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prentissage et confondant ou, si nous pouvons dire, fondant l'atelier avec l'école et même avec le foyer domestique, énonce

ront de celles qui sont écrites dans la loi de l'enseignement, quoi qu'elles aient au fond le même objet.

» Les garanties, vous le savez, Messieurs, elles existaient dans la législation abolie en 1789. Les intérêts moraux, les intérêts matériels qui se rattachent à la question d'apprentissage avaient éveillé plus d'une fois la sollicitude royale. Mais les édits touchant cette matière se ressentaient de l'esprit de privilége qui animait nos vieilles institutions. Ils tendaient à favoriser l'espèce de monopole industriel qu'exerçaient les corporations d'arts et métiers, et à restreindre la concurrence dans les plus étroites limites. Déjà du temps de St-Louis, le nombre des apprentis que peut recevoir un maître est fixé pour chaque profession. On avait aussi déterminé l'âge où l'enfant peut entrer en apprentissage et le temps qu'il y devait rester soit pour se perfectionner dans la pratique de son état, soit pour s'acquitter envers son maître. Mais l'apprenti n'était pas moins protégé que la communauté elle-même. Il était placé sous la tutelle des jurés ou syndics des corps dont il embrassait la profession : ceux-ci veillaient à la fidèle exécution du contrat dont ils s'étaient portés garants devant notaire. Un membre du syndicat remplissait les fonctions de visiteur ou d'inspecteur, entrait librement dans les ateliers et les boutiques, suivait, en juge compétent, les progrès de l'apprenti, s'informait de sa conduite, surveillait aussi celle des maîtres, et les syndics étaient armés d'une autorité suffisante pour réprimer tous les abus signalés par le visiteur. Il fallait que l'apprenti fût véritablement initié aux mystères de la profession, et, en outre, convenablement logé, convenablement habillé, paternellement élevé. Les lois et statuts entraient, à cet égard, dans les détails les plus touchants. Aussi, lors de la convocation des états généraux, en 1789, le tiersétat, tout en proposant, dans ses cahiers, la suppression des priviléges de la maîtrise et des coutumes gênantes consacrées par notre législation industrielle, demandait expressément qu'on rédigeât, d'après ces coutumes, une loi générale sur l'apprentissage.

>> Cette loi est encore attendue.

» Le décret du 2 mars 1791 a rompu le faisceau qui unissait entre eux les maîtres, les compagnons et les apprentis. Il a substitué le régime d'une liberté absolue au régime des communautés. Le développement de notre commerce et de nos industries, l'accroissement de nos richesses sont le fruit de cette innovation. Mais la liberté avec ses avantages a aussi ses périls; elle en a qui sont inhérents à son existence et qu'il faut savoir supporter; ils peuvent compromettre quelques intérêts, occasionner même dans les masses des souffrances passagères; mais ils fortifient les âmes, tiennent l'intelligence en éveil et sont la source des perfectionnements. Telles sont les luttes et les crises qu'engendre la concurrence. Ce sont là des inconvénients auxquels il faut s'accoutumer; car ils ne disparaîtront qu'avec la liberté même et sa dignité et ses bienfaits. Mais la liberté a d'autres périls plus sérieux, plus afffigeants; ce sont ceux qui troublent l'ordre moral et qui échappent à la répression par la négligence plutôt que par l'impuissance du législateur. L'apprentissage, par exemple, a donné lieu à des abus que nous signalerons bientôt, abus dont les jeunes apprentis ont été les premières victimes, dont toute la classe ouvrière a souffert et qui ne sont complétement étrangers ni aux discordes de ce temps ni à la décadence de certaines branches d'industrie.

qu'apprentissage veut non-seulement dire: éducation professionnelle, mais aussi éducation morale. A ce titre, et en vue des

» La loi du 22 germinal an XI tenta d'obvier aux premiers inconvénients qu'entraînait l'absence de toute législation sur la matière. Elle donna au juge le droit de briser, en certains cas, le contrat d'apprentissage, elle frappa de nullité toutes stipulations ayant pour objet de prolonger, dans l'intérêt du maître, la durée de l'apprentissage au delà du terme d'usage. Elle protégea la liberté de l'apprenti contre les exigences tyranniques, et la probité du maître contre la mauvaise foi de l'apprenti: dispositions utiles, mais incomplètes et pourtant les seules qui existent dans nos codes.

» A la vérité, la sagesse des parties a souvent suppléé au silence de la loi. Il s'est même établi sous ce régime de liberté sans bornes des précédents, des coutumes, des traditions, des mœurs. Mais quand les intérêts et les passions de l'homme sont en jeu, les coutumes les plus respectables sont un lien bien fragile. Ces règles morales n'enchaînent que les gens de bien. Si la plupart des contractants ont sagement usé de la liberté qu'on leur avait faite, beaucoup en ont abusé : l'apprenti envers le maître, le maître envers l'apprenti. L'ignorance des parents, la faiblesse de l'enfant, l'avidité du maître, celle des père et mère de l'apprenti, ont engendré des fraudes et des violences criantes. On a trop souvent oublié de part et d'autre le caractère moral et le but de l'apprentissage pour en faire un indigne trafic.

» L'institution des prud'hommes, en 1810, a corrigé en partie ces abus en ramenant au joug de l'équité ceux qui voulaient s'en affranchir. Ces tribunaux se sont créé à la longue une jurisprudence qui n'est que la consécration des bons usages naturellement établis dans certaines villes entre les maîtres et les apprentis.

» Mais vous comprendrez, Messieurs, l'insuffisance de cette institution. Il n'y a pas des prud'hommes partout, et, là où il y en a, leur juridiction est restreinte. Ces conseils d'ailleurs fussent-ils plus nombreux, une loi sur l'apprentissage n'en serait pas moins indispensable. La loi est la force du magistrat, la garantie du justiciable, la lumière de tous. En enseignant à chacun son droit et son devoir, elle prévient les conflits; en donnant une règle au juge, elle ne le dispense pas de prudence. Elle ne rend qu'à la justice ce qu'elle ôte à l'arbitraire. Il y a déjà longtemps que le gouvernement a été averti de la nécessité d'imprimer enfin un caractère légal et même une sanction à ces règles tacites que la sagesse des prud'hommes a su jusqu'ici maintenir, à ces salutaires coutumes qui sont nées de la nature même des choses et qui finiront par s'altérer si la loi ne les protége et ne les fortifie.

» Dès 1845, le gouvernement soumit au Conseil général des manufactures et du commerce le projet de loi conçu dans cet esprit et dont les dispositions revivent dans le projet de votre commission.

» En 1848, notre honorable collègue, M. Peupin, saisit l'Assemblée constituante d'une proposition en partie modelée sur le projet de 1845, et le résultat des délibérations du Comité du Travail, chargé de l'examen de cette proposition, est consigné dans un savant rapport de M. de Parieu, aujourd'hui ministre de l'instruction publique.

>> Sur l'invitation du ministre du commerce de cette époque, la Chambre de commerce de Paris examina, à son tour, la question, et ses observations sur le projet de M. Peupin amendé par le Comité du Travail méritent une sérieuse attention.

» La question étant ainsi préparée, la Commission jugea que la loi sur

relations intimes qui existent entre le maître et l'apprenti, M. Callet se demande si des garanties légales ne sont pas

l'apprentissage rentrait naturellement dans le cercle des travaux qu'elle a mission d'accomplir, et elle résolut de vous le présenter, en vertu du droit d'initiative que vous lui avez confié. Elle s'entoura de tous les documents que je viens de mentionner; elle ouvrit une espèce d'enquête et entendit, entre autres personnes MM. les présidents des diverses sections du Conseil, des prud'hommes de Paris.

» C'est dans ces circonstances qu'est intervenu un nouveau projet du gouvernement, préalablement soumis au Conseil d'État.

» Le but que s'est proposé M. le Ministre du commerce est sans doute le même que poursuivait votre commission. Mais après un examen attentif, il nous a paru que le projet ministériel ne répondait pas complétement à la pensée qui l'a inspiré. Ce projet contient, en effet, les principes de la loi qu'il faut faire, mais non la loi elle-même. A part deux ou trois articles dépourvus d'ailleurs de sanction pénale, il tend à confirmer purement et simplement les coutumes en vigueur, mais sans les définir, sans apporter au bien une force nouvelle, au mal aucune répression.

» On se demande à quoi bon une loi de plus dans nos codes, si elle n'ajoute rien aux lois existantes, si elle laisse subsister toutes choses dans leur obscurité ancienne et dans leur incertitude. Fallait-il une loi nouvelle pour dire que les contestations relatives au contrat d'apprentissage seront portées devant le conseil des prud'hommes ? M. le Ministre du commerce, dans son exposé des motifs, nous explique, il est vrai, la réserve. qu'il s'est imposée. Il a vu dans le contrat d'apprentissage un contrat de famille et il a craint d'en altérer le caractère par des prescriptions légales trop nombreuses. Il a craint d'armer d'un texte positif l'apprenti contre le maître, le maître contre l'apprenti, d'éveiller des prétentions, des exigences, des litiges dont on n'entendrait pas parler si la loi était muette.

» Ces motifs n'ont pas persuadé votre commission.

» Il n'y aurait besoin ni de magistrats, ni de codes, si le sentiment de la justice était à ce point vif dans tous les cœurs qu'il pût tenir lieu de loi écrite.

» Il est d'expérience qu'une loi claire prévient les procès piutôt qu'elle ne les favorise. Les lois ne gênent pas les gens de bien qui pourraient s'en passer, mais elles imposent une gêne salutaire à ceux dont la conscience ne parle pas si haut que la loi. M. le Ministre du commerce oublie que nous sommes en présence d'une société qui ne se distingue point par le respect qu'elle porte aux institutions et aux usages les mieux éprouvés. Il s'en réfère avec confiance à la jurisprudence des conseils de prud'hommes, et il oublie que l'institution des prud'hommes a été modifiée par la loi de 1848, et que cette jurisprudence a besoin d'être fixée, si l'on ne veut pas qu'elle varie au gré des combinaisons politiques et des hasards d'une élection.

>> Telles sont, Messieurs, les considérations qui ont déterminé votre commission, non pas à rejeter le projet ministériel, mais à le développer, à le compléter, de manière à le rendre véritablement utile. Elle n'a pas voulu, soyez-en convaincus, compromettre par des règles arbitraires la liberté du contrat d'apprentissage, liberté qui touche à celle du travail et à celle de l'éducation, c'est-à-dire à ce que la liberté individuelle a de plus délicat et de plus saint.

» C'est dans cette pensée qu'elle a écarté de son projet les dispositions

nécessaires. Cette question est pour le rapporteur l'occasion d'un retour vers le passé; et après y avoir répondu affirma

contenues en l'article 3 et l'article 7 du projet de loi préparé par l'Assemblée constituante.

>> Nous n'avons pas cru devoir, en premier lieu, fixer un âge au-dessous duquel aucun enfant ne pût être mis en apprentissage. Il nous a paru que cette limitation offrait de graves inconvénients et qu'elle n'avait aucun avantage qu'il ne fût facile d'obtenir par d'autres moyens. On nous dit qu'un enfant, âgé de moins de douze ans, n'est pas un véritable apprenti. Si l'on ne l'emploie aux travaux domestiques, il perd son temps, ou il use sa santé à des labeurs au-dessus de ses forces. Cela est possible, en effet, mais grâce à l'imprévoyance de la législation actuelle.

» Si, comme nous vous le demandons en la section 3, titre 1er, de notre projet, vous protégez l'enfance contre l'abus qu'on peut faire de ses forces, et contre celui qu'on fait trop souvent de sa faiblesse; si vous offrez, sous ce rapport, aux pères de famille et à la société des garanties sérieuses, n'aurezvous pas atteint ce but que vous vous proposez ? Mais si vous empêchez l'enfant de devenir apprenti ayant sa douzième année, qu'en ferez-vous jusque-là? Vous chargerez-vous de le loger, de le vêtir, de le nourrir?

>> Ce sont les familles nombreuses et indigentes pour qui l'enfant est presque une charge, et les familles sans mœurs pour qui il est un objet de spéculation; ce sont elles qui n'attendent pas la maturité de l'enfant pour le mettre en apprentissage. Serait-ce, par hasard, protéger cet enfant que de dire aux parents pauvres : Vous ne pouvez ni le vêtir, ni l'envoyer à l'école; n'importe! vous le garderez nu, souffrant, ignorant, jusqu'à ce qu'il ait atteint sa douzième année; et que dire aux autres Voici un enfant que vous n'aimez guère et qui ne reçoit chez vous que des mauvais exemples; n'importe! vous le garderez; je vous défends de le mettre en apprentissage. Vous l'éleverez, si cela vous plaît, dans l'oisiveté et la misère. Il mendiera plutôt que d'apprendre un métier. S'il se trouve un maître compatissant qui consente à le recueillir et à lui enseigner sa profession, vous direz à cet homme: Non, c'est impossible! La loi est là qui ne me permet pas de traiter avec vous; le contrat serait nul et vous paieriez l'amende.

» Il suffit d'énoncer de pareilles conséquences pour en faire condamner le principe par tout homme de bon sens.

» Nous avons en second lieu supprimé la disposition qui avait pour but de limiter le nombre des apprentis que pourrait former ensemble un même maître. Tout en reconnaissant qu'il est difficile à un maître de donner des leçons profitables à des apprentis trop nombreux, on ne peut nier cependant qu'un ouvrier intelligent, ayant la main prompte et le coup-d'œil sûr, formera aisément trois ou quatre apprentis dans le même temps qu'un ouvrier moins habile réussira à peine à en former un seul. Faut-il donc, par une règle inflexible, empêcher ce bon ouvrier de faire de bons apprentis? Qu'est-ce que l'industrie y gagnera?

>> Les partisans de la limitation reconnaissent, d'ailleurs, qu'elle est naturellement en vigueur dans la plupart des ateliers. On n'a, en général, qu'un ou deux apprentis, trois au plus, selon les exigences particulières de chaque profession. Mais ce n'est pas là, comme on se l'imagine, la révélation d'une idée morale, qu'on puisse traduire dans une loi. C'est un fait économique pur et simple. Quant aux abus qui résultent de la réunion d'un trop grand nombre d'apprentis dans un même atelier, votre commission croit qu'il est

tivement en ce qui concerne la législation abolie en 1789,. il jette un rapide coup d'oeil sur l'histoire des apprentis sous le

possible de les réprimer toutes les fois qu'ils se produisent. Elle y a pourvu par les articles 8 et 12 du projet qu'elle vous soumet. Nous ne demanderons pas au maître combien il a d'apprentis; mais qu'il en ait dix ou qu'il n'en ait qu'un, nous exigerons que l'apprentissage soit sérieux et le contrat loyalement exécuté. C'est tout ce que réclame la justice.

La répression n'atteint que le mal; une mesure préventive empêcherait souvent le bien, elle ne tarderait même pas à reproduire des maux dont la société serait justement responsable. Limiter le nombre des apprentis, n'est-ce pas limiter, dans un temps donné, le nombre des ouvriers et celui des maitres? n'est-ce pas interdire à une infinité de personnes l'accès des professions industrielles? Ce système conduit au rétablissement des corporations que nos pères ont abolies. On veut que ce soit un privilége de devenir ouvrier. Tout le monde ne pourra plus l'être. On se figure que les ouvriers en seront plus riches quand la production aura diminué. Mais on ne se demande pas ce que deviendra cette multitude, tous les jours grossissante, qu'on aura réduite à l'impuissance de travailler. L'État procurera-t-il un abri et du pain à tous ces enfants à qui l'on parle d'ôter la liberté qu'ils ont de se choisir à leurs risques et périls un maître et une carrière ?

>> Nous avons peut-être trop insisté sur des propositions si manifestement contraires à la liberté individuelle, à la liberté des contrats, à la liberté du travail, à l'esprit même de toute notre législation. Mais quoique ces questions ne méritent pas en elles-mêmes un long examen, elles empruntent une certaine gravité aux préoccupations dont elles sont l'objet et aux illusions qu'elles ont fait naître dans la population ouvrière.

>> Votre commission, nous ne saurions, Messieurs, trop le redire, s'est défendue de tout esprit de système; elle n'a recherché que les conseils de l'expérience; elle a étudié les rapports nombreux qui, sous le régime d'une liberté indéfinie, se sont établis entre les apprentis et les maîtres et elle a voulu les respecter et les protéger dans tout ce qu'ils ont de conforme aux lois morales. Nous avions un moyen facile d'arriver, à cet égard, au point fixe où l'on peut régler la liberté, sans la blesser, et frapper l'abus, en respectant l'usage. Ces tribunaux d'équité, institués au centre des populations industrieuses, ont eu depuis longtemps à statuer sur les contestations survenues en cette matière. Il s'est formé ainsi, comme nous l'avons dit, et sur les points les plus délicats, une sorte de jurisprudence uniforme. C'était là, Messieurs, une règle naturelle; nous l'avons suivie, mais en ajoutant, dans certains cas, à la règle, une sanction pénale, et en attribuant dans ces cas-là seulement, au tribunal de police, la connaissance des infractions et le droit de les réprimer.

» Cette innovation, adoptée en 1849 par le comité du travail, approuvée par la Chambre de commerce de Paris, sollicitée par les conseils de prud'hommes, a disparu dans le projet du gouvernement. Nous la rétablissons dans le nôtre. C'est dans cette partie du projet, relative à la compétence, que réside, selon nous, toute l'efficacité de la loi. Les prud'hommes, en effet, peuvent casser un contrat; mais ils ne peuvent procurer au plaignant aucune espèce de satisfaction. Il en résulte que l'apprenti, par exemple, s'il a quelque intérêt à éviter cette rupture, subit en silence des traitements injustes, et qu'il endure les privations et les coups, comme s'ils eussent été prévus et stipulés au

contrat.

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