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dit-il, que toutes les grandes inventions tendaient à égaliser la condition des hommes. L'invention de la poudre à canon a établi l'égalité entre le pauvre fantassin et le seigneur, fastueux représentant de la chevalerie, et elle a fini par détruire la suprématie de la noblesse féodale. L'invention de l'imprimerie, ouvrant le sentier du savoir au pauvre aussi bien qu'au riche, a fait disparaitre le privilége qui appartenait à la richesse pour acquérir des connaissances. La découverte de la vapeur et des chemins de fer a égalisé les moyens de locomotion entre les plus humbles et les plus opulents. De même la découverte du crédit renverse la domination absolue du capitaliste et fournit à l'homme de la plus modeste condition les moyens de mettre le pied sur le premier échelon de la richesse. Or, le proverbe dit que la grande difficulté c'est de faire le premier pas et que bien des gens iraient haut s'ils pouvaient franchir le premier degré. Le crédit est, pour tout le monde, l'auxiliaire qui permet de faire ce premier pas. Le crédit est une grande puissance, et de même que tous les autres mécanismes puissants, il prête à des abus; il n'en mérite pas moins de prendre rang, de même que la poudre à canon, l'imprimerie et la vapeur, parmi les merveilleux résultats du génie humain qui a été le promoteur de l'immense étendue acquise à l'industrie moderne. >>

La question de l'agent de la circulation de la richesse, agent qu'on désigne de divers noms, la currency, le circulating medium, le numéraire, et la question du crédit sont celles qui donnent à l'ouvrage de M. Macleod son caractère par les solutions qu'il en fournit; mais ce ne sont pas, à beaucoup près, les seules qu'il ait traitées avec bonheur. Il a un excellent chapitre sur le papier-monnaie, il en a un autre très-lucide et parfaitement raisonné qui présente l'histoire des monnaies en Angleterre. L'ouvrage entier atteste un esprit qui a pénétré dans le détail des affaires, qui est familier avec les sciences naturelles et en emprunte volontiers, pour les appliquer à l'économie politique, les méthodes rigides. Le seul reproche que je serais tenté de lui faire, c'est la rudesse de ses critiques envers quelques-uns de ses devanciers qui ne sont pas les moins illustres. Honorons les générations qui nous ont précédés, et rendons hommage à leurs services, ne fût-ce que pour obtenir de la postérité qu'elle se montre bienveillante envers les générations actuelles. M. Macleod aura cédé sans le vouloir à cette loi qu'a exprimée la littérature philosophique en disant que l'initié immole l'initiateur.

MICHEL CHEValier.

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Il fut un temps où la population était rare à l'occident et au midi de l'Europe. C'était l'époque où les Pélasges apportaient dans les péninsules de la Méditerranée les premiers éléments de la civilisation, où, dans les contrées du nord, les hommes, encore incapables de travailler les métaux, n'avaient pas d'autres instruments que des haches de pierre et des flèches avec lesquelles ils chassaient les bêtes fauves et les oiseaux des forêts. Sur ces vastes espaces presque déserts, rien n'arrêtait les migrations des tribus nomades, qu'une inondation, une sécheresse, une querelle avec de plus puissants voisins, quelquefois l'amour du pillage et l'espérance d'une vie facile sous un climat plus favorable poussaient hors de leurs foyers à la recherche d'une patrie nouvelle. Les émigrants tenaient peu au sol qu'ils abandonnaient, parce qu'ils n'avaient pas su, comme les peuples modernes, le façonner à leur usage et y enfoncer profondément l'empreinte de leur personnalité; les populations envahies n'étaient pas assez denses et n'avaient pas d'armes ou de fortifica-tions suffisantes pour opposer une barrière infranchissable à une nombreuse armée: elles se réfugiaient sur les hauteurs, dans les forêts, où, mêlées aux vainqueurs, elles tombaient dans une espèce de servitude. L'Europe occidentale formait la partie extrême du monde ancien : petite contrée protégée par des montagnes, arrosée par des fleuves nombreux, découpée par des golfes, des mers intérieures, et se rattachant aux immenses plateaux du continent asiatique qui s'étendait de l'Oderau Kamschatka. De ces plateaux les populations s'écoulaient comme par une pente naturelle, au sud dans l'Inde et la Perse, à l'ouest vers l'Europe, où la nature du territoire leur imposait un genre de vie plus sédentaire et où, acculées à la mer, elles se pressèrent peu à peu, de manière à former une population à peu près compacte. C'est ainsi que les différentes couches de la race indo-européenne sont venues succes

(1) L'Emigration européenne, ses principes, ses causes, ses effets, avec un appendice sur l'émigration africaine, hindoue et chinoise, par M. A. Legoyt, secrétaire perpétuel de la Société de statistique de Paris; ouvrage couronné par la Société de statistique de Marseille. 1 vol. in-8. 1861. Paris, chez Guillaumin et C.

sivement se superposer dans nos contrées ou s'établir les unes derrière les autres, au nord-ouest les Celtes, puis les Kymris; au midi les Pélasges, les Hellènes, les Étrusques; au delà du Rhin et des Alpes les innombrables tribus avançant lentement des pâturages de la Scythie jusqu'aux plaines de la Germanie, telles que les Daces qu'Hérodote signale dans le voisinage du lac d'Aral et que l'Empire combattit sur les rives du Danube; puis, derrière, les races slaves qui s'étaient fait jour jusque sur les bords de l'Elbe et dans la vallée inférieure du Pô. En même temps, au midi, l'Afrique versait en Espagne les colonies ibériennes qui, franchissant les Pyrénées, occupaient toute l'Aquitaine et venaient jusqu'en Italie, sous le nom de Sicanes et de Ligures, refouler les Pélasges, formant ainsi un contre-courant d'émigration qui reflua vers l'Orient. Les Celtes firent de même; refoulés par les Kymris envahisseurs, ils se jetèrent non-seulement sur l'Espagne, mais sur l'Italie du nord, dans la vallée du Danube, et s'étendirent plus tard jusqu'en Asie, où ils formèrent le royaume des Galates.

Ces tribus s'avançaient ordinairement de proche en proche, grossissant la population, mais portant avec elles le ravage et toutes les horreurs d'une conquête violente faite par un peuple barbare c'est le caractère de l'émigration terrestre. Cependant, par mer, les côtes se peuplaient, mais d'une manière toute différente. Pour s'aventurer au loin sur les flots, et se diriger malgré les tempêtes sur des mers inconnues, il faut déjà avoir beaucoup appris: les peuples qui fondèrent des colonies par mer apportèrent quelquefois la guerre, mais plus souvent encore le commerce et la civilisation. J'en excepte cependant les sauvages qui peuplaient, à l'origine de l'humanité, la Grande-Bretagne et l'Irlande. Les premiers civilisateurs de ce genre furent les Égyptiens, qui communiquèrent leurs arts et leurs lois aux Pélasges de la Grèce, et les Phéniciens, qui chassèrent les pirates cariens des îles de l'Archipel, contribuèrent à former les fondements de la civilisation grecque, semèrent de leurs colonies les côtes de la Méditerranée, furent les civilisateurs de Chypre, de la Sicile, et au delà de la Méditerranée firent de Gadès l'entrepôt d'un grand commerce dans la Bétique et dans les contrées alors presque inconnues que baigne l'océan Atlantique. Carthage ne fit que continuer la politique coloniale de sa métropole, sans laisser, toutefois, dans les pays où elle fondait ses comptoirs de commerce, des traces aussi profondes.

Les Grecs ne vinrent qu'ensuite, mais l'éclat de leurs colonies éclipsa la gloire de leurs devanciers. Ce fut une invasion terrestre qui détermina les premières émigrations des Grecs. Les Thessaliens Thesprotes avaient refoulé vers le sud les Eoliens; ceux-ci partirent de Béotie vers la fin du xe siècle, colonisèrent Lesbos et les côtes de l'Asie-Mineure qui de leur nom s'appelèrent l'Eolide. Un siècle après, les Ioniens,

chassés du Péloponèse par les Achéens, s'embarquèrent en Attique, s'établirent dans quelques-unes des Cyclades, fondèrent Samos et Chios, et bâtirent ou conquirent sur le continent Milet, Éphèse, Phocée, Smyrne, qui firent de l'lonie un foyer de richesses et de lumières. Les Doriens se fixaient en même temps au midi de l'Asie-Mineure. Trois siècles après, ces colonies étaient devenues de grandes villes de commerce, et de concert avec les cités de la Grèce, qui avaient grandi aussi, elles disputaient l'empire de la Méditerranée aux Phéniciens affaiblis par les révolutions de l'Asie. Milet couvrit de ses comptoirs le PontEuxin et domina jusque dans les Palus-Méotides.

La colonisation grecque s'était d'abord portée à l'Orient. C'était le commencement de la mémorable lutte de l'Occident contre l'Asie. Mais elle avait poussé aussi ses entreprises à l'Occident, en Épire, sur les côtes de la Grande-Grèce, en Sicile, en Sardaigne, dans la Campanie et jusqu'aux bouches du Rhône, où Marseille était devenue à son tour le centre d'une colonisation qui avait embrassé tout le golfe de Lion. Pendant plusieurs siècles, l'activité fut grande sur la Méditerranée; c'était la principale route du commerce antique, le bassin sur les bords duquel florissait la civilisation; à l'ouest dominaient les Grecs, à l'est les Carthaginois, et les deux peuples se rencontraient et luttaient en Sicile.

La domination romaine qui enveloppa peu à peu tout ce bassin, mit fin à ces rivalités, mais je ne crois pas qu'elle ait été profitable à la navigation de ces parages. Les Romains n'étaient pas un peuple marin; ils détruisirent Carthage sans la remplacer; en asservissant la Grèce et l'Asie-Mineure, ils enlevèrent à ces petites républiques l'activité qui leur avait fait étendre leurs relations jusqu'aux extrémités de la mer Noire: il est juste d'ajouter que lorsqu'elle les asservit, leur décadence avait déjà commencé. Alexandrie seule jouit d'une grande prospérité parce qu'elle posséda à peu près exclusivement le monopole de l'entrepôt des deux mondes et fournit au luxe romain les coûteux produits de l'Asie. Il n'y eut plus qu'un centre d'abord, deux ensuite, où tout aboutit et fut consommé : Rome et Constantinople.

On doit admirer la politique merveilleuse des Romains dans la fondation des colonies militaires. En Italie, à l'époque où ils luttaient contre les Latins, contre les Samnites, les Étrusques et les Gaulois, ils ont su s'enfermer dans un triple cercle de villes qui étaient autant de postes avancés, et dans lesquelles le citoyen, toujours prêt à porter les armes, était assujetti aux mêmes servitudes et aux mêmes devoirs que le soldat au camp; ils ont occupé les passages difficiles, les points importants et formé sur leurs routes stratégiques une chaîne de forteresses qui, franchissant les Alpes, s'étendit dans les pays conquis à mesure que s'étendait la domination romaine. C'est en partie à ce système que Rome a dû l'empire du monde. Mais ces colonies ont bien moins d'importance dans

l'histoire de l'émigration que dans celle de la politique: M. Legoyt leur a fait une trop large place dans son introduction. Ce que Rome a porté dans le monde entier, ce sont moins des cultivateurs nés sur les bords du Tibre que la langue, les institutions, l'esprit de la ville éternelle. Le monde est devenu romain, non parce qu'il a été peuplé d'Osques ou de Sabelliens, mais parce que peu à peu il a été admis au bénéfice des droits de cité, et que chaque peuple a fini par devenir citoyen du vaste empire dont il avait d'abord été le sujet. Le grand rôle que Rome a joué dans l'histoire de l'émigration, c'est d'avoir lutté contre elle et de lui avoir opposé pendant cinq siècles une digue qu'elle n'a pu franchir. En Italie, elle avait débuté par refouler les Gaulois, puis par écraser les Cimbres et les Teutons; hors de l'Italie, César inaugura la conquête des Gaules en faisant rentrer les Helvètes dans leurs montagnes et en rejetant les Suèves derrière le Rhin. Jusqu'au Ive siècle, les légions et les flottilles romaines veillèrent des bouches de l'Escaut aux bords de la mer Noire, et le flot mobile des émigrations barbares qui traversaient la Germanie et le pays des Sarmates vint se briser contre les rives du Danube et du Rhin, sans que, d'un autre côté, l'Empire parvint à s'établir d'une manière durable au delà de ces fleuves; mais en deçà régnait la paix que les anciens ont célébrée, sous le nom de pax augusta, comme le plus grand bienfait de l'Empire, et, grâce à elle, les populations se fixaient définitivement sur le sol où elles croissaient en nombre, en richesse, en civilisation.

Quand l'Empire s'affaissa sous les chocs répétés des barbares et sous le fardeau de sa propre administration, l'Europe occidentale s'ouvrit de nouveau aux émigrations armées. Les Goths des bords du Danube gagnèrent l'Italie, l'Aquitaine et l'Espagne; les Francs, les Suèves et les Burgondes passèrent le Rhin avec les Vandales; les Saxons furent appelés dans la Grande-Bretagne et attirèrent les Angles à leur suite. Derrière ces peuplades germaniques, s'avançait, des plateaux de la Mongolie, la horde redoutée des Huns qui chassait devant elle les peuplades de l'Occident; Attila, son chef, vint jusque dans la vallée de la Seine et dans les plaines du Pô; sa mort mit fin à son empire, mais non aux déplacements des peuples qui continuèrent à s'agiter et à se fouler entre l'Elbe et le Volga. Au midi, un autre courant d'émigration, formé par l'enthousiasme religieux, se répandait hors de l'Arabie dans une partie de l'Asie, et suivant en Afrique la trace des tribus ibériques, inondait l'Espagne et franchissait les Pyrénées.

Les Carlovingiens, principalement Charles-Martel et Charlemagne, firent dans le moyen âge ce que les Romains avaient fait dans le monde antique. Ils arrêtèrent les émigrations. Ils refoulèrent derrière les montagnes l'invasion arabe; ils conquirent la Saxe et y fixèrent les peuples par la puissance de leurs armes et par l'influence du christianisme; ils

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