Page images
PDF
EPUB

mention honorable au procès-verbal dont un extrait sera donné aux donateurs.)

M. Merlet, secrétaire, donne lecture du procèsverbal de la séance du 15 juin 1792, au soir. (L'Assemblée en adopte la rédaction.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture des lettres et pétitions suivantes :

1° Lettre du sieur Coutier, sous-lieutenant du 1er bataillon de la Marne, employé dans l'armée commandée par le général Lafayette, qui écrit, que comme il peut être tué au premier choc, il fait la nation son unique héritière, en envoyant 300 livres en assignats, qu'il a reçus pour son équipement.

Cette lettre est ainsi conçue:

"

« Au camp de Maubeuge, le 16 juin 1792.

« Monsieur le Président,

Comme je puis perdre la vie au premier choc, et sans qu'il me soit permis de rendre le moindre service à ma patrie, je la déclare ma seule et unique héritière, et c'est vous que je charge de l'exécution de mon testament.

Mon legs quoique universel, n'est pas bien conséquent; il consiste en 60 corsets de ma gratification, que je n'ai point employés à mon équipement de guerre.

« Ce n'est là, comme vous voyez, qu'une pure et simple reddition.

Est-ce ma faute à moi, si je ne puis pas davantage? Cette modique somme suffira toujours, à peu de chose près, à l'entretien d'un voiontaire pendant un an; si mon patriotisme ne peut durer éternellement, il faut du moins qu'il me survive quelque temps. Que ma patrie sache que mon attachement pour elle égale mon respect et mon estime pour vons, Monsieur, et je meurs le plus heureux des hommes.

«Signé: COUTIER, sous-lieutenant au 1er bataillon de la Marne.

« Armée de Lafayette. »

(L'Assemblée accepte cette offrande avec les plus vifs applaudissements et décrète la mention honorable et l'insertion de la lettre au procèsverbal, dont copie collationnée sera envoyée au sieur Coutier.)

2° Pétition du sieur Saunier (1), ci-devant officier-coureur de vin de la maison d'Artois, qui demande une revision du décret relatif à la liquidation des officiers des maisons des frères du roi.

(L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur cette pétition.)

3° Pétition du sieur Maillard, ex-capucin, aumônier de la marine, qui, ayant présenté une adresse à l'Assemblée pour y dénoncer une injustice commise à son égard, se plaint du renvoi qui lui en a été fait par le comité des pétitions, en l'adressant aux autorités constituées qui sont compétentes. Il demande que l'Assemblée lui rende justice.

(L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur cette pétition.)

Un membre: Je demande que l'Assemblée dé

(1) Voy. ci-après aux annexes de la séance, page 394, le texte de cette pétition.

[blocks in formation]

« Les citoyens de Montpellier ont vu avec plaisir, mais sans étonnement, l'attitude fière et imposante que l'Assemblée vient de prendre.

[ocr errors]

Malgré les efforts des libellistes soudoyés, la grande majorité du peuple français compte sur le fermeté de ses représentants, comme ses députés peuvent compter sur son courage et sur sa force.

« Nous n'avons jamais entendu que les députés de nos départements envoyés à Paris pour defendre les grands intérêts de la nation pussent devenir le jouet ou la pâture d'un juge de paix. Nous ne voulions pas non plus qu'une cabale affreuse, désignée sous le nom de comité autri. chien, cherchât plus longtemps à remettre le Français sous les fers du despotisme. Enfin nous ne pouvions souffrir plus longtemps qu'on entourât un roi constitutionnel d'une garde formée d'une manière inconstitutionnelle.

La patrie a parlé, le glaive de la justice va frapper tant de têtes coupables et l'Assemblée vient de s'élever de toute sa hauteur; non jamais elle ne cessera de réprimer et de punir les infâmes conspirateurs. Représentants, la nation entière est levée, le peuple armé, 6 millions d'hommes vous offrent leur fortune et leur vie pour soutenir notre sainte Constitution. Que nos ennemis bénissent votre clémence et celle des Français, car au premier signal, ils eussent payé de leurs têtes criminelles les maux affreux qu'ils ont tenté de faire.

<< Hâtez-vous de faire une loi terrible, une loi de fer, qui contienne tous les conspirateurs, qui les retranche de la société qu'ils cherchent à détruire. Quand on ne peut apprivoiser des tigres féroces, on est forcé de les enchainer; hâtezvous de décréter la motion de M. Lasource pour mettre la garde nationale sédentaire en pleine activité. Les départements frontières contre les ennemis extérieurs, les autres contre les intérieurs, exigent cette grande mesure. »

(Suivent les signatures.)

(L'Assemblée décrète la mention honorable de cette pétition.)

5o Pétition de la dame Vicaire, qui demande un local pour l'établissement, à ses frais, d'un hospice, où elle se propose de guérir plusieurs maladies déclarées incurables, elle offre caution pour le payement du loyer, en cas de non-succès. (L'Assemblée renvoie cette pétition au comité de secours publics.)

6o Pétition des sieurs François Ruyère, Perolet,

(1) Archives nationales. Carton 182, dossier no 270.

J. B. Marmeuse, grenadiers du 68° régiment d'infanterie, qui se plaignent d'avoir été renvoyés de leur corps sans cartouche ni certificat, et dénués de tout secours, deux jours après l'affaire de Mons, où ils se sont trouvés.

(L'Assemblée renvoie cette pétition au Pouvoir exécutif.)

7° Pélition du sieur Manet, lieutenant-colonel du 12 régiment des chasseurs à cheval, qui se plaint d'une injustice qu'il prétend que l'ex-ministre Servan a commise à son égard.

(L'Assemblée renvoie cette pétition au comité militaire.)

8° Lettre des commissaires de la Trésorerie nationale, qui demandent à être autorisés à terminer une créance très importante due à la nation par les propriétaires de l'ancien enclos des QuinzeVingts, et qui envoient le projet d'un acte de transaction.

(L'Assemblée renvoie cette lettre au comité de l'ordinaire des finances).

9° Lettre du sieur Chavard, citoyen habilant de la section des Innocents, accompagnant une adresse relative au renvoi des ministres et au licenciement de l'état-major de la garde nationale parisienne.

(L'Assemblée renvoie cette lettre aux comités de législation et de surveillance réunis.)

10° Lettre du sieur Marette, qui offre de communiquer un moyen qui peut produire, dans un camp, l'effet de 20,000 hommes.

(L'Assemblée renvoie cette lettre au comité militaire.)

11° Lettre de l'assemblée coloniale de la Guyane française, accompagnant diverses pièces.

(L'Assemblée renvoie cette lettre au comité colonial.)

12° Pétition des invalides habitant l'Hôtel, qui se plaignent que les lois nouvellement décrétées pour leur régime ne sont pas encore exécutées.

(L'Assemblée renvoie cette pétition au Pouvoir exécutif, pour en rendre compte par écrit dans le plus bref délai.)

Une députation du bataillon de Saint-André-desArts, de garde montante auprès de l'Assemblée, est admise à la barre.

L'orateur de la députation demande la permission de planter un arbre, surmonté d'un bonnet de la liberté, à la porte de la salle et de défiler, après la cérémonie, dans l'enceinte de la salle. Il proteste de leur soumission aux lois, renouvelle le serment qu'ils ont fait de verser leur sang pour défendre la Constitution et demande qu'il soit nommé des commissaires pour assister à cette cérémonie civique.

M. le Président répond aux pétitionnaires et leur accorde les honneurs de la séance.

M. Thuriot. Je convertis cette pétition en motion. Je demande que l'on accorde aux pétitionnaires ce qu'ils demandent, et je propose, en outre, qu'on nomme quatre membres pour assister à cette cérémonie. Rien ne doit être plus doux que de voir planter l'arbre de la liberté.

(L'Assemblée décrète cette proposition.)

M. le Président nomme les quatre membres qui doivent former cette députation.

.M. Rogniat, au nom des comités d'agriculture

et de commerce réunis, fait un rapport (1) et présente un projet de décret (1) sur le canal projeté par le sieur Chevalier, dans le département de l'Ain, pour la continuité de la navigation du Rhône, interceptée entre Seyssel et Genève; il s'exprime ainsi :

Messieurs, au nom de vos comités d'agriculture et de commerce, je viens vous présenter le projet d'un canal sur la rive droite du Rhône, par le moyen duquel la navigation sur l'un dé nos principaux fleuves, qui se trouve interceptée par la disparition totale des eaux de ce fleuve, et leur engouffrement sous terre, puisse désormais avoir un libre cours, et procurer à l'agriculture et au commerce tous les avantages que la société est en droit d'attendre d'une navigation aussi importante que celle du Rhône.

Messieurs, à 15 lieues au-dessous de Genève, et à 20 lieues au-dessus de Lyon, entre le département de l'Ain et le duché de Savoie, et depuis la cataracte du pont de Lucey jusqu'au ravin de Ringe, le Rhône coule dans une gorge fort étroite, bordée de rochers très escarpés. Dans cet espace, qui est de 3,600 toises, les eaux tombent de cascades en cascades et se précipitent dans un gouffre souterrain, dont elles ne sortent qu'à 120 toises plus bas. Ces abîmes horribles, cès effrayantes cataractes, en interrompant le cours de la navigation, n'offrent point à leurs côtés des rives sur lesquelles on puisse commodément la rétablir par un canal; des rochers coupés presque à pic, dont le pied repose sous les eaux du fleuve, et dont la cime s'élève jusqu'à 400 pieds, forment les bords que dans cet endroit sauvage les eaux se sont façonnés elles-mêmes, en creusant dans le roc le berceau où elles roulent avec impétuosité. Telle est, Messieurs, l'image exacte de ces lieux affreux que la nature semble avoir pris plaisir à former exprès, pour opposer d'éternelles barrières à la navigation.

Cependant il n'est point d'obstacles si grands en ce genre, dont aujourd'hui l'art ne triomphe, lorsque l'on aperçoit au delà des avantages pour la société, qui l'emportent sur les frais de l'exécution et s'il faut ici, dans une étendue de 3,600 toises, creuser dans le roc un canal de 36 pieds d'ouverture sur 5 de profondeur, et peut-être encore une galerie souterraine, dans une partie de cette longueur, cette opération n'effraie point le génie, elle ne peut que faire hésiter la prudence, jusqu'à ce que des calculs assez positifs lui aient démontré que les avantages qui en doivent résulter, sont supérieurs à la dépense qu'elle nécessite.

C'est en faisant le calcul des avantages d'une part, et de la dépense de l'autre, et en comparant les résultats de ce calcul, que le sieur Chevalier, à l'aide des opérations qu'il a fait faire par plusieurs ingénieurs, et à diverses reprises, s'est convaincu qu'il y aurait beaucoup à gagner pour l'Etat, dans l'exécution d'un projet de cette importance; et pénétré de cette vérité, depuis 10 ans, Messieurs, il n'a cessé de faire des démarches, soit auprès de l'ancien gouvernement, soit auprès de l'Assemblée nationale constituante, pour consommer une entreprise aussi utile.

Je ne vous rendrai point compte de toutes les démarches qu'il a faites pour décider l'ancien gouvernement à accueillir son projet, ce récit ne vous mènerait à rien d'utile pour l'objet

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Agriculture, no 7.

que je me propose; je vous dirai seulement que, lassé par 8 années de peines et de démarches inutiles, le sieur Chevalier vint avec joie se jeter dans les bras de l'Assemblée nationale constituante. Il commença par se munir d'une attestation de 12 de ses membres, dans laquelle ils exposent, d'après la connaissance qu'ils déclarent avoir des localités, les principaux avantages que doit produire l'exécution du projet. De ce nombre fut Mirabeau, qui, outre l'attestation commune des Douze, déclara encore en particulier qu'il avait vu le local, et regardait projet comme fort important.

Ce fut au mois de janvier 1790, que le sieur Chevalier présenta sa petition à l'Assemblée nationale, dans laquelle, au moyen d'une compagnie de bailleurs de fonds, dont il s'est assuré, il proposa de se charger à ses frais, périls et risques, de l'exécution de ce grand ouvrage, moyennant un droit de transit sur toutes les marchandises.

Son mémoire fut renvoyé au comité d'agriculture et de commerce qui, lui-même, le renvoya au directoire du département de l'Ain, pour prendre son avis. Ce directoire demanda l'avis de l'ingénieur en chef du département, et celui des districts de Gex et de Nantua. Ceux-ci consultèrent toutes les municipalités voisines; ils firent plus encore, ils envoyèrent des commissaires sur les lieux; et les réponses des municipalités, les procès-verbeaux des commissaires, avec l'avis des 2 districts, et celui du sieur Céard, ingénieur en chef, ayant été rapportés au directoire de département, il donna, à son tour, le 12 octobre 1790, son avis favorable en tout point au projet du canal.

Après que le directoire de département eut donné son avis, le sieur Chevalier sollicita assez vivement le rapport de sa pétition; mais les grands travaux de l'Assemblée constituante ne lui ayant pas permis de s'en occuper, cette pétition est échue à vos comités d'agriculture et de commerce, qui, après avoir examiné les pièces, mémoire, plans et nivellement qui l'accompagnent, et après avoir pris l'avis de l'administration centrale des ponts et chaussées, ont arrêté à l'unanimité de proposer à l'Assemblée nationale l'exécution du projet.

Les raisons qui ont déterminé les comités, sont les avantages évidents qui en résulteraient pour le commerce, l'agriculture et l'architecture civile et navale.

En effet, la ville de Genève, une partie de la Suisse et une partie de la Savoie tirent de Lyon et de Marseille, ou de nos autres villes meridionales, presque toutes les matières et marchandises dont elles ont besoin.

Ces pays tirent encore des départements méridionaux nos huiles d'olive, nos savons, nos eaux-de-vie, vos vins des côtes du Rhône et du departement de l'Ain, qui sont pour toutes les contrées de la France des productions surabondantes, auxquelles on ne saurait trop favoriser des débouchés chez l'étranger.

Ils tirent aussi des salines de Pecquei, dans le département des Bouches-du-Rhône, tout le sel qu'ils consomment, lequel leur est fourni par la France, ensuite des traités conclus à cet effet.

Or, toutes ces marchandises, toutes ces productions, que nous avons le plus grand intérêt à envoyer à l'étranger, remontent bien par le Rhône jusqu'à Seyssel, situé sur le bord de ce fleuve, à 15 lieues au-dessous de Genève; mais

arrivées là, le Rhône cessant d'être navigable, par les cataractes et les abîmes dont je vous ai fait le tableau, il faut débarquer les marchandises et les conduire sur des voitures jusqu'à Genève, par des chemins montueux et difficiles; ce qui renchérit considérablement le transport.

Le canal projeté par le sieur Chevalier, en rétablissant le cours intercepté de la navigation du Rhône, permettrait aux voitures d'eau de continuer leur route jusqu'à Genève et dans la Suisse, sur un espace d'environ 35 lieues, tant par le Rhône que par le lac de Genève; et par ce moyen, le transport devenant plus commode et moins cher, les marchandises et les productions qu'il est de notre intérêt de vendre à l'étranger, auraient un débit plus facile et plus avantageux, et le sel que la France fournit à Genève, à une partie de la Suisse et à une partie de la Savoie, nous coûterait beaucoup moins en frais de voiture.

Par le moyen du même canal, les excellents fromages de la Suisse, connus sous le nom de gruyères, et dont on fait une si grande consommation dans toute la France, nous arriveraient avec moins de frais.

Les marbres de Suisse, la chaux maigre de Savoie, qui, pour construire dans l'eau, peut tenir lieu de la pozzolane, coûteraient aussi beaucoup moins à ceux de nos départements qui sont à portée d'en faire usage.

Enfin, et ceci est un point capital, les immenses forêts en sapins, chênes et hêtres, qui couvrent les montagnes des départements de l'Ain et du Jura, du Valais, de la Suisse et de la Savoie, et dans lesquelles les plus beaux arbres dépérisent, par la difficulté et la cherté du transport, fourniraient, au moyen du canal, les plus grandes ressources pour les constructions et pour le chauffage dans la ville de Lyon et dans les départements méridionaux, et surtout pour la marine, dans tous nos ports sur la Méditerranée.

Ces avantages, Messieurs, sont d'autant plus certains, et vous devez y croire avec d'autant plus de confiance, que le sieur Chevalier ne peut trouver que dans leur réalité l'indemnité des dépenses énormes de son entreprise; car cet entrepreneur ne demande à la nation aucune avance, aucun prêt, aucun secours; lui et sa compagnie en feront tous les frais, et eux seuls courront tous les risques de l'entreprise, au moyen d'un droit de transit sur les marchandises, qui leur sera accordé par l'Assemblée nationale, durant un nombre d'années déterminé; en sorte qu'il faut nécessairement que le canal soit très fréquenté, et par conséquent d'une grande utilite, pour que les entrepreneurs puissent se rembourser de leurs avances.

Ce point étant donc incontestable, que le canal projeté par le sieur Chevalier, qui a pour objet de rétablir le cours intercepté de la navigation sur le Rhône, présente des avantages réels pour l'agriculture et le commerce; et d'autre part, les offres du sieur Chevalier de l'exécuter à ses frais, périls et risques, mettant la nation à l'abri de toutes pertes et de tous dangers, l'Assemblée nationale ne peut pas hésiter à décréter que le canal sera fait. Il ne reste donc plus qu'à examiner les conditions et les droits de péage arrêtés par le comité avec le sieur Chevalier, avec toute l'attention et toute la circonspection qu'exige l'intérêt public: car, quoiqu'il soit vrai de dire que, quel que fût le

droit de transit que percevrait le sieur Chevalier sur son canal, il y aurait nécessairement à gagner pour le public, puisque, sans cela, les routes actuelles restant toujours ouvertes, on les choisirait de préférence; néanmoins l'Assemblée nationale doit proportionner, autant qu'il est en son pouvoir, le droit de transit avec les dépenses du sieur Chevalier, afin que la société trouve dans l'exécution du projet la plus grande somme d'avantages possibles, et que cependant le sieur Chevalier et sa compagnie y trouvent aussi une indemnité honnête de leurs travaux, de leurs dépenses, et des risques qu'ils peuvent des risques qu'ils peuvent avoir à courir dans le succès de l'entreprise. Pour établir cette proportion avec justesse, il faudrait avoir des données fixes et certaines, et il est malheureusement impossible de s'en procurer de semblables; mais à leur défaut je vais présenter des calculs par approximation. qui donneront à l'Assemblée, sur ce dont il s'agit, des notions assez satisfaisantes pour déterminer son jugement.

D'abord, sur ce qui concerne la dépense de construction, j'observe que les ingénieurs employés par le sieur Chevalier l'ont portée, par leurs calculs, à 3 millions et demi, et que l'administration centrale des ponts et chaussées l'a portée au double de cette somme, c'est-à-dire

7 millions. En voyant une aussi énorme différence, j'ai essayé aussi de calculer cette dépense; j'ai trouvé qu'il y avait 54,000 toises cubes d'excavations à faire dans des rochers fort durs, partie en galerie souterraine, partie sur le penchant de la montagne. En n'évaluant la toise cube qu'à 50 livres, cela produit 2,700,000 livres, auxquelles j'ajoute 1,300,000 livres pour les frais de 18 écluses, de la prise d'eau, des terrasses et autres ouvrages; ce qui produit une somme totale de 4 millions, qui est le plus bas terme, à mon avis, auquel on puisse fixer le montant de la dépense de construction; et c'est de cette somme que je partirai pour arriver aux résultats que j'ai à vous présenter. J'accorde aux entrepreneurs l'intérêt de cette somme au 6 0/0 pendant 80 ans, parce que le capital en est perdu; ce qui donne annuellement 240,000 livres. J'évalue à 15,000 livres les frais annuels de régie et d'entretien du canal; ce qui fait, avec la somme précédente, 255,000 livres. J'y joins ensuite 50,000 livres, pour la contribution foncière à laquelle il sera soumis en vertu du décret du 21 fevrier 1791; ce qui me donne pour somme totale 290,000 livres, que doit rendre le canal chaque année pendant 80 ans aux entrepreneurs, pour qu'ils se trouvent au pair de leurs dépenses; et si l'on y joint le bénéfice honnête qu'ils sont en droit d'en attendre, tant pour leurs peines et travaux, que pour les risques de l'entreprise, ce n'est pas le porter trop haut que de leur passer jusqu'à 350,000 livres annuellement, pour faire face à tout.

Cela déterminé, j'examine quel peut être le produit de ce canal. Je vois d'abord, par un état qui a été dressé et qui m'a été remis par un homme qui a habité sur les lieux, que les marchandises qui, dans l'état actuel des choses, montent et descendent tant par eau que par terre, pourraient rapporter au prix du tarif environ 100,000 livres; je considère ensuite que c'est porter les choses bien loin que de supposer qu'il passera par le canal le double des marchandises qui circulent et s'exportent par la route actuelle, ce qui porterait le produit à 200,000 livres; je pense enfin qu'il est presque

impossible que les bois et autres denrées et marchandises qui actuellement ne sont pas en circulation, puissent rapporterau canal 130,000 livres qu'il faudrait encore, pour former le complément des 350,000 livres que les entrepreneurs devraient retirer annuellement du canal pour faire un bénéfice honnête.

D'après ces considérations, vos comités, Messieurs, se sont facilement déterminés à accorder les 5 sols par quintal demandés par le sieur Chevalier pour toute la traversée du canal; mais ils ont mis à ce droit une restriction qui favorisera singulièrement le transport des marchandises, qui, sous un poids considérable, ont une petite valeur commerciale; cette restriction consiste à ce que jamais le droit ne puisse excéder le vingtième de la valeur de la chose: ainsi des denrées telles que la paille, qui ne vaut que 20 sols le quintal, ne payerait qu'un sol par quintal; le foin, qui ne vaut que 40 sols, ne payerait que 2 sols; le charbon de terre, qui ne vaut que 20 sols, ne payerait qu'un sol; la pierre, qui peut valoir 10 sols, ne payerait que 6 deniers; et ainsi de cent autres choses.

Voici, Messieurs, le projet de décret que j'ai l'honneur de vous présenter de la part de vos comités :

PROJET DE DÉCRET.

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport qui lui a été fait au nom de son comité d'agriculture, de la demande du sieur Joseph Chevalier, citoyen français, résidant à Paris, d'ouvrir et construire à ses frais un canal de navigation sur le territoire du département de l'Ain, qui prendrait sa naissance dans le fleuve du Rhône, au-dessus de la cataracte du pont de Lucey, et aurait son embouchure dans le même fleuve, auprès du ravin de Ringe;

"

Après avoir également entendu le rapport qui lui a été fait, de l'avis donné sur ce projet le 12 octobre 1790, par les administrateurs du directoire du département de l'Ain;

Après avoir entendu enfin le rapport de l'avis de l'administration centrale des ponts et chaussées, décrète ce qui suit :

« Art. 1er. Le sieur Chevalier est autorisé à ouvrir et construire à ses frais, périls et risques, un canal de navigation dans le département de l'Ain, qui prendra sa naissance dans le fleuve du Rhône, au-dessus de la cataracte du pont de Lucey, et aura son embouchure dans le même fleuve, auprès du ravin de Ringe.

Art. 2. La largeur de ce canal sera de 36 pieds à la surface de l'eau, et sa profondeur depuis la même surface sera partout de 5 pieds au moins. Il sera garni d'anses de retraite et d'écluses en nombre suffisant pour la plus grande commodité de la navigation; le chemin du halage sera, dans toute sa longueur, d'une largeur de 10 pieds au moins.

«Art. 3. Le sieur Chevalier reste chargé de faire à ses frais les ponts en pierre sur les chemins que son canal pourrait traverser, et de faire construire, pareillement à ses frais, tous les ouvrages d'art qu'exigeront les rivières, torrents et ravins qui se rencontrent sur le tracé du canal.

Art. 4. Il est chargé en outre d'extirper et enlever tous les rochers, tous les blocs de pierre qui, au-dessus de la naissance de son canal jusqu'à Genève, peuvent faire obstacle à la navigation.

Art. 5. Il sera tenu d'indemniser tous les possesseurs auxquels il pourra occasionner des dommages et dégâts pour l'exécution de ses travaux.

Art. 6. Il est autorisé à acquérir les terrains et propriétés nécessaires à l'exécution du canal et de ses dépendances, suivant l'estimation qui en sera faite de gré à gré, et à ce défaut, par des experts nommés par les directoires de district; et les difficultés, s'il en survient à cette occasion, seront terminées par le directoire de département.

Le propriétaire d'un héritage divisé par le canal, pourra, lors du contrat de vente, obliger le sieur Chevalier d'acquérir les parties restantes, pourvu toutefois qu'elles n'excèdent pas en valeur celles acquises pour ledit canal et ses dépendances. Si cependant la partie restante d'un héritage se trouvait réduite à un demiarpent, ou au-dessous, les entrepreneurs seront obligés à les acquérir, s'ils en sont requis par les propriétaires."

Art. 7. Le sieur Chevalier ne pourra se mettre en possession d'aucune proprieté qu'après le payement réel et effectif à laquelle elle aura été évaluee. En cas de refus ou d'autres diflicultés, la consignation de la somme à payer, faite dans tel dépôt public que le directoire de departement ordonnera, sera considérée comme payement, après qu'elle aura été notifiée. Alors toutes oppositions ou autres empêchements à la prise de possession seront sans effet.

Art. 8. Quinzaine après le payement du prix, ou la consignation dùment notifiée, le sieur Chevalier est autorisé à se mettre en possession de tous les terrains qui se trouveront dans l'emplacement du canal et de ses dépen→ dances; à l'égard des bâtiments, s'il s'y en trouve, ce délai sera de trois mois.

Art. 9. Les hypothèques, dont les biens qu'il acquerra pour la construction du canal et de ses dépendances pourraient être chargés, seront purgées en la forme ordinaire: mais il ne lui sera expédié chaque mois qu'une seule lettre de ratification par tribunal pour tous les biens dont les hypothèques auront été purgées pendant ce mois.

Art. 10. Ce canal sera soumis aux contributions de la même manière que les autres établissements de ce genre.

Art. 11. Le sieur Chevalier jouira pendant 80 ans, à compter de l'expiration du délai ciaprès fixé pour l'achèvement du canal, du droit de peage qui sera décrété; et après ce temps le canal et ses dépendances appartiendront à la nation, sans qu'elle ait rien à lui rembourser; et il lui sera remis en bon état.

Art. 12. Mais le sieur Chevalier conservera la propriété des terrains morcelés et indépendants du canal, qu'à la forme de la seconde disposition de l'article 4 il aura été forcé d'acquérir.

Art. 13. Dans le délai de 4 mois à compter du jour de la sanction du présent décret, le sieur Chevalier justifiera au directoire du département de l'Ain qu'il peut disposer de 15,000,000 de livres pour commencer l'exécution de ses travaux, sans y comprendre le prix de l'achat des terrains; et il fera faire par-devant ce directoire des soumissions à concurrence de cette somme, par des personnes d'une solvabilité bien connue et cousiatée. Dans ce même délai de 4 mois, il mettra ses travaux en activité. Dans le délai de 5 ans, toujours à compter de la sanction du décret, il achèvera ses travaux; et à défaut d'avoir rempli

ce qui lui est prescrit dans lesdits termes, il se trouvera déchu du bénefice du présent décret, sans pouvoir répéter envers la nation.

Tarif du péage accordé au sieur Chevalier.

« Art. 1. Il sera payé pour les bateaux chargés de quelque denrées, marchandises et effets que ce puisse être, pour toute la traversée du canal, 5 sols pour chaque quintal, poids de marc, des objets composant leur charge, dont la valeur commerciale sera de 5 livres et au-dessus dans la ville de Lyon, si c'est en descendant, ou dans celle de Genève, si c'est en remontant. Pour les objets dont la valeur, dans lesdites villes, sera moindre de 5 livres le quintal, le droit sera perçu sur le pied du vingtième seulement de ladite valeur.

Art. 2. Il sera payé pour les bateaux vides qui passeront sur ledit canal, 20 sols pour chaque toise de leur longueur, et le même droit sera aussi payé pour ceux qui n'auront pas au moins le tiers de leur charge, sans préjudice au droit sur les marchandises, qui sera perçu en outre comme il a été réglé à l'article 1er.

« Art. 3. Il sera perçu pour les trains de bois de toutes les formes et espèces qui passeront sur le canal, autres néanmoins que les planches, 6 livres pour chaque toise de leur longueur, sans que ce droit puisse excéder le ving ième de la valeur des bois, comme il est porté par l'article 1er. Les marchandises et effets, même les planches que porteraient lesdits trains de bois, seront en outre soumis au payement des droits portés par l'article 1.

Art. 4. Les voyageurs par les coches, diligences et autres voitures publiques, qui passeront sur le canal, payeront 20 sols par personne, sans qu'ils puissent s'en exonérer en descendant à terre avant d'entrer dans le canal et parcourant à pied toute la longueur de ses bords; ils payeront en outre les droits fixés par l'article 1er pour leurs effets ou marchandises en tout ce qui excédera le poids de 15 livres.

Art. 5. Tous les objets transportés pour le compte de la nation ne seront sujets qu'à la moitié seulement des droits fixés par les articles précédents.

Il sera fait un règlement pour la police du canal. "

(L'Assemblée ordonne l'impression du rapport et du projet de décret et ajourne la seconde lecture à huitaine.)

M. Malus, au nom du comité de l'ordinaire des finances, fait un rapport et présente un projet de décret (1) concernant l'ile de Noirmoutier ; il s'exprime ainsi :

Messieurs, les habitants de l'ile de Noirmoutier, par leur pétition, lue à l'Assemblée nationale le 4 décembre dernier (2), et renvoyée aux comités de l'ordinaire des finances et de marine, forment plusieurs demandes dont une seule regarde le comité de l'ordinaire des finances.

Ils exposent que jusqu'à présent ils n'ont acquitté aucune contribution, parce que le gouvernement, ayant bien calculé ses intérêts, avait mieux aimé ne pas les imposer que de se char

(1) Bibliothèque nationale. Assemblée législative, Contributions publiques, n° 17.

(2) Voy. Archives parlementaires, 1oa série, t. XXXV, séance du 4 decembre 1791, page 367, la pétition des habitants de l'ile de Noirmoutier.

« PreviousContinue »