximité des frontières, ont fait sentir le besoin d'un camp dans son voisinage. Cette mesure, dont la sagesse et l'urgence ont frappé tous les bons esprits, n'attend encore que la sanction de Votre Majesté. Pourquoi faut-il que des retards lui donnent l'air du regret, lorsque la célérité lui mériterait la reconnaissance? (Bravo! bravo! Applaudissements réitérés à gauche.)

"

Déjà les tentatives de l'état-major de la. garde nationale parisienne contre cette mesure ont fait soupçonner qu'il agissait par une inspiration supérieure; déjà les déclamations de quelques démagogistes outrés réveillent les soupçons de leurs rapports avec les intéressés au renversement de la Constitution; déjà l'opinion publique compromet les intentions de Votre Majesté encore quelque délai, et le peuple contristé croira apercevoir dans son roi l'ami et le complice des conspirateurs. (Applaudissements réitérés à gauche.)

« Juste ciel! auriez-vous frappé d'aveuglement les puissances de la terre? et n'auront-elles jamais que des conseils qui les entraîneront à leur ruine?

[ocr errors]

Je sais que le langage austère de la vérité est rarement accueilli près du trône; (Vifs applaudissements) je sais aussi que c'est parce qu'il ne s'y fait presque jamais entendre, que les révolutions deviennent nécessaires; je sais surtout, que je dois le tenir à Votre Majesté, non seulement comme citoyen soumis aux lois, mais comme ministre honoré de sa confiance, ou revêtu de fonctions qui la supposent (Applaudissements); et je ne connais rien qui puisse m'enpêcher de remplir un devoir dont j'ai la conscience.

[ocr errors]

C'est dans le même esprit que je réitérerai mes représentations à Votre Majesté, sur l'obligation et l'utilité d'exécuter la loi qui prescrit d'avoir un secrétaire au conseil. La seule existence de la loi parle si puissamment, que l'exécution semblerait devoir suivre sans retardement; mais il importe d'employer tous les moyens de conserver aux délibérations la gravité, la sagesse, la maturité nécessaires; et pour des ministres responsables.....

M. Dumouriez, ministre de la guerre, entre dans la salle. (Murmures et huées à gauche et dans les tribunes.)

M. le secrétaire, lisant... il faut un moyen de constater leurs opinions. Si celui-là eût existé,

« PreviousContinue »