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SOCIÉTÉ D'ÉCONOMIE POLITIQUE

Réunion du 5 juillet 1862.

COMMUNICATIONS: Mort de MM. J.-B. Delaunay, du Havre, et Jules Lechevalier. Ouvrages présentés : Origine des espèces, par M. Darwin et traduit par mademoiselle Royer; Production de l'or et de l'argent en Californie, par M. Laur; - Premier numéro de la Revistanazionale, sous la direction de M. Gicca; - Compte rendu de la deuxième séance publique (3° année) de l'Association pour la réforme des douanes en Espagne; Corso elementare sul credito, par M. Tedeschi Amato; — le rapport de M. Rouland au sujet de l'enseignement industriel et commercial en France. Création d'un bureau de statistique en Serbie. A propos de l'Exposition universelle de Londres, par M. Wolowski. Lettre de M. Lamé Fleury sur la question des ouvriers compositeurs.

DISCUSSION: Le percement de l'isthme de Suez.

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M. Vée, ancien maire, inspecteur des services de l'assistance publique, a présidé cette réunion à laquelle avaient été invités M. Ferdinand de Lesseps, ancien ambassadeur, fondateur et directeur de la compagnie du canal de Suez; M. A. Scialoja, secrétaire général au ministère des finances d'Italie, délégué à Paris pour le règlement du traité de commerce; M. J.-Maria Sanromà, professeur à l'école de commerce de Madrid, et M. Mariano Carreras y Gonzalès; professeur à l'école de commerce de Sarragosse; -M. Tedeschi Amato, professeur libre d'économie politique à Catane; - M. Félix Wolowski, correspondant en Pologne de la société centrale d'agriculture de France; — et à laquelle assistaient : M. le comte Cieszkowski, député à la diète de Prusse par le duché de Posen; - M. Kanty-Wolowski, procureur général au sénat de Varsovie; -M. le comte Henri Nakwasski, ancien député en Pologne, membre de la Société à l'étranger.

A la fin du dîner, M. le président a porté un toste à l'énergique et persévérant promoteur du percement de l'isthme de Suez.

« La réunion, dit M. VÉE, a reçu ce soir un grand honneur, elle possède dans son sein l'auteur de l'entreprise la plus utile, la plus civilisatrice qui ait été conçue à notre époque, si féconde cependant en

merveilleux travaux. Entreprise immense, assurée par l'indomptable persévérance qui surmonte tous les obstacles, par l'intelligence et la loyauté qui savent conquérir la confiance et la popularité. Je crois aller au-devant de vos désirs en vous proposant un toast à votre hôte, à M. de Lesseps.

• Comme économistes, comme citoyens du monde, buvons, messieurs, au succès de son œuvre. Comme Français, félicitons-nous aussi, non de la vaine gloire qui pourrait en rejaillir sur notre patrie, mais des sentiments de profonde reconnaissance qu'éveillera chez les générations futures le nom d'un de ses enfants, de celui qui, reprenant l'œuvre tentée et inachevée par les siècles précédents, aura su réunir l'ancien et le nouveau monde pour leur commune prospérité.

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La réunion s'associe par des applaudissements aux paroles de son président.-M. de Lesseps remercie l'assemblée des sentiments qu'elle vient d'exprimer pour l'œuvre à laquelle il s'est dévoué, et se met à sa disposition pour répondre à toutes les questions qui pourraient lui être faites sur le percement de l'isthme.

La soirée est en grande partie consacrée à la conversation qui s'établit, au sujet de la jonction des deux mers, entre M. de Lesseps et divers membres de la Société, avant et après les communications du secrétaire perpétuel de la Société, que nous allons d'abord reproduire.

M. LE SECRÉTAIRE PERPÉTUEL Commence par donner un souvenir à deux personnes mortes récemment et dont la vie a intéressé les économistes à des titres différents : M. J.-B. Delaunay, du Havre, et M. Jules Lechevalier.

Le vénérable J.-B. Delaunay, du Havre, mort dans cette ville à quatre-vingt-sept ans en mai dernier, et doué d'une activité peu commune, a été jusqu'au dernier moment sur la brèche pour défendre la cause de la liberté commerciale et celle de la liberté de profession (surtout à propos du courtage), au sujet desquelles il a écrit de nombreuses brochures et fait de fréquentes communications au Libre Echange, au Journal des Economistes, à l'Avenir commercial, et aux journaux du Havre, etc. Ancien négociant et directeur d'une compagnie d'assurances, M. Delaunay était du petit nombre des hommes de pratique qui ne se laissent point absorber par les affaires et mettent au service du progrès leur énergie et leur expérience. L'économie politique était un culte pour lui.

On n'en peut dire autant de M. Jules Lechevalier, mort en juin dernier, dans un àge peu avancé, à cinquante-six ans, qui, pendant une vie très-agitée, a traversé toutes les écoles socialistes et tous les partis politiques, et que l'économie politique a presque toujours eu pour adver

saire. En 1848, dit M. Joseph Garnier, il présidait le club de l'Organisation du travail, au-dessous du club de la Liberté du travail (palais BonneNouvelle), et ni lui ni les siens ne nous ménageaient les attaques. Mais M. Garnier s'empresse de rappeler que M. Jules Lechevalier a été le secrétaire zélé et laborieux de la commission coloniale présidée par M. le duc de Broglie, qui a publié un volumineux rapport (1843) sur l'abolition de l'esclavage et préparé l'émancipation.

M. Jules Lechevalier a publié un grand nombre d'écrits de peu d'importance. Ses Leçons sur l'art d'associer les masses, in-8°, 1832, présentent quelque intérêt comme exposition de la doctrine de Fourier, dans laquelle il était passé en sortant du saint-simonisme. Il en est de même d'une Etude de la science sociale, 1834, programme d'un cours d'économie générale, pour sa candidature au Collège de France, en 1833, en remplacement de J.-B. Say et en concurrence avec Rossi !

Après ces communications, M. le secrétaire perpétuel entretient la réunion des ouvrages suivants :

De l'origine des espèces, ou des lois de progrès chez les êtres organisés, par M. Darwin, traduit de l'anglais, avec une introduction, par mademoiselle Clémence-Auguste Royer (1). Ce livre traite d'un des plus intéressants problèmes qui se rattachent à la nature et à l'homme, et qui agitent les esprits religieux. Il touche par un point à la question de population. L'auteur formule une loi du développement par le règne organique tout entier à laquelle il donne le nom de loi d'élection, et qui fait dériver la perfectibilité d'une espèce, de son exubérance. Mademoiselle C.-A. Royer, qui accepte et commente la théorie de l'auteur, voit dans cette loi la généralisation de celle de Malthus et en même temps la condamnation des conséquences que Malthus en a tirées pour l'espèce humaine. Cela mérite examen.

De la production des métaux précieux en Californie, par M. Laur, ingénieur des mines (2). C'est le rapport au ministre des travaux publics d'une mission dont l'auteur a entretenu la Société, il y a quelques mois, d'une manière si intéressante. Dans le courant de 1859, on apprit en Europe qu'on avait découvert en Californie une mine d'argent de plus de dix mètres de puissance sur une longueur de 60 kilomètres. Peu de temps après, on recevait en Angleterre plusieurs tonnes de minerais très-riches. M. Laur reçut la mission d'aller reconnaître l'importance des nouveaux gisements, qu'il remplit dans le courant de

(1) Fort volume in-18. 1862. Chez Guillaumin et Ce, et Victor Masson. (2) Brochure in-8°. 1862. Dunod et Guillaumin et C.

1860-1861. Dans son rapport, M. Laur fait la description des gisements aurifères de la Californie, des filons argentifères du pays de Washoe et du territoire des Indiens Pah-Utah, ainsi que des exploitations de cinabre dans les montagnes de la côte. Ses conclusions sont que ces mines offrent un champ d'exploitation sans limites; - que les moyens de travail extrêmement puissants et mécaniques permettent d'exploiter avantageusement les alluvions les plus pauvres ;- que les gisements de mercure assurent l'avenir des mines d'argent des Cordillères et des Andes; d'où, avec la tranquillité des républiques américaines, la possibilité d'une production nouvelle et extraordinaire des métaux précieux, plus les conséquences économiques d'une pareille production!

Revista nazionale... (Revue nationale de droit administratif, d'économie politique et de statistique), dirigée par M. Alexandre Gicca (1). Le premier numéro de ce recueil mensuel nous montre qu'il sera dirigé dans un excellent esprit. Il contient un remarquable article sur l'Etat, par M. Pascal Duprat, ancien représentant à l'Assemblée constituante. Une partie de la revue est consacrée à un recueil des lois et institutions du royaume d'Italie. Ce premier numéro contient la loi fondamentale (statuto) édictée le 4 mars 1848 par Ch. Albert, qui a si noblement fini sa carrière.

Compte-rendu de la deuxième séance publique (3° année) de l'Association pour la réforme douanière en Espagne. Dans ce deuxième meeting des ligueurs espagnols, il a été question de la crise cotonnière et de l'ajournement de la réforme douanière. On y a entendu M. L. M. Pastor, président de l'Association, Carreras y Gonzalès, de Sarragosse, Luis Silvela, Maria Sanroma, Gabriel Rodriguez, secrétaire général de l'Association, le marquis d'Albaïda, Gonzalès Bravo, Alcola Galiano. Ces deux derniers sont des illustrations du parti modéré et de la tribune espagnole; M. d'Albaïda est le chef du parti populaire. L'Association, on le voit, va en accroissant ses forces, grâce à l'habileté de ses fondateurs, qui auront su faire concourir au grand travail de la transformation de l'opinion publique de grandes notabilités politiques, comme MM. Alcala Galiano et Gonzalès Bravo, a côté des jeunes orateurs comme M. Maria Sanroma, l'honorable invité de la réunion, dont le talent s'est révélé dans ces meetings, et qui met au service de la liberté économique une parole pleine de verve, d'humour et d'esprit.

Corso elementare sul credito e sulle banche di circolazione, par M. Hercule Tedeschi Amato, professeur libre de l'université de Catane (2).

(1) A. F. Negro, Turin. 22 fr. pour l'Italie, 24 fr. pour la France. (2) In-32 de 124 pages.

Ce petit volume, offert par un des honorables invités, se fait apprécier par une remarquable entente de ces questions. En présentant cet écrit, M. le secrétaire perpétuel ne peut s'empêcher de constater qu'il y a (qu'il y a eu même sous la dynastie des Bourbons) en Sicile, pays de deux millions d'habitants, trois chaires d'économie politique : à Catane, à Palerme, à Messine. A ce compte, il devrait y en avoir cinquantequatre en France au lieu de deux !

A ce sujet, il appelle l'attention de la réunion sur le remarquable rapport que M. le ministre de l'instruction publique vient d'adresser à l'Empereur, en lui proposant la nomination d'une commission chargée d'étudier toutes les questions qui se rattachent à la réorganisation de l'enseignement commercial et industriel dans les établissements d'instruction publique. Il espère qu'un des vœux persévérants de la société va enfin être exaucé et que, d'une manière ou d'autre, l'enseignement de l'économie politique va combler une déplorable lacune dans le programine des études universitaires. Il est d'autant plus fondé à formuler cet espoir, qu'il voit dans la liste des membres de la commission plusieurs bons esprits et notamment des membres de la Société, M. Levasseur, professeur au collége Napoléon, auteur de l'Histoire des classes ouvrières, etc., et M. Marguerin, directeur de l'école municipale Turgot.

M. WOLOWSKI ajoute qu'il croit pouvoir dire que les premières discussions de la commission ont été très-favorables à l'enseignement de l'économie politique, et que le savant président de la commission, M. Dumas, membre de l'Académie des sciences, s'est positivement prononcé pour l'utilité de cet enseignement.

M. LE SECRÉTAIRE PERPÉTUEL annonce ensuite, d'après la communication que lui fait M. Guillaumin, d'une lettre de M. Vladimir Jakschitsch, chef de section au ministère des finances de Serbie, que le gouvernement de ce pays a tout récemment décidé la création d'un bureau de statistique au ministère des finances. C'est là une mesure de bonne administration, qui sera profitable à cet intéressant pays en particulier et à la science en général. Les peuples d'Orient ont besoin de se connaître et de se faire connaître.

Après ces diverses communications de M. le secrétaire perpétuel, M. L. WOLOWSKI, membre de l'Institut, un des vice-présidents de classe du jury de l'exposition universelle à Londres, est invité à donner quelques renseignements sur cette exposition.

M. Wolowski dit que depuis son retour de Londres, où il a fait un séjour de plus de deux mois, il a été singulièrement surpris des bruits répandus au sujet de cette grande solennité industrielle. Loin d'avoir

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