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être poursuivie par la voie ordinaire ou si elle devait être envoyée au Corps législatif pour y être statué suivant la nature du délit ;

Ouïle commissaire du roi qui a dit : Qu'ayant pris vision de l'entière procédure suivie sur sa demande et celle de la municipalité d'Yssingeaux, relativement aux troubles séditieux arrivés dans ladite ville, les 9 et 10 avril dernier, il lui paraît que les délits résultant des charges devant être de la compétence de la haute cour nationale, suivant la charte constitutionnelle, il y avait lieu d'en instruire le Corps législatif et, à cet effet, que l'entière procédure lui soit envoyée;

«Le tribunal, après avoir pris lecture de l'entière procédure suivie par le directeur du jure sur les troubles séditieux arrivés à Yssingeaux les 9 et 10 avril dernier, délibérant sur le référé du directeur du juré, ouï le commissaire du roi;

« Considérant que tous complots et voies de fait tendant à troubler la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat, à armer les citoyens les uns contre les autres, ou à résister à la force également armée pour le maintien ou le rétablissement de l'ordre, sont de ces délits qui intéressent l'ordre général du royaume et de nature à être dénoncés au Corps législatif, suivant l'article 1er, section 1re, chapitre 3 et l'article 23 du chapitre 5 de l'Acte constitutionnel; que les troubles séditieux arrivés à Yssingeaux, suivis de meurtre, sont de cette catégorie;

«Par ces motifs, a arrêté que l'entière procédure sera, à la diligence des directeur du juré et commissaire du roi, envoyée à l'Assemblée législative.

« Ainsi arrêté par nous, Jacques Bouchet, Jean Morel, Faure, directeur du juré, Louis-Chrysostôme Lafayolle, juges.

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(L'Assemblée renvoie la lettre et les pièces au comité des Douze.)

M. Levavasseur, au nom du comité colonial, fait un rapport sur les troubles qui ont agité l'ile de Cayenne et la Guyane française; il s'exprime ainsi :

་་

Messieurs, vous avez vu le rapport que le comité colonial vous a fait distribuer (1). Il existait à Cayenne une assemblée, qui, irrégulière dans sa formation, puisque l'on avait exclu des assemblées primaires des citoyens habiles à voter, a ajouté à l'irrégularité de son existence, celle de son opération.

« Vous avez vu cette assemblée s'emparer de l'administration des biens appartenant à la nation, faire la remise des droits d'amirauté, supprimer des emplois et priver de leurs appointements des officiers brevetés par le roi: vous l'avez vue nommer des commissions pour juger des citoyens; vous l'avez vue contester au représentant du roi le droit de refuser sa sanction à ses actes; vous l'avez vue, enfin, forcer par la

(1) Voy. ci-après ce rapport aux annexes de la séance, page 211.

menace le commandant de cette colonie à suspendre l'exécution de la loi du 1er août 1791 et pousser ses prétentions immodérées jusqu'à soutenir que les lois de la métropole ne peuvent regarder la colonie de la Guyane, qu'autant que celle-ci les acceptera et les croira utiles au bonheur et à la prospérité de ses habitants.

« Le silence de l'Assemblée constituante et le vôtre, sur les premières opérations de cette assemblée coloniale, ont pu faire croire à cette dernière qu'elle était dans la vraie route, et il paraît qu'elle s'en est égarée de bonne foi.

«La nouveauté des circonstances, la difficulté de modérer un premier élan vers la liberté, peut-être aussi les oppositions qu'elle a éprouvées ou craint d'éprouver de la part de ceux qui étaient ou qu'elle pouvait croire attachés à l'ancien régime, tout tend à excuser les intentions d'une assemblée qui, par la nature de sa colonie, ne peut avoir songé sérieusement à l'indépendance. Mais ses actes n'en doivent pas moins être frappés de la nullité qui l'attend elle-même, d'après l'esprit de votre décret du 23 mars dernier, ainsi que toutes les institutions à qui elle a donné l'existence. Votre comité vous a proposé, néanmoins, de maintenir les actes des tribunaux substitués par cette assemblée à ceux précédemment existants. Quand vous n'auriez pas l'exemple d'une pareille mesure dans la loi du 19 octobre, concernant les jugements rendus par le conseil supérieur du Cap, la raison et la justice vous engageraient à l'adopter. Votre comité croit aussi devoir vous proposer, Messieurs, de ratifier les libertés accordées par l'assemblée de la Guyane à quelques nègres, pour services rendus à la colonie; quelques moyens que l'on pût mettre en avant pour contester le droit que s'est arrogé cette assemblée sur des individus attachés aux établissements nationaux dans la colonie, ou sur les fonds nationaux employés à payer la valeur de ces nègres à leur maitre, il n'est certainement pas dans vos principes de faire rentrer dans les fers des hommes que leur bonne conduite en a fait sortir, et de les rendre à un esclavage qu'une liberté éphémère leur ferait paraître plus cruel mille fois que s'ils n'en avaient pas été tirés.

« C'est donc avec confiance que votre comité vous propose d'ajouter l'article suivant à ceux qu'il vous a présentés. Il trouvera sa place entre le 3 et le 4:

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« Sont aussi confirmés les actes par lesquels l'assemblée coloniale de la Guyane française aurait affranchi ou récompensé de leurs services, « des nègres attachés aux établissements natio<<naux de la colonie, ou appartenant à des habitants, en leur remboursant la valeur sur les fonds publics. »

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L'assemblée coloniale de la Guyane vous a fait passer diverses demandes, dont nous ne vous entretiendrons que pour en demander le renvoi au pouvoir exécutif, ou pour vous proposer la question préalable.

« Dans la première classe sont: 1o La demande en démolition de la partie des fortifications qui sépare la ville haute de la ville basse de Cayenne; 2o celle de brevets d'officiers pour les sieurs Laborde-Gosselin, Perret, Martin et Canal, sousofficiers au bataillon de la Guyane; 3° la demande d'une récompense militaire en faveur du sieur Vidiot; 4° enfin la demande d'une pension de retraite pour le sieur Ducoudray, ancien curé de Cayenne.

Votre comité vous propose de déclarer qu'il

n'y a pas lieu de délibérer sur la demande que vous fait l'assemblée de la Guyane de lui envoyer une imprimerie.

Après les demandes de l'assemblée coloniale, votre comité va vous présenter une pétition particulière des habitants des terres basses d'Apronaque, qui vient de lui parvenir.

« Ces colons laborieux ont essayé de différentes sortes de culture; celle qui leur promet le plus de succès est celle de la canne à sucre, mais ils manquent de moyen pour manufacturer cette denrée que les désastres des autres colonies rendent tous les jours plus précieux pour la métropole elle-même.

« L'établissement de moulins et de fourneaux nécessite une dépense que ne sont pas en état de supporter, dans le moment actuel, des planteurs épuisés par les essais infructueux qu'ils ont faits successivement sur diverses productions. Mais il se présente un moyen simple et aisé de venir à leur secours.

« Le gouvernement avait fait établir à grands frais et sur les meilleurs plans, dans le quartier d'Apronaque, une fort belle habitation-sucrerie, qui, par la mauvaise administration à laquelle elle était livrée, était dans un tel état de nullité, que lorsque l'assemblée coloniale de la Guyane a jugé à propos de s'en emparer, il n'y avait pas une canne à sucre, et qu'elle ne pouvait pas même fournir à la nourriture de l'atelier qui y était attaché.

« Les habitants d'Apronaque demandent à être autorisés à porter leur cannes et à fabriquer leurs sucres dans les usines de cette habitation actuellement inutiles, à la charge de laisser une partie du produit pour les frais de manufacture.

Cette proposition a paru fondée en raison à votre comité; il ne vous proposera cependant pas de l'accueillir directement parce qu'elle pourrait présenter des inconvénients ou des difficultés sur lesquels on ne peut bien se prononcer que dans la colonie même; mais il vous proposera de vous en rapporter à cet égard au commissaire civil et de l'autoriser à prendre sur cet objet le parti qui lui semblera le plus avantageux aux parties respectives, d'après l'avis de l'assemblée coloniale.

<< Comme il peut se présenter d'autres demandes pareilles ou analogues, votre comité vous proposera de généraliser cette autorisation dans les termes suivants :

« D'après l'avis de l'assemblée coloniale, le commissaire civil pourra provisoirement donner aux établissements nationaux dans la colonie de la Guyane, telle destination et en tirer tel parti qu'il croira le plus convenable au bien de la colonie et à l'intérêt de la métropole.

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Un membre: Je demande l'ajournement, car plusieurs députés de l'assemblée coloniale ont des pièces très importantes qui peuvent éclairer l'Assemblée.

(L'Assemblée ajourne la discussion du projet de décret (1) au samedi, 16 juin, pour la séance du soir.)

M. Allain-Launay, au nom du comité de division, fait la seconde lecture d'un projet de décret concernant la réunion de la paroisse du Temple à celle de Carentoir, dans le département du Mor

(1) Voy. ci-après aux annexes de la séance, page 211, le projet de décret de M. Levavasseur.

bihan. Ce projet de décret est ainsi conçu (1):

PROJET DE DÉCRET.

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport qui lui a été fait par son comité de division, de l'arrêté pris par le directoire du département du Morbihan, le 4 mai dernier, sur la délibération du conseil général de la commune de Carentoir, du 11 décembre 1791, sur l'avis du district de Rochefort, du 3 janvier 1792, sur celui de l'évêque du Morbihan, du 5 mars dernier, concernant la réunion de la paroisse du Temple à celle du Carentoir, décrète ce qui suit: « Les paroisse et municipalité du Temple sont supprimées et réunies à celle de Carentoir. L'église du Temple est conservée comme oratoire et le curé de Carentoir y enverra un prêtre, les dimanches et fêtes, pour y dire la messe et y faire les instructions publiques.

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(L'Assemblée ajourne la troisième lecture à huitaine.)

M. Allain-Launay, au nom du comité de division, fait la troisième lecture d'un projet de décret (2) concernant l'érection d'une paroisse dans la ville de Port-Louis, département du Morbihan. Ce projet de décret est ainsi conçu :

«L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport qui lui a été fait par son comité de division, de l'arrêté pris par le directoire du département du Morbihan, le 27 septembre dernier, sur la délibération du directoire du district d'Hennebont et l'avis de l'évêque du département, des 8 et 14 du même mois, concernant l'érection d'une paroisse en la ville de Port-Louis, et les 3 lectures faites les 30 mai, 7 juin et ce jour, décrète qu'elle est en état de délibérer définitivement.

« L'Assemblée nationale, après avoir décrété qu'elle est en état de délibérer, décrète définitivement ce qui suit :

« La succursale de la ville de Port-Louis, ainsi que son territoire et celui des villages de Diasquer et de Locmalo, compris dans l'enceinte de ses fortifications extérieures, sont distraits de la paroisse de Riantec, pour former une paroisse qui sera desservie dans l'église ci-devant succursale de ladite ville. Cette nouvelle paroisse sera circonscrite ainsi qu'il est expliqué dans l'arrêté du directoire du département, lequel est annexé à la minute du présent décret. »>

(L'Assemblée décrète qu'elle est en état de délibérer définitivement, puis adopte le projet de décret.)

M. Massey, au nom du comité de commerce, fait la troisième lecture d'un projet de décret (3) sur la réclamation des municipalités de Champagny et de Planchebas, pour l'exportation du tan à l'étranger; ce projet de décret est ainsi conçu :

L'Assemblée nationale décrète que les habitants des municipalités de Champagny et de Planchebas, et district de Lure, département de

(1) Voy. Archives parlementaires, 1" série, t. XLIV, séance du 7 juin 1792, page 683, la première lecture de ce projet de décret.

(2) Voy. Archives parlementaires, 1 série, t. XLIV, séance du 7 juin 1792, au soir, page 683, la seconde lecture de ce projet de décret.

(3) Voy. Archives parlementaires, 1 série, t. XLIV, séance du 26 mai 1792, au soir, page 139, la seconde lecture de ce projet de décret. M. Français (de Nantes) était alors rapporteur.

la Haute-Saône, pourront, durant 6 années, exporter annuellement à l'étranger, par le bureau qui sera désigné par le directoire de ce département, jusqu'à la concurrence de 25,400 quintaux pesant de tan, provenant de leur crù, moyennant un droit de 10 sols par millier, en faisant accompagner ledit tan de certificats délivrés par l'une de ces deux municipalités, qui justifieront que le tan exporté provient de leur crû. »

(L'Assemblée décrète qu'elle est en état de délibérer définitivement.)

M. Tarbé. Je demande, par amendement à l'article du projet de décret, qu'on étende la permission d'exportation du tan par les 3 bureaux ordinaires de Bourfeld, d'Elle et Chatinois, en obligeant les propriétaires exportants de déclarer la quantité.

(L'Assemblée adopte l'amendement, puis le projet de décret ainsi modifié.)

Un membre propose, par article additionnel, que les propriétaires de bois des municipalités riveraines de la Meuse, depuis et compris celle de Revin jusqu'à Givet, pourront, dans le même délai de 6 années, exporter annuellement à l'étranger, par le bureau de Givet, du tan ou écorce, moyennant un produit de 10 sols par millier, et ceux du Val de Rofernojet, district de Belfort, département du Haut-Rhin, par les bureaux de Bourfeld, d'Elle et Chatenois, jusqu'à la concurrence de 900 milliers.

Divers membres observent que ces demandes, étant relatives aux contributions, sont sujettes aux 3 lectures prescrites par la Constitution.

(L'Assemblée renvoie ces propositions au comité de commerce pour en faire un rapport plus circonstancié, en considérant néanmoins ces propositions comme ayant été soumises aux formalités de la première lecture.)

Suit le texte définitif du décret rendu :

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu les 3 lectures faites les 5 et 26 mai et de ce jour, du projet de décret présenté par son comité de commerce, et déclaré qu'elle était en état de délibérer, décrète que les habitants des municipalités de Champagny et de Planchebas, district de Lure, département de la Haute-Saône, pourront, pendant 6 années, exporter annuellement à l'étranger, par les bureaux de Bourfeld, d'Elle et Chatenois, jusqu'à la concurrence de 25,400 quintaux pesant de tan, provenant de leur crû, moyennant un droit de 10 sols par millier, en faisant accompagner ledit tan de certificats délivrés par l'une de ces municipalités, qui constateront la quantité que les particuliers leur auront déclarée, et que le tan provient de leur crù. »

M. Massey, au nom des comités de commerce et d'agriculture réunis, fait la troisième lecture (1) d'un projet de décret sur les exceptions qu'il convient d'accorder à quelques manufactures contre le décret qui prohibe la sortie des matières premières; ce projet de décret est ainsi conçu :

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de commerce sur quelques faveurs à accorder à la main-d'œuvre nationale, dans ses séances des 22 mars, 5 avril

(1) Voy. Archives parlementaires, 1 série, t. XLI, séance du 5 avril 1792, au matin, page 208, la seconde lecture de ce projet de décret. M. Caminet était alors rapporteur.

dernier et ce jour, et après avoir déclaré qu'elle est en état de délibérer, décrète ce qui suit :

Art. 1er.

« Les laines étrangères non filées continueront d'être exportées à l'étranger en franchise de droits, et en justifiant de leur origine.

Art. 2.

Les fabricants de drap de Sedan, et les manufacturiers de Rethel, de Reims, continueront de jouir de l'exemption de droit sur les laines préparées qu'ils enverront filer à l'étranger, et qu'ils feront rentrer en France.

Art. 3.

« Les entrepreneurs des retordoirs de fils, dans le département du Nord et dans celui de l'Aisne, pourront envoyer ces fils à l'étranger pour y être blanchis, et ensuite réimportés dans le royaume en franchise.

Art. 4.

« Les habitants de la commune du Bois-d'Amont, département du Jura, jouiront de la faculté de réexporter en franchise les bois qu'ils auront importés pour être façonnés.

Art. 5.

Le Pouvoir exécutif réglera le mode d'exécution des faveurs accordées par les articles précédents, et il prendra toutes les précautions nécessaires pour qu'il n'en soit point abusé.

Art. 6.

« Il sera tenu de faire connaître au Corps législatif la proclamation qu'il se proposera de faire à cet effet, et sa publication ne pourra avoir lieu que 15 jours après cette communication. »

(L'Assemblée décrète qu'elle est en état de délibérer définitivement, puis adopte le projet de décret.)

M. Gastellier. Je demande la parole pour une motion d'ordre ayant pour objet le rapport du décret qui ordonne l'envoi aux 83 départements de la lettre de M. Roland au roi (1) ̊(Murmures).

Plusieurs membres : L'ordre du jour !
(L'Assemblée passe à l'ordre du jour) (2).

M. le Président. L'ordre du jour la

suite de la discussion (3) du projet de du comité féodal concernant la suppression sans indemnité de divers droits féodaux déclarés rachetables par le décret du 15 mars 1790.

La parole est à M. Prouveur.

M. Prouveur. Messieurs (4), j'adopte une grande partie des observations qui vous ont été

(1) Voy. ci-dessus, séance du mercredi 13 juin 1792, au matin, page 165, le décret ordonnant l'envoi de la lettre de M. Roland aux 83 départements.

(2) Voy. ci-après, aux annexes de la séance, page 220, l'opinion non prononcée de M. Gastellier.

(3) Voy. ci-dessus, séance du mardi 12 juin 1792, au matin, page 119, la discussion à ce sujet.

(4) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Féodalité, n° 8.

présentées par votre comité féodal, et par les orateurs qui m'ont précédé; mais il y a plusieurs points sur lesquels j'ai bescin moi-même d'être éclairé par une discussion plus étendue, et c'est pour la préparer que je tâcherai de ramener la question à quelques idées très simples.

Votre comité part de ce point, qu'il faut détruire jusqu'aux dernières racines de la féodalité, de cet arbre funeste qui couvrait tout le sol de la France, et certainement il n'est aucun bon citoyen qui ne désire d'atteindre ce but.

Pour y arriver, on a fait deux observations sur les décrets rendus à ce sujet par l'Assemblée constituante; elle a, dit-on, laissé subsister la charge la plus odieuse, en déclarant simplement rachetables les droits casuels, au lieu de les considérer comme des usurpations, et de les abolir sans indemnité; d'un autre côté, même en admettant le rachat, elle l'a rendu impossible. Ces deux idées sont très distinctes dans le préambule du rapport; on voit ensuite que, soit la discussion, soit le projet de décret, ne porte que sur le premier point: c'est aussi de celui-là seul que je vais parler.

Le comité se fait à lui-même ces deux questions 1° le décret de l'Assemblée constituante, qui déclare rachetables tels et tels droits, est-il du nombre des décrets qui peuvent être révoqués? Cette question, comme l'observe le comité, n'est susceptible d'aucun doute, puisqu'il ne s'agit que d'un simple acte législatif.

La seconde question est posée de cette manière N'est-il pas de toute justice d'abolir les droits éventuels sans indemnité, à moins que le ci-devant seigneur ne justifie, par le titre de l'inféodation, que ces droits sont le prix et la condition d'une concession de fonds? >>

Le système du comité à cet égard est renfermé tout entier dans son projet de décret: il est dit dans le premier article que « tous les droits dont il est question sont et demeurent supprimés sans indemnité »; dans le second article, que tous les payements consommés doivent cesser »; enfin, dans le troisième, et je le trouve très remarquable, que « les ci-devant seigneurs pourront cependant exiger lesdits droits. lesquels continueront d'être rachetables lorsqu'ils seront dans le cas de justifier, par le titre primitif d'inféodation, qu'ils n'ont concédé et inféodé les fonds que sous la condition expresse desdits droits. »>

Il est évident, Messieurs, que le système du comité porte tout entier sur ce principe que les droits éventuels de mutation, et autres de la même nature, doivent être entièrement assimilés aux droits féodaux que l'Assemblée constituante avait abrogés sans indemnité; or, avant d'examiner ce principe, je crois devoir écarter deux objections, qui, selon moi, lui sont entièrement étrangères, et qui ne serviraient qu'à prolonger la discussion sans l'éclairer.

D'abord, si le principe du comité est fondé, peu importe, qu'en l'adoptant, une des branches du revenu public soit éteinte. Ce n'est point parce que quelques petites vues fiscales seront dérangées qu'on peut trouver faux ce qui est vrai, ni vrai ce qui est faux. Il ne s'agit point ici d'une loi d'administration, mais d'un acte de législation; il s'agit d'un principe. L'Assemblée nationale constituante s'est-elle trompée, ne s'est-elle pas trompée? voilà le seul point qu'on puisse raisonnablement examiner.

Une seconde objection, parmi celles qu'on a cru devoir proposer, mérite encore moins d'être

réfutée peu importe que la suppression sans indemnité des droits éventuels soit utile sous un certain rapport aux ci-devant seigneurs de fiefs; qu'elle ne soit pas d'un avantage général; qu'elle soit d'un plus grand intérêt pour les grands propriétaires que pour les autres; qu'elle ne soit utile ni aux négociants, ni aux artisans, ni aux nombreux journaliers, qui sont presque tous sans propriété; toutes ces considérations sont étrangères au fond même de la cause, car il faudra toujours en venir à ce point; est-il vrai ou faux que les droits de mutation doivent être assimilés à toutes les autres usurpations féodales?

Avant d'entrer dans l'examen ce cette question, je crois qu'il est nécessaire de bien poser la manière dont l'Assemblée constituante l'a considérée.

On voit d'abord que cette assemblée a divisé les droits féodaux en deux grandes classes. Elle a placé dans la première tous les droits qu'elle a regardé comme une usurpation, et elle les a supprimés sans indemnité. Elle a placé dans la seconde tous les droits qui lui ont paru être le prix d'une concession primitive de biens fonds, et elle les a déclarés simplement rachetables. Mais d'abord il se présente une observation que je crois être de quelque importance, c'est que Ï'Assemblée constituante a définitivement prononcé sur tous les droits qu'elle a supprimés sans indemnité. Après avoir déclaré ces droits, des usurpations, elle n'a pas fait dépendre leur légitimité de telle preuve ou de telle autre preuve; elle n'a pas admis la double possibilité qu'une prestation par sa nature pût être déclarée usurpée, et que cependant elle pût être placée dans certains cas au nombre des propriétés légales. Je reviendrai bientôt sur ce point de vue.

En second lieu, l'Assemblée constituante n'a pas déclaré précisément que tous les droits qu'elle a énoncés comme simplement rachetables, aient été dans l'origine le prix d'une concession de biens-fonds. Elle a simplement déclaré qu'elle les présumait tels, et d'après ce principe, dont j'examinerai à l'instant la vérité ou la fausseté, l'Assemblée constituante a été forcée, pour agir conséquemment, d'adopter les trois dispositions suivantes :

1° Elle s'est bornée, pour les droits dont il s'agit, à réserver la preuve contraire, aux redevables;

2° Elle a statué que les contestations sur l'existence de ces mêmes droits seraient décidées, d'après les preuves autorisées par les statuts, coutumes et règles observées jusqu'alors; c'està-dire, qu'à cet égard elle a confirmé toute l'ancienne jurisprudence, qu'elle a seulement modifiée en deux points: l'un, que l'enclave ne sert plus de titre, à moins que fa coutume ne le regarde comme tel; l'autre, c'est que la reconnaissance la moins onéreuse doit être suivie sans avoir égard à son ancienneté, sauf le droit de réformation quand elle n'est pas prescrite;

3° L'Assemblée constituante, prévoyant le cas où il serait allégué par le ci-devant seigneur que ses archives ont été brûlées ou pillées depuis la Révolution, ne l'a soumis qu'à prouver deux choses 1° le fait de l'incendie ou du pillage; 2° la possession pendant 30 ans du droit réclamé.

C'est contre l'ensemble de ces principes que le rapport du comité féodal est dirige; or, la première question qu'il faut résoudre, c'est de savoir laquelle de ces deux présomptions il faut plutôt admettre, que les droits de mutation ont

1

été usurpés, ou qu'ils sont une propriété légale.

On a cru pouvoir décider cette question par les arguments qu'on a tires de l'origine des ficfs, des maximes de notre ancienne jurisprudence et des dispositions de nos coutumes; mais il est facile de démontrer que ce n'est point là que l'on peut trouver, i les veritables objections, ni les véritables lumières.

J'écarte d'abord les arguments qu'on a tirés de l'origine et de l'histoire des fiefs, parce que cette histoire a été faite de cent manières différentes, entre lesquelles la critique la plus profonde serait embarrassée de prononcer. Or, si malgré tout ce qu'on a écrit sur cette matière, les faits sont encore incertains, ce n'est donc pas dans cet ancien cahos, cent fois remué et toujours plus obscur, que le législateur puisera ses décisions.

J'écarte encore les arguments tirés des erreurs de notre ancien code féodal. On a dit que, dans plusieurs ci-devant provinces du royaume, on avait admis l'absurde maxime, que nulle terre n'est sans seigneur, d'où l'on a conclu que les droits de mutation n'avaient pas d'autre origine. Mais cette conséquence n'est pas juste: car, dans plusieurs autres provinces, ou suivait la maxime contraire, qu'il n'y a point de seigneur sans titre. Or, dans ces dernières provinces, les droits

de mutation étaient connus comme dans les autres. Ils n'y étaient donc point considérés comme une dépen lance du fief, et dès lors il est presque impossible de savoir si un droit qui est parfaitement le même, quoique perçu dans deux endroits éloignés l'un de l'autre, y a eu une origine différente.

J'écarte encore l'argument tiré de ce que le retrait féodal a été supprimé sans indemnité, et de la comparaison qu'on a voulu faire de ce droit avec celui des lods et ventes; il arrive tous les jours que, même en respectant un contrat et les droits utiles qu'il renferme, les magistrats en déclarent nulles les causes inutiles ou oppressives ou immorales. Or, c'est d'après ce principe de toute justice que l'Assemblee constituante s'est décidée. D'abord le retrait féodal tenait à l'essence même de la féodalité; il ne donnait pas un droit utile, et ne produisait aucune prestation pécuniaire. Ce droit s'exerçait, non pas sur les biens, mais sur la personne même des vassaux; il tendait à exclure tel acheteur, à donner la préférence à celui-ci sur un autre. Si le ci-devant seigneur exerçait le retrait pour un autre, rien n'était plus odieux. Si c'était pour lui-même, il avait un moyen presque assuré de chasser de son fief tous les vassaux qui pouvaient lui déplaire, ou même d'y rester seul avec ses armoiries, ses parchemins et ses créneaux; or, qu'a décidé l'Assemblée constituante? qu'un droit pareil était contraire à l'utilité publique, oppressif, inutile même au seigneur, uniquement propre à vexer les habitants; contraire à la liberté que doit avoir chaque individu de disposer de son bien comme il lui plait; et par tous ces motifs essentiellement nuls, on n'aurait rien prouvé, en disant que ce droit supposait aussi une concession de fonds, puisqu'on peut conserver dans le même contrat les clauses utiles, et casser les pactes absurdes; or, la clause utile était la conservation des droits casuels.

Enfin, je ne crois pas non plus qu'on puisse tirer des inductions suffisantes des dispositions de nos coutumes. Dans les unes, comme dans celle de Bourgogne, les droits dont il est question n'étaient pas connus; dans d'autres, ces

droits n'étaient dus qu'autant qu'ils étaient stipulés dans l'acte d'inféodation, et telle est la coutume d'Auvergne. Il en est au contraire, et telle est celle du Hainaut, où ces droits absolument universels, existaient pour les fiefs, par la seule force de la coutume, sans qu'on füt oblige de prouver aucune convention primitive.

On peut reduire toutes les coutumes aux trois cas dont je viens de parler. Mais que peut on en conclure? Une seule chose, c'est que les droits casuels ne faisaient pas partie de l'essence même du fief, comme la foi et hommage, puisque ces droits n'étaient pas universels, et que, suivant la diversité des lieux, il fallait les prouver d'une manière différente; mais de là on ne peut pas conclure directement que ces droits aient été usurpés. Car, en reconnaissant qu'ils n'étaient pas de l'essence des fiefs, il reste encore ces deux suppositions à faire, ou que ces droits ont été établis sans titre, ou, puisqu'ils ont existé sous des modifications si différentes les unes des autres, qu'ils ont été établis par des titres particuliers.

Je regarde donc, Messieurs, les trois points. de vue que je viens de parcourir comme insuffisants pour éclairer la question. Mais il en reste un qui me parait aussi certain que l'évidence; c'est de considérer le fait en lui-même. Il n'est personne de nous qui ne connaisse des droits de mutation dont il n'existe point de preuve, et d'autres dont le titre, quoique très reculé, a eté conservé, on en nature, ou par l'histoire, ou par des titres postérieurs. On trouve des actes d'inféodation à la charge des droits casuels, même dans les provinces de franc-alleu, même dans les pays où la coutume ne reconnaissait pas ces sorte de droits, tout comme on en trouve dans les pays où la coutume aurait suffi pour les établir; et les accensements modernes et légitimes sont en assez grande quantité pour faire présumer qu'un très grand nombre de droits pareils, perçus depuis plusieurs siècles, ont pu avoir une origine tout aussi légale.

Que faut-il en conclure, pour ne pas forcer les conséquences? c'est que plusieurs de ces droits ont pu être usurpes, que beaucoup d'autres doivent être considérés comme de véritables propriétés; selon moi, toute autre conclusion serait injuste; les partisans du système contraire l'ort reconnu eux-mêmes, puisqu'après avoir proposé de déclarer que les droits casuels doivent être supprimés sans indemnité, ils déterminent la manière dont les ci-devant seigueurs seront admis à prouver que ces droits sont une propriété légitime.

Or, de là, Messieurs, je tire plusieurs inductions qui me paraissent renfermer le véritable point de la difficulté.

La première, c'est que les droits dont il s'agit, n'étant pas essentiellement usurpés, ou par leur nature, ou par leur opposition avec l'intérêt public, n'ont pas dû être classés par l'Assemblée constituante parmi ceux qu'elle a supprimés sans indemnité; car, à l'égard de ces derniers droits, elle a regardé toute preuve comme irutile; il lui a suffi de considérer l'objet du droit en luimême, ou son origine unive sellement connue, ou la gène qui en résultait par rapport à la liberté des citoyens.

Une seconde induction, c'est que le plan du comité et celui de M Maille sont contra lictoires, lorsque par un article, ils suppriment les droits dont il s'agit comme usurpés, et que dans un autre article ils supposent que ces mêmes droits

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