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ou moins prolifiques. Mais ce n'est pas seulement de race à race ou de famille à famille que le coefficient de multiplication doit varier. Il est indubitable que, dans la même race et la même famille, il doit être mobile selon le climat, la santé, l'éducation, la profession et les habitudes de la vie. La loi, quelle qu'elle soit, doit être flexible pour s'adapter aux circonstances et aux milieux. Partout, dans la nature, nous voyons l'équilibre normal de la vie à ses divers degrés, ou des éléments qui l'entretiennent, rétabli à chaque instant, au milieu de causes incessantes de variations, par des lois de compensation d'une simplicité extrême, qui tour à tour accélèrent ou arrêtent le mouvement. Il y aurait eu de la part du Créateur un singulier oubli, s'il avait laissé la vie du principal habitant du globe exceptionnellement livrée sans régulateur à tous les excès d'une loi de progression en nombre, qui compromettrait si gravement son développement physique ou moral. Il est facile de constater, dans toute espèce d'organisme, une force mystérieuse qui porte l'énergie vitale du côté où elle a une attaque à repousser ou un vide à combler. Pourquoi l'arbre, stérile quand il pousse vigoureusement, se couvre-t-il de fruits lorsqu'on le mutile et qu'il se sent menacé dans sa vie? Pourquoi l'érable à sucre, qui ponctionné la première année ne donne qu'une demi-livre de séve, en rend-il trois livres les années suivantes? N'est-il pas très-présumable, en suivant ces analogies, que chez la même race, qu'on voit pulluler rapidement quand des circonstances particulières (qu'on pourrait aussi appeler maladives), comme la guerre, la colonisation, l'émigration, la tiennent en coupe réglée, la population doit prendre une allure beaucoup plus lente, aussitôt qu'elle est placée dans de nouvelles conditions qui ne sollicitent plus cette continuelle réparation de ses pertes? Une preuve positive qu'il y a, dans la loi de reproduction, un coefficient d'équilibre inconnu, qui s'adapte aux besoins du milieu, indépendamment de la volonté humaine, c'est ce fait bien constaté, qu'après des guerres terribles qui ont fauché par millions la population mâle, on voit les naissances rétablir, en très-peu d'années, la proportion normale des deux sexes.

Il est naturel de croire que, dans ce règlement spontané de la population humaine, l'élément intellectuel et moral doit avoir un grand rôle. Les hommes, à mesure que leur éducation monte d'un degré, pensent à se faire une existence avant de se faire une famille, et dans le mariage même, envisagent autre chose que des jouissances brutales. Le mendiant, parasite inerte du fonds commun, l'esclave ou le manou

dans la progression par leurs enfants) influe beaucoup plus qu'il ne l'avait estimé dans l'accroissement. Avec cette correction, la période la plus rapide du doublement va au delà de 30 ans.

vrier qui n'a qu'une sorte de fonction mécanique dans une manufac ture, insouciants et irresponsables de l'avenir qui leur appartient si peu, peuvent s'abandonner à tous leurs instincts animaux; mais il en est tout autrement du travailleur, propriétaire d'un champ, d'un capital, d'un métier et d'une clientèle quelconque, qui comprend sa dignité, sa responsabilité sociale et tient à maintenir sa famille après lui au rang qu'il a conquis. Or, la tendance de la civilisation est incontestablement d'amener les classes ouvrières à cet état de majorité où elles ont le sentiment de leurs droits et de leurs devoirs. Il est donc admis que les freins moraux de toute espèce (ce qui est tout autre chose que le moral restraint de Malthus) ont une action sérieuse ici. Mais il est permis de croire, sans vouloir amoindrir cette action, qu'elle est puissamment secondée par certaines lois physiologiques qu'on peut au moins entrevoir. Il n'est guère possible de contester, par exemple, que le travail et surtout le travail de la pensée, qui se substitue graduellement partout au travail musculaire, ne soit un dérivatif puissant des facultés reproductrices. La physiologie et la chimie ont constaté dans l'appareil nerveux une correspondance qui présente comme complémentaires l'un de l'autre l'organisme de la pensée et celui de la reproduction. Or, il n'en faudrait pas davantage pour constituer le régulateur demandé. A quelque degré qu'on en soit de la civilisation et de la science, en effet, toutes les fois que les circonstances seront telles que le travailleur trouvera devant lui le champ préparé, la vie ouverte, le travail abondant et sans inquiétudes, l'énergie des facultés reproductives fonctionnera sans entraves. Quand, au contraire, il y aura difficulté relative de vivre, concurrence des travailleurs entre eux, souci de l'avenir, préoccupation pénible de la pensée et tension de la volonté, c'est le cerveau qui retirera à lui la puissance créatrice. Les considérations et les exemples que M. Carey présente à l'appui de cette idée me semblent d'une grande force.

Je ne veux pas reprocher à Malthus l'extrême légèreté de son bagage scientifique. Tout ce qui touche à la biologie, à la chimie végétale et animale, à l'agriculture savante, aux corrélations des diverses parties de l'organisme humain, etc., était très-peu avancé de son temps: l'ignorance générale explique donc, sans toutefois l'excuser, à mon avis, l'aplomb avec lequel il a jeté, au milieu d'une question aussi grave, des formules dont l'arbitraire et le vide nous confondent aujourd'hui. L'avantage que M. Carey a sur lui, comme observation et logique, est dù sans doute, en partie, au progrès qu'ont fait depuis un demi-siècle toutes les sciences qui s'occupent de la vie. Mais comme l'économiste américain en a tiré parti! Comme il est au courant de toutes les connaissances qui, directement ou indirectement, aboutissent à son sujet? Comme il leur demande habilement tout ce qu'elles peuvent lui fournir

d'arguments! Avec quelle hauteur de vues, avec quelle ampleur de moyens il procède! Et surtout avec quelle réserve scientifique! En accumulant les inductions et les probabilités les plus fortes, il n'affirme pas; il se contente de prouver à son adversaire qu'il n'avait pas le droit d'affirmer, lui, ni la nature de la progression, ni le temps du doublement, ni la généralisation qui l'étend d'un cas spécial à toute espèce de race, de climat, de civilisation, d'état moral ou physique régulier ou transitoire, maladif ou normal de la population. Et quand il a ainsi ramené la théorie à la valeur d'une simple hypothèse, il l'écrase alors sous le poids des faits.

Le chapitre XLIX du IIIe volume est peut-être celui ou la supériorité de dialectique de M. Carey se produit avec le plus de vigueur et d'éloquence, tantôt ironique, tantôt pénétrée d'une sorte d'indignation contenue. (Rien n'est calme et impassible ordinairement comme M. Carey.) Il y reprend, page par page, l'espèce d'enquête faite dans le livre de Malthus pour trouver dans l'univers la preuve de son système; et il lui montre que les faits qu'il cite concluent contre lui; que ce n'est jamais la terre qui manque à l'homme, mais l'homme qui manque à la terre ; que le vice et la misère ne sont pas les résultats et les correctifs de l'avance que prend la population sur les subsistances, mais qu'au contraire ils sont la cause directe et permanente qui empêche de se développer la subsistance et la population à la fois que le moral restraint ne corrigerait rien, et ne corrige rien de fait (car, moral ou immoral, l'obstacle préventif se manifeste surtout dans les pays les plus misérables); et qu'au contraire, partout, c'est la dissémination de la population, sa faiblesse numérique et son isolement qui, empêchant toute industrie, arrêtent l'essor de la production sur des sols qui ne demandent qu'à livrer leurs richesses: que partout où la civilisation marche, on voit la population s'accroître, et en même temps se produire une abondance plus grande de toute chose (quel que soit d'ailleurs le degré absolu de fertilité naturelle du sol); que partout, au contraire, où la civilisation décline, la population et la richesse vont en diminuant, et la richesse plus vite encore que la population. Tout cela est très-important, parce que cela place la difficulté de vivre, non pas dans l'impuissance de la grande nourricière à alimenter l'homme, -ce qui serait sans remède, -mais dans l'inaptitude et la négligence de l'homme à se mettre en rapport avec elle, ce qui est une faute à laquelle il peut et doit remédier.

M. Carey conclut ainsi :

« La responsabilité s'accroît en proportion des dons que l'homme a reçus de Dieu. Le riche qui a dans ses mains tout le pouvoir et les moyens d'agir sur la direction du mouvement sociétaire, est responsable, vis-àvis de son Créateur et de son prochain, du strict et entier accomplisse

ment de ses devoirs. Le pauvre travailleur, au contraire, est l'esclave de circonstances sur lesquelles il ne peut rien; il se lève sans trop savoir s'il trouvera le pain de la journée, et se couche sans avoir soupé, parce qu'il s'est rencontré que la société n'avait pas besoin de son travail et qu'elle ne lui a pas donné place à la table dressée pour l'humanité tout entière. Le lendemain, le surlendemain, il répète l'épreuve inutile, et rentre à son misérable abri où l'attendent les cris d'une famille mourant de faim. S'il succombe aux mauvais conseils du désespoir, la société lui demandera un compte rigoureux, tandis qu'elle dégagera de toute responsabilité ceux qui ont le pouvoir, et cela pour maintenir les grandes lois naturelles, en vertu desquelles une grande partie de la population, en tout pays, doit régulièrement mourir de faim.

« Qu'il y ait dans le monde une grande somme de vice et de misère, personne ne le conteste. Quelles en sont les causes? Quels en sont les remèdes ? C'est là où l'on ne s'accorde plus. Malthus dit que c'est la conséquence naturelle d'une loi divine et par conséquent inévitable, - ce qui aboutit à dégager les classes qui gouvernent le monde de toute responsabilité au sujet du bien-être des classes qui sont au-dessous d'elles. La religion et le bon sens cependant enseignent que l'Étre qui a créé ce monde merveilleux dont chaque portion s'adapte si parfaitement à l'harmonie de l'ensemble, n'a pu soumettre l'homme à une loi qui trouble cet accord; que le vice et la misère sont les conséquences de l'erreur de l'homme et non des lois de Dieu, et que les hommes à qui appartient la direction du mouvement sociétaire sont responsables de la condition de ceux qui sont au-dessous d'eux. Telle est la différence entre la science sociale et la doctrine ricardo- malthusienne : l'une assigne au riche une haute et grave responsabilité; l'autre la rejette tout entière sur les épaules de ceux qui, pauvres et faibles, sont incapables de se défendre par euxmêmes.

« L'un proclame que le grand trésor commun est, en fait, d'une étendue illimitée; qu'il existe de grandes lois naturelles en vertu desquelles les subsistances et autres utilités premières tendent à s'accroître plus vite que la population; que c'est le devoir des puissants d'étudier et de comprendre ces lois, et que si, faute de l'accomplissement de ce grand devoir, le vice et la misère prévalent dans le monde, c'est eux positivement et eux seuls qui en sont responsables. — L'autre soutient que, par suite de la rareté des sols fertiles, le pouvoir de la terre va constamment en diminuant à mesure que s'accroît le nombre de bouches à nourrir; qu'il existe de grandes lois naturelles en vertu desquelles la population tend à augmenter plus vite que la subsistance; que c'est le devoir du pauvre et du faible d'étudier ces lois, que c'est à l'esprit in

culte à les comprendre, et que, s'il y manque, la responsabilité tombe sur lui et uniquement sur lui.

« L'une est d'accord avec le dogme chrétien, qui dit que les hommes doivent faire pour autrui ce qu'ils voudraient qu'il leur fût fait; que là où il y a des vieillards, des infirmes et des indigents, c'est le devoir du fort et du riche de veiller à ce qu'on pourvoie à leurs besoins. L'autre enseigne que la charité, en s'appliquant à soulager les détresses, ne fait qu'augmenter le nombre des pauvres; qu'il y a surabondance de population et que le seul remède est l'extinction de l'excédant; que le mariage est un luxe que le pauvre n'a pas le droit de se permettre; que c'est une jouissance interdite aux malheureux, tant qu'ils n'ont pas amassé de quoi pourvoir aux besoins de leur future famille, et que si les pauvres se mettent à se marier et à faire des enfants, intervenir entre leur faute et ses conséquences, qui sont la misère, la dégradation et la mort, c'est intervenir entre le mal et le remède, c'est se mettre en travers de la sanction pénale et perpétuer la faute. »>

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Les forêts et la pêche tiennent une grande place dans les vœux de beaucoup de conseils généraux; mais, d'accord avec ceux d'entre eux qui demandent que cette branche de la richesse nationale soit détachée du ministère des finances qui ne l'exploite qu'en vue du revenu, nous les rattacherons au ministère de l'agriculture, paragraphe des travaux publics.

Des succursales de la Banque de France sont demandées pour Chaumont, Douai, Cambrai, Epinal, Niort, et pour le département de l'Aveyron (sans doute Rodez ou Millau).

(1) Voy, la livraison d'août 1862.

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