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messes. Les sables de plaine qu'on lave encore en Californie ne donnent plus à présent que 5 à 6 fr. d'or par mètre cube; les filons quartzeux, qui rendaient moyennement 636 fr. à la tonne en 1851, n'en produisaient, dès 1860, que 80 à 85, exploités par les moyens les plus puissants; enfin les veines argentifères paraissent elles-mêmes décliner rapidement de richesse, à mesure qu'on les suit en profondeur.

Ces hasards éblouissants n'ont qu'un intérêt de légende : la science positive n'y voit que des anomalies sans portée. Les mines de l'avenir, ce sont les gisements de teneur médiocre, mais étendus, constants, inépuisables. Pour l'argent, ce sont les immenses dépôts de la cordillière des Andes à 1 millième d'argent; ceux du Mexique et du Pérou, d'abord, que trois cent cinquante ans d'exploitation n'ont pour ainsi dire pas affaiblis; et puis une foule d'autres qu'on a déjà signalés sur plusieurs points et qu'on retrouvera dès qu'on voudra les attaquer sérieusement. Pour l'or, ce sont les plateaux de graviers aurifères (dry-diggins) qui forment les hauts versants occidentaux de la SierraNevada et qui s'étendent, presque sans discontinuité, sur 150 kil. du sud au nord et 40 de l'ouest à l'est, pauvres d'ailleurs et ne contenant pas plus de 1 ou 2 fr. d'or par mètre cube en moyenne. Ce sont ces minerais pauvres ou médiocres qui vont devenir les grandes sources de la richesse métallique, grâce à deux progrès très-importants qui viennent de se faire dans les procédés d'exploitation, et que nous allons

exposer.

-

Pour l'argent, le changement ne porte pas, à vrai dire, sur le mode même de l'exploitation, mais sur un de ses éléments capitaux, ce qui revient toujours au même. On sait que depuis l'invention de Médina, le traitement des minerais d'argent se fait au moyen du mercure, et qu'il en emploie d'énormes quantités. Jusqu'à présent c'est Almaden, en Espagne, qui avait seule, à peu près, fourni tout l'approvisionnement des mines d'argent de l'Amérique; ce monopole ne leur faisait pas seulement payer le mercure fort cher, il les contraignait encore de restreindre ou de suspendre à chaque instant leur production, chaque fois que le prix dépassait certaines limites. Ce prix a été longtemps de 15 fr. le kilogr.; il était dernièrement de 10 encore; il va maintenant baisser de plus de 60 0/0. Au sud de la baie de San-Francisco, dans une situation admirable, on a trouvé des mines de cinabre extrêmement puissantes et qui ont deux fois plus de richesse que celles d'Europe. Quatre établissements, produisant déjà par an près de 1,400,000 kilogr., c'est-à-dire à peu près autant que toutes les mines connues, -et d'ailleurs suscepti

bles d'augmenter beaucoup cette production, vont livrer avant peu au commerce le mercure à 3 kilogr. Avec le mercure à bon marché et en abondance, plus d'à-coups dans l'exploitation des mines d'argent; plus de pertes de minerais; une extension considérable (car il paraît qu'on pourra traiter les minerais à 500 gr. par tonne aussi avantageusement qu'autrefois ceux à 1,000 gr.) et des bénéfices notables assurés à toutes les entreprises anciennes qui vivotaient, un encouragement puissant pour les nouvelles c'est enfin comme si, par un coup de baguette, on avait subitement augmenté la richesse de tous les filons argentifères du globe à la fois.

Voilà pour l'argent. Voici maintenant pour l'or. D'immenses dépôts de graviers aurifères couvrent les versants occidentaux de la SierraNevada. Au nord de la Californie surtout, dans les comtés de Sierra, de Placer et de Nevada, ils s'étendent sur une surface presque continue de 6,000 kilom. carrés environ. Ces vastes dépôts s'étendent au delà, toujours au nord, dans les comtés de Shusta et de Plumas, rejo gnant d'autres gisements analogues exploités dans l'Oregon. Leur teneur est faible M. Laur l'estime à 1 fr. 30, en moyenne, par mètre cube. Leur niveau est très-élevé ordinairement, on les rencontre jusqu'à 2,000 et 2,500 mètres au-dessus du niveau de la mer. Leur épaisseur varie de 10 à 12 mètres jusqu'à 60 et 70 en certains endroits.

Voici comment on les exploite. On commence par creuser un tunnel dans la roche qui sert de support au gisement. Ce tunnel, destiné à l'écoulement des eaux et des terres, doit déboucher sur une vallée assez profonde pour que l'encombrement des déblais ne soit pas à craindre. C'est un travail long et difficile, car il doit s'étendre jusqu'au centre du placer, en le prenant par son point le plus bas. Puis on amène, par de vastes canaux, sur la partie haute du placer, toutes les eaux qu'on peut rassembler dans les vallées supérieures de la Sierra-Nevada. On attaque alors les sables par un violent jet d'eau que lance un tube métallique mis en communication avec le canal supérieur de distribution; la muraille de graviers s'écroule sous le choc de l'eau, les terres sont entraînées par des conduits spéciaux dans la galerie souterraine, d'où elles sortent dépouillées de la plus grande partie de leur or. Le métal s'est déposé dans des canaux de bois disposés à cet effet dans le tunnel d'écoule

ment.

Quelques chiffres donneront une idée de ce que coûte et rend ce genre d'entreprise. Entre les deux branches de l'Yuba, un plateau de 650 kil. carrés est aujourd'hui en pleine exploitation. Une compagnie de mineurs

français y a amené, des hautes vallées de la Nevada, au moyen de barrages et de lacs d'une étendue de plus de 1,000 hectares, d'aqueducs magnifiques et de canaux de toute section dont le développement total ne mesure pas moins de 284 kil., une masse d'eau évaluée à 168,000 mètres cubes par jour, et qui, vendue aux mineurs, produit un revenu annuel de plus d'un million. Sur ce plateau est ouvert, entre autres ateliers, un chantier d'exploitation nommé Eureka claim. Il est desservi par une galerie d'écoulement qui a coûté 140,000 fr. La couche de gravier aurifère qu'il travaille a 43 mètres de hauteur; on l'exploite au moyen de quatre jets d'eau débitant ensemble 25,000 litres par minute sur une pression de 45 mètres.

Quatre hommes suffisent pour conduire ce travail qui dure dix jours. Au bout de ce temps, on arrête la démolition des terres, on lave les canaux et on recueille l'or. La quantité d'or recueillie ainsi en deux semaines est, en moyenne, de 30,000 fr. Les frais d'exploitation ont été pendant ces dix jours:

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Pour toute l'année équivalente à 200 jours de travail effectif, l'exploitation d'Eureka produit 600,000 fr. d'or et coûte, en frais courants, 135,280 fr. Elle a lavé, pendant ce temps, 560,000 mètres cubes de graviers et enlevé le dépôt aurifère sur une étendue de 12,400 mètres carrés.

Nous pouvons maintenant supposer, sur tout le plateau de l'Yuba, 100 chantiers égaux à celui d'Eureka. Ces 100 chantiers ou leurs équivalents y seront réellement établis sous peu, car la Compagnie des Lacs, au moyen de quelques barrages qui lui restent à faire, va se trouver en mesure de fournir au placer de l'Yuba 3 à 400 millions de mètres cubes d'eau par an, ce qui suffit amplement aux besoins des 100 chantiers dont nous parlons. Après une campagne d'un an ou de 200 jours, ces 100 chantiers auront produit 60 millions d'or, lavé 56,000,000 mètres cubes de sables, et enlevé 1,240,000 mètres carrés de l'étendue du dépôt aurifère. Comme sa superficie totale est de 650,000,000 mètres carrés, on voit que cette production de 60 millions d'or par an peut continuer plus de cinq cents ans avant d'épuiser le placer.

Jusqu'à quel point peut-on imiter et généraliser, partout où il y a de l'or, cette méthode simple autant que hardie, qui permet à un seul homme (résultat merveilleux!) de déblayer et de laver 700 mètres cubes de sables par jour? C'est ce que de nouvelles études nous apprendront plus positivement.

En Californie seulement, les 6,000 kilom. carrés qui forment la région des placers secs (dry-diggins) présentent déjà une surface imposante d'exploitation. Ils sont généralement situés à des niveaux assez élevés au-dessus des vallées pour que les immenses résidus des lavages puissent s'écouler. (Je ne sais trop, par exemple, ce que deviendront les plaines où l'on jettera ainsi des graviers stériles par millions de mètres cubes chaque année). La Sierra-Nevada, couverte pendant cinq mois de l'année de neiges qui partout dominent les plateaux, paraît d'ailleurs un réservoir assez abondant pour fournir tout l'approvisionnement d'eau nécessaire aux exploitations les plus vastes. Il y a donc là déjà un premier champ d'entreprise immense.

Si maintenant nous portons nos regards hors de la Californie, déjà si riche en placers, nous trouvons des dépôts aurifères analogues dans l'Orégon, la Sonora, l'Honduras, l'isthme de Panama, la Nouvelle-Grenade, etc. L'Australie en est pleine; les monts Ourals et la Sibérie surtout présentent, au dire des savants, la plus gigantesque étendue de terrains aurifères (pauvres ou riches, peu importe) qu'on connaisse au monde. Il est bien difficile de croire que dans chacun de ces pays on ne trouvera pas quelques placers importants situés de façon à être exploités par la nouvelle méthode des grands lavages. Si nous supposons qu'il s'en rencontre dix ou quinze seulement, sur tout le globe, d'une puissance à peu près égale à celle du plateau de l'Yuba (la Californie, à elle seule, en fournira probablement cinq ou six), et qu'on se mette à les exploiter, nous avons alors la perspective d'une production totale de 800 à 900 millions d'or par an (valeur actuelle), ou en poids de 250,000 kilogr., et à un prix de revient tellement avantageux, si nous nous en rapportons aux chiffres de la Californie, que les capitaux les moins aventureux se porteront de ce côté une fois que les premiers succès leur auront donné l'éveil.

Voilà donc, pour l'exploitation de l'or et de l'argent, des conditions. toutes nouvelles, des procédés rationnels, puissants, ne laissant presque plus rien au hasard, applicables partout en quelque sorte, et sur une immense échelle, à des gisements dont l'existence est connue et constatée dès à présent. Il ne peut pas manquer d'en résulter un grand élan

dans la production des métaux précieux. Or, si elle s'établit dans les proportions que nous indiquions tout à l'heure, il est peu probable que les besoins d'or, provoqués par le développement de la richesse générale, soient assez énergiques pour absorber un excédant si considérable dans la production aurifère (à ne parler que de celle-là). Dans ces derniers temps, une production annuelle de 300,000,000 d'or environ a suffi pour amener un commencement de baisse, malgré l'avidité avec laquelle plusieurs grands Etats s'en sont gorgés pour leur circulation monétaire. Une production double et triple de métaux précieux ne pourrait certainement pas se soutenir pendant un certain nombre d'années, sans aboutir à une dépréciation marquée de leur valeur.

Ainsi, à ne considérer que les conditions matérielles et technologiques de l'exploitation même, l'abondance et la dépréciation des métaux précieux paraissent certaines, Mais, d'un autre côté, il faut tenir compte d'une foule d'obstacles très-sérieux qui peuvent entraver ou ralentir, au moins, considérablement les progrès de leur production. Il est à remarquer, par exemple, que les grands gisements d'où l'on doit tirer l'argent et l'or se trouvent en général situés dans des pays neufs, presque déserts ou (ce qui ne vaut guère mieux) possédés par des populations clair-semées, tellement apathiques, tellement hostiles à toute espèce de travail et d'industrie, qu'au dire des voyageurs, l'invasion de la race blanche, européenne ou nord-américaine, peut seule mettre en valeur les immenses éléments de richesses qui sont enfouis dans ces contrées. Les entreprises, d'ailleurs, du genre de celles dont nous avons parlé ne sont pas de celles qu'on improvise; elles exigent de grands travaux préparatoires, de grands capitaux, beaucoup de talent, de conduite et de caractère dans ceux qui les dirigeront. Le mode d'exploitation, enfin, n'est pas de nature à provoquer, par lui-même, un mouvement rapide de colonisation; il n'a plus ce merveilleux attrait de loterie et ces chances subites de fortune individuelle, qui, en quelques années, ont peuplé la Californie et l'Australie de la plus énergique race de travailleurs qu'on ait jamais rassemblée des quatre parties du monde. Ici le simple ouvrier ne peut guère espérer qu'un salaire sans doute fort élevé, mais dont la séduction est singulièrement amoindrie par la perspective du rude travail, des privations et des dangers de toute espèce qui l'attendent au fond de ces solitudes.

Tout fait donc présumer (sans qu'il faille s'endormir pourtant sur cette vague assurance) que la mise en œuvre des grands gisements d'or et d'argent sera très-lente à s'organiser sur la vaste échelle qu'elle doit

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