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à celui de 1,014, les curateurs ont pu fournir du travail à tous les gens valides qui réclamaient des secours, et ne se sont pas écartés des dispositions de l'ordonnance générale de l'assistance, excepté en ceci que la proportion des secours en nature s'est trouvée un peu moindre que ne le prescrit le règlement. A Coventry, les curateurs ont fait face à l'accroissement subit des besoins sans avoir à recourir à des mesures extraordinaires. Mais il faut s'empresser d'ajouter que c'est grâce aux fortes sommes adressées volontairement de tous les points de la Grande-Bretagne pour soulager la détresse des malheureux de cette ville, ce qu'à notre avis le rapport ne fait pas assez ressortir. Cependant ces besoins furent moins grands qu'ils eussent pu l'être par suite d'une reprise partielle dans la confection des rubans. A Bristol, où les demandes de secours ont été nombreuses, les curateurs, paraît-il, n'ont éprouvé aucune difficulté d'y satisfaire. Ils ont eu à soulager au dehors 400 individus de plus que l'année précédente, 3,783 au lieu de 3,391.

A Londres, dans la troisième semaine de janvier 1861, il y avait 113,156 personnes secourues sur les fonds de l'Assistance publique seulement, contre 89,258 dans la semaine correspondante. C'est ce que le rapport nous apprend de plus saillant de la détresse des classes ouvrières de la métropole pendant l'hiver de 1861. Sans l'accuser de voir les choses en rose, on ne peut s'empêcher de se demander s'il n'est pas un peu optimiste en ce qui concerne Londres. Après avoir dit qu'à Londres comme à Coventry, pendant toute la durée du mauvais temps, non-seulement d'abondantes aumônes ont été adressées aux institutions de charité privées, mais que des sommes considérables ont été mises à la disposition des officiers de police, le rapport ajoute que l'on n'a pas de raison de supposer d'ailleurs que, le fardeau de l'assistance fût-il tombé tout entier sur les bureaux des curateurs, ils eussent eu aucune peine à le supporter et ne se fussent trouvés en position de prendre toutes les mesures convenables. Le rapport, nous le répétons, n'est-il pas un peu trop optimiste? On voudrait bien croire que non, mais il est assez difficile d'ètre de son avis, si l'on se souvient des cris de désespoir que poussait toute la presse de Londres, il y a dix-huit mois.

D'après les rapports des inspecteurs du reste de l'Angleterre et du pays de Galles, les bureaux des curateurs auraient trouvé partout dans les ressources de la localité des moyens suffisants de parer à la situation. Les inspecteurs sont unanimes à déclarer que les curateurs n'out, pendant les rigueurs de la saison, rencontré de grandes difficultés d'aucun genre dans la mise à exécution de la loi des pauvres; ou bien, s'ils ont rencontré quelques difficultés, qu'ils les ont surmontées sans peine avec les moyens ordinaires qui étaient à leur dis osition. Tous enfin declarent que l'on n'a pas été obligé de se départir des dispositions énoncées dans la loi pour la distribution de l'assistance en temps normal, ni des règlements du bureau de la Poor Law, ce qui équivaut à dire que les populations pauvres n'ont pas eu à souffrir des rigueurs de la mauvaise saison.

Mais s'il est intéressant de savoir comment la loi et les règlements ont été app iqués, il l'est plus encore, croyons-nous, d'entrer dans le détail des opérations, d'étudier le mécanisme de l'institution dans ses détails et le jeu de ses ressorts, en d'autres termes d'apprendre quels ont été dans cette occur

rence les rapports des administrateurs et des administrés; comment les premiers répondaient aux demandes de secours qui leur étaient adressées, comment les autres accueillaient les conditions qui leur étaient faites pour les obtenir, c'est-à-dire la proposition de travailler.

Casser des pierres pour l'entretien des routes ou confectionner de l'étoupe avec de vieux cordages, comme dans les prisons, tel est le travail que l'on impose ordinairement en échange de l'assistance.

Une lettre d'un administrateur d'une union à un inspecteur contient sur la manière dont ce travail est exécuté quelquefois, des détails qui nous semblent intéressants. D'après cette lettre, on commença par faire casser des pierres par les hommes assistés. Dans les premiers jours, ils étaient une centaine, mais ce nombre s'éleva bientôt jusqu'au chiffre de 170. L'approvisionnement menaçant d'être épuisé en peu de jours par cette masse de travailleurs, on leur donna à faire de l'étoupe. Le premier travail pouvait s'accomplir en plein air, sans inconvénient pour l'ouvrier; il ne put en être de même de l'autre. Que fit-on? On se servit de la chambre de l'officier payeur, où se trouvait un poêle, pour y travailler à l'étoupe. On y réunit 120 hommes, choisis parmi les moins vigoureux, et les autres continuèrent de casser ce qu'il y avait encore de pierres. Quand il n'en resta plus, on leur donna à briser, pour la réparation des chemins, de grands tas de fraisil.

La lettre en question nous apprend, en outre, que la paie de ces hommes variait de 6 deniers (63 c.) à 1 shilling (1 fr. 25 c.) par jour, suivant qu'ils étaient célibataires ou chefs de famille Nous voyons, dans une autre lettre, que la paie est de 1 shilling à 2 au plus, suivant le travail accompli et le nombre des enfants du travailleur.

Quant aux sentiments de ce dernier, les documents insérés dans le rapport nous fournissent les moyens de nous former une opinion.

A West-Ham, les curateurs ayant donné de l'ouvrage à tous les individus valides qui étaient venus solliciter des secours, cet ouvrage, qui consistait en la transformation de vieux cordages en étoupes, fut entièrement accompli à leur satisfaction: la quantité de vieux cordages qui avait été délivrée fut rapportée intégralement la semaine suivante. Le soin que met le rapport à noter ce fait si simple n'est pas de nature très-rassurante, nous semble-t-il, sur l'attitude générale de la population pauvre, et nous nous demandons s'il ne serait pas une exception à un état de choses dont les deux faits suivants constitueraient la règle.

A Chorlton, 106 ouvriers plâtriers et briquetiers réclament l'assistance, prétendant que la gelée les prive de travail depuis trois ou quatre semaines. Les curateurs, après avoir visité les postulants à leur domicile, les convoquent au bureau de secours à jour et heure fixes. 101 se présentent. Sur ce nombre, de l'avis des curateurs,

27 peuvent se passer de l'assistance;

23 sont admis dans la workhouse (16 refusent d'y entrer);

13 obtienuent l'assistance à domicile : 2 shillings (moitié en nature);
20 obtiennent 3 shillings (moitié en nature);

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Mais c'est bien autre chose dans un autre district, celui de Wirral. Sur 100 individus qui viennent demander de l'assistance et auxquels on propose du travail en compensation, 16 seulement acceptent l'offre conditionnelle qui leur est faite, et sur 90 admissions accordées pour la workhouse, trois seulement sont acceptées. D'autres à qui on offre du vieux cordage à travailler s'y refusent et renoncent au secours qu'on était prêt à leur donner. La raison de cette conduite étrange, c'est que nombre d'individus se présentent aux bureaux des curateurs sous prétexte que la rigueur du temps les a privés de moyens d'existence, qui ont des ressources personnelles, qui peuvent se passer de toute assistance. Il est bon d'ajouter que, lorsque la fraude est découverte, les imposteurs sont jetés en prison.

On ne sera pas étonné que, pour ne pas être dupe de ces parasites, autant dans l'intérêt des contribuables que dans celui des pauvres vraiment dignes de sympathie, l'administration se tienne sur ses gardes et déploie la plus grande vigilance pour que les secours ne soient pas accordés aveuglément. Aussi est-il de principe que l'on doive être sourd aux sollicitations de tout individu bien constitué, robuste, capable de gagner sa vie en travaillant. On ne doit s'écarter de cette règle que dans des circonstances graves, excep tionnelles, telles que celles produites par l'hiver de 1860-61, alors que l'on a la preuve qu'une foule de vaillants travailleurs seront infailliblement privés de pain. Mais alors la distribution des secours doit se faire conformément aux dispositions des Poor Law Amendments Acts, qui imposent l'obligation d'une tâche à remplir en payement du secours obtenu. On se loue beaucoup de ces dispositions, dont l'effet est d'écarter une foule de fainéants trop heureux, s'ils le pouvaient, de vivre aux frais de leurs concitoyens. Quant aux hommes qui acceptent le travail qui leur est imposé, en échange d'un même salaire, il est évident que la nécessité seule les pousse à venir le solliciter, et à ceux-là les secours ne sauraient se refuser.

Telle a été la situation du paupérisme pendant l'année 1860-61. Par ce qui s'est passé à la suite ou comme effet immédiat de quelques semaines d'une suspension de travail causée par un froid rigoureux, chacun peut se faire assez facilement une idée des graves conséquences d'une grande crise manufacturière ou commerciale, telle que, en ce moment, celle de l'industrie du coton.

Encore ne faut-il pas perdre de vue, pour porter un jugement droit, que le pessimisme n'est pas le plus grand défaut du treizième rapport de la loi des pauvres.

Notons, quoi qu'il en soit, avant de terminer, un fait consolant. Les rigueurs de l'hiver de 1860-61 et leurs conséquences ne sont qu'un accident et ne sauraient être considérées comme de nature à modifier le mouvement du paupérisme tel qu'il est accusé par les documents officiels.

Depuis l'année 1834, époque où le Poor Law Amendment Act commença d'être mis à exécution, la somme dépensée annuellement pour l'assistance des pauvres a grandement diminué. Cette décroissance est encore plus sensible si l'on tient compte du mouvement ascensionnel de la population et de la richesse publique. Pendant les vingt-deux années antérieures à l'acte du parlement en question, c'est-à-dire de 1813 à 1834, la somme totale absorbée

par l'assistance des pauvres en Angleterre et dans le pays de Galles s'est élevée au chiffre de 143,110,817 liv., soit 3,577,770,425 fr. Cela donne une moyenne de 6,505,037 liv. par année, soit 162,625,925 fr. Dans les vingtcinq années subséquentes, de 1835 à 1859, la somme totale s'élève à 129,226,833 liv. (3,230,670,825 fr.), ce qui donne une moyenne de 5,169,073 liv. (129.226,725 fr.). Ainsi, dans un quart de siècle, il y a eu une décroissance annuelle, année moyenne, de 1,335,964 liv. (33,399,100 fr.), et une diminution totale durant les vingt-cinq dernières années de 33,399, 100 liv. (soit 834,977,500 fr.). Cette économie s'est réalisée nonobstant des charges nouvelles pour le revenu de l'impôt des pauvres depuis 1834. Deux de ces charges, le coût de nouvelles workhouses pour unions de paroisses et le salaire des employés de ces maisons ne se sont pas élevés ensemble à une somme moindre de 800,000 liv. (soit 20,000,000 fr.), dont 200,000 liv. pour les dépenses de constructions et le reste pour la solde des administrateurs. Ces deux sommes forment, pour les vingt-cinq années écoulées, un total de 20,000,000 liv. (soit 500,000,000 fr.).

Il ne nous reste plus qu'à exprimer un souhait : c'est que le mouvement de décroissance progressive du paupérisme continue de se produire dans les dépenses de la charité publique, sans trouble, sans accident, et surtout que cette décroissance progressive marque réellement une extinction du paupérisme et non une substitution de la charité des particuliers aux devoirs du gouvernement.

J. AMERO.

(1)

NUMÉRAIRE, CAPITAL, CRÉDIT "

I

Les dissidences sont nombreuses en économie politique, et il n'y a guère lieu d'en ètre surpris, si l'on considère combien est grand le nombre des écrivains et des orateurs,- publicistes, professeurs, journalistes, administrateurs, législateurs, etc., qui, sans aucune véritable initiation aux principes de la science, n'hésitent pas à se croire en mesure de traiter toute espèce de questions économiques.

(1) Les opinions soutenues par M. Macleod sur la nature du crédit, exposées dans le dernier numéro par M. Michel Chevalier, devaient naturellement appeler la discussion. C'est à ce titre que nous publions aujourd'hui cet article de M. Ambroise Clément et la lettre qui nous est adressée par M.Blaise (des Vosges). (Note de la rédaction.)

Des divergences existent toutefois entre les économistes eux-mêmes, et celles-ci sont assurément les plus fàcheuses; mais il nous paraît certain que la plupart tiennent encore à une insuffisance d'assimilation, chez ceux qui les soulèvent, de démonstrations péremptoires, déjà publiées, et qui n'ont point assez fixé leur attention.

Ainsi, par exemple, M. Dupuit rappelait, à l'une des dernières réunions de la Société d'économie politique de Paris (1), l'une des vérités economiques le mieux constatées, celle qui fait aux populations craignant les atteintes de la misère un devoir, ou plutôt une loi. de la prévoyance nécessaire pour ne pas se multiplier plus que ne le comportent les moyens d'existence qui leur sont accessibles, et il exprimait le regret qu'une vérité de cette importance fût encore l'objet de contestations de la part d'un certain nombre d'économistes : nous n'hésitons pas à affirmer que cette vérité a été mise hors de discussion par les travaux de Malthus, de J.-B. Say, de Rossi, de MM. Dunoyer, J.-S. Mill, Joseph Garnier, etc.; que les dissidences ne tiennent qu'à une insuffisance d'instruction et qu'elles ne sauraient persister chez ceux qui voudront sérieusement s'assimiler les études que nous venons de rappeler.

D'autres dissidences subsistent sur la nature et l'étendue de la mission de l'économie politique, sur la valeur, sur le crédit. C'est particulièrement de cette dernière question que nous allons nous occuper.

Les divergences d'opinion au sujet du crédit ne se sont guère manifestées, parmi les hommes compétents, qu'à partir de la première publication, en 1848, du livre de Charles Coquelin sur le crédit et les banques. Jusque-là, tous les économistes véritablement instruits s'étaient accordés à reconnaître dans le crédit, sous les diverses formes qu'il emprunte, un moyen de mettre à la disposition des uns les capitaux appartenant à d'autres, et avec les capitaux les services industriels nécessaires à toute œuvre productive, ce qui peut amener de bons ou de mauvais résultats, selon que les forces productives ainsi réparties par le crédit sont plus fécondes qu'elles ne l'auraient été sans son intervention, ou qu'au contraire elles le sont moins; d'où il suit qu'il ne peut être avantageux à un pays que si, en fait, le premier de ces cas y est le plus ordinaire ou le plus général; ils trouvaient encore dans le crédit, notamment lorsqu'il intervient au moyen de billets de circulation, l'avantage d'épargner l'emploi coûteux de la monnaie métallique dans une grande partie des transactions, en sorte qu'une nation assez avancée pour user constamment et largement des moyens de crédit, peut suffire à tous ses besoins d'échange avec une somme de monnaie d'or ou d'argent bien inférieure à celle qui lui serait nécessaire

(1) Celle du 5 août. Voy. le n° d'août 1862.

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