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Avec la liberté des banques, la circulation des billets est réglée par les besoins journaliers et vrais du travail; elle ne l'est jamais par les calculs égoïstes de quelques rares établissements, ni par des mesures décrétées dans l'ignorance des faits. A l'opposé de ce qui se passe à Londres et à Paris, ces deux foyers des priviléges du crédit, où se rencontre des crises aux plus courts intervalles, il n'en est point qu'on puisse reprocher aux banques en Écosse et dans les États américains de la Nouvelle-Angleterre, ces deux pays de leurs véritables franchises. Quelles y sont même les souffrances commerciales qu'elles n'ont pas adoucies ou détruites? On redoute l'indépendance des banques en prévision d'une émission exagérée, et la somme des billets des banques écossaises et américaines égale à peine le montant de leurs capitaux.

On ne saurait oublier, d'autre part, que l'industrie ne va, sous aucune de ces faces, en ligne droite, entre deux barres de fer et sur un plan uni, comme un train de wagons. Pour elle surtout, la pensée humaine, qui ne sait pas prévoir tous les événements, mais qui, laissée libre, sait y pourvoir à mesure qu'ils se présentent, vaut mieux qu'une formule. Au milieu des révolutions, des changements, des modifications incessantes des sociétés modernes, qu'est-ce qu'un règlement immuable? L'ancre est parfois la sauvegarde du navire, mais à la condition de l'immobilité; si l'équipage ne la retire quand souffle la tempête, ou quand, les voiles dépliées, il veut marcher au large, le bâtiment se renverse et s'engloutit.

L'État serait surtout le banquier le plus mal informé, le plus inhabile et le plus imprudent, s'il agissait comme tel. La banque de Law, les assignats, tout le papier-monnaie d'Europe et d'Amérique, toutes les banqueroutes subies par les établissements publics de prêts, toutes les mesures de finances décrétées ou accomplies, dissuadent facilement sous ce rapport de ses mérites. Qu'on se garde surtout de mettre le crédit au service de la politique! Où donc en sont la banque d'État de SaintPétersbourg et la banque privilégiée de Vienne? Et comment les partisans de la réglementation du crédit ne parlent-ils jamais de ces deux institutions? Qu'une telle discrétion serait admirable, si elle ne paraissait si nécessaire.

Dois-je le répéter, le mieux qu'on puisse faire, en réglementant les banques, c'est de se diriger d'après le rapport établi entre le nombre de leurs billets et le montant de leur réserve métallique, et, bien des fois déjà, j'ai fait voir où cela mène. Le plus souvent, du este, ce rapport est une donnée sans valeur aux moments de perturbation, ceux en

vue desquels surtout on réclame l'intervention de l'État. Car les variations de la circulation n'indiquent point alors celles de la valeur de l'argent ni du taux de l'intérêt; il est facile de s'en convaincre par la lecture des comptes rendus publiés par la Banque d'Angleterre (1). Le crédit, cette chose si délicate et si timide, que la moindre atteinte blesse et qui disparaît au plus léger excès, changeante comme l'opinion, mobile comme l'aspect même du courant des affaires, est certainement ce qui se rencontre de moins sujet à la réglementation. Il y a longtemps que Dutot (2) écrivait « qu'il demande une très-grande liberté, qu'au premier coup il s'écroule, et ne manque jamais d'ensevelir l'espèce sous ses ruines. De nos jours surtout, c'est la source vive de l'industrie, l'élément du travail par excellence; pourquoi le soumettre au joug du monopole, des restrictions, des ordonnances? Dans les pays libres, aussi bien, l'État doit-il faire ce que les particuliers sont capables d'entreprendre? Enfin, l'un des grands avantages d'une circulation mêlée de papier sur une circulation purement métallique, c'est la facilité d'en varier le montant suivant les exigences des transactions, afin de maintenir, autant qu'il se peut, uniforme la valeur de l'agent des échanges; et fixer cette circulation, c'est renoncer à cet avantage.

A toutes les époques, à celles de calme et de travail, comme à celles de désastres et de troubles, les faits, ce contrôle souverain de la raison, montrent que les services et les bienfaits des banques ont constamment suivi les progrès de leurs franchises. Dans les chapitres suivants, je prouverai jusqu'à l'évidence, je l'espère, cette vérité irréfragable, quoique si méconnue. Car, avancer une telle affirmation ou vanter, comme je l'ai fait, les banques écossaises ou américaines, c'est, je le sais, renverser toutes les idées reçues. Mais qu'y faire, si ces idées sont fausses? Il est moins aisé, sans doute, d'étudier ce qui doit être, d'apprendre ce qui s'est réalisé, que de répéter complaisamment quelques sentences acceptées. Seulement il sied toujours de savoir ce que l'on dit, et quand on dit une erreur, de changer de langage.

Je me contenterai, quant à présent, par rapport aux banques d'Amérique et d'Écosse, d'assurer que les progrès, les merveilleux dévelop

(1) Surtout en 1847. Voy. un article de Wilson sur la liberté des banques, dans l'Economist, et traduit dans le Journal des Économistes, janvier 1847.

(2) Réflexions sur le commerce et les finances, édition Guillaumin et Ce, p.908.

pements de ces pays viennent avant tout des stimulants qu'ils ont reçus de leurs institutions de crédit. Bien plus, lorsque l'Angleterre était jetée dans les crises les plus fâcheuses, à peine la circulation de l'Écosse éprouvait-elle quelques faibles secousses. De même, si les banques des États-Unis ont commis des excès, ce n'ont jamais été les plus libres. C'est dans les États du sud et de l'ouest de l'Union, qu'on rencontre ces excès, c'est-à-dire dans ceux où les banques se rapprochent le plus de celles de l'Europe continentale. C'est là, et là seulement qu'on trouve ces faillites et ces pertes qu'on se plaît tant à rappeler, en gardant un si complet silence sur les causes qu'elles ont eues. En 1837 et en 1839, par exemple, à ces époques où le crédit américain était ébranlé jusqu'en ses fondements, les banques les plus indépendantes seules, celles du Massachussets et de Rhode-Island, ont résisté. Dans aucun autre État, cependant, la proportion du numéraire circulant n'était pas aussi faible, comparé à la masse du papier de toute sorte qui s'y rencontrait; preuve certaine de la vaste extension qu'y avait prise le crédit. En 1838, l'État du Massachussets, qui comptait environ 620,000 habitants, avait 124 banques, dont les valeurs réunies se montaient à la somme de 37,180,000 dollars (200,772,000 francs). La totalité des valeurs des banques de Rhode-Island s'élevait, dès 1830, à 6,118,000 dollars (33,037,200 francs), et ce petit État ne comptait alors que 97,000 habitants. Mais aussi quelle prévoyante sagesse animait ces institutions! En quelle large mesure leurs capitaux toujours disponibles répondaient-ils de leur situation!

C'est que même au sein d'un peuple aussi agité et entreprenant que les Anglo-Américains, chez qui tout semble croître et se développer comme poussent les arbres de ses forêts vierges, la concurrence ne tarde jamais à forcer à la circonspection. Le succès des banques libres, comme celui des libres manufactures ou des libres comptoirs, dépend partout des services qu'elles rendent et de la prudence qu'elles montrent. Pourquoi l'intérêt privé cesserait-il pour elles seules d'être un conseiller sévère autant qu'un puissant stimulant?

GUSTAVE DU PUYNODE.

CONSIDÉRATIONS

SUR

LE DÉCROISSEMENT GRADUEL DU PAUPERISME

A PARIS DEPUIS LE COMMENCEMENT DU SIÈCLE

ET

LES CAUSES DES PROGRÈS MORAUX ET ÉCONOMIQUES DES CLASSES OUVRIÈRES

A L'OCCASION DES TABLEAUX STATISTIQUES DU RECENSEMENT
DE LA POPULATION INDIGENte, publiés pAR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE L'ASSISTANCE PUBLIQUE

Au milieu des plaintes si générales et si accentuées qu'on entend s'élever de toutes parts contre le fléau du paupérisme, qui envahit, dit-on, les sociétés modernes, c'était un fait assurément intéressant à consulter et à étudier, que celui qui est indiqué par le titre même de ce travail. Bien qu'il ne s'applique qu'aux seuls habitants de Paris, cette grande cité a trop d'importance, à cause de son immense population, de sa constitution si variée, comme ville d'industrie, de commerce ou de luxe, pour que la science ne trouve pas à élucider ou à confirmer quelques-uns de ses principes généraux par des observations pratiques recueillies dans un milieu si intéressant.

Mais, précisément parce que les résultats numériques sur lesquels nous nous appuyons peuvent choquer des idées préconçues, il sera nécessaire de faire voir d'abord quelle est la valeur des chiffres statistiques sur lesquels nous avons établi nos déductions, en exposant par quels moyens ils ont été obtenus. Nous aurons ensuite à rechercher les causes des modifications successives qu'ils indiquent dans l'état de la population; et, si nous les avons suffisamment comprises, notre étude servira à démontrer comment l'aisance et la moralité, basées sur les progrès d'une instruction et d'une liberté relatives, se sont développées parallèlement, et doivent s'accroître encore dans l'avenir chez le peuple de Paris.

STATISTIQUE DES INDIGENTS A PARIS.

La distribution des secours à domicile et la désignation des personnes qui doivent en profiter sont faites à Paris par des bureaux de bienfaisance établis dans chacun des arrondissements municipaux entre lesquels le territoire et la population de cette ville se trouvent partagés.

La majeure partie des secours ainsi distribués provient de subventions de diverses natures, réparties entre ces bureaux par l'administration générale de l'assistance publique. La valeur des subventions est proportionnée au chiffre de la population indigente inscrite dans chacun des arrondissements.

Il existe donc un grand intérêt à ce que ce chiffre soit rigoureusement constaté; aussi, tous les huit ans, un recensement officiel est opéré par des agents de l'administration centrale, en présence des administrateurs des bureaux d'arrondissement et contradictoirement avec eux. La vérification porte non-seulement sur la présence réelle des indigents au domicile indiqué, sur le nombre de personnes qui composent leurs familles, mais aussi sur l'application plus ou moins exacte qui a été faite du règlement général qui détermine les conditions d'admission aux secours. On voit donc que, dans ces conditions, les résultats numériques obtenus doivent offrir toutes les garanties désirables pour leur exactitude.

Le premier recensement opéré dans ces conditions a été effectué en 1829. A partir de cette époque, il a été renouvelé tous les huit ans, jusqu'en 1856 inclusivement. En suivant l'usage adopté, il aurait dû être opére pour la dernière fois en 1859. Mais, cette année même, fut décrétée la mesure de l'agrandissement de Paris; il devenait alors nécessaire de réorganiser les bureaux de bienfaisance et d'en augmenter le nombre. Dans cette situation, l'opération du recensement ne pouvait avoir d'effet utile que lorsque la population indigente se trouverait régulièrement inscrite dans ses nouveaux cadres; l'exécution de cette mesure fut, en conséquence, remise à l'année 1861.

Les circonstances qui avaient nécessité cet ajournement donnaient un vif intérêt aux résultats qu'allait offrir le nouveau recensement; car si, dans les détails, il n'était plus exactement comparable à ceux des années précédentes opérés dans des circonscriptions administratives qui venaient de disparaître, on attendait avec une certaine anxiété ce qu'allait produire, au point de vue du paupérisme officiel, la fusion consommée des

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