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BULLETIN FINANCIER DE L'ÉTRANGER

SOMMAIRE.

Question des économies budgétaires en Angleterre. Budgets et déficits autrichiens. Réformes militaires en Prusse. La conversion en Belgique. - Traités de commerce en Europe; le protectionisme en Amérique.

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La question des économies budgétaires est revenue encore une fois sur le tapis dans le Parlement anglais, avant la clôture de la session. La lutte, ou plutôt le duel a été rude et brillant; deux des premiers jouteurs de la chambre des communes, le représentant de Rochedale et le premier lord de la trésorerie, s'y prenaient corps à corps. L'attaque de M. Cobden ne portait pas, il est vrai, sur les finances seules; il formulait contre lord Palmerston un triple chef d'accusation : oubli des réformes à l'intérieur, politique d'intervention et d'immixtion à l'étranger, exagération croissante des dépenses militaires. C'est sur ce dernier point, toutefois, que portait le poids principal de l'accusation; ne contient-il pas la plus tangible et la plus sensible parmi les fautes que le parti progressiste reproche à l'administration dite libérale? Un budget de dépenses monté en dix ans de 52 millions à plus de 72 millions 1. st., soit un accroissement de 38 0/0 et plus, voilà un fait dont tout le monde saisit la portée, dont la nation la plus riche sent la gravité; la crise économique du jour n'est pas de nature à atténuer cette gravité.

La défense, malgré le talent et l'habileté incontestée de lord Palmerston, était faible, spécieuse. Lord Palmerston n'admet pas qu'on compare entre eux les chiffres de dépenses actuels et ceux d'une époque antérieure; il faudrait seulement se demander si les dépenses d'aujourd'hui sont ou non justifiées par la situation générale. Ensuite, l'économie ne consiste pas, suivant le noble lord, à dépenser peu, mais à dépenser bien ce qu'on dépense. En principe, ces deux assertions sont correctes; mais lord Palmerston a oublié ou négligé de démontrer qu'elles soient applicables à ses budgets. Le parti représenté par M. Cobden, et une grande partie du peuple anglais avec lui, conteste précisément les deux faits que le chef du cabinet veut poser comme des axiomes presque, à savoir: que les excessives dépenses militaires de l'administration actuelle répondent à des nécessités réelles, et que ces 200 millions 1. st. dépensés en surplus depuis dix ans l'ont été d'une façon utile... Venu après le vote du budget, l'incident ne pouvait pas avoir des suites directes, immédiates; mais on ne méconnaît pas, en Angleterre, sa portée réelle et ses effets plus ou moins prochains. Le parti de la paix, de l'économie dans les finances et des réformes démocratiques reprend sa liberté d'action que depuis quelques années il avait, sinon aliénée, du moins laissée dormir. Et sans croire pour cela à l'alliance, un peu contre nature, entre Disraeli-Derby et Cobden-Bright, on peut regarder comme définitivement rompue la trêve que la poursuite com

mune des réformes commerciales avait amenée, dans ces derniers temps, entre le cabinet Russel-Palmerston et l'école de Manchester.

Sur le continent aussi, la question d'économies budgétaires continue d'être vivement discutée dans les assemblées représentatives, sans aboutir à des résultats bien marquants. Durant 6 ou 8 mois, les commissions du Reichsrath, à Vienne, et le Reichsrath, dans ses séances plénières, ont discuté chapitre par chapitre le budget si embrouillé de l'empire d'Autriche; le gouvernement a dû défendre pas à pas ses propositions et ses demandes; les longues délibérations n'ont pas réussi à faire découvrir enfin le moyen depuis si longtemps recherché de joindre les deux bouts, de combler tant soit peu le gouffre béant du déficit en permanence. Mais s'il était impossible aux sollicitations et a ux administrations du Reichsrath d'opérer des changements notables dans un budget déjà en cours d'exécution, celui de 1862, on s'était flatté que le ministre des finances en tiendra compte dans l'établissement des budgets futurs, qu'il essaiera du moins d'établir ses prévisions budgétaires pour 1863 avec une apparence d'équilibre entre les recettes et les dépenses. Il n'en est rien; le déficit prévu, dans le projet de budget que M. de Plener vient de présenter aux chambres de Vienne, est des plus formidables. Voici, d'abord, les chapitres principaux de dépenses :

Administration civile, cour, chancellerie......
Ministère de la guerre, dépenses ordinaires...
Marine.....

Garanties d'intérêt et subventions..

101,345,000 florins.

92.000,000

11,055.000

5,237,000

Intérêt de la dette de l'État......

115,320,000

Amortissement de la dette de l'État..
Divers......

23,200,000

14,341,000

soit un ensemble de 362,498,000 fr., à quoi s'ajoutent 35 millions de dépenses supplémentaires pour l'armée, ce qui porte le total à 397,498,000 fl. Les recettes, par contre, ne doivent s'élever qu'à 304,307,000 fl., dont:

Impôts directs.....

Impôts indirects...

Revenus des domaines de la couronne..
Exploitations et divers.....

110,230,000 florins..
178,596,000

7,314,000
8,167,000

ce qui laisse un déficit de 93,191,000 fr. à combler par des moyens extraordinaires. M. de Plener compte obtenir environ 27.7 millions par l'émission des obligations non encore aliénées sur l'emprunt-loterie de 1860, et 35.6 millions par de nouvelles augmentations d'impôts; il demanderait les 30 millions restants à une nouvelle opération de crédit, sur laquelle le ministre des finances ne s'explique pas et sur laquelle, selon toute probabilité, il n'a pas encore de plan arrêté. Quand on se rappelle le peu d'empressement que les « opérations de crédit » des ministres autrichiens rencontrent sur le marché des capitaux, dans le pays aussi bien qu'à l'étranger; quand on pense aux accroissements continus et très-forts que les impôts autrichiens ont eu à supporter déjà depuis 1859 seulement, on avouera que si les moyens imaginés par M. de Plener pour faire face au déficit de 1863 ne brillent pas par la nou

veauté et l'originalité, ils ne se distinguent pas non plus par une grande facilité d'exécution. On doute notamment que le Reichsrath, qui s'est montré déjà assez difficile au sujet des surélévations d'impôt que contenait le budget de 1862 et a, entre autres, rejeté l'augmentation du prix du sel, consente à imposer aux populations surchargées un nouvel accroissement d'impôt d'une centaine de millions de francs. Selon toute probabilité, il insistera encore une fois sur la réduction des dépenses, notamment au chapitre « armée » qui prend à lui seul 127 millions de florins, soit au delà de deux cinquièmes du total des recettes. Y réussira-t-il mieux cette fois qu'il n'a réussi, il y a quelques semaines, en recommandant au gouvernement un radical changement de sa politique à l'endroit de l'Italie, ce qui seul permettrait une réduction notable dans les dépenses militaires? Il faudrait une forte dose d'optimisme pour s'y fier avant de l'avoir vu.

Voilà du moins un point où les cabinets de Vienne et de Berlin, aujourd'hui plus brouillés ou du moins plus ouvertement brouillés que jamais, se rencontrent parfaitement! Le gouvernement prussien ne montre guère plus d'empressement que le gouvernement viennois à céder aux instances parlementaires touchant le budget de l'armée. La discussion parlementaire sur ce chapitre bien épineux ne peut plus être longtemps retardée; on l'attend trèsorageuse; on prévoit une grave crise, qui aboutirait à une nouvelle dissolution de la seconde chambre, si elle n'amène pas une espèce de coup d'État. La divergence est grande entre ce que l'administration croit devoir obtenir et ce que la législature croit pouvoir accorder. Celle-ci veut ramener le budget de guerre à ce qu'il était avant les projets de réforme » dont le gouvernement est obsédé depuis trois ans ; le gouvernement veut tout au plus en ralentir quelque peu la réalisation; il ne veut à aucun prix y renoncer. Or, l'armée « réorganisée » exige, dans le budget de 1862, en sus d'une dépense ordinaire et permanente de 37,779,043 thalers, une somme de 4,851,855 th. pour dépenses extraordinaires et supplémentaires; total, 42,630,898 thalers (environ 160 millions de francs). Il n'avait été que de 31,825,860 th. en 1860. L'accroissement est donc de 10,805,038 th., ou de plus d'un tiers, et on ne pense guère que la progression puisse s'arrêter là, si les chambres consacrent la « réforme » prônée par le gouvernement. Elles y sont d'autant moins disposées que la question d'argent, malgré l'importance manifeste que lui donnent les chiffres signalés, devient secondaire en face de la grave question de principe engagée dans le débat : la « réforme» qu'ambitionne le gouvernement avec une persévérance digne d'une meilleure cause, tend surtout à supprimer la partie populaire ou démocratique qui s'est jusqu'à présent conservée dans l'organisme défensif de la Prusse et à la remplacer par l'organisation toute soldatesque des grands Etats militaires du continent. Les considérations politiques et économiques paraissent donc, tout autant que les raisons financières, légitimer l'opposition que l'immense majorité de la chambre des députés fait aux exigences du cabinet Von der Heydt. Il faut ajouter, quant au point de vue financier, que la chambre et le public ont peu de confiance dans les accroissements de recettes et amoindrissements de dépenses que le ministère fait entrevoir comme une compensation partielle des charges militaires; une seule décharge est certaine jusqu'à présent, mais elle est peu importante: c'est

la diminution des intérêts résultant de la récente conversion en 4 0/0 d'une partie de la dette 4 1/2 0/0.

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L'opération, qui ne sera définitivement close qu'au commencement d'octobre, paraît avoir parfaitement réussi; pourrait-il en être autrement à un moment où l'argent involontairemeut oisif abonde partout, à tel point que la Banque d'Angleterre, après avoir abaissé à 2 0/0 son taux d'escompte, ne trouve pas assez de matière escomptable? Il serait à désirer que les gouvernements bien endettés et où trouver aujourd'hui l'Etat d'Europe qui ne l'est point? en profitent pour diminuer la charge des intérêts de leurs dettes publiques dont ils continuent à accroître le capital. La Belgique, qui pourtant n'a pas trop péché dans ce dernier sens, se prépare à employer le remède que M. Fould a mis en vogue. Dans la récente discussion sur la loi des travaux publics, M. Frère-Orban a donné à la chambre la consolante assurance que le ministère qui entreprend ces travaux en grande partie avec les excédants budgétaires des quatre derniers exercices, compte trouver les moyens de les continuer, entre autres, dans les économies à réaliser par la réduction de l'intérêt de la dette nationale. La dette belge, que le dernier emprunt a derechef portée à 700 millions de francs environ, se divise aujourd'hui en titres de 2 1/2, de 3, de 3, de 4 1/2 et enfin de 5 0/0; au point de vue de l'unification seulement, la conversion offrirait donc des avantages réels déjà. Plus importante est naturellement l'épargne qui doit résulter de la conversion du 5 et du 4 1/2 0/0 en 0/0. La conversion Fould a plus ou moins réussi en France, avec un cours de 70 à 72 pour la rente 3 0/0; le même titre se tient en Belgique au delà de 80 les chances pour la réussite de la conversion sont donc infiniment plus favorables. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion de le constater tout récemment à une époque où le déficit semble partout devenir la règle, le gouvernement belge se trouve dans la position enviable d'avoir érigé presqu'en permanence le système tout contraire, l'excédant de recettes. Inutile de dire que son crédit ne peut que s'en ressentir avantageusement; le succès de la converslon, fût-elle même entreprise sur une échelle plus large et d'une façon plus radicale qu'on ne l'annonce jusqu'à présent, ne saurait donc être douteux.

Peut-être a-t-il fallu au ministère belge plus de courage pour conclure le traité de commerce qu'il vient de signer avec l'Angleterre; la filature des Flandres notamment faisait d'héroïques efforts pour empêcher cette calamité. Heureusement le bon sens de l'immense majorité des populations a donné au gouvernement assez de force et de courage pour passer outre sur ces clameurs intéressées. Il était d'ailleurs impossible que la Belgique refusât longtemps à l'Angleterre, une de ses meilleures clientes, les facilités que, dans le récent traité, elle avait accordées à l'entrée des produits français et que la France accorde à l'entrée chez elle des produits anglais; c'eût été, en outre, une maladresse politique que de mécontenter un pays et un gouvernement dont les sympathies et les intérêts ont toujours été en faveur du royaume de Léopold Ier. On assure, et c'est assez naturel, que le traité anglo-belge, calqué lui-même sur le traité franco-belge, servira de modèle à une série d'autres traités que la Belgique signerait prochainement avec différents États européens. Le traité avec le Zollverein viendrait en première ligne. Avec l'esprit vraiment

libéral dont la Prusse vient de faire preuve dans la signature définitive du traité franco-allemand et dans le refus catégorique que le comte Bernstorff oppose à l'offre viennoise d'immobiliser jusqu'en 1877 le tarif protecteur du Zollverein, car c'est là, au fond, le but réel des deux dernières notes de M. le comte Rechberg, ― l'entente entre les cabinets de Berlin et de Bruxelles ne sera assurément pas difficile.

A voir l'émulation qui règne aujourd'hui en Europe sur ce terrain, ne diraiton pas qu'elle a dépouillé le vieil homme pour l'envoyer dans le nouveau monde ? C'est là que le protectionisme, dont le domaine se rétrécit journellement en Europe, semble vouloir conquérir un nouvel empire; le tarif que le gouvernement de Washington met en vigueur depuis le 4 de ce mois renchérit encore sur le tarif Morill. Au temps jadis, c'est-à-dire à l'époque chronologiquement si proche, et pourtant déjà si éloignée de nous, où une recette de 50 à 60 millions de dollars constituait un vrai embarras pour les États-Unis qui ne savaient que faire de tant d'argent, ils avaient pris l'habitude de décréter des abaissements douaniers, pour amener une prompte diminution des recettes publiques; ils croient aujourd'hui obtenir l'effet opposé par la mesure contraire et accroître leurs recettes par les surélévations douanières ; les embarras de la guerre civile, qui, d'une part, trouble le mouvement naturel du commerce, qui, d'autre part, engloutit les millions à vue d'œil, ne permet probablement pas aux hommes d'État à Washington de reconnaître à quel point leurs calculs sont démentis par les faits. Hélas! nous nous consolerions aisément, si c'était là l'effet le plus désastreux de la guerre esclavagiste.

J.-E. HORN.

SOCIÉTÉ D'ÉCONOMIE POLITIQUE

Réunion du 5 août 1862.

COMMUNICATIONS: L'Italie nouvelle, par M. Pascal Duprat. Le club d'economie politique à Londres. — L'Association internationale pour le progrès des sciences sociales, fondée à Bruxelles; lettre du comité fondateur. Appréciation de l'Exposition universelle de 1862 par M. Michel Chevalier, président du jury français. DISCUSSION L'Exposition et le bien-être des populations.

M. Ch. Renouard, membre de l'Institut, conseiller à la Cour de cassation, a présidé cette réunion, à laquelle avaient été invités MM. Scialoja, secrétaire général du ministre des finances à Túrin, délégué pour le traité de commerce entre la France et l'Italie; M. Villari (Pasquale), professeur de philosophie de l'histoire à l'Université de

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