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DES

INSTITUTIONS DE PRÉVOYANCE EN FRANCE

1° SOCIÉTÉS DE SECOURS MUTUELS

Signaler les avantages des institutions de prévoyance, c'est vouloir défendre un cause gagnée depuis longtemps. La forme de l'apologie peut varier; le fond reste inévitablement le même. Il n'est pas inutile toutefois de faire remarquer que ces institutions, au moins dans leur organisation actuelle, sont filles de notre siècle. Les âges passés ont vu se former presque tous les établissements de bienfaisance que nous possédons; le nôtre revendique comme son œuvre toute une série de fondations qui, sous le nom de Caisses d'épargnes, de Sociétés de secours mutuels, de Caisses d'assurances sur la vie, de Caisses de retraites pour la vieillesse, tendent précisément à réduire la sphère d'action de ces établissements. On s'appliquait autrefois à soulager la misère; on cherche aujourd'hui à en détruire le germe. En matière de paupérisme, on faisait naguère ce que nous appellerons de la médecine, une médecine purement palliative et calmante, bien entendu; aujourd'hui nous faisons de l'hygiène, c'est-à-dire une médecine efficacement préventive. Dans des temps encore peu éloignés de nous, la société se croyait quitte, avec l'aumône, de ses obligations envers l'indigent. De nos jours, elle éveille avant tout, chez lui, l'idée de la prévoyance et lui en facilite l'application par tous les moyens à sa disposition, pour n'intervenir par l'assistance que dans les cas de force majeure.

A d'autres époques, lorsque les moyens de faire fructifier ses épargnes manquaient au salarié, la thésaurisation ou la consommation improductive étaient forcément la règle; bientôt elle sera l'exception. Les conséquences de ce fait nouveau sont immenses, conséquences à la fois économiques, sociales, morales, politiques et sanitaires. Grâce notamment à l'esprit d'ordre et de prévision dont le règne commence, le travail devient plus attrayant, en ce sens que, par la pratique de l'économie productive, il rattache plus intimement qu'autrefois le présent à l'avenir. Jaloux de conserver le bien-être qu'il a laborieusement conquis, et en grande partie avec le concours des institutions qui nous occupent, l'ouvrier, l'artisan, l'employé, évite avec soin tous les changements de

situation de nature à le lui enlever. De là une diminution sensible des mariages prématurés, dont on connaît la fatale influence sur le sort des classes laborieuses. Par la même raison, il fuit les excès de toute nature et sauvegarde ainsi en même temps et sa santé et ses épargnes. Plein d'une vive sollicitude pour le pécule qu'il a confié à l'Etat, il s'attache aux institutions politiques de son pays et concourt de tous ses efforts au maintien de l'ordre à l'intérieur.

Les établissements de prévoyance ont un autre effet. d'une moindre importance sans doute, mais cependant d'une valeur très-réelle. En recueillant les modestes contributions de leurs nombreux clients, ils créent et mettent à la disposition du gouvernement des sommes considérables dont il peut faire un utile emploi pour le pays, sans aucun préjudice possible pour les déposants.

En rapprochant, pour les mêmes professions, les ouvriers et les maîtres (ces derniers en qualité de membres honoraires), la mutualité charitable tend à rétablir entre eux, et sans aucun préjudice pour leur liberté respective, quelques-uns des liens qu'avaient créés, dans un intérêt de bienveillance réciproque, les anciennes jurandes et maîtrises. Elle fait ainsi cesser l'isolement profond dans lequel la légitime, mais un peu brusque suppression de ces anciennes institutions du travail avait jeté les membres de la grande famille industrielle.

Elle tend, en outre, à résoudre le problème du placement prompt. et facile des ouvriers sans travail.

Enfin, appelés, chaque année, à recevoir le bilan de leur fortune. commune, à renouveler les membres de leurs bureaux, à discuter les projets d'amélioration de leurs statuts, les sociétaires trouvent, dans l'exercice calme et mesuré de ces droits et devoirs, une excellente occasion de développer l'esprit d'examen et de contrôle qui leur est nécessaire pour remplir, dans une plus haute sphère, le mandat qu'a pu leur conférer la constitution politique de leur pays.

Mais toutes ces conséquences ne peuvent se produire ou se développer qu'à la condition que les heureux résultats déjà obtenus ne resteront pas enfouis dans des documents officiels peu connus, mais qu'au contraire ils recevront la plus grande publicité possible. C'est avec une intention de cette nature que nous avons réuni, et tout d'abord en ce qui concerne les sociétés de secours mutuels, cette forme si intéressante de la prévoyance, les renseignements variés dont l'analyse va suivre.

Ι

La création de ces sociétés est certainement une des applications les plus fécondes du principe de l'association. Son efficacité est telle, à nos yeux, qu'elle nous paraît de nature à produire, dans la situation des

classes laborieuses, l'amélioration la plus considérable qu'il soit raisonnablement possible d'espérer des conditions actuelles de notre organisation sociale.

Un mot d'abord sur leur législation; nous exposerons ensuite les faits constatés par les publications officielles.

Placées avant 4848, comme toutes les associations, sous l'empire de l'art. 294 du code pénal, elles étaient tenues, à ce titre, de se pourvoir d'une autorisation préalable. La révolution de 1848, en proclamant la liberté absolue de l'association, supprima cette nécessité. Toutefois l'art. 14 du décret du 28 juillet 4848 sur les clubs leur prescrivit de faire connaître à l'autorité municipale, les noms des fondateurs et administrateurs, et à chaque réunion, le local et l'objet de cette réunion. L'Assemblée constituante, saisie par un de ses comités d'un projet tendant à encourager la formation des sociétés de secours mutuels, se sépara au moment de le discuter. Repris par l'Assemblée législative, il fut définitivement adopté le 45 juillet 4850. Le régime qu'il avait consacré était à peine en vigueur, qu'un décret du 25 mars 1852, rendu pendant la durée du pouvoir dictatorial, le modifiait profondément. Aux termes de ce décret, combiné avec la loi du 15 juillet, une société de secours mutuels, dont le président est nommé par le chef de l'État, doit être créée dans chaque commune où l'utilité en a été reconnue par le préfet. Elle se compose de membres honoraires et participants; ces derniers ne peuvent, sans une autorisation spéciale, dépasser le nombre 500. Toute société a pour but d'assurer des secours temporaires à ses membres malades, blessés ou infirmes, et de pourvoir aux frais de leur inhumation. Elle ne peut promettre de pension que si elle compte un nombre suffisant de membres honoraires. Ses statuts sont soumis à l'approbation de l'autorité préfectorale et du ministre de l'intérieur pour le département de la Seine. Ils doivent régler les cotisations des sociétaires d'après des tables de maladie et de mortalité préparées ou approuvées par le gouvernement (il n'en a point encore été préparé ou approuvé). Lorsque l'encaisse d'une société de plus de cent membres dépasse 3,000 fr., elle est tenue de verser l'excédant à la caisse des dépôts et consignations, qui en sert l'intérêt au taux de 4 1/2 0/0; même disposition lorsque l'encaisse d'une société de moins de cent membres dépasse 4,000 fr. La dissolution d'une société n'est valable qu'après approbation du préfet. Ce magistrat peut, d'ailleurs, susprendre ou dissoudre celle qui viole la loi ou laisse ses statuts sans exécution, ou dont la gestion est défectueuse. En cas de dissolution, le montant des versements est restitué aux sociétaires présents jusqu'à concurrence des fonds existants et déduction faite des dépenses. Les fonds restés libres sont répartis entre les sociétés analogues ou réunis aux établissements de bienfaisance de la commune et, à défaut, du département.

Le décret assure aux sociétés constituées dans les conditions qui précèdent les avantages suivants. Elles peuvent: 1° prendre des immeubles à bail, posséder des objets mobiliers et faire tous les actes relatifs à ces droits; 2° recevoir, avec l'autorisation du préfet, des dons et legs mobiliers dont la valeur ne dépasse pas 5,000 fr. La commune, et, au besoin

département, sont tenus de leur fournir gratuitement un local pour leurs réunions, ainsi que les livrets et registres de comptabilité. Le droit municipal sur les convois, dans la commune où il en existe, est réduit des deux tiers pour ceux dont les sociétés doivent faire les frais. Tous les actes les concernant sont exempts des droits de timbre et d'enregistrement. Le bureau de la société peut délivrer à chaque membre participant un diplôme qui lui sert de passe-port et de livret. Elle est auto• risée à faire aux caisses d'épargne des dépôts de fonds égaux à la totalité de ceux qui seraient permis à chacun de ses membres individuellement. Elle peut aussi verser à la Caisse des retraites pour la vieillesse, au nom de ses membres actifs, les fonds restés disponibles à la fin de chaque année. Enfin, une commission supérieure permanente est chargée de soumettre au chef de l'Etat les moyens propres à développer et à perfectionner l'institution.

Les dispositions qui précèdent s'appliquent spécialement aux sociétés approuvées. Mais la loi reconnait, en outre: 4° celles qui ont été reconnues comme établissements d'utilité publique, en vertu de la loi du 45 juillet 4850 (art. 4er), complétée par le décret réglementaire du 14 juin 4851; 2 les sociétés libres ou simplement autorisées par les préfets, en vertu des lois relatives aux associations en général. Lareconnaissance d'une société lui permet de recevoir, par donation ou autrement, sauf l'approbation du gouvernement, des biens mobiliers et immobiliers sans limitation de valeur. Elles sont d'ailleurs appelées à jouir de tous les avantages accordés par le décret de 1852 aux sociétés approuvées. L'autorisation donnée par le préfet aux sociétés libres ou privées ne leur confère que le droit de se réunir et de s'administrer. Elle ne leur attribue aucun des avantages dont jouissent celles des deux autres catégories. Les préfets peuvent prononcer la dissolution d'une société libre; mais il ne leur appartient pas de procéder à la répartition de l'actif social. Ils doivent se borner à fixer le délai dans lequel devra s'opérer la liquidation et à prescrire les mesures nécessaires pour assurer la conservation de l'actif.

Une dotation de 10 millions (convertie en rentes par un décret du 24 mars 1860) a été affectée, par le décret du 23 janvier 1852, aux sociétés de secours mutuels reconnues et approuvées. En 1855, un second décret a décidé qu'une somme de 500,000 fr. serait prélevée sur le revenu de cette dotation, pour constituer des pensions de retraite en faveur de leurs vieillards. Cette somme a été répartie entre les sociétés au

prorata du nombre des membres participants. Une mesure analogue a été prise par le décret du 26 avril 1856, portant constitution d'un fonds de retraite dans les sociétés de secours mutuels approuvées. Il ordonne qu'une somme de 200,000 francs, prélevée également sur le revenu de la dotation, sera employée à subventionner celles qui se constitueront un fonds de retraite permanent. Ce fonds doit se composer: 4° des sommes que l'association juge possible d'y affecter sur son capital de réserve; 2° de la subvention allouée par l'Etat et de celles qui peuvent être fournies par le département ou les communes; 3o des dons et legs faits à la société, spécialement en vue d'augmenter son fonds de retraite. Il lui est prescrit de placer le produit de ces diverses ressources à la caisse des dépôts et consignations qui en sert l'intérêt à 4 4/2 p. 0/0. La portion de cet intérèt non absorbée par le service des pensions doit être capitalisée tous les ans. En cas de dissolution d'une société, le ministre de l'intérieur détermine l'emploi à faire de son fonds de retraite. La part qui a été fournie par la société peut être placée à la Caisse des retraites pour la vieillesse, à capital aliéné ou réservé. La part accordée par l'État demeure inaliénable. Le capital des pensions devenu libre par le décès des pensionnaires fait retour au fonds de retraite de la société. Les pensions sont servies par la Caisse des retraites. Elles ne peuvent être inférieures à 30 fr. ni excéder, dans aucun cas, le décuple de la cotisation annuelle fixée par les statuts. La société désigne, en assemblée générale, le nombre participant admis à la pension de retraite et en fixe la quotité dans les limites ci-dessus.

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Quelle a été l'influence de cette législation sur le mouvement des sociétés de secours mutuels en France? Les documents qui suivent répondent à cette question. Ils se rapportent à l'ensemble des sociétés sans distinction de catégories. Les sommes sont en millions de francs.

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