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échange la houille, cette matière qui est le sang artériel de nos usines, le plus puissant élément du travail, cet agent tout-puissant de l'industrie moderne.

Mais notre extraction nationale que deviendra-t-elle ? Elle doublera sa puissance de production. Car partout le travail activé multipliera les usines, les besoins seront plus nombreux, et tout le mouvement industriel sera décuplé ; il y aura du travail pour tous, et en définitive, et c'est là le but suprême et souverain, il y aura du bien-être pour tous ceux qui souffrent.

Il serait difficile de rendre compte de l'impression que sait produire l'éloquent professeur par ces mouvements heureux, qui révèlent à chaque instant le profond intérêt que lui inspirent les classes laborieuses, autrefois déshéritées par des lois de monopole, et désormais affranchies par le bien-être, l'abaissement du prix des denrées, arrivant au même résultat qu'une élévation de salaire.

L'auditoire semble s'applaudir de voir le professeur entrer à pleines voiles dans l'économie politique proprement dite, en traitant les questions multiples que soulèvent et la lettre de l'Empereur, et le traité avec l'Angleterre, et les rapports des ministres sur les finances, les voies de communication, la réduction des prix de transport, l'affranchissement des matières premières, l'abaissement des droits sur le sucre et le café, tout cet ensemble de mesures qui assureront à des millions d'ouvriers agricoles la vie à bon marché.

L'industrie des laines, que nous faisions remonter au paradis perdu dans une séance du Congrès des sociétes savantes, a été l'objet d'un examen attentif du professeur; il a étudié aussi la grande industrie du coton au point de vue de la nouvelle législation, et il a démontré que l'avenir n'avait rien de menaçant pour nos manufactures; que les besoins augmentant de toutes parts, elles devront, au contraire, se mettre en mesure de produire davantage, la culture du coton en Algérie et dans le midi de la France aidant, alors que l'Amérique malheureusement se déchire.

Des tableaux de chiffres savamment recueillis et groupés ont éclairé ces matières d'un jour tout nouveau; nous les avons relevés tous, au courant de la parole de l'orateur, mais ils ne sauraient trouver place ici, on le conçoit. Nous nous bornerons à dire que le professeur a prouvé jusqu'à l'évidence que la liberté du commerce, inaugurée avec des tempéraments suffisants pour ne léser aucun intérêt, contribuera au bien-être de tous, même à celui de ceux qui se croient le plus atteints dans leurs intérêts.

Nous avons entendu M. Wolowski établir avec cette abondance saisissante de preuves qui le caractérise, que la liberté commerciale élève le salaire, en augmentant la rétribution de la main-d'œuvre,

qu'elle donne des forces au travail, parce qu'elle fait participer chacun aux avantages qui résultent de la facilité des rapports internationaux. Elle inaugure, a-t-il dit, un socialisme rationnel, le seul praticable, le seul en rapport avec la science. Le socialisme de nos jours, disait encore le professeur, a voulu dépouiller celui qui possède pour enrichir celui qui n'a pas, c'est-à-dire faire profiter le paresseux des avantages du travail d'autrui; le socialisme qui résulte, au contraire, de la liberté du travail, élève celui qui ne possède rien au niveau de celui qui possède. En affranchissant le travail, tout s'améliore, les ressources sont doublées, parce que les débouchés s'ouvrent, et la production s'accroît dans de larges proportions.

Cette intéressante excursion nous a paru produire sur cet auditoire, qu'il faut à la fois ramener aux principes et qui ne se rend qu'à l'évidence des preuves matérielles, un excellent effet; elle a contribué à donner des idées saines sur la liberté commerciale en général, et en particulier sur les modifications douanières qui sont le résultat du nouveau système inauguré par le traité avec l'Angleterre. Elle a popularisé nombre d'idées utiles sur les échanges internationaux, en prouvant que les peuples avaient intérêt, non pas à l'abaissement de leurs voisins, mais bien au contraire à leur prospérité; car en définitive les peuples ne peuvent utilement échanger leurs produits qu'avec d'autres peuples heureux qui produisent eux-mêmes. Elle a semé des idées de pacification universelle qui fructifieront, car, présentées avec élan, avec conviction, avec toutes les preuves palpables d'un travail consciencieux, avec une éloquence chaleureuse et un profond amour du vrai, du juste et du bien, elles ont vivement impressionné l'auditoire au milieu duquel nous nous trouvions nous-même assidûment.

Nous avons passé en revue les trois enseignements consacrés à l'économie politique à Paris; nous ne disons rien du cours de M. Burat sur l'administration et la statistique industrielles; le professeur, habile sans doute, mais placé à un point de vue faux, celui de la protection et de la prohibition, n'aborde qu'accessoirement les questions d'économie politique, car nous croyons qu'il nie même l'existence de la science. Il a traité, en 1860-61, de la géographie physique et commerciale, il a examiné, au point de vue de la production, du commerce et de la consommation : 1o les produits agricoles, bois, céréales, bétail, vins et autres boissons, sucre; 2oles produits minéraux et métallurgiques, houilles, fers et autres métaux usuels, métaux précieux; 3° les produits manufacturés, particulièrement ceux du coton, du chanvre, du lin, de la soie; les arts céramiques et les produits de l'industrie parisienne.

Les lectures de M. Burat, homme de mérite et de savoir, ne sont point sans intérêt, mais elles sont en dehors de tous nos principes et ne doivent pas nous occuper ici.

IV

Il nous reste à dire, pour conclure, que l'enseignement de l'économie politique, réduit à trois chaires pour la France, dont une seule est spéciale à l'économie politique et accessible au public, dont la seconde est ouverte dans l'enceinte d'une école fermée, et dont la troisième n'arrive à devenir essentiellement économique qu'en s'écartant de son programme, il nous reste à dire que cet enseignement, si remarquable et si complet du reste dans sa triple spécialité, est insuffisant dans une grande cité comme Paris, et l'est plus encore en considérant les besoins intellectuels de la France entière. D'après ce que nous avons vu de la manière de nos trois éminents professeurs, on peut dire que l'économie politique est enseignée à Paris sous trois aspects différents au point de vue philosophique et spéculatif, par M. Baudrillart; au point de vue didactique et pratique, par M. Joseph Garnier, et au point de vue législatif et historique, par M. Wolowski; que cet enseignement, tel qu'il est aujourd'hui, est sans doute remarquable, mais qu'il ne saurait suffire, et nous venons, au nom de l'intérêt énéral, au nom de l'industrie agricole, manufacturière et commerciale, au nom de tous ceux qui se préoccupent des progrès de la science, deman der une chaire d'économie politique dans chaque école de droit, afin de placer cet enseignement au plus haut sommet des études; nous demandons également une chaire d'économie politique dans chaque faculté, afin de propager les saines doctrines de cette science en dehors des écoles, et de préparer des administrateurs habiles, des fonctionnaires instruits, des publicistes capables, qui puissent comprendre les rouages de la grande machine sociale, aux mouvements de laquelle tous sont associés de près ou de loin; afin de préparer des théoriciens honnêtes et instruits aussi, qui sachent agir avec connaissance de cause et sans témérité, afin de faire comprendre enfin au plus grand nombre les lois en vertu desquelles s'accomplissent les phénomènes de la production et de la répartition des choses nécessaires à la subsistance des peuples et à leurs besoins intellectuels et moraux.

L'exemple de l'Allemagne, où l'enseignement de l'économie politique est très-repandu, nous fait espérer qu'en France le moment est venu où l'on doit sentir la nécessité de propager les notions d'une science qui aide à l'administration rationnelle et progressive des États, qui fait connaître les lois de l'organisation et la physiologie de la société industrielle, qui éclaire de lueurs puissantes les théories du mouvement industriel et commercial des nations, et qui, enfin, doit être le complément des études philosophiques, morales et politiques de tous.

Au moment où vient de s'accomplir une transformation notable dans

le régime de nos industries, où l'inauguration du nouveau système de rapports internationaux ouvre une ère nouvelle de prospérité au travail, et où le gouvernement doit désirer d'être suivi par le plus grand nombre dans les réformes qu'il accomplit avec fermeté, persévérance et logique, nous espérons que l'on sentira qu'il y a urgence à répandre le plus possible les notions fondamentales de l'économie politique, et à combattre de dangereux préjugés. Le moment est donc opportun, il nous semble des plus favorables; espérons de la sagesse du gouvernement qu'ayant voulu la réforme, il désirera qu'elle soit comprise par

tous.

Nous insistons d'autant plus que les essais faits en province avec éclat et supériorité, à Montpellier, à Bordeaux, à Nancy, à Reims, par MM. Frédéric Passy et Victor Modeste, ont prouvé que la science de l'économie politique trouve maintenant son public partout, et que son étude est devenue désormais une nécessité de l'éducation.

JULES PAUTet.

LE PAUPERISME ET L'ASSISTANCE PUBLIQUE

EN ANGLETERRE

PENDANT L'ANNÉE 1860 ET L'HIVER DE 1860-61 (1)

La marche du paupérisme, soit qu'il fasse des progrès, soit qu'il perde du terrain, est une question d'un intérêt trop palpitant pour qu'on néglige les occasions qui s'offrent de s'instruire de sa situation véritable. C'est la plus grande de toutes les questions économiques qui s'agitent en Angleterre, la plus importante de toutes, la question dominante, celle enfin qui tient le premier rang dans les préoccupations de ses hommes d'État. Et cela se comprend. Si jamais le Royaume-Uni tombait dans les convulsions d'une révolution, ce ne pourrait être que du fait de l'extrême misère d'une portion des classes laborieuses. Ni les simonies du clergé, ni la vénalité des grades dans l'armée, ni d'autres abus inhérents à la constitution oligarchique de l'Angleterre et qui choquent fort peu des esprits plus amoureux de liberté personnelle que d'égalité niveleuse, ne suffiront à ébranler l'édifice de la société. Pour que pareille chose arrivât, il faudrait qu'il s'opérât un changement radical dans la manière de voir et de sentir des Anglais, en matière de gou

(1) D'après le Thirteenth annual report of the Poor Law Board. London, 1861.

vernement. Or, il ne paraît pas qu'ils soient très-disposés à trouver mauvais ce qu'ils ont trouvé bon jusqu'à ce jour. S'il y a donc danger pour la société en Angleterre, ce n'est pas de ce côté qu'elle est menacée.

Dans un moment comme celui-ci, où se produit une suspension partielle du travail dans les manufactures de coton, la question du paupérisme acquiert un surcroît de gravité; et il est de toute nécessité de savoir ce que l'on peut présumer d'une suspension complète du travail par des centaines de mille d'ouvriers, d'après un précédent. Ce terme nous est justement fourni aujourd'hui par les effets du rigoureux hiver de 1860-61. Le rapport que nous avons sous les yeux nous donne les moyens d'apprécier jusqu'à quel point des circonstances particulières de nature à nuire à la production peuvent affecter la condition des classes laborieuses.

Les comptes généraux des recettes et des dépenses occasionnés par l'assistance publique des pauvres et des ouvriers sans travail étant arrêtés le 25 mars de chaque année, le treizième rapport annuel du Poor Law Board nous fait connaître la totalité de ces comptes du 25 mars 1859 au 25 mars 1860. Mais ne s'en tenant pas aux chiffres de l'année budgétaire, il nous donne des comptes partiels complets à des époques plus rapprochées de nous, telles que le 1er juillet et la Saint-Michel 1860. En ce qui concerne le nombre des individus secourus dans toute l'Angleterre et le pays de Galles, il pousse jusqu'à la fin du mois de janvier 1861. C'est surtout à cause de ce dernier renseignement que le treizième rapport est intéressant à étudier. Entrons done dans le sujet.

I

L'année 1860 a été, sous le triple rapport agricole, manufacturier et commercial, une bonne année pour l'Angleterre, et les classes laborieuses ont trouvé ample occupation dans l'heureux mouvement des affaires. Cependant, plusieurs circonstances, les unes jusqu'à un certain point dépendantes de la volonté humaine, les autres hors de son atteinte, n'ont pas laissé que de projeter quelques fortes ombres sur le brillant tableau de la prospérité générale. Ainsi, la manufacture des rubans s'est trouvée presque entièrement arrêtée à Coventry, Foleshill et autres villes environnantes, par suite d'un changement de mode qui a diminué tout à coup la consommation de cet article, principal objet de l'industrie de ces villes.

A cette première cause de misère sont venus s'ajouter un printemps tardif et un été pluvieux. Le résultat combiné de ces fâcheuses circonstances a été de jeter sur le pavé un nombre considérable d'ouvriers; et comme si ce n'était pas assez déjà d'éléments de détresse, une suspension volontaire de travail des tisserands en soie, pour question de salaire, est venue encore aggraver cette situation.

D'autres branches d'industrie ou de commerce sont aussi, par des causes diverses, tombées en souffrance dans d'autres localités, et leur état de langueur a privé des populations entières de travail. A Norwich, à Bermondsey et dans d'autres centres manufacturiers, la condition précaire du commerce des peaux a enlevé ses moyens d'existence à la presque totalité des ouvriers

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