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Si je ne craignais, monsieur, d'abuser de votre indulgence en continuant cette discussion, je la ferais porter maintenant sur l'examen de l'une des raisons prépondérantes que M. Macleod a eues pour donner ainsi au crédit un rang élevé, au lieu du rôle étriqué qui lui avait été reconnu jusqu'à ce jour. « On a fréquemment fait observer, dit-il, que toutes les grandes inventions tendaient à égaliser la condition des hommes. » L'invention de la poudre à canon, celle de l'imprimerie, la découverte de la vapeur et des chemins de fer ont établi l'égalité entre le pauvre fantassin et le fastueux chevalier, le pauvre et le riche, les humbles et les puissants. « De même la découverte du crédit renverse la domination absolue du capitaliste et fournit à l'homme de la plus modeste condition les moyens de mettre le pied sur le premier échelon de la richesse. »>

Permettez-moi de dire à mon tour qu'il y a dans cette proposition un mélange de vérité et d'erreur qui rappelle le genre d'argumentation de M. Proudhon, et contre lequel on ne saurait trop se mettre en garde. Oui, certes, toutes les grandes découvertes de l'esprit humain ont pour loi et pour conséquence de rapprocher les distances, d'élever le niveau général; mais jamais elles n'ont et ne pourront avoir pour résultat d'établir entre tous les hommes une égalité absolue, ce rêve dangereux de nos pères, qui vient encore trop souvent troubler notre sommeil. Sans sortir du domaine économique, ni même des exemples cités par M. Macleod, il ne me paraît pas difficile de démontrer que, même en présence des découvertes dont il parle, la poudre à canon, l'imprimerie, la vapeur, les chemins de fer, la condition des hommes n'est pas égale. Ce sont encore là des instruments, des outils, dont l'usage réclame la possession d'un capital préexistant et l'application d'un travail continu. Pour se défendre, l'égalité naturelle ne donne à l'homme que des bras; le capital seul lui procure pour combattre et vaincre les armes perfectionnées de l'arquebuserie moderne, et il a encore besoin de capital et de travail pour apprendre à s'en servir. — Il en est de même de l'imprimerie: si elle rend plus facile l'accès de l'instruction, il n'en faut pas moins encore un capital, non-seulement pour acheter les livres, mais les leçons d'un maître; il faut surtout un capital encore plus considérable pour vivre pendant le temps consacré à l'étude. Ce qui se passe dans nos campagnes et dans nos villes de fabrique, où, malgré l'accès gratuit des écoles, les enfants passent à peine quelques mois par année, parce que les parents n'ont pas le capital nécessaire pour se priver de leur travail et les nourrir à ce qu'ils appellent « ne rien faire, prouve assez que l'instruction n'est pas un capital naturel et gratuit, et qu'il en coûte beaucoup de capital, de travail et d'épargnes pour l'acquérir. Il en est de la vapeur et des chemins de fer comme de la poudre à canon et de l'imprimerie. Encore, toujours et partout, l'intervention du capital et du travail est la condition sine qua non, préexistante et continue, des services que l'on peut tirer de ces grandes découvertes.

En serait-il autrement du crédit, et, s'il est vraiment du capital, peut-il, lui, se passer de travail et de capital pour constituer la richesse, pour faire vivre seul celui qui le possède? Il suffit de poser la question pour la résoudre. Le crédit sérieux, honnête, économique, en un mot, celui dont s'occupe M. Macleod, et non pas l'art de faire des dettes, le crédit sérieux ayant pour

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base des opérations réelles, pour gage tout l'avoir commercial de celui qui le réclame et l'obtient, pour garantie morale son honneur et sa liberté ; ce crédit-là exige la possession par l'emprunteur d'un premier capital, qui a servi à des opérations au comptant, a fondé sa maison et la confiance qu'on lui accorde; il exige surtout la possession par le prêteur, c'est-à-dire le vendeur à crédit, du capital représentant la valeur des choses livrées et dont il consent à ajourner le paiement, à quatre-vingt-dix jours, par exemple. Si ce n'est pas le vendeur lui-même qui possède ce capital, ce sera son banquier, son escompteur, ou d'autres encore après lui; mais, en fin de compte, ce sera toujours celui qui conservera le billet ou la traite jusqu'à l'échéance. Voyez comment les choses se passent lorsqu'un industriel ou un entrepreneur traite avec un banquier pour l'ouverture d'un crédit, c'est-à-dire pour obtenir les avances nécessaires à la production ou à l'exécution. Ils exposent l'affaire, produisent leur situation, font connaître leurs garanties et les affectent au remboursement, ou leurs garants, personnes solvables qu'ils font intervenir. S'il n'y a pas là de capitaux déplacés par l'emprunteur ou ses garants, il y a des avances faites par le prêteur, et ces avances-là, c'est un capital lorsqu'elles ont lieu en espèces; c'est encore un capital lorsqu'au lieu d'espèces, ce sont des acceptations du banquier que l'on négocie à un tiers qui fait, lui, les avances en espèces.

Ainsi donc le crédit, qui n'est pas une découverte récente, mais un vieil instrument des échanges, suppose et exige d'une manière absolue l'existence préalable et l'intervention constante, directe ou indirecte, peu importe, du capital, c'est-à-dire des résultats matériels du travail accumulés par l'épargne. Penser qu'il en peut être autrement, admettre que le crédit peut, sans le capital, « fournir à l'homme de la plus modeste condition les moyens de mettre le pied sur le premier échelon de la richesse, » et renverser « la domination absolue du capitaliste, » c'est une erreur et une illusion dangereuses, aussi graves que celle de M. Proudhon, poursuivant le même but en essayant de démontrer que l'usage du crédit pouvait et devait être gratuit. Leur mécanisme est admirable, mais il y manque le moteur, l'impulsion première et la force nécessaire pour la continuer, c'est-à-dire le capital.

Veuillez agréer, monsieur, etc.

AD. BLAISE (des Vosges).

BULLETIN

État d'endettement des nations.

(Extrait de l'ECONOMIST.)

Jamais une revue générale de l'état financier des nations étrangères n'a été aussi importante qu'en ce moment. Plusieurs d'entre elles s'efforcent de nous emprunter de l'argent, et les personnes qui pensent à leur en prêter devraient commencer par étudier. Notre marché du numéraire est dans une situation de richesse exceptionnelle, particulière et pour ainsi dire lamentable. La cessation du commerce avec l'Amérique a rendu libres de grands capitaux qui, sans cela, seraient avantageusement employés. Nous avons en ce moment un excédant rare de fonds disponibles dont il est raisonnable de supposer que les gouvernements besoigneux voudront tirer parti. Mais ce n'est point là la seule particularité de la position actuelle. La principale est celle-ci : Tous les grands gouvernements sont aujourd'hui dans le besoin. A l'exception de l'Angleterre, il est à peine une seule puissance de premier ordre qui puisse montrer une balance avec un équilibre satisfaisant entre la dépense et le revenu, qui ne soit ou n'ait été dernièrement surchargée de déficits considérables, et qui n'ait eu récemment à contracter ou ne soit en situation de contracter avant longtemps de gros emprunts.

Mais l'effet de cette situation sur le marché de l'argent à Londres et à Paris n'est, comparativement, qu'un petit point de la question. Le point vrai d'une inestimable importance est l'absorption perpétuelle d'immenses réserves de capital en dépenses qui ne sont pas reproductives. Cela peut être une nécessité; c'est un gros problème qu'on ne peut décider par une parenthèse. Mais ce fait incontestable reste que la dépense d'un gouvernement n'est pas créatrice, elle ne fait rien, et chaque petite pièce de monnaie qu'il absorbe est autant d'enlevé à la puissance productive du peuple. Il n'est peut-être pas une période de paix générale où cette absorption de capital ait aussi considérablement excédé les recettes régulières des Etats et les revenus ordinaires des différentes nations du monde.

Nous allons prouver ces assertions en détail et avec autant de brièveté et de concision que nous le pourrons. Car lorsque les chiffres parlent, il n'y a pas, en matière de finances, de langage plus éloquent. Nos chiffres, toutes les fois que nous n'indiquerons pas le contraire, seront empruntés aux documents officiels des gouvernements étrangers ou aux rapports transmis par nos ambassades au dehors et publiés officiellement par notre Board of trade.

Nous avons dans tous les cas présenté nos chiffres en monnaies anglaises, quoique les documents où nous puisons soient généralement conçus en monnaies étrangères.

Le premier pays, par son droit de puissance juste et traditionnel, c'est la France. Elle n'est pas la dernière dans cette échelle de perplexité financière. Nous possédons d'excellents matériaux pour traiter le sujet dans une forme concise, car notre secrétaire de légation à Paris vient de communiquer à notre gouvernement les faits précis des dernières années, et le Board of trade les a publiés fort à propos. Voici ces faits :

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Ce tableau constate un déficit moyen, en France, pour les dix années, de 15 millions sterling (375 millions de francs) par an (soit 3,750 millions de francs pour les dix ans). Sans doute quelques-unes de ces années sont des années de guerre ; mais ce n'est pas là une justification. Elle ne couvre pas les faits. Dans cette période il n'y a jamais eu un excédant. Le revenu n'a jamais excédé la dépense. Dans l'année la plus favorable de paix, on trouve encore un déficit de plusieurs millions sterling.

Voici le compte de l'année 1858, qui ne fut affecté ni par la guerre de Crimée ni par la guerre d'Italie, et dans laquelle le revenu de la France a été plus grand qu'il ne l'a jamais été avant et depuis:

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Ce qui démontre une invariable condition d'extrême pauvreté, entièrement indigne d'une si grande nation.

Mais le déficit d'une simple année ne représente pas tout le résultat de ces chiffres. Le résultat total pour le déficit entier est celui-ci :

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Cette somme immense a été tirée par la France seule en dix années du ca

pital du monde.

L'accroissement de sa dette fondée nous donne absolument le même avis, dans un autre langage.

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Ce qui forme un accroissement de 168 millions sterling (4,200 millions de francs) dans le capital de la dette entre 1852 et 1861. Il existe en outre une dette flottante de 40 millions de livres sterling (1 milliard de francs), et avec ces faits effrayants sous les yeux, qui peut s'étonner que l'Empereur ait eu recours à M. Fould? qui peut s'étonner qu'il ait donné au Corps législatif un pouvoir de contrôle plus étendu? qui pourrait s'étonner d'un coup d'Etat financier quelque hardi ou extrême qu'il pût être ?

Mais la France est un pays possédant d'immenses ressources financières. Elle est indestructible. Ses gouvernements peuvent changer et ont changé ; mais elle reste debout. Par les avantages de sa position géographique, par l'intelligence et la valeur de son peuple, elle sera pendant de longs siècles une puissance incalculable en Europe. Sous ses précédentes révolutions, sa dette n'a couru aucun danger; car ses nouveaux gouvernements ont senti que s'ils répudiaient les engagements de leurs prédécesseurs, ils n'obtiendraient aucun crédit pour eux-mêmes. Mais l'Autriche est destructible. Si elle venait à se dissoudre, personne ne peut dire ce qu'il adviendrait de sa dette. Elle est un empire composé de parties très-diverses et très-nombreuses, et dans le cas où ses éléments constituants viendraient à se diviser, qui opérerait le partage nécessaire des trois sommes dans la division de la dette? qui déterminerait la distribution du fardeau et la proportionnalité des obligations? Cependant l'Autriche fût-elle même une unité qui ne pourrait jamais être décomposée, ses finances n'en seraient pas moins dans une position alarmante, dont le tableau suivant va montrer les traits les plus matériels :

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