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LE TRAVAIL ET L'APPRENTISSAGE

CHEZ LES PEUPLES DE L'ANTIQUITÉ.

LE TRAVAIL ET L'APPRENTISSAGE CHEZ LES HÉBREUX.

Ce serait une grave erreur de croire que les Hébreux, soit par un sentiment naturel, soit sous l'influence des prescriptions de la loi, aient été entraînés vers le commerce. Leur inclination naturelle aussi bien que les dispositions législatives, parfaitement d'accord sur ce point, les portaient vers l'agriculture. C'est à l'éducation des bestiaux, à la culture de la terre, à l'entretien du sol qu'ils donnaient tous leurs soins; et l'on ne peut s'empêcher de reconnaître que le principal caractère du peuple hébreu, celui qui permet de le distinguer des autres habitants de la Palestine, est précisément cet amour de l'agriculture qui n'a, pour lui, d'égal que le dédain qu'il professe pour le commerce. L'agriculture est la base et comme le principal fondement de la législation mosaïque; et l'on ne saurait rien y trouver qui, de loin ou de près, soit de nature à favoriser ou à réprimer l'essor de l'industrie (1).

Cependant la vie sédentaire ayant succédé à la vie nomade, les Israélites ayant quitté les campagnes pour demeurer dans les villes, il était naturel que, sous l'empire de la nécessité, les professions manuelles prissent naissance; et, une fois nées, il n'était pas douteux que, grâce à l'intelligence hardie et active de ceux qui les cultivaient, elles n'atteignissent à un développement considérable. Si les arts et métiers, ce que nous apprend la Bible, sont parvenus chez les Phéniciens à un certain degré de perfection, les lsraélites ne tardent pas à les égaler et à les surpasser.

(1) Archaologie der Hebräer, von Dr Jos. L. Saalchütz, Erster Theil, kap., 15, § 1, Handel, p. 159.

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Ils s'instruisent longuement en Egypte; la terre d'exil devient pour eux une terre féconde en leçons et en enseignements. Tous les arts qui y sont florissants, ils les acclimatent, pour ainsi dire, et se les assimilent; et, dans le désert, quand il s'agit de concevoir et d'ordonner la construction du tabernacle, le Législateur fait preuve de son intelligence à suivre la direction des travaux les plus variés. Un chef est nommé pour diriger les opérations; il combine les idées» et remplit le rôle « de l'ingénieur, du dessinateur »> (1).

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Le travail ne fut chez aucun peuple de l'antiquité tenu en aussi grand honneur que chez les Hébreux. Loin d'être, en effet, comme dans l'Inde ou dans l'Egypte, assujetti au système général des castes ou des classes; loin d'être, comme en Grèce, surtout à Sparte, réservé aux seuls esclaves, il fut universellement respecté, et toute profession fut accessible à chacun des Hébreux. Une croyance générale, et qu'on trouve consignée dans la Bible, va jusqu'à attribuer à une inspiration divine le travail des artisans : c'est Dieu qui communique à l'ouvrier l'habileté nécessaire à manier le burin; c'est Dieu qui révèle aux hommes les moyens de donner à la pourpre l'éclat des couleurs les plus brillantes; c'est Dieu encore qui leur fait connaître l'art de tisser toutes les étoffes (2).

Il paraît certain, dit le savant M. de Sauley (3), que chez

(1) Brugsch, dans son Histoire d'Égypte, nous donne sur le travail et l'industrie des Egyptiens des renseignements qu'il est intéressant de reproduire. « Les premiers Egyptiens, dit-il, p. II, s'occupèrent principalement de l'agriculture; mais lorsque la société commença à former des classes distinctes, les prêtres et les guerriers composèrent les premières et le peuple fut subdivisé en classes selon les métiers. Le roi Ménès (p. 16), que les Egyptiens appellent Ména, qui commence les séries des dynasties et fut le premier législateur du pays, introduisit à sa cour de Thinis un grand luxe, ce qui suppose des métiers fort avancés. Il fonda la première capitale de l'empire, la ville de Memphis (Men-nefer, en égypt.), avec le fameux temple de Phtah, après avoir changé le cours du fleuve pour gagner le terrain qui devait contenir la nouvelle ville. Le Nil fut rejeté vers l'Est par la construction d'une digue. Cette digue (la digue de Cocheiche) est reconnaissable encore aujourd'hui, après 6,000 ans.

» Dans les chapelles funéraires couvertes de peintures murales, nous trouvons parmi les ouvriers des menuisiers surtout, des charpentiers, des potiers, des verriers. On voit dans ces tableaux les occupations du peuple avec les mêmes instruments que ceux dont il se sert encore aujourd'hui (p. 25). »

(2) Saalschütz, opere j. citato, kap. 14, § 1. Handwerke und Künste, p. 137. (3) De l'art judaïque tiré des textes sacrés et profanes, par F. de Saulcy, p. 123, 331, 332, 333.

les Juifs, à cette époque reculée (époque du règne de David), les professions d'artisan étaient héréditaires dans les familles, si nous en jugeons par les versets suivants : 1° « Et Mouanalı engendra Aafrah, et Cheriah engendra Jouab, père de la vallée des artisans, car ils étaient artisans » (Chroniques 1, IV, XIV); 2o Les fils de Selah, fils de Jehouda (sont): Aâr, père de Lakah et Laâdah, père de Marsah, et les familles de la maison où se travaille le byssus, de la maison d'Asbeâ » (H. xx1); 3o Enfin, c'étaient les potiers, et ils demeuraient dans des plantations entourées de murs, près du roi; ils y demeuraient près de leur ouvrage (Ib. xx).

On voit donc, ajoute M. de Saulcy, que l'hérédité professionnelle existait chez les Hébreux, et qu'en général les artisans se groupaient et vivaient ensemble dans le quartier qu'ils avaient une fois choisi.

A l'époque talmudique, pleins d'un légitime respect pour le travail et fidèles à la tradition hébraïque, les docteurs du Talmud prescrivent au père de famille de faire apprendre un métier à son fils, et beaucoup d'entre eux, loin de rougir d'être des ouvriers, le proclament et s'en glorifient : «<le Talmud et les Rabbins, sauf de rares exceptions, dit M. Zadoc Kahn, dans un traité plein d'érudition (1), ne connaissaient que la vie noble et austère du travail et de l'étude : les hommes les plus illustres dans la synagogue exerçaient et ils s'en faisaient honneur les professions les plus humbles, les plus modestes (Maïmon tr. Matnôth Anyyim x, 18 (2). A aucune époque, les Juifs ne souffrirent de cette soif ardente de jouir qui tourmentait les Romains de l'Empire et leur faisait inventer, tous les jours, de nouveaux plaisirs. Aussi ne plaçaient-il pas leur point d'honneur à commander à de nombreuses troupes d'esclaves ». Ajoutons que l'esclave n'était pas chez les Hébreux traité comme chez les Grecs ou chez les Romains; que le Deuteronome avait dit, en parlant de l'esclave hébreu : « Ne lui impose pas le service d'un esclave » (Deut. xv, 39); que le Talmud avait professé pour l'esclavage une véritable

(1) L'Esclavage selon la Bible et le Talmud, par Zadoc Kahn, Grand Rabbin de Paris, p. 111 et 112.

(2) Pour ne citer qu'un exemple de docteur de la loi enseignant un métier, mentionnons le nom de saint Paul, pharisien, qui s'adonnait à la fabrication des tapis.

antipathie, une profonde aversion et, pour nous servir des expressions de M. Zadoc Kahn au sujet de la législation du Pentateuque et du Talmud, qu'elle avait tout fait, tout combiné pour qu'il n'y eût point d'esclaves ou, au moins, pour qu'il y en eût le moins possible (1).

Ces quelques renseignements suffisent pour nous apprendre que ce n'est point entre les mains des esclaves que sont placées les destinées des arts et des professions manuelles. Malheureusement, la Bible ne fournit que très-peu de détails sur l'organisation du travail. Toutefois, il est possible de trouver çà et là, sinon des renseignements précis, du moins quelques développements qui peuvent apporter la lumière sur cette question, demeurée si obscure, de l'organisation du travail chez les Hébreux. Ainsi le Lévitique et le Deutéronome nous apprennent que, pour satisfaire à un sentiment d'humanité, le salaire des ouvriers pauvres doit être payé à la fin de chaque journée (Lévit. xix, 13.- Deutéron., xxix, 14).

Ainsi le prophète Isaïe, s'élevant contre l'idolâtrie du peuple de Juda, nous a fourni de très-curieux détails d'art dans les passages suivants :

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XL, 19.« L'artiste fond l'idole, l'orfèvre la couvre d'or et y soude des chaines d'argent... 20. Celui qui est pauvre en don choisit un bois incorruptible, se procure un artiste habile pour fabriquer une image qui ne. chancelle pas. >> XL, 1, 7. << Le charpentier fortifie l'orfèvre, celui qu plane avec le marteau, celui qui frappe sur l'enclume, et il dit La soudure est bonne, fixe l'idole par des clous pour qu'elle ne chancelle pas ».

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XLIV, 12. « L'ouvrier en fer fait une hache, fait agir le soufflet et forme (l'idole) à coups de marteau; il y travaille de la force de son bras... 13. Le charpentier tire avec le cordeau, trace avec le burin, la travaille avec le rabot et l'indique avec le compas, et lui fait une figure d'homme, une magnifique statue humaine pour habiter une maison... »

X, 9. << De l'argent aplati, apporté de Tarchich, de l'or d'Ouphiz, ouvrage d'artiste et des mains de l'orfèvre; leur vêtement est de laine bleue et de pourpre, tout ouvrage d'habiles ouvriers. »

(1) Zadoc Kahn, opere j, citato, p. 138.

Ainsi, encore, nous trouvons, au milieu des menaces proférées par Isaïe contre les filles de Sion, les précieux renseignements qui suivent :

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III, 18. «En ce jour, le Seigneur ôtera le luxe des brodequins, des filets et des croissants... 19,-les boucles d'oreilles, les bracelets et les voiles... 20, les diadèmes, les chaînes et les agrafes, les fichus et les talismans... 21, - les bagues et les anneaux du nez... 22, - les habits de fête, les tuniques, les manteaux et les sacs... 23, les miroirs et les chemises fines, les turbans et les mantilles... 24; il y aura au lieu d'aromates une émanation putride; au lieu de ceinture une corde; au lieu de coiffure travaillée au fer une calvitie; au lieu de mante une enveloppe de sac; une plaie cicatrisée au lieu de beauté. >>

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Il est bien clair, fait remarquer M. de Saulcy, que la confection de tous les bijoux et de toutes les étoffes précieuses mentionnés dans ces passages implique un art assez avancé. Cet art apporté d'Égypte par les Hébreux et cultivé par ceux-ci pendant quelques siècles, avait dû nécessairement se développer et faire des progrès en se modifiant suivant le caractère de la race sémitique qui l'exerçait (1).

Nous trouvons, dans Jérémie, la preuve que la poterie vulgaire était fabriquée à l'aide du tour à potier. Il suffira de reproduire, sans commentaire, le passage qui nous apprend ce fait; le voici :

XVIII, 2.

Je descendis dans la maison d'un potier, et voici qu'il faisait son ouvrage sur son tour... 4. Le vase qu'il faisait se rompit, comme il en est de l'argile dans la main. du potier; il se remit à faire un autre vase, comme il convenait au potier de le faire. »

Faisons encore remarquer que les corps de métiers ont, comme l'observait M. de Saulcy, occupé des quartiers particuliers, et que le même prophète Jérémie nous parle d'une rue des Boulangers (Jérémie, xxxvII, 21) et d'une porte des Potiers (Jérémie, XIX, 2) (2). *

(1) Voir, sur les travaux des mines, M. Munk, Palestine, p. 389.

(2) Il est aussi question dans le Talmud de quartiers consacrés à certains corps d'état (Roalwër Buch art. Handwerk, p. 542). Voir aussi Bibel Lexikon publié par le Dr Daniel Schenkel, verbo Handwerk.

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