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ministrer eux-mêmes; c'est peut-être le seul moyen de leur demander moins d'impôts.

M. Mayer-Hartogs s'est élevé vivement contre l'exagération du budget militaire de la Belgique, et a protesté contre la thèse soutenue par M. Wolowski en faveur de la guerre. Ses paroles peu ménagées ont soulevé de vives protestations.

M. Lehardy de Beaulieu pense, comme M. Mayer-Hartogs, que ce n'est pas par la guerre qu'on rendra l'indépendance aux nationalités. M. Jules Duval, quoique partisan en principe du désarmement général, demande qu'on établisse préalablement une sorte de tribunal ou de conseil amphyctionique pour régler les contestations des États et leurs forces militaires respectives. Il ne faut pas que le désarmement ait lieu au détriment des uns et au profit des autres. Il faut qu'il ait lieu sur mer comme sur terre. Et, à ce sujet, il s'élève avec énergie contre la prétention égoïste affichée par la politique anglaise d'avoir à elle seule une marine de guerre égale aux marines réunies de toutes les nations civilisées. La France ne peut renoncer à sa suprématie continentale si l'Angleterre ne renonce pas à sa suprématie maritime. Soit d'après l'étendue des côtes, soit d'après la population, soit d'après toute autre base, on devrait régler proportionnellement le nombre des navires de guerre qu'une nation peut posséder, comme le nombre d'hommes qu'elle peut appeler à composer son armée.

Les vives paroles de M. Jules Duval ayant soulevé quelques rumeurs, M. John Bowring allait répondre au nom de l'Angleterre, quand M. Clainageran a réclamé la parole pour protester d'abord, au nom de la France, contre toutes récriminations historiques et pour faire un généreux appel à la conciliation. Toutes les nations ont besoin de se pardonner mutuellement leurs ambitions réciproques. Toutes ont souffert elles-mêmes d'avoir voulu opprimer les autres. L'orateur conclut sa chaleureuse improvisation en demandant à tous l'oubli pour le passé et pour l'avenir, le développement de toutes les libertés politiques, et avant tout l'impôt direct, qui, selon lui, sera le plus efficace des remèdes contre l'esprit de conquête.

Sir John Bowring, tout en appuyant fortement ces conclusions, tout en reconnaissant avec regret les fautes politiques de l'Angleterre, croit pouvoir protester contre l'accusation d'égoïsme portée contre son pays par M. Jules Duval. L'Angleterre a rendu de grands services à toutes les libertés, et l'orateur rappelle que c'est en Angleterre que l'idée de l'association pour le progrès des sciences sociales a pris naissance. La politique anglaise se transforme, elle n'est plus ce qu'elle a été, et à l'avenir elle ne demandera plus rien ni à l'égoïsme ni à la violence.

M. Marcoartu, au nom de l'Espagne, grande aussi jadis par ses armes, ne veut non plus pour elle désormais que les triomphes de la paix.

M. Van den Broeck, protestant contre cette idée émise par M. Garnier-Pagès, que les grandes nationalités seules peuvent désarmer d'abord, croit que même un petit pays peut se guérir de la grande maladie du militarisme en cherchant sa sécurité dans la neutralité et dans ce développement intérieur de toutes les libertés qui lui fait trouver dans l'opinion publique un rempart plus infranchissable que celui de la force militaire.

M. le major Van de Velde, intervenant dans le débat avec des allures plus militaires que parlementaires, a revendiqué, pour les armées permanentes, l'honneur d'avoir toujours servi la cause de la civilisation. Parlant en termes très-élogieux d'un livre qu'il a fait sur le moyen de défendre la Belgique contre une invasion, sans qu'elle ait besoin de s'abriter sous sa neutralité politique, il a protesté contre la confusion faite entre deux questions différentes: celle des armées permanentes opposées aux milices, et celle du désarmement général. Or, il ne s'oppose nullement au désarmement, mais à condition que l'initiative parte des forts; les faibles seront trop heureux de les suivre.

M. Jules Duval, prenant une seconde fois la parole pour expliquer sa pensée, faillit renouveler le débat; quelques paroles de conciliation de M. Garnier-Pagès éteignirent heureusement ce nouveau brandon de discorde, et tous les membres de la cinquième section s'unirent dans un von unanime de paix universelle, d'alliance intime et de solidarité fraternelle entre tous les peuples européens.

L'ordre du jour du jeudi matin appelait la discussion sur l'uniformité à établir, au point de vue international, dans les lois relatives au commerce, à la navigation, aux assurances et au règlement des avaries.

M. Sève, secrétaire, a communiqué à l'assemblée plusieurs travaux, et M. Van Peborg a présenté un projet de code international. Plusieurs orateurs prirent part à cette discussion toute spéciale, après laquelle les travaux de la session furent clôturés par une allocution chaleureuse et sympathique de son président, M. de Nayer, auquel des remerciements furent votés au milieu d'applaudissements unanimes.

Puis, M. Groverman, au nom de la chambre de commerce de Gand, ayant exprimé l'espoir de retrouver l'an prochain, dans sa ville natale, les membres étrangers qui ont pris part aux travaux de la section des économistes, les membres de l'assemblée se sont séparés, mais pour se retrouver bientôt dans la réunion générale.

La réunion générale de clôture est peut-être celle qui a le moins

satisfait les désirs des membres présents. Avec cet apareil imposant, solennel, des lectures et surtout des lectures de rapports semblent bien froides. Cependant il faut rendre justice aux rapporteurs: plusieurs ont fait preuve d'un remarquable talent et tous de la plus parfaite impartialité; mais ils n'ont pu empêcher que plusieurs des questions traitées dans les sections ne parussent trop techniques pour un grand public; ils n'ont pu empêcher que leur appréciation ne fût froide, surtout pour ceux qui avaient pu entendre les discours originaux des nombreux orateurs de talent qui s'étaient fait entendre dans les sections. Plusieurs fois l'impatience de l'auditoire couvrit la voix des lecteurs, et tous les rapports de la cinquième section durent être déposés sur le bureau sans avoir été lus. Quelques heures ne pouvaient suffire à résumer les débats riches d'incidents et d'idées qui avaient occupé durant trois jours les cinq sections de la société. Il y aura donc sur ce chef surtout d'importantes réformes à faire aux statuts de l'association d'ici l'année prochaine; une seule assemblée générale est certainement insuffisante, et l'on aimerait à retrouver devant un plus grand auditoire l'attrait et l'éloquence de la parole spontanée, de temps en temps mêlée aux déductions sérieuses et aux argumentations serrées des travaux écrits. Jamais un public français n'écoutera lire aussi patiemment qu'un public anglais. On ne va pas contre la nature des choses ni contre le caractère des nations.

Aussi quand M. Jules Simon a pris la parole pour proposer à l'association de tenir ses prochaines assises à Gand, sur cette même terre de Belgique qui lui a donné naissance, l'auditoire a oublié sa fatigue, et la salle a vu se remplir les vides qui peu à peu s'y étaient formés.

Un consentement unanime ayant accueilli cette proposition, M. de Kerchave, bourgmestre de Gand, a remercié l'assemblée au nom de cette ville, qui se trouvera fière l'année prochaine de lui offrir une cordiale hospitalité.

M. Orts, qui remplaçait au fauteuil M. Fontainas, a pris ensuite la parole pour exprimer le désir de voir se renouveler d'année en année ce congrès de la science, véritable congrès de la paix et de la liberté. Les souvenirs historiques de la Belgique recouvrant son autonomie après un long asservissement lui fournirent d'heureuses inspirations.

Après des félicitations et des remerciements mutuels successivement interprétés par MM. Jolles, Westlake, Wolowski, Garnier-Pagès, les premières assises de l'association internationale ont été clôturées par des paroles pleines d'encouragement et d'espérance de M. Orts, président d'honneur.

Le congrès ne se dissout pas, a-t-il dit en terminant, il s'ajourne. CLÉMENCE-AUGUSTE ROYER.

LA FÊTE AGRICOLE DE LAMOTTE-BEUVRON

ET

LA QUESTION DE SOLOGNE

A M. MICHEL CHEVALIER, SENATEUR

Monsieur et cher maître,

Vous avez assisté, le 21 septembre dernier, à la fête agricole que le Comité central de Sologne a donnée, sous la présidence de M. Boinvilliers. C'était sur le domaine impérial de Lamotte-Beuvron. Le soleil était radieux; la population était nombreuse et comptait à sa tête des notabilités de la politique, de l'administration et de la presse. Le GardeMeuble de la Couronne avait dressé ses tentes les plus vastes et les mieux décorées. Musique militaire, banquet, illuminations, feu d'artifice, rien ne manquait: hommes et choses, tout avait de l'entrain, tout annonçait un pays en état de bonne et franche allégresse.

C'était beaucoup pour vous que cette mise en scène; car vous êtes, cher maître, de ceux qui regardent les grandes fêtes rurales comme non moins utiles que les grandes fètes dont nos villes sont fières à si juste titre. Mais à votre esprit positif il fallait, en ce jour-là, d'autres satisfactions. Vous aviez, il n'y a pas longtemps encore, traversé la Sologne, et ce pays de 500,000 hectares n'avait laissé, dans vos souvenirs d'économiste, qu'une vaste scène de désolation. Des landes, des étangs, des sapins, des sables, voilà ce que vous aviez surtout remarqué. Puis vous aviez appris que l'Empereur, prenant en main la cause des anciens pays déshérités, avait voulu conquérir à la France d'anciennes provinces qui, pour ainsi dire, ne lui appartenaient que de nom; car, pour la France, posséder un pays, ce n'est pas seulement posséder des hectares, c'est posséder des hommes participant à tous les bienfaits de la vie collective.

Qu'était-elle donc devenue cette ancienne Sologne? Qu'avait-elle fait pour sortir de sa séculaire léthargie, pour enrichir sa terre, pour assainir son climat, pour bâtir ses villages, curer ses cours d'eau, construire ses chemins? Comment avait-elle, vieux pays d'immobilité, ré

pondu au cri de résurrection de la locomotive qui la parcourt, en attendant mieux, du nord au sud, et du sud au nord?

Voilà, si j'ai bonne mémoire de notre conversation, les questions qui vous préoccupaient, cher maître, à notre fête de Sologne. Et comment en aurait-il été autrement pour le savant économiste qui, habitué à voir les choses de haut et de près à la fois, avait, en d'autres temps, exploré l'Amérique du Nord pour savoir comment naît et se développe la richesse d'un peuple nouveau? Quoi de plus digne de votre esprit investigateur que ce spectacle d'un peuple qui défriche ses landes et se régénère par le travail ! Quoi de plus instructif que cette grande colonisation de la Sologne au cœur même de la France! Que de problèmes posés sur ce terrain, problèmes qui exaltent les plus belles facultés de l'homme instruit et riche, problèmes qui exercent les plus belles qualités du cœur, problèmes enfin qui, pendant leur solution, montrent le génie de la France poursuivant une admirable tâche, la création d'un pays tout entier! En vérité, cher maître, c'est une science que tout le monde devrait posséder que cette science de l'économie politique, qui nous apprend à mieux connaître, et partant, à mieux aimer et mieux servir notre pays. Pour mon compte, j'ai commencé par connaître l'économie politique, et c'est l'économie politique qui m'a fait aimer la Sologne comme on aime un pays qui sait se faire, veut se faire et se fera.

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L'un des grands mérites de l'économie politique, c'est d'avoir hardiment professé que, tôt ou tard, l'agriculture devra spécialiser ses productions en raison des aptitudes productives de chaque pays. Nos anciennes barrières de douanes et l'état incomplet de notre viabilité ont pu retarder l'avénement de cet ordre de choses profitable à tous les intérêts. La liberté du commerce, les chemins de fer, les canaux, les routes remettront, en agriculture comme en industrie, chaque chose, chaque production à la place où elle peut s'obtenir au meilleur marché. Or, il y a en Sologne environ 250 à 300,000 hectares de sables, qui valent 450 à 250 fr. l'hectare. Tout ce territoire doit appartenir au domaine forestier. L'agriculture proprement dite y perdrait son temps et son capital; elle gaspillerait des forces que, dans le double intérêt du pays et des particuliers, il vaut mieux diriger d'un autre côté.

C'est d'ailleurs une lucrative spéculation que celle du boisement de ces terres de Sologne, qui valent 150 à 250 fr. l'hectare. Un hectare de bois de pins, par exemple, rapporte par feuille, c'est-à-dire par an, 20 à 25 fr. C'est un placement foncier à 40 0/0, et il se trouve que ce placement est d'une surveillance et d'une réalisation des plus faciles.

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