Page images
PDF
EPUB

d'amertume? Il y a des moments où mon âme entière se révolte et se soulève. La prière n'agit plus sur moi que comme une tempête. Son impuissance me rejette parfois dans le doute, et je souffre tant, que ma foi s'ébranle. Je me demande pourquoi s'accumulent sur un pauvre être tant de tortures et de supplices infligés au corps comme à l'âme. Si encore la douleur physique me laissait toutes mes forces, je lutterais; mais les forces s'épuisent dans la lutte, elle est trop longue..... »

--

Finissons par ce récit lamentable; car en vérité il n'y a rien de plus moral à contempler, si triste qu'en soit le spectacle, que ces retours de fortune qui nous font voir, au fond des calices d'amertume, le néant des grandeurs humaines; et disons de ce héros foudroyé par la maladie, le lendemain d'une victoire immortelle, ce que le duc de SaintSimon écrivait d'un autre grand du monde1, frappé de mort, lui aussi, dans ce comble des honneurs qu'il avait ambitionnés sur la terre: « ...... Ce qu'ils avaient pour lui de plus flatteur lui fut montré et porté pour ainsi dire jusqu'au bord de ses lèvres. La coupe lui en fut subitement retirée, sans qu'il y pût toucher, au moment d'y mettre la bouche et d'en boire à longs traits. Livré à des douleurs cruelles, puis à un état de mort, et paraitre devant Dieu tout vivant de la vie du monde !... Voilà le monde, son tourbillon, ses faveurs, sa tromperie et sa fin!... )

1 Le cardinal de Mailly.

[ocr errors]

IV

Le général Atthalin.

14 OCTOBRE 1856.

Le général Atthalin, qui vient de mourir à Colmar, avait été un des officiers d'ordonnance les plus employés par l'empereur Napoléon vers la fin de son règne. Il avait été pendant près de quarante ans l'ami du roi Louis-Philippe. Toute sa célébrité se résume dans ces deux faveurs de sa destinée un grand homme de guerre l'avait apprécié et distingué; un roi pacifique avait fait de lui un des conseillers de sa vie privée, l'organisateur de sa maison, le lien par lequel il communiquait le plus volontiers avec la brillante société de sa capitale et de son royaume. Le général Atthalin avait mérité cette double confiance, celle de l'empereur, celle du roi.

A l'empereur Napoléon Atthalin avait plu par ses qualités militaires, sa calme attitude, sa bravoure intelligente, sa tournure chevaleresque, son expressive physionomie, cette gravité un peu fière de l'officier du génie que tempéraient l'aménité du langage et la distinction des manières. Napoléon aimait en lui surtout ce goût de la guerre sérieuse et cet esprit d'observation patiente dont son immense organisation militaire faisait un devoir, souvent difficile, aux officiers chargés de porter au loin ses ordres. Atthalin était admirable dans ces missions qui avaient pour but de faire parvenir la pensée du maître à tous les points de la sphère

infinie où s'étendait son action; et c'est ainsi qu'en 1811, chargé des instructions secrètes de Napoléon dans une visite qu'il eut à faire de tous les ports de l'Océan, depuis Cherbourg jusqu'aux confins de la Hollande, il reçut l'autorisation de correspondre directement avec lui. .

Quand le capitaine Atthalin obtint de l'Empereur une marque si extraordinaire de sa confiance, il n'avait pas trente ans. Il venait d'être nommé officier d'ordonnance dans sa maison. De très-brillants services, et déjà anciens malgré son âge, l'avaient justement désigné à cet honneur. Né en 1784, à Colmar, et fils d'un magistrat fort considéré, le jeune Atthalin avait embrassé de bonne heure, et par goût, la profession des armes. Élève distingué de l'École polytechnique, il en était sorti sous-lieutenant du génie, et avait reçu ce qu'on appelait alors le baptême de feu à la bataille d'Eylau, dans le 6o corps d'armée, commandé par le maréchal Ney. Après la paix de Tilsitt, nommé aide de camp du général Kirgener, qui commandait le génie de la garde impériale, il l'avait suivi en Espagne, où il avait fait toutes les campagnes de la Catalogne. Ce fut alors, entre 1807 et 1811, que plusieurs missions lui furent données pendant les rares loisirs que lui laissait la guerre active, d'abord à Stralsund et à Magdebourg, plus tard à Anvers et à Walcheren après la tentative d'invasion des Anglais, enfin au Helder et au Texel, dont il mit les fortifications sur un pied de défense formidable, missions accomplies avec supériorité, et qui le désignèrent au choix et à la confiance de l'Empereur.

[ocr errors]

Cependant la campagne de 1812 était commencée. Le capitaine Atthalin rejoignit l'Empereur près de Smolensk, au moment où la Grande Armée opérait son mouvement sur la route de Moscou. Depuis cette époque, on le retrouve partout auprès du grand capitaine dont la fortune, devenue plus douteuse, ralliait à lui tous les hommes de cœur. De son côté, l'Empereur s'était sérieusement attaché à ce jeune

officier d'un commerce si sûr, d'une instruction si précise, d'un ton si modeste, d'une humeur si égale parmi tant d'épreuves. A Malojaroslawetz, l'ayant chargé d'une reconnaissance à faire pendant la bataille: « Surtout, lui dit-il, n'allez pas vous faire tuer! je tiens à vous..... » La suite le prouva bien. Atthalin fit toute la retraite à côté de l'Empereur. Il était encore auprès de lui pendant la campagne de Dresde, où il reçut la croix d'officier et le titre de baron. A Paris, pendant l'hiver qui précéda la campagne de 1814, nommé directeur du cabinet topographique, il assista pour ainsi dire à la première conception de ces immortelles manœuvres que le patriotisme inspirait au génie de la guerre. A Champaubert, à Brienne, partout pendant cette héroïque défense, nous retrouvons le jeune colonel (il reçut ce grade sur le champ de bataille) auprès de son général; et il mérita l'honneur que lui fit plus tard un peintre célèbre, M. Horace Vernet, en le montrant à cheval, porteur d'un ordre de Napoléon, sur le terrain de la victoire de Montmirail. Dans la cour du Cheval Blanc, à Fontainebleau, Atthalin faisait partie de cette petite troupe de braves gens qui reçurent les adieux de l'Empereur. Napoléon voulut faire plus encore pour son fidèle serviteur : il lui écrivit, avant de monter en voiture, quelques lignes touchantes par lesquelles il le remerciait de ses services et le relevait de ses serments.

Le colonel Atthalin pouvait se croire libre de tout engagement; mais il était jeune, il aimait son métier; il resta dans l'armée, dont une politique imprévoyante et mal conseillée avait changé le drapeau, mais dont l'esprit avait survécu à ses désastres. Atthalin resta dans ses rangs. Comblé des faveurs du gouvernement impérial, il avait su préserver son âme de tout orgueil. La fortune contraire ne lui causa aucun découragement. Une sorte d'équilibre moral était le fond de son caractère. Ardent à l'œuvre, froid au conseil, doué d'une prudence qui se conciliait chez lui avec

1

le dévouement le plus courageux, véritable type du galant homme et habile seulement à défendre sa vie de toute ambition immodérée, Atthalin reprit son rang dans l'arme du génie et attendit les événements. Le régime pacifique que la Restauration ramenait pour la France le trouvait parfaitement préparé à cette fortune si nouvelle. Il était instruit et curieux d'instruction, étant un de ces officiers qui ont toujours, au bivac, un crayon ou une plume à la main, un livre ou un atlas, et qui conservent dans les camps des goûts sérieux et des habitudes distinguées. Passionné surtout pour les arts du dessin, il était lui-même un dessinateur hors ligne, et il eût compté parmi les premiers artistes du pays s'il n'avait été parmi les officiers les plus renommés de son arme. J'ai lu qu'en mai 1807, au moment où Atthalin, simple lieutenant, venait de recevoir l'ordre de se rendre au siége de Graudentz (sur la Vistule), « le maréchal Ney, qui avait remarqué son aptitude particulière à faire rapidement un croquis indiquant la position des troupes, proposa au jeune dessinateur de l'attacher à sa personne en qualité d'aide de camp....... >> Atthalin refusa, non sans regretter l'honneur alors si recherché de servir sous un pareil maître ; mais il avait son siège à faire, et il voulait donner à son épée l'activité qu'on semblait ne demander qu'à son crayon. Il se rendit à Graudentz et manqua d'y être tué. Après la Restauration, l'épée était rentrée au fourreau; le crayon put sortir de nouveau de son portefeuille. Atthalin le consacra à des œuvres sérieuses, dont quelques-unes furent remarquées, notamment dans la collection des Antiquités d'Alsace, publiée par M. de Golbery, puis dans le grand ouvrage dont le baron Taylor et M. de Cailleux avaient eu l'idée, dont Charles Nodier écrivit en partie le texte, et qui avait pour objet de reproduire les plus beaux monuments et les sites les plus

1 Dans le Glaneur du Haut-Rhin (du 14 septembre).

« PreviousContinue »