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grande partie de l'année. Quant au nombre des cas de rage, loin d'avoir diminué, il se serait, au contraire, accru, dans ces dernières années, et la taxe n'aurait abouti qu'à rendre plus fréquents les terribles accidents dont elle devait nous préserver. Que faire donc? abolir la taxe ? M. Renault n'a garde de le proposer. Il faut selon lui: 1° museler les chiens sérieusement et toujours; 2° occire impitoyablement ceux chez lesquels on aperçoit le moindre symptôme de rage.

A Berlin, dit-il, où l'impôt sur les chiens fut établi dès 1829, les cas de rage s'étaient aussi multipliés depuis lors, d'année en année, avec une effrayante rapidité, jusqu'en 1857, où le musellement général fut ordonné. A partir de cette année et grâce à l'incessante vigilance de la police, aucun cas de rage n'aurait été constaté. M. Renault pense qu'à Paris la même vigilance aurait les mêmes effets. Voilà pour la première mesure. Quant à la seconde, le savant professeur a annoncé qu'il en fera le sujet d'une prochaine communication. Sans doute, ce nouveau mémoire fera connaître les symptômes précurseurs de la rage, et par conséquent, les circonstances où il devient nécessaire de tuer l'animal qui en est menacé; il rectifiera aussi les erreurs si fâcheuses et malheureusement si répandues, sur les causes présumées de ce mal mystérieux, qui ne pardonne pas, et que la science parviendrait peut-être plus aisément à prévenir qu'à guérir. Ce sera là un travail vraiment utile que l'auteur fera bien de publier, et que l'administration, de son côté, devrait répandre le plus possible, afin que chacun en pût faire son profit.

V. Dans la même séance, M. Coste a entretenu pendant quelques instants l'Académie, avec la solennité convenable à un si grand sujet, de la liberté de la mer. M. Coste appelle de ce nom pompeux le droit qu'il réclame, pour les riverains de l'Océan, de créer dans les anses qui dentellent nos côtes, des viviers où les millions de petits poissons qui éclosent chaque année dans ces régions seraient parqués, mis à l'abri des causes de destruction, et pourraient « devenir grands; » après quoi ils serviraient à repeupler la mer. Cela, sans contredit, vaudrait infiniment mieux que de détruire comme on le fait aujourd'hui, pour un minime profit, un nombre incalculable de turbots, de soles et d'autres excellents poissons, qui fourmillent sur les côtes à l'état d'alevin. Près de Saint-Vaast, par exemple, sur une étendue d'une dizaine de lieues, ces poissons, encore tout petits, s'accumulent en une telle profusion pendant l'été, que M. Coste croit pouvoir évaluer à 200 millions le nombre de ceux que les pêcheurs de crevettes grises y ramassent en une saison et qu'ils vendent à bas prix comme fretin. C'est là évidemment, selon l'expression de M. Coste, « une pépinière féconde, capable de peupler toute la Manche, et qui pourrait devenir une source de véritable richesse, « si ces jeunes générations, au lieu d'être ravagées en germe sur la plage, descendaient dans les vallées sous-marines, pour s'y transformer en troupeaux de grande taille; si ce jeune bétail aquatique, conduit par les soins de l'industrie, allait approvisionner des réservoirs organisés dans l'intérieur des terres et communiquant avec la mer au moyen d'écluses convenablement ménagées. » Cette fois, on pardonnera au

savant naturaliste l'emphase de son style, en faveur de la thèse vraiment sensée, vraiment économique, qu'il a soutenue avec l'enthousiasme d'un apôtre.

On sera d'autant plus disposé à l'applaudir, qu'il ne compte point s'en tenir aux paroles; il se propose de créer bientôt à Saint-Vaast même, une sorte de ferme-modèle pour la «< culture de la mer. » M. Coste réclame aussi avec insistance une réforme dans la législation qui régit actuellement la pêche côtière. La surveillance et les restrictions imposées à cette industrie ne sont pas seulement vexatoires, selon lui, pour ceux qui l'exercent: elles sont encore contraires aux intérêts de la consommation. Une surveillance d'un autre genre, mais qui serait mieux exercée sur les plages mêmes qu'en pleine mer, lui paraît, en revanche, nécessaire pour arrêter le dépeuplement du littoral et assurer la conservation et le développement de cette multitude innombrable de poissons qui disparaissent chaque année, au grand détriment de la richesse publique.

VI. C'est une étude curieuse et instructive que celle des croyances absurdes, des pratiques odieuses ou ridicules qui ont, à toutes les époques, infecté les mœurs, entretenu l'ignorance et abusé la crédulité des masses, et trop souvent égaré les meilleures intelligences. On se sent attristé lorsqu'on songe qu'aujourd'hui même, si fiers que nous soyons des progrès accomplis, des connaissances positives laborieusement acquises, des vraies clartés répandues par la science sur tant d'obscurs problèmes, nous sommes loin encore de pouvoir nous dire entièrement affranchis de la tyrannie des chimères. Mais il est consolant de voir la science poursuivre son œuvre libératrice et nous montrer d'une main le sol jonché derrière elle des ruines de nos erreurs, de l'autre la vérité radieuse planant sur l'avenir.

Suivre pas à pas l'esprit humain dans la marche lente et pénible qui, des ténèbres des superstitions antiques, la conduit aux conquêtes fécondes de la science moderne, telle est la tâche que M. Alfred Maury (de l'Institut) s'est proposée dans son excellent livre: La Magie et l'Astrologie dans l'antiquite et au moyen âge (1). M. A. Maury possédait toutes les qualités nécessaires pour écrire sur ce sujet un excellent livre, et c'est ce qu'il a fait. Grâce à son étonnant savoir, à sa longue patience d'investigation, à son jugement sûr et droit, à son esprit sagement mais fermement philosophique, il a pu débrouiller ce triste chaos des aberrations humaines, tirer de la poussière du passé bien des faits demeurés inconnus, et expliquer bien des prodiges dont le caractère merveilleux s'évanouit devant le flambeau de la raison. Rien n'est plus sain pour l'esprit que la lecture de ce livre, et si, une fois engagé dans de telles recherches, M. Maury les a poussées un peu au delà des limites qu'il s'était tracées; si, franchissant la ligne imaginaire qui sépare le moyen âge des temps modernes, il a suivi jusqu'à nos jours l'évolution décroissante des croyances et des pratiques surnaturelles, je ne pense pas qu'il y ait lieu de s'en étonner ni de l'en blâmer. C'est le cas de dire, en paraphrasant un proverbe connu : << Richesse n'est pas vice. »>

ARTHUR MANGIN.

(1) 1 vol. grand in-18. Paris. Librairie académique de Didier et C‹, 35, quai des Augustins.

BULLETIN

Pétition relative à l'uniformité des mesures
et des monnaies

ADRESSÉE AU SÉNAT PAR M. LÉON, ingénieur en chef des ponts et chaussées

Cette pétition a été l'objet d'un rapport inséré au Moniteur du 5 juin dernier; mais comme elle n'a été analysée que très-sommairement par le rapporteur, nous en donnons ici le texte.

I. — Avantages de l'uniformite des mesures, et surtout des monnaies. Tout le monde reconnaît que l'uniformité des mesures serait très-utile au commerce, qu'elle simplifierait les transactions et faciliterait à un haut degré les relations internationales. Jusqu'ici, cependant, aucune tentative bien sérieuse n'a été faite pour établir cette uniformité. Tant qu'on l'envisage théoriquement et qu'on se borne à signaler les avantages qu'elle produirait, on ne trouve point de contradicteurs; mais, quand il s'agit de la mettre en pratique, personne ne veut renoncer à ses habitudes. La France a pu espérer un moment que le système métrique et décimal, le plus rationnel assurément des systèmes connus, serait adopté par les autres nations. Peut-être n'a-t-elle pas, dans l'origine, employé les meilleurs moyens pour concilier les esprits et se ménager l'adhésion générale; peut-être même ne doit-on pas se flatter d'obtenir cette adhésion tout d'un coup. Il est fort douteux que nous trouvions aucun grand peuple disposé à sacrifier d'emblée l'ensemble de ses mesures anciennes, pour y substituer nos mesures nouvelles. Des réformes graduelles auraient probablement plus de chances de succès; et si l'uniformité complète ne peut pas être réalisée immédiatement, il semble qu'on devrait s'attacher d'abord à l'uniformité des monnaies. De toutes les mesures, en effet, la monnaie est celle dont on fait le plus d'usage; elle sert à tous les instants, dans tous les pays et à toutes les classes de la société; il est donc bien plus facile de faire comprendre aux masses l'utilité d'une monnaie commune que celle d'une autre mesure commune, quelle qu'elle soit. Depuis quelques années surtout, le perfectionnement des voies de communication, la facilité et la rapidité des transports ont accru, dans une énorme proportion, le nombre des voyageurs. Sur certains de nos chemins de fer, les relevés de la circulation constatent que ce nombre a décuplé depuis l'ouverture de la ligne. Je ne connais pas d'observations statistiques particulièrement applicables aux voyageurs internationaux, mais il est probable qu'elles donneraient des résultats peu différents. Voilà donc un nombre très

considérable et toujours croissant de personnes qui auraient le plus grand intérêt à l'établissement d'une monnaie commune à toutes les nations. La diversité des monnaies est pour les voyageurs une source continuelle d'embarras et de dommage. On a souvent raconté l'expérience faite par un de nos compatriotes, qui, en sortant de France, échangeait une pièce de vingt francs contre de la monnaie du pays dans lequel il allait entrer; puis, à la frontière suivante, procédait à un nouvel échange pour remplacer la première monnaie reçue par celle du second pays dont il atteignait le territoire; continuant la même opération, de frontière en frontière, le voyageur rentrait en France après avoir parcouru l'Italie et l'Allemagne, et, en échangeant une dernière fois la monnaie qui avait subi tant de transformations, il trouvait sa pièce de vingt francs réduite à moins de cinq francs. Je ne sais si l'anecdote est bien authentique, mais elle représente les faits. Et il importe de remarquer que le voyageur n'est pas seul à éprouver les inconvénients de la diversité des monnaies ; ces inconvénients sont plus ou moins sentis par toutes les personnes avec lesquelles il entre en contact, voituriers, hôteliers, marchands, etc. Il semble donc que tout le monde est en état de comprendre combien l'uniformité des monnaies serait désirable, et que les tentatives qui pourraient être faites pour établir cette uniformité trouveraient partout une majorité de gens disposés à les favoriser. Puisqu'il n'est guère permis de compter sur l'accomplissement simultané de toutes les réformes, puisqu'on devra se résigner à suivre un ordre quelconque, c'est par les monnaies qu'il est naturel de commencer, car c'est là qu'il y a en même temps le plus d'urgence et le plus de chances de succès.

II. Choix à faire entre les deux métaux monétaires. - Un seul doit servir d'étalon. La première chose à faire, pour arriver à l'établissement d'une monnaie universelle, c'est de déterminer si cette monnaie sera d'or ou d'argent. Il est très-facile de voir qu'on ne peut pas employer simultanément les deux métaux et leur conserver à tous deux le caractère de monnaie normale, comme cela se pratique maintenant en France; on ne le peut pas, parce que le rapport entre la valeur de l'or et celle de l'argent n'est, ni le même partout, ni constant dans un même pays. Ce rapport a été fixé chez nous par la loi du 7 germinal an xi, dans la supposition qu'un poids donné d'or valait 15 fois 1/2 le même poids d'argent; mais, en réalité, il a varié entre 15 et 16 depuis l'an XI seulement, et si l'on remonte plus haut, on trouve qu'il a subi à diverses époques des variations bien plus étendues. Nous avons pu, au reste, apprécier les conséquences de ces variations, même dans les limites étroites où elles se sont renfermées depuis l'an x1; nous avons vu qu'en dépit du rapport fictif admis par la loi, un seul des deux métaux dominait dans la circulation et que le plus déprécié faisait toujours disparaître l'autre. Tant que le rapport est resté au-dessus de 15 1/2, l'or ne se montrait pas; quand le rapport est descendu audessous, c'est l'argent qui s'est raréfié; et si la différence entre le rapport légal et le rapport réel devenait plus grande, le mal pourrait s'aggraver au point d'ôter toute sécurité aux transactions, car la faculté laissée au débiteur de s'acquitter avec le métal le plus déprécié ferait peser sur le créancier des chances de perte qui resteraient indéterminées jusqu'au jour du payement. Il

est donc indispensable de choisir un des deux métaux comme étalon unique et de donner à ce métal seul le caractère de monnaie normale, en réduisant l'autre métal au rôle de simple marchandise, ou tout au plus de monnaie auxiliaire. C'est ce qu'ont fait déjà plusieurs nations. Les Anglais ont pris l'or pour étalon, n'admettant guère les pièces d'argent que comme appoint et ne leur attribuant cours légal que jusqu'à concurrence de quarante schellings. En Hollande, au contraire, l'argent seul constitue la monnaie normale; en Allemagne également. L'or cependant est admis à circuler comme monnaie dans les États de la Confédération germanique, mais il ne paraît pas que les pièces de ce métal aient un cours obligatoire; en sorte qu'on en fait peu d'usage, et que l'or rentre à peu près dans la catégorie des marchandises ordinaires.

III. — Motifs qui pourront faire donner la préférence à l'or. Les avantages et les inconvénients comparés des deux métaux ont été discutés dans de nombreux écrits, et les hommes les plus compétents se sont divisés sur la question de savoir auquel des deux il convenait de donner la préférence. La diversité d'opinions se comprend ici d'autant mieux que chaque partie peut invoquer en sa faveur l'autorité de l'expérience. Ainsi, nous voyons les Anglais, nation éminemment pratique, se tenir à l'étalon d'or, tandis que les Hollandais, nation non moins pratique, adoptent exclusivement la monnaie d'argent. L'hésitation, en pareil cas, est donc bien permise. Néanmoins, si nous avions voulu garder l'étalon d'argent (je dis garder, parce que l'argent est l'étalon légal reconnu par la loi de l'an x1), nous aurions dû prendre plus tôt des mesures pour arrêter ou ralentir l'invasion de l'or et pour retenir chez nous la monnaie d'argent. Depuis douze ans il a été introduit en France une énorme quantité d'or. La monnaie en a frappé pour plus de quatre milliards (1). C'est là un précédent qui nous lie et ne nous permet guère désormais d'attribuer à l'argent seul le caractère de monnaie normale, en démonétisant l'or ou le réduisant à un rôle secondaire. Il est, d'ailleurs, plus facile (comme l'exemple de l'Angleterre le prouve) de faire de l'argent une monnaie auxiliaire de l'or, que de faire de l'or une monnaie auxiliaire de l'argent. Les essais de l'Allemagne dans ce dernier sens n'ont rien de concluant jusqu'ici. Enfin, considération capitale, les deux plus grands peuples commerçants avec lesquels nous ayons à traiter, l'Angleterre et les États de l'Amérique du Nord, se servent presque exclusivement de monnaie d'or et ne renonceront pas à l'étalon d'or, par la très-bonne raison qu'étant producteurs et marchands d'or ils ne veulent pas déprécier leur marchandise. Or, pour arriver à une solution dans la question de la communauté des monnaies, comme dans presque toutes les questions de quelque importance, c'est avec l'Angleterre surtout que nous avons besoin de nous entendre. Il est donc très-probable que, tôt ou tard, l'étalon d'or finira par prévaloir (2).

(1) Voy. le relevé donné dans l'Annuaire du bureau des longitudes (année 1862, page 99).

(2) Je n'entends nullement désavouer ici ce que j'ai dit ailleurs des avantages de l'étalon d'argent; mais il est difficile de ne pas reconnaître que nous glissons sur une pente qui nous conduit à l'étalon d'or.

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