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francs et libres de toute redevance, et dont la nation a garanti le remboursement en indemnité.

Mais si, par l'effet d'une promesse formelle et inviolable, ces derniers sont remboursés de la privation de leurs droits sur les biens nationaux vendus, quelle raison y a-t-il pour ne pas leur rendre la même justice à l'égard des droits semblables sur tous les autres effets situés dans leur mouvance, dont vous les priveriez aussi par le décret?

Or, si ceux-là sont remboursés (comme il est impossible de l'éviter), vous ne pouvez pas vous dispenser de traiter de même généralement tous les propriétaires des ci-devant fiefs, car, s'ils ont les mêmes droits, il est incontestable qu'un même traitement leur est dû, tant qu'il n'y aura pas deux morales et deux justices en contradiction entre elles.

Or, l'état actuel de vos finances s'opposant décidément à toute tentative de ce genre, il est bien démontré qu'il est impossible, quant à présent, de supprimer les droits incorporels appartenant à des particuliers.

Quant à ceux que possède la nation, je crois (quoiqu'on ait avancé le contraire), que votre pouvoir s'étend jusqu'à leur suppression, mais que votre devoir, qui est de sauver la patrie, vous prescrit de renvoyer à un autre temps. Songez que le désordre des finances a amené la Révolution, et que nos ennemis fondent sur la même cause leurs espérances de contre-révolution; songez que, dans le moment présent, loin de rien écarter, vous devez rassembler toutes vos ressources, toutes vos facultés, pour pousser la guerre vigoureusement; car, que deviendraient tous nos décrets si nous ne triomphions de cette ligue étrangère qui veut nous avilir, et dont tant d'indignes Français attendent les succès au sein même de la patrie? Messieurs, on ne fait point la guerre sans argent et sans beaucoup d'argent; si donc vous n'en avez pas de reste, si vous en manquez, pourquoi précipiter un aussi grand sacrifice? Ce revenu ne vous est pas connu. Je suis assuré que plus d'activité de la part des percepteurs offrira de bien plus grands produits qu'on ne pense. On peut en juger par l'état que l'administration du district de Bordeaux, effrayée de la suppression proposée, m'a adressé, en me chargeant de la mettre sous vos yeux; c'est un tableau de la recette du premier quartier de cette année, qui pour le seul district de Bordeaux, s'élève à plus de 80,000 livres par mois. Chaque mois distinct, et compris avec quelques objets de moindre importance, a donné à la recette du domaine : Savoir :

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lable. Je n'entends pas me prévaloir de cette recette pour supposer qu'elle dût être constamment aussi forte que dans ces 3 mois, ni que les 545 districts puissent donner des produits proportionnés à ceux-là; mais à moitié, au quart de cette proportion, ce serait toujours un produit infiniment plus considérable que personne ne l'a évalué!

On vous dit avec confiance, comme un fait prouvé, que lorsqu'il n'y aura plus de droits. casuels, les mutations devenant plus fréquentes, le produit du droit d'enregistrement augmentera.

C'est ainsi qu'en donnant des conjectures pour des réalités, on cherche à persuader ce qu'on aime à croire soi-même; mais, en fait de finances, ce n'est pas par des opinions, c'est par des faits ou des calculs qu'on peut convaincre aussi ce n'est pas parce que j'avance une opinion contraire, que je dois être cru sur parole; mais si je détruis par des faits la supposition avancée, et si je prouve que le droit d'enregistrement, après la suppression des droits de mouvance, sera nécessairement moins productif qu'auparavant, j'aurai écarté la seule apparence de raison dont on appuie le projet que je combats.

Je veux croire que, par la suppression des droits de mutation, les mutations seront un peu plus fréquentes. Mais veuillez me prêter votre attention pour une observation importante; c'est que le même décret qui anéantirait les droits de mutation changerait en partie les bases de celui d'enregistrement, car il faut dévoiler ce que les préopinants ont paru ignorer, ce qui n'est que trop connu des administrateurs, c'est que depuis la suppression des retraits (suppression qu'il ne faut pas regretter), les contrats pour ventes d'immeubles, relevant de la nation, n'énoncent plus le véritable prix des acquisitions: les contractants s'entendent pour faire des contrelettres. D'abord, on a diminué un dixième, puis un huitième; aujourd'hui, le quart, le tiers; et bientôt on portera l'impudeur jusqu'à ne déclarer qu'environ moitié du véritable prix des acquisitions, parce que l'on ne craint plus l'acte de retrait; ainsi, le produit des droits d'enregistrement doit aller en diminuant sous ce rapport. Or, du moment où tous les droits censuels et casuels seraient supprimés, la même fraude aurait lieu, pour la vente de fonds relevant aujourd'hui des particuliers: alors, personne n'ayant plus un intérêt direct à éclaircir ces manœuvres, l'abus croissant réduirait bientôt sensiblement le produit du droit d'enregistrement sur les mutations (quoique vous eussiez fait cependant le sacrifice de la totalité des droits casuels); au lieu que, si sur chaque propriété mise en vente dans la mouvance des particuliers, Vous avez un surveillant plus intéressé même que la nation à prévenir la fraude, croyez-vous qu'on s'y oppose, ou du moins qu'on ose la porter à l'excès? Non, certainement, parce que celui qui devra recevoir les droits de mutation d'un effet à vendre sera attentif à en connaître le prix, il pourra en faire traiter l'acquisition: alors, fixé sur sa vraie valeur, il ne pourra pas être trompé le contrat ne sera pas simulé; ou s'il l'est, celui-ci le dénoncera pour son utilité personnelle et pour l'utilité publique. Conséquemment la nation recevra un bien plus fort droit d'enregistrement que si personne n'eût été directement intéressé à cette surveillance.

Voilà à quoi il est impossible de répondre. J'ajouterai une dernière considération; c'est que

les nouvelles dépenses que la guerre va occasionner, consommeront tous les assignats hypothéqués. Fidèles à vos principes, ne pouvant en émettre de nouveaux sans avoir des fonds libres à affecter pour en assurer la solidité, il est infiniment précieux de trouver dans le même fonds des droits casuels et censuels, le double avantage d'une recette annuelle de 12 à 15 millions, et d'un capital de 250 qui vous reste pour hypothèque imposante, mais nécessaire au soutien du crédit national.

Si donc nous sommes tous ici convaincus que les recettes sont insuffisantes, qu'il faudra imaginer de nouveaux moyens d'y suppléer, je demande s'il est sage de se plonger dans de nouveaux embarras, et d'en multiplier les causes, sans indiquer les moyens d'en sortir. Non, Messieurs, vous ne retrancherez pas de l'arbre de nos finances une branche vivifiante qui porte annuellement des fruits aussi assurés que faciles à recueillir. Vous ne violerez pas la Constitution, qui, en propres mots, titre ler, garantit l'inviolabilité des propriétés, ou la juste et préalable indemnité de celles dont la nécessité publique exigerait le sacrifice. Or, les droits de mutation sont incontestablement des propriétés; ils ont même été solennellement déclarés tels par le Corps constituant, donc il n'est pas en votre pouvoir de les supprimer sans indemnité.

On ne cesse de répéter que le peuple a assez longtemps gémi sous l'oppression, qu'il est temps qu'il soit dédommagé: oui, sans doute, et moi aussi je le dis, parce que je suis un des plus zélés partisans du bonheur du peuple et de l'égalité des droits; mais on se tromperait étrangement si, abusant du nom du peuple, on croyait lui faire un sacrifice agréable dans la suppression subite des droits incorporels. On ne saurait trop faire, sans doute, pour la félicité du peuple, puisqu'il est tout, puisqu'il est le souverain et la nation elle-même. Mais si ce n'est pas la seule classe des citoyens, contrariés par la fortune, qui compose le peuple; si tous les Français placés entre le malaise et l'excessive opulence, ne sont pas étrangers au peuple, pourquoi les prive-t-on d'une qualification qui les honore? D'après quels principes propose-t-on, parmi ces citoyens possesseurs de fonds, de dépouiller les uns pour favoriser les autres? sans aucune égalité dans la répartition, sans que les classes moins fortunées puissent y prendre aucune part, sans que ce peuple enfin, pour qui l'on paraît s'intéresser, mais qui est toujours juste lors. qu'on l'éclaire, ait sollicité un sacrifice vraiment impossible à concilier avec l'équité.

Messieurs, si nous sommes vraiment libres, c'est surtout à la liberté des opinions qu'on doit le connaître; gardons-nous de donner à penser que le peuple puisse être réduit à la malheureuse condition des rois, je veux dire à celle de n'avoir point d'amis, ou de ne savoir point les distinguer. A la vérité, cette Assemblée en réunit un trop grand nombre pour craindre cette imputation; mais si de tout temps l'adulation investissant les trônes en déroba l'excès à la vérité, un peuple souverain, par une semblable illusion, ne peut-il pas être exposé à méconnaître aussi ses vrais amis? Je le demande donc avec franchise, doit-il les voir dans ceux qui le flattent ou dans ceux qui, plus pénétrés de la dignité de leurs fonctions, ne craignent pas d'être vrais avec lui, au risque de lui déplaire?

Dans cette occasion-ci, quel est le meilleur ami du peuple? Est-ce celui dont le système tend

à la violation des propriétés, à ruiner les uns, sans utilité pour le plus grand nombre des autres, à priver le crédit public d'une hypothèque considérable, à faire perdre à la nation un revenu de plus de 12 millions, dont le remplacement nécessiterait de nouvelles impositions générales? ou bien est-ce celui qui, selon le vœu de la Constitution, veut que toutes les propriétés soient inviolablement respectées? Celui qui propose l'ajournement d'une suppression aussi convenable dans un temps d'aisance, que désastreuse aujourd'hui; celui qui, frappé de la gêne de nos finances, convaincu de la nécessité d'augmenter la recette publique, s'occupe des moyens d'y pourvoir, sans aggraver l'impôt sur l'agriculture et l'industrie, sans que les citoyens les moins aisés soient appelés à de nouvelles contributions pour en remplacer une qui leur est étrangère, et qu'ils ne connaissent pas même de nom? C'est aux apologistes de la suppression à répondre.

Au reste, j'affirme avec confiance que le produit des droits incorporels mieux connu, sera d'une ressource plus grande qu'on ne l'a évalué; et que même (en le portant au plus bas), ne fùt-il que de 12 millions, le double sacrifice de perdre un revenu si précieux, et d'arriérer encore la nation par une dépense énorme en indemnités, est absolument inadmissible, improposable même dans les circonstances présentes. En conséquence, je demande la question préalable sur le projet du comité, et l'ajournement d'une nouvelle discussion à l'époque où les revenus libres de la nation excéderont ses dépenses annuelles.

QUATRIÈME ANNEXE (1)

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE DU LUNDI 18 JUIN 1792, AU MATIN.

OPINION NON PRONONCÉE DE M. C. F. OUDOT, député de la Côte-d'Or (2), concernant la suppression des droits censuels et casuels.

Messieurs (3),

Soit que les droits féodaux aient pour origine le partage des terres conquises entre les vainqueurs des Gaules, ou la concession des bénéfices militaires, ou l'hérédité des magistratures exercées sous les titres de duc, de comte et de vicomte, soit qu'ils soient le résultat de ces trois causes à la fois, combinées avec l'anarchie féodale, qui de chaque seigneur avait fait un petit roi et lui avait attribué tous les droits de la souveraineté (4), leur origine est également impure et injuste.

(1) Voy. ci-dessus, même séance, page 336, le texte définitif du décret sur les droits féodaux.

(2) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Pétitions, E.

(3) N'étant pas inscrit dans un ordre bien avantageux, je crois devoir imprimer ce que je n'espère pas pouvoir dire à la tribune.

(4) Il n'est pas douteux que les seigneurs ont prétendu avoir la souveraineté pour s'en convaincre, il n'y a qu'à voir combien Boulainvilliers, dans son histoire du gouvernement, la regrette, et les droits qu'il dit que les rois ont usurpés sur les seigneurs, tels que celui de lever les impositions, de battre monnaie, de juger en dernier ressort, etc...

J'ai connu des ci-devant seigneurs qui s'imaginaient

Et comment pourrait-on supposer, sans absurdité, que quelques centaines d'individus, appelés seigneurs, eussent pu avoir légitimement le droit de concéder la presque totalité des terres du royaume à ses habitants, de leur faire acheter la faculté de les cultiver, de s'y établir et d'y respirer? La France entière, avant l'établissement du régime féodal, était-elle donc inhabitée et inculte? Quel serait donc le grand événement dans l'histoire qui aurait pu revêtir ces prétendus seigneurs d'un pareil droit? Quelle vertu, quel service aurait pu leur acquérir une telle prérogative?

Dira-t-on que les chefs des Francs cédèrent ces terres à leurs soldats? Comment ces chefs auraient-ils pu les donner à leurs compagnons d'armes, vainqueurs comme eux, sous des conditions aussi dures que celles de la féodalité?

Si les terres concédées proviennent des bénéfices militaires, elles appartiennent à la nation. N'est-ce pas assez pour les possesseurs de fiefs de les avoir usurpés, de s'être dispensés ensuite du service militaire auquel ils étaient assujettis, sans prétendre encore éterniser les droits qu'ils ont imposés injustement sur les habitants qui les possédaient avant eux?

Sí c'est en qualité de propriétaires des duchés, des comtés et vicomtés, c'est-à-dire comme juges, comme magistrats, comme fonctionnaires publics, que les ci-devant seigneurs ont établi ces droits sur les justiciables de leur arrondissement, peuvent-ils se prévaloir de l'usurpation qu'ils ont faite du pouvoir du peuple, pour consacrer les abus qu'ils en ont faits, et pour légitimer les redevances annuelles et casuelles auxquelles ils l'ont assujetti?

Sous quelque point de vue qu'on examine les droits généraux établis par les ci-devant seigneurs, stipulés dans leurs terriers sans cause, autorisés par les coutumes, comme attachés à la mouvance, au fief, à la qualité de seigneur et à leur prétendue souveraineté (1), ceux surtout qui dérivent de cette maxime, nulle terre sans seigneur, on voit que ces droits ne sont que le résultat odieux de l'empire de la force et de l'oppression; tout concourt à démontrer que ces droits réels n'ont pas une autre origine que la servitude personnelle nés avec elle, ils en étaient et la suite et l'effet.

L'Assemblée constituante a détruit cette première espèce de servitude: elle devait donc anéantir tous les droits réels qui ont la même source. Non seulement elle ne l'a pas fait, mais par une contradiction inconcevable, elle a conservé ceux des droits réels qui avaient été établis en remplacement de la servitude personnelle; et elle a, de plus, conservé par la loi du 15 mai tous les autres droits réels, en supposant qu'ils sont le prix de la concession des fonds.

Mais, Messieurs, du moment qu'il est certain que les droits généraux des possesseurs de fiefs, attachés à la mouvance, inhérents à la qualité de seigneur, et autorisés, comme tels, dans les différentes coutumes, n'ont d'autre cause que l'usurpation, d'autre source que l'oppression féodale, Vous ne pouvez pas hésiter à les anéantir sans indemnité.

qu'ils étaient propriétaires de tous les biens de leurs vassaux, et qui, toutes les fois qu'ils rouva ent l'occasiou de faire une uurpation, croyaient rentrer dans leur propre bien, en sûreté de conscience.

(1) Voyez la note précédente. On a dit par qui avaient été rédigés les coutumes; il serait inutile de le répéter.

Je suis cependant bien éloigné de confondre avec les droits purement féodaux ceux qui sont le prix de la concession du fonds sur lequel ils sont perçus; car il est certain qu'il y a eu une assez grande quantité de terrains incultes et de peu de valeur, cédés par des propriétaires à la charge de droits censuels et casuels, semblables à ceux établis par le régime féodal.

Mais, il n'est pas possible d'en douter, toutes les fois que les seigneurs ont concédé quelques portions de terrain sous la condition de percevoir de tels droits, ils n'ont pas manqué d'énoncer dans les contrats qu'ils ont faits, et dans les reconnaissances qui ont suivi, que ces droits avaient pour cause la concession du fonds. Cette stipulation était trop intéressante pour être omise; et certes les ci-devant seigneurs et leurs agents étaient trop exacts à insérer dans les actes qu'ils faisaient avec leurs vassaux tout ce qui leur était avantageux, pour être soupçonnés d'avoir négligé de faire mention de cette circonstance, lorsqu'elle existait.

Tenons donc pour certain que tous ceux qui ont des droits de cette espèce, ont aussi des titres et des reconnaissances qui énoncent la concession primitive des fonds: ainsi, vous ne ferez injustice à personne, en supprimant sans indemnité tous les droits pour origine de cette concession, ou par la production du titre primitif, ou par trois reconnaissances uniformes, énonciatives de ce titre de concession, soutenues d'une possession immémoriale et sans trouble.

Vainement on objecterait que l'ancienne possession des ci-devant seigneurs doit faire présumer que ces droits ont pour première cause l'abandon de la terre qui y est assujetti : non, sans doute, puisqu'il est démontré que tous les droits généraux n'ont d'autre source que celle de la servitude, l'abus de la force, l'usurpation.

Inutilement encore on dira que les possesseurs actuels les ont acquis de bonne foi, et que leur possession doit au moins produire l'effet de les maintenir dans la propriété des droits qu'ils ont achetés sous la sauvegarde de la loi.

Ce raisonnement, déjà fait sans succès à l'égard de la servitude personnelle abolie sans indemnité, n'a pas plus de force pour ce qui concerne les droits réels, dès qu'ils ont la même origine.

Pourriez-vous être arrêtés, Messieurs, par la considération de cette injuste et trop ancienne possession? Songez qu'il ne s'agit pas de peser ici les intérêts de quelques individus, mais les destinées de tout un peuple, mais la prospérité de toutes les générations qui doivent couvrir la terre de la liberté.

Si l'usage des abus pouvait justifier les abus, si l'oppression pouvait légitimer l'oppression, le genre humain serait condamné à un éternel asservissement et la révolution serait un crime.

Si la prescription peut légitimer une usurpation contre un individu, elle ne saurait avoir lieu contre les peuples. La caste des nobles, dont nous avons anéanti les prérogatives avec tant de raison, n'a donc jamais pu prescrire le droit de foriner des établissements nuisibles à la nation entière.

Il n'est pas question ici de prononcer sur une contestation et des intérêts partiels. Hommes d'Etat, nous avons pour devoir de réformer, de détruire toute institution vicieuse; et il n'en est point de plus immorale et de plus nuisible à la prospérité de la nation que les restes du régime féodal, que la loi du 15 mai 1791 a en quelque sorte raffermi.

Et qu'est-ce qu'une révolution, si ce n'est une subversion dans les usages, dans les lois, dans les institutions d'un peuple? Pourrait-elle jamais avoir lieu, sans froisser les intérêts de ceux qui subsistaient par les abus et qui les avaient introduits?

Mais si ces droits sont une dépendance du régime féodal, comme il n'est pas possible d'en douter: il ne nous est pas permis d'hésiter à les supprimer, puisque la Constitution a prononcé l'anéantissement de ce régime comme un principe essentiel; nous devons au peuple de consacrer au plus tôt toutes les conséquences qui en dérivent.

Je suis donc d'avis de la suppression sans indemnité des droits censuels et casuels qui ne seront pas justifiés avoir pour cause la concession du fonds, par l'exhibition du titre primitif, ou par trois reconnaissances uniformes, énonciatives de la clause de concession de ce même titre, soutenues d'une possession immémoriale et sans trouble.

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« J'ai l'honneur d'envoyer à Votre Majesté la copie d'une lettre à l'Assemblée nationale, où elle retrouvera l'expression des sentiments qui ont animé ma vie entière. Le roi sait avec quelle ardeur, avec quelle constance j'ai de tout temps été dévoué à là cause de la liberté, aux principes sacrés de l'humanité, de l'égalité, de la justice. Il sait que toujours je fus l'adversaire des factions, l'ennemi de la licence, et que jamais aucune puissance, que je pensais ètre illégitime, ne fut reconnue par moi : il connaît mon dévouement à son autorité constitutionnelle, et mon attachement à sa personne. Voilà, Sire, quelles ont été les bases de ma lettre à l'Assemblée nationale; voilà quelles seront celles de ma conduite envers má patrie et Votre Majesté, au milieu des orages, que tant de combinaisons hostiles ou factieuses attirent à l'envi sur nous.

« Il ne m'appartient pas, Sire, de donner à mes opinions, à mes démarches, une plus haute importance que ne doivent avoir les actes isolés d'un simple citoyen; mais l'expression de mes pensées fut toujours un droit, et dans cette occasion devient un devoir; et quoique je l'eusse rempli plus tôt, si ma voix, au lieu de se faire entendre au milieu d'un camp, avait dû partir du fond de la retraite à laquelle les dangers de ma patrie m'ont arraché, je ne pense point qu'aucune fonction publique, aucune considération personnelle me dispense d'exercer ce devoir d'un citoyen, ce droit d'un homme libre.

(1) Voy. ci-dessus, même séance, page 338, la lettre de M. La Fayette à l'Assemblee nationale.

(2) Bibliothèque nationale: Assemblée legislative. Lb, 5982.

"

Persistez, Sire; fort de l'autorité que la volonté nationale vous a déléguée, dans la généreuse résolution de défendre les principes constitutionnels contre tous leurs ennemis que cette résolution, soutenue par tous les actes de votre vie privée, comme par un exercice ferme et complet du pouvoir royal, devienne le gage de l'harmonie qui, surtout dans les moments de crise, ne peut manquer de s'établir entre les représentants élus du peuple et son représentant héréditaire. C'est dans cette résolution, Sire, que sont, pour la patrie, pour vous, la gloire et le salut. Là vous trouverez les amis de la liberté, tous les bons Français, rangés autour de votre trône pour le défendre contre les complots des rebelles et les entreprises des factieux. Et moi, Sire, qui, dans leur honorable haine, ai trouvé la récompense de ma persévérante opposition, je la mériterai toujours par mon zèle à servir la cause à laquelle ma vie entière est dévouée, et par ma fidélité au serment que j'ai prêté à la nation, à la loi et au roi.

« Tels sont, Sire, les sentiments inaltérables dont je joins ici l'hommage à celui de mon respect.

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Séance du lundi 18 juin 1792, au soir. PRÉSIDENCE DE M. LEMONTEY, ex-président.

M. Cambon, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du vendredi 15 juin 1792, au matin.

(L'Assemblée adopte le procès-verbal.)

Un de MM. les secrétaires annonce les dons patriotiques suivants :

1o Un anonyme envoie 5 1. 2. s. en espèces, et 60 livres en assignats;

2o La Société des amis de la Constitution de Bédarieux envoie: 1° en un bon de l'administration des postes, pour espèces, 15 livres, et 300 livres en assignats; 2° une lettre de maîtrise du sieur Huet, maître fabricant d'étoffes, d'un capital de 561. 5 s;

3o Le sieur Juste, grenadier de la 4° division, envoie 25 livres en assignats;

4° Le sieur Servier, commis chez M. de Gancourt, envoie 24 livres en or;

5o La Société des amis de la Constitution de Moulins, envoie 177 1., 2 s. en espèces; 535 1., 10 s. en assignats; un galon de manteau en or et une paire de boucles d'argent.

(L'Assemblée accepte toutes ces offrandes avec les plus vifs applaudissements, et en décrète la mention honorable au procès-verbal, dont un extrait sera remis à ceux des donateurs qui se sont fait connaître.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une lettre de citoyens composant la Société des amis de la Constitution de Perpignan, qui envoient au frère Pie, grenadier, une médaille d'or, qu'ils prient M. le Président de faire passer au frère Luckner, afin qu'il l'attache lui-même au brave grenadier. Cette lettre est ainsi conçue (1):

(1) Archives nationales. Carton 152, dossier n° 270.

⚫ Perpignan, ce 3 mai 1792.

Monsieur le Président de l'Assemblée législative,

« Nous envoyons au frère Pie une médaille d'or. Nous vous prions de la faire passer au frère Luckner pour la lui attacher lui-même, en faisant observer à notre brave grenadier que si nous avons employé l'or pour y graver son action, ce n'est point que nous attachions à ce métal aucune préférence, aucune prédilection, mais nous avons délibéré que l'or ayant presque toujours payé les crimes de la terre, il fallait, pour l'épurer, qu'il servit au moins une fois à consacrer la vertu. Adieu, nous sommes vos amis et vos frères, pour tout le temps que durera dans notre France le règne de la liberté, c'est-à-dire éternellement.

« Les membres composant la Société des amis de la Constitution.

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« P. S. Nous vous ferons passer incessamment nos faibles offrandes pour les frais de la guerre; nous sommes pauvres en moyens, mais riches en patriotisme. Souvenez-vous que notre tribut sera le denier de la veuve et ne jugez que l'intention. Mais s'il faut marcher et mourir pour la Constitution, comptez sur des sujets. Quand la patrie est menacée, Perpignan n'est plus qu'une caserne, nous sommes tous soldats.

(L'Assemblée décrète la mention honorable de cette lettre et son renvoi au Pouvoir exécutif.) Une députation des citoyens de la section du Luxembourg est admise à la barre.

L'orateur de la députation donne lecture de l'adresse suivante :

. Législateurs,

« Un grand nombre de citoyens de la section du Luxembourg ne peuvent voir, sans effroi, la situation horrible où se trouve l'Empire français. « L'ennemi est à ses portes.

་་

Des fanatiques conspirent au-dedans.

« Les factieux, se pliant en tous sens, profitent de toutes les circonstances pour faire réussir les horribles manœuvres qu'ils machinent depuis longtemps.

« Le roi a juré de maintenir la Constitution, et on travaille sous ses yeux à l'avilir, à la détruire.

« Le roi a juré d'être le père, le soutien de tous les Français, et il les expose à être anéantis. "Au moment où le ministère était en partie confié à des mains pures, il arrache de ces mains les rênes de l'Etat.

"La guerre existe, demande la plus grande activité, et le ministre de la guerre est expulsé.

"

« Cette guerre nécessite les plus grands moyens de finances, d'autant plus pressants que les malveillants ont fait tous leurs efforts pour empêcher les recouvrements des impôts, et le ministre des finances est congédié.

Les fanatiques excitent partout la guerre civile, et le ministre de l'intérieur subit le sort des deux autres.

Il est impossible que tout Français ne voie

ces circonstances avec la plus grande inquiétude, et décidés à mourir plutôt que de rentrer sous un régime tyrannique, des citoyens viennent faire part à l'Assemblée nationale des craintes trop fondées qui les tourmentent, et la prient d'aviser aux moyens prochains de sauver l'Empire, dont la destinée est confiée à son génie bienfaisant. Législateurs, ces citoyens qui protestent, en votre présence, de leur fidélité et de leur dévouement à vos opérations, attendent de votre sagesse des mesures vigoureuses, une énergie, une force dignes des représentants d'un peuple libre, qui demande, par votre organe, que vous sévissiez contre les tyrans, dignes enfin de l'engagement que vos prédécesseurs ont contracté au Jeu de Paume. »

(Suivent les signatures de 63 pétitionnaires...)

M. le Président répond à la députation et lui accorde les honneurs de la séance.

(L'Assemblée décrète la mention honorable de cette lettre, son insertion au procès-verbal, puis son renvoi à la nouvelle commission des Douze.)

Une députation des greffiers des bâtiments de la ville de Paris est admise à la barre.

L'orateur de la députation demande, en son nom et au nom de ses collègues, qu'ils soient maintenus, au moins provisoirement, en fonctions, jusqu'au moment où les circonstances permettront aux comités de législation et de liquidation réunis, de présenter à l'Assemblée leurs vues sur la conservation ou la suppression des fonctions des greffiers des bâtiments et, en ce dernier cas, sur le mode de leur liquidation.

M. le Président répond à la députation et lui accorde les honneurs de la séance.

M. Lecointe-Puyraveau. Puisque ces offices sont supprimés, je demande que l'on passe à l'ordre du jour sur la partie de la pétition qui tend à faire conserver les greffiers des bâtiments et qu'on renvoie au comité de liquidation ce qui concerne la liquidation.

(L'Assemblée adopte ces deux propositions.)

M. Claude Bouvet, sculpteur, employé à la manufacture de porcelaine de Sèvres, est admis à la barre, et présente à l'Assemblée le modèle d'une pyramide qu'il propose d'élever à la mémoire de M. Gouvion.

M. le Président répond à M. Bouvet et lui accorde les honneurs de la séance.

(L'Assemblée décrète la mention honorable de ce modèle et le renvoie au comité d'instruction publique.)

M. DEMERIA, caporal au 43 régiment d'infanterie, est admis à la barre. Il expose qu'il a été renvoyé arbitrairement par le sieur Sicard, commandant du 43 régiment d'infanterie, dans lequel il servait la patrie en qualité de caporal, pour avoir manifesté son indignation contre les prêtres perturbateurs. Il dit avoir été renvoyé sans armes. Il demande à être réintégré dans son grade.

M. le Président répond à M. Demeria et lui accorde les honneurs de la séance.

M. Charlier. Je demande le renvoi au Pouvoir exécutif, pour en rendre compte dans 3 jours.

(L'Assemblée décrète cette proposition.)

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