Page images
PDF
EPUB

-

§ 24. Et comme la monnaie est une propriété échangeable, qui a une existence séparée, indépendante et distincte de toute autre chose utile, de même un titre de crédit est une propriété échangeable entièrement distincte de la monnaie et des autres objets pourvus de valeur. Ainsi, évidemment, ces titres suppléent à la monnaie. Ainsi, encore, la somme des créances commerciales représentées par des titres transmissibles (ce que je nomme le crédit) fait exactement l'office d'une égale somme de monnaie.

§ 22. Cependant le crédit, en employant ce mot dans un sens plus large, ne s'exprime point, en général, sous la forme d'une promesse de livrer des marchandises, et, au contraire, il a invariablement, en Angleterre au moins, la forme d'une promesse de payer une certaine somme de monnaie, d'où il suit qu'il est de la valeur de cette somme. L'ensemble des créances commerciales qui sont créées et échangées dans notre pays est quelque chose d'énorme, qui échappe aux supputations même approximatives, par la raison que la plupart de ces créances ne revêtent point une forme visible pour le public, et sont seulement inscrites sur les livres des négociants.

[ocr errors]

§ 23. Des explications précédentes ressort la différence radicale et fondamentale qui existe entre les connaissements, les certificats de dépôt, d'une part, et les instruments de crédit d'autre part.

Les premiers sont toujours des titres à certaines marchandises spécifiées; ils ne s'appliquent qu'à celles-là, les suivent pour ainsi dire, ne s'en séparent point, et ne forment donc avec elles qu'une propriété. Ils naissent d'un DEPOT, non d'un ÉCHANGE, et on peut dire justement qu'ils REPRÉSENTENT les marchandises. Enfin ils n'ajoutent rien à la masse de la propriété échangeable.

Il en est autrement des instruments de crédit de toute sorte, qui expriment toujours un droit portant sur les personnes, et n'ont aucune connexion avec certaines choses spécifiées, ce qui est la principale circonstance d'où est tiré leur nom. Ils circulent sur la croyance qu'on peut les échanger contre de l'argent. Toujours ils naissent d'un ÉCHANGE, jamais d'un simple DÉFOT. Les connaissements et les titres de même nature portent sur certaines choses et sur celles-là seulement, tandis qu'il est de l'essence des billets de banque de pouvoir toujours s'échanger contre toute espèce de monnaies et de marchandises. Les connaissements représentent la marchandise, au lieu que les billets de banque, etc., sont de la valeur de l'argent. Enfin le crédit, quels qu'en soient le caractère et la forme, est toujours une addition à la masse des autres propriétés échangeables.

[ocr errors]

§ 24. On comprend maintenant comment et pourquoi les connaissements ne peuvent pas excéder en quantité les marchandises qu'ils représentent, tandis que, chez nous, les instruments de crédit de toute sorte excèdent, d'après les calculs les plus circonspects, une quantité de monnaie dix fois supérieure à celle que possède notre pays. Les considérations auxquelles nous venons d'être conduit jetteront une vive lumière, nous le verrons bientôt, sur la question si importante des LIMITES du crédit.

§ 25.

Toutes les personnes familiarisées avec le commerce et qui ont un peu réfléchi sur son langage admettront volontiers nos idées sur la nature indépendante du crédit, et le considéreront comme une propriété sui generis. C'est ainsi que l'actif ou l'ensemble des biens. d'un banquier est toujous supputé isolément, et que l'ensemble de ses engagements, de ses dettes, du crédit qu'il a obtenu contre des promesses qu'il doit tenir, ou, en d'autres termes, son passif, est supputé isolément aussi; d'où cette conséquence que l'actif et le passif sont réputés des quantités indépendantes. De même on dit que l'actif d'une faillite s'élève à tant et que l'ensemble des promesses faites à ceux qui ont accordé le crédit, ou le passif, s'élève à tant, ces deux chapitres étant considérés comme ayant chacun une existence distincte. Chaque jour on se sert de ces expressions: la valeur d'un billet de banque, la valeur d'une lettre de change; on n'entend guère parler de la valeur des connaissernents, par la raison que l'idée de valeur ne peut s'attacher qu'à l'échange, et que tout échange implique valeur. Presque toutes les crises commerciales naissent de la création excessive de l'espèce particulière de propriété que constituent les titres de crédit; personne ne s'avisera jamais d'imputer une crise à l'abondance des connaissements.

§ 26. La doctrine que nous exposons ici sur les titres de crédit, sur le crédit, si l'on nous permet d'abréger ainsi l'expression de notre pensée, on la rencontre implicitement établie en mainte occasion, et tant de faits l'expliquent aux personnes un peu versées dans la législation et le commerce qu'elles pourront trouver superflues et presque puériles nos longues explications. Mais malheureusement, tandis que plusieurs économistes l'admettent de temps à autre, ils l'oublient complétement dans d'autres parties de leurs travaux. En réalité, ce sont les étranges confusions qu'on a faites entre la valeur d'une chose, c'està-dire son aptitude à être échangée contre tel autre objet, et le travail, la somme des efforts employés à produire cette chose, entre le crédit, propriété séparée et échangeable, représentée et transmise par des billets, des documents écrits, et le crédit, où l'on veut voir le transport

d'un capital existant, qui ont jeté dans d'autres incroyables confusions les théoriciens du crédit.

§ 27.- Quelques auteurs, cependant, tandis qu'ils admettent pleinement qu'une créance doit être ajoutée à la liste des propriétés de celui qui la possède, disent que, d'un autre côté, cette créance étant pour celui qui doit y faire honneur une dette égale qu'il faut déduire de son avoir, l'addition et la soustraction se neutralisent et qu'il ne reste rien de ladite créance à comprendre dans la richesse sociale.

Comme c'est là une idée très-répandue et qu'elle se lie intimement au point de vue le plus délicat de notre sujet, nous croyons devoir emprunter à l'ouvrage de M. Thornton, sur le papier de crédit, un passage où elle se trouve complétement exposée. M. Thornton (page 19) s'exprime ainsi : « Il n'est pas inutile, pour écarter une chance d'erreur des discussions auxquelles nous allons nous livrer, de définir ici ce qu'on entend par le capital commercial. Ce capital consiste d'abord dans les marchandises, soit achevées, soit en cours de confection, qui sont dans les mains de nos manufacturiers et de nos négociants pour s'acheminer vers leur destination, qui est d'être consommée; marchandises dont la masse est plus ou moins grande, suivant qu'elles servent à la satisfaçtion de besoins plus ou moins étendus et aussi suivant qu'elles peuvent arriver plus ou moins vite dans les mains des consommateurs. Il consiste en outre dans les navires, bâtiments, machines et autres instruments destinés à faciliter la production et le commerce, chapitre dans lequel nous devons comprendre l'argent monnayé nécessaire aux opérations commerciales, lequel toutefois n'est qu'une bien faible partie de cette grande masse. Enfin il comprend les créances dues à nos commerçants pour les marchandises qu'ils ont vendues et livrées à crédit; créances qui finalement seront acquittées par des valeurs réelles fournies à cet effet.

« Le capital commercial, que ceci soit bien compris, ne consiste pas en papier, nom par lequel on désigne les effets de commerce, et n'est nullement augmenté par la multiplication d'un tel moyen de payement. Dans un sens seulement, il serait exact de dire que le papier accroît le capital. Je veux dire que la valeur nominale des marchandises peut s'élever par l'effet d'une réduction causée par le papier dans la valeur de l'argent monnayé, ce dénominateur commun de la propriété sous toutes les formes. Mais le papier lui-même ne doit pas figurer comme un item dans l'inventaire.

« Cette manière de calculer le montant du capital national engagé dans le commerce est au fond celle qu'emploie chaque commerçant pour se rendre compte de ce qu'il possède. Le papier, à la vérité, figure parmi les articles intitulés AVOIR Sur le côté droit des registres de quel

ques négociants; mais il figure exactement pour la même somme parmi les articles intitulés DOIT sur les livres d'autres négociants. De telle sorte que, tout compensé, il ne constitue plus rien. Le banquier qui émet pour 20,000 liv. sterl. de billets de banque pour prêter la même somme à des marchands, en échange de 20,000 livres de traites acceptées, inscrit dans ses livres qu'il doit vingt mille livres aux porteurs de ses billets et qu'il est créancier pour la même somme des accepteurs des traites. Donc l'évaluation de son actif reste la même que si les billets et les traites n'eussent pas été émis. De même encore, les marchands qui veulent connaître leur fortune, en déduisant les engagements qu'ils ont à payer au banquier et y ajoutant les billets de banque que le banquier leur a fournis; de telle sorte que l'inventaire se résume de la même manière que si le papier n'eût pas existé. Ainsi l'usage du papier n'introduit aucune cause de méprise dans les inventaires de leur fortune que font les particuliers. »

§ 28.-Nous désirons appeler l'attention sur le passage qui précède, parce que les idées qu'il renferme sont exposées et motivées aussi brièvement et clairement que possible. Il nous servira d'autant mieux à faire comprendre combien il importe de bien poser une question économique, que, tout en ayant une certaine apparence d'exactitude, il n'est en réalité qu'un tissu d'erreurs; erreurs qui sauteraient aux yeux des personnes un peu versées dans l'étude de la philosophie naturelle, si nous le traduisions dans la langue de la mécanique.

Le raisonnement de M. Thornton est tout simplement celui-ci : Supposons que A possède en espèces 100 livres sterling et en outre une traite de 50 livres acceptée par B et payable dans trois mois. Supposons que B, l'accepteur de la traite susdite, possède aussi 100 livres sterling.

Alors la fortune de A s'exprimera par

[blocks in formation]

Or, dit M. Thornton, puisque 50 liv.-50 liv. se balancent, le résultat est zéro, ce qui est suivant lui la même chose que si aucune des deux valeurs n'existait.

Si on peut trouver cela plausible à première vue, la moindre réflexion suffit pour y faire découvrir une grosse erreur.

Supposons qu'un propriétaire loue une ferme à un cultivateur qui s'engage à lui en payer une rente annuelle.

Voilà le fermier tenu de payer une première rente dans un an, ce qui

est pour lui la même chose que s'il eût souscrit un billet payable à douze mois de date. Maintenant le droit de recevoir une rente est pour le propriétaire un droit existant qu'il peut vendre ou transférer à toute autre personne. C'est pour lui une valeur positive, munie du signe + qui doit être ajoutée à ce qu'il possède. Pour le fermier, tenu de payer cette rente, il se trouve dans la situation du marchand qui a souscrit un billet, et en conséquence ladite rente est pour lui une valeur négative accompagnée du signe, comme l'était le billet. Il est bien clair que si la fortune de notre marchand qui accepte une traite de 50 livres doit être exprimée ainsi :

[blocks in formation]

l'avoir d'un fermier tenu de payer une rente doit être représentée par

Avoir · Rente.

Mais personne ne s'aviserait jamais de dire que le fermier, en consentant à payer une rente annuelle, a diminué la balance en sa faveur de son compte chez le banquier, ou bien qu'il est tenu de soustraire immédiatement cette rente annuelle du montant de ce qu'il possède. Évidemment il ne s'est engagé à servir une rente que dans la pensée de la payer au moyen des profits annuels que l'avenir lui réservait.

§30. Telle est précisément la situation d'un marchand qui souscrit un billet payable dans trois mois. Quant au moment actuel, il n'est pas sous un lien d'autre nature que celui de notre fermier. Qui a terme ne doit pas, dit une maxime bien connue dans notre jurisprudence; ce qui signifie que, si un créancier poursuit un débiteur avant l'échéance de la dette, le second est en droit de répliquer : Je ne vous dois rien encore. Donc il est démontré que, dans le cas qui nous occupe, le signe -ne peut pas signifier soustraction.

§ 31. Nous arrivons à ce paradoxe. Le droit de recevoir une rente annuelle est une addition aux autres éléments de la fortune du landlord. Dans ce cas, + signifie addition. Eh bien, la rente, qui doit être affectée du signe, pour le fermier tenu de la payer, ne doit cependant pas être soustraite de la fortune du fermier et ne la diminue nullement; de telle sorte que le signe — n'est pas celui de la soustraction. Alors que signifie-t-il?

Avant de répondre, faisons remarquer que l'opinion que nous critiquons pèche contre une loi fondamentale de la philosophie des sciences. Lorsque la conception fondamentale d'une sience est établie, la philosophie exige impérieusement que toutes les questions qui dépendent de cette science soient mises en harmonie avec l'idée fondamentale. Or,

« PreviousContinue »