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M. le Président. Vous avez demandé la parole pour le rappel au règlement, et vous avez accusé le président d'y avoir manqué : vous n'avez la parole que sur cela seul; et pourtant voilà que vous revenez sur la proposition de M. Casimir Périer. Voyons si le règlement a été violé. Vous demandiez la parole sur la position de la question. Or, comme la question soumise par M. Casimir Périer n'est pas une question à agiter maintenant, la parole ne devait pas vous être accordée. Vous l'avez demandée ensuite pour le rappel au règlement. Aussitôt le président s'est empressé de vous l'accorder. Après l'avoir ainsi obtenue, vous laissez de côté le règlement, et vous soutenez la proposition de M. Casimir Périer; vous reconnaissez par là même qu'il n'y a pas eu de violation du règlement. Rien n'est en discussion aujourd'hui; rien ne peut y être. Ce ne sera que quand il y aura un projet d'adresse qu'on pourra mettre en discussion ce que l'adresse doit renfermer. Je ne puis donc vous accorder la parole sur une discussion qui ne vient pas à temps.

M. Benjamin Constant. Ce n'est que dans ce moment qu'il est possible de demander les pièces nécessaires; car, dans les bureaux, la Chambre sera dispersée. (Murmures.) Si vous n'avez pas de documents, Messieurs, comment voulez-vous que la commission sache quelle forme donner à l'adresse? (Les murmures continuent.) Comment voulez-vous que les bureaux sachent quelles instructions ils doivent donner à leurs commissaires? Si la Chambre nous empêche de demander ces documents, c'est qu'elle veut agir en aveugle; et je ne crois pas que telle soit son intention. Je demande donc que vous entendiez mon honorable ami, afin qu'il indique les documents qu'il croit nécessaires pour éclairer la Chambre.

Voix nombreuses: L'ordre du jour !...

M. le Président. Je propose à la Chambre de se réunir dans ses bureaux pour nommer la commission de l'adresse, la commission de comptabilité et celle des pétitions.

M. Benjamin Constant. Messieurs, nous demandons des documents...

M. le Président. Il ne s'élève aucune opposition à la proposition de la réunion dans les bu

reaux...

Voix à gauche Nous nous y opposons!

M. Benjamin Constant. Vous violez le réglement, et la Chambre abandonne tous ses droits; Vous débutez bien !... (Des murmures s'élèvent de toutes parts.)- M. Benjamin Constant descend de la tribune.

M. le Président consulte la Chambre, qui décide qu'elle va se réunir dans ses bureaux pour y nommer les trois commissions indiquées par M. le président.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

Réunion dans les bureaux du vendredi 22 décembre 1826.

M. Hyde de Neuville, membre du 1er bureau, présente à ses collègues les observations suivantes, avant qu'il soit procédé à la nomination du commissaire chargé de concourir à la rédaction de la réponse au discours du trône (1).

Je demande que le commissaire qui sera nommé pour concourir à la rédaction de la réponse au discours du trône, soit spécialement chargé d'insister pour que, tout en respectant les convenances parlementaires, la réponse de la Chambre soit de nature à relever notre dignité nationale outragée par l'arrogante et ridicule philippique de M. Canning et par l'incroyable discours imposé à M. le ministre des affaires étrangères. Il faut que l'Angleterre sache que si nous avons un fardeau quelconque, nous n'avons, en aucune manière, besoin qu'on nous aide à nous en débarrasser. Il faut que M. Canning sache que nous voulons la paix, que nous cherchons à maintenir la paix ; mais que nous ne craignons pas la guerre, et qu'enfin il n'y a plus chez nous de mécontents, quand il s'agit de venger l'honneur du pays... l'honneur est un étendard qui réunira toujours en France toutes les opinions.

Convaincu que tout homme ami de la gloire des Bourbons; que tout homme ami de la légitimité, de la charte et des libertés nationales; que tout homme, enfin, qui a de la fierté, de la loyauté dans le cœur et du sang français dans les veines, ne peut que penser comme moi, c'est avec confiance que je dépose sur le bureau du comité une proposition dictée par la douleur et le patriotisme.

Les nominations faites par les divers bureaux sont les suivantes :

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M. le Président. Lorsqu'il y aura lieu à une réunion en séance publique, MM. les députés en seront avertis à domicile. La séance publique est levée.

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(MM. les députés se réunissent à trois heures un quart dans leurs bureaux.)

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M. le comte d'Erceville.

(1) Ce document n'a pas été inséré au Moniteur.

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M. le baron Méchin obtient le premier la parole.

Avant d'entrer en matière, l'orateur se plaint de ce que la Chambre des députés n'a pas reçu, en même temps que celle des pairs, la communication faite à cette Chambre par le ministre des affaires étrangères; il remarque que ce n'est pas ainsi que le ministère anglais s'est conduit. Le message royal concernant le Portugal a été communiqué en même temps aux deux Chambres; l'orateur espère que cette observation ne sera pas perdue et que désormais la Chambre des pairs ne recevra pas seule les communications du gouvernement.

L'orateur entre ensuite dans la discussion de l'adresse, et il dit qu'il donne son assentiment à une partie de ce qu'elle contient; mais il croit qu'elle n'exprime ni assez complètement ni assez positivement les vœux de la France. L'alliance avec l'Angleterre annonce un changement dans notre politique extérieure; elle doit aussi en opérer un dans le gouvernement intérieur. Il est temps que les ministres consultent les besoins et

(1) Ce comité secret est inédit.

les désirs du peuple et non les exigences d'un parti: L'orateur pense donc que la Chambre doit se prononcer contre toute atteinte à la liberté de la presse, la seule peut-être qui reste à la France et celle qui lui est le plus chère; c'est ce que l'adresse ne fait pas.

L'adresse ne s'exprime pas non plus d'une manière assez positive sur la situation de la Péninsule ibérique et elle ne détruit pas les craintes qu'inspire à la France un pouvoir invisible qui montre ouvertement en Espagne sa haine pour la civilisation et qui la montre moins ouvertement, mais non moins efficacement en France. Ce n'est pas contre la charte du Portugal, c'est contre celle que Louis XVIII a donnée à la France, que ce parti est armé, et certes, autant la France serait prompte à prodiguer son sang et ses trésors pour une guerre conforme à son honneur et à ses vrais intérêts, autant elle se refuserait à une guerre qui serait faite en faveur du pouvoir absolu ce qu'elle désire, c'est la paix, la paix avec l'Angleterre, persuadée que de là dépend le sort de sa propre liberté, car le parti qui prétendrait que le casus fœderis est arrivé pour la France, à l'égard de l'Espagne, ne voudrait soutenir dans ce pays, le système ennemi de la civilisation que pour faire triompher ce système en France et achever ainsi ce qu'il avait espéré de la guerre de 1823 et qui arrive trop lentement à son gré.

L'orateur demande, en terminant, que l'adresse exprime en termes précis les vœux constitutionnels et pacifiques qui sont ceux de la France.

M. le comte de Vaublanc se plaint, comme le préopinant, que la Chambre des députés n'ait pas reçu la communication que M. le ministre des affaires étrangères a faite à la Chambre des pairs. Il s'attache ensuite à défendre l'Espagne des reproches que le même orateur lui a faits et à prouver que l'alliance de ce pays, ouvrage de Louis XIV, nous a toujours été utile et ne l'est pas moins aujourd'hui qu'autrefois. Il justifie la guerre que la France a faite en 1823 aux Cortès, il s'appuie de l'opinion hautement manifestée par le peuple espagnol qui, lorsque son roi lui fut rendu, demanda unanimement qu'il reprit toute son autorité; la France y était intéressée, non seulement pour la conservation d'une alliance qui faisait depuis longtemps le fondement de son système politique, mais pour ne pas ressentir le contre-coup du renversement du trône d'un petit fils du Louis XIV.

L'orateur s'étonne que des hommes qui se disent amis de la liberté ne cessent de demander qu'on Soumette l'Espagne à des formes de gouvernement qu'elle repousse; il pense que la politique de la religion et de l'honneur doit être préférée à celle des intérêts où l'on voudrait nous entraîner et il atteste que l'Espagne, malgré ses malheurs, contient beaucoup plus de patriotisme et de ressources que ne lui en supposent ceux qui parlent d'elle avec tant de hauteur et de mépris.

L'orateur termine en exprimant ses regrets de ce que la communication de M. le ministre des affaires étrangères s'éloigne dans quelques-uns de ses passages des sentiments dus à un petitfils de Louis XIV et à un pays qui, à plusieurs époques, a fait pour nous de sí grands sacrifices.

M. de Villèle, ministre des finances, répond au premier reproche articulé par les deux préopinants contre le ministère, qu'il y a erreur dans la qualification de communication officielle donnée aù discours du ministre des affaires étran

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gères devant la Chambre des pairs; si c'eût été une communication, elle eût été faite aux deux Chambres. Une autre erreur, commune aussi aux deux préopinants, est d'avoir supposé que l'alliance avec l'Angleterre est nouvelle; cette alliance existe dès le congrès de Véroue, c'est celle des cinq grandes puissances; rien n'y est changé depuis 1823, époque où le petit-fils de Louis XIV qui règne en France, alla au secours de celui qui règne en Espagne. Ainsi, comme le discours du ministre des affaires étrangères l'exprime positivement, nous restons dans les mêmes relations d'amitié et d'alliance avec l'Espagne, prêts à soutenir ses droits s'ils étaient injustement attaqués.

Les expressions dont le second opinant s'est plaint, portant sur ceux qui ont démérité les promesses formelles de leur gouvernement en n'exécutant pas les ordres du roi relativement aux réfugiés Portugais, et exposé la tranquillité de l'Europe en amenant pour l'Angleterre le casus fœderis. La justice veut qu'on reconnaisse que l'Angleterre avait très expressement déclaré au Portugal qu'il devait s'abstenir à l'égard de l'Espagne de toute mesure bostile, spécialement du genre de celle que celle-ci a commise, et en considérant les conséquences qui pourraient en résulter, on reconnaîtra qu'il y a dans les expressions du ministre des affaires étrangères beaucoup de modération, beaucoup plus certainement que si l'on avait à faire à une puissance plus forte et avec laquelle on n'aurait pas eu de lien de famille.

Heureusement toutes les puissances sont d'accord pour maintenir la paix; il n'y a d'ailleurs rien à craindre pour la France ni pour l'Espagne de 5,000 hommes de troupes anglaises en Portugal; nous en avons 10,000 dans Cadix seul et des garnisons dans toutes les autres places. S'il arrive un jour que l'Angleterre veuille faire la guerre à la France, ce ne sera pas pour une Constitution et elle ne choisira pas l'Espagne pour champ de bataille.

M. le comte de Vaublanc obtient la parole pour un fait personnel. Il déclare qu'en insistant sur les raisons qui doivent engager la France à maintenir son alliance avec l'Espagne, il n'a pas supposé que l'intention du roi de France fût différente; il avait seulement en vue de répondre au premier opinant.

M. de Beaumont (1). Messieurs, un roi bon, mais faible, régnait naguère sur le Portugal. Il aimait son peuple et en était aimé. Il désirait le rendre heureux et libre; mais manquant d'énergie, ses bonnes intentions furent perdues pour son pays. Il descendait dans la tombe, pleuré par ses sujets qui pressentaient les maux prêts à fondre

sur eux.

Après la mort du roi Jean, celui de ses fils qui était empereur du Brésil, tout en renonçant aux droits qu'il pouvait avoir de régner sur le Portugal, dispose, par un dernier acte de sa volonté, de cette couronne qu'il transporte à sa fille. Mais ce n'est point l'ancien Portugal qu'il lui donne à gouverner; c'est un Portugal nouveau, travesti à l'anglaise, et qui ne conserve plus aucune ressemblance avec l'ancien. Une Charte arrive du Brésil; elle est importée par un ambassadeur anglais, et fortement soupçonnée d'être son ouvrage. Elle

(1) Le discours de M. de Beaumont n'a pas été inséré au Moniteur; nous l'empruntons au Journal des Débats des 26 et 27 décembre 1826.

renverse et détruit toutes les antiques lois du Portugal; elle est en tout contraire aux droits, aux mœurs, aux idées, aux préjugés même des Portugais. Cette nouvelle conception n'est point accueillie avec l'enthousiasme que ses auteurs en avaient espéré. Des hommes considérables par leur naissance, leur fortune, leurs talents, les places qu'ils occupent, refusent d'en reconnaître la légitimité, et en appellent aux anciennes lois du pays consacrées par les Cortès de Lamego. Leur voix est étouffée; ils vont chercher un asile dans un royaume voisin, et la nouvelle Charte s'établit sans obstacle.

Cependant le temps de la réflexion arrive. Le droit que s'était attribué l'empereur du Brésil de bouleverser l'ordre établi en Portugal, est examiné, contesté; on va même jusqu'à mettre en question sa légitimité. L'émigration des Portugais devient considérable; ils sont remplacés en Portugal par les Espagnols mécontents de leur gouvernement.

Mais bientôt tout prend une nouvelle face. Les émigrés portugais rentrent dans leur patrie; la population presque entière les reçoit comme des libérateurs; les soldats même de la régence se confondent dans leurs rangs.

C'est sur ces entrefaites, Messieurs, que le gouvernement anglais entreprend de faire triompher par la force la Charte brésilienne, et d'inoculer avec des baïonnettes les idées libérales aux Portugais. Un appel est fait à la France pour qu'elle ait à partager les périls et la gloire de cette singulière entreprise. Répondrons-nous à cet appel? Irons-nous, après avoir prodigué nos trésors et le sang de nos soldats, sans aucun avantage pour la France ni pour l'Espagne, sans avoir su ou voulu obtenir en faveur d'un peuple généreux qui, en l'absence de la royauté, avait su conserver intact l'honneur de sa couronne, les institutions qui lui avaient été si solennellement promises, le retour aux anciennes libertés de la nation espagnole; irons-nous, dis-je, assister le gouvernement anglais dans le but qu'il se propose d'humilier l'Espagne, et d'imposer par la force, à la nation portugaise, une Charte qu'elle repousse, un ordre de choses qui lui répugne? Irons-nous dire aux Portugais il faut que vous soyez libres, que vous le vouliez on non, et libres à notre manière et non pas à la vôtre; il faut que vous soyez Anglais, Français, tout, excepté Portugais?

On parle d'absolutistes; mais je vous le demande, Messieurs, les véritables absolutistes ne sont-ils pas ceux qui, n'ayant qu'une idée dans la tête, qu'une mesure pour toutes les tailles, sans avoir égard à la différence des climats, des mœurs, des caractères, des positions, voudraient obliger tous les peuples à subir la même forme de gouvernement? Les absolutistes ne sont-ils pas ceux qui pensent qu'un souverain, même légitime, a le droit d'imposer à son peuple un nouvel ordre social, sans le consulter, sans être d'accord avec lui, en opposition même à ses sentiments et aux idées qui le dominent, et cela sans nécessité aucune, sans y être amené par des circonstances extraordinaires, en un mot, par un acte de son bon plaisir, sans songer que, dès qu'ils admettent ce droit dans un souverain, ils ne peuvent refuser à son successeur le même pouvoir de renverser cet ordre de choses, et de lui en subsister un autre.

On a, dit-on, comparé, dans une autre Chambre, les droits de D. Pedro avec ceux qu'avait énoncés Louis XVIII en nous donnant la Charte; mais ja

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mais positions ne furent plus différentes. Quand les Bourbons, après un long exil, furent rendus aux vœux et à l'amour des Français, Louis XVIII ne trouva autour de lui que des ruines; toutes nos anciennes institutions avaient disparu dans la tourmente, la poussière même en était dispersée. Il fallait donc que Louis XVIII régnât sans institutions ou qu'ils nous en donnât de nouvelles. Il était trop éclairé pour ne pas comprendre que le gouvernement absolu ne pouvait jeter de racines sur le sol de la France. Seul pouvoir reconnu, seul incontesté, il a dû tirer de lui-même ces institutions qui, renouant la chaîne des temps, satisfaisaient, autant que possible, aux droits anciens et aux intérêts nouveaux, et qui furent accueillies avec enthousiasme dans toute la France.

Quelle différence, Messieurs, avec ce qui se passe en Portugal! Si vous doutez de l'aversion, je dirai même de l'horreur qu'inspire à la nation portugaise la Charte brésilienne, lisez les feuilles anglaises vous y verrez que les Anglais reconnaissent qu'ils ont contre eux la population presque entière, et avouent que, pour maintenir par la force un gouvernement établi par eux, contre la volonté du peuple, un gouvernement qui lui est odieux, il leur faudra meitre des garnisons dans le pays et se faire les exécuteurs des Portugais. Ils déclarent enfin qu'il n'y a pas de teutative plus présomptueuse et plus désespérée.

J'ai pensé, Messieurs, que ce court exposé de ce qui a précédé et amené notre situation présente, n'était point étranger à la discussion qui nous occupe.

Dans cet état de choses, devons-nous, dans une adresse en réponse au discours de la couronne, donner notre approbation à une alliance avec le gouvernement anglais, dans le but qu'il se propose? Telle est la question sur laquelle nous avons à délibérer. Car, s'il appartient exclusivement au gouvernement du roi de faire des traités de paix et d'alliance, le droit d'exprimer ou de ne pas exprimer notre approbation nous appartient tont aussi incontestablement.

Examinons d'abord quel peut être le but réel que se propose le gouvernement anglais. Je sais que le but apparent est de protéger, par son intervention armée, le maintien de la Charte importée du Brésil, et, dans cette hypothèse, j'ai déjà dit ce que je pensais de cette intervention; mais je dis plus, et je soutiens que tel ne peut être le but réel du gouvernement anglais.

Le gouvernement anglais ne peut se méprendre sur la conséquence nécessaire de l'établissement du gouvernement représentatif dans le portugal; il n'ignore pas que cette conséquence serait, dans un avenir peu éloigné, l'affranchissement de ce royaume du joug de la tutelle anglaise.

L'Angleterre est fière de sa liberté; elle a raison de l'être mais je doute fort qu'elle voie avec plaisir l'établissement d'autres gouvernements libres, et il serait possible que M. Canning et M. de Metternich marchassent au même but par des chemins différents.

Si le gouvernement anglais avait pour but réel l'établissement d'un gouvernement représentatif en Portugal, comment s'y serait-il opposé lorsque le roi Jean VI voulait lui en donner un ? Il est vrai que ce n'était point la constitution anglaise plus ou moins modifiée que ce bon roi voulait imposer à son peuple; c'était le rétablissement de ses ancienues franchises, appropriées à ses nouveaux besoins, qu'il voulait offrir à sa libre acceptation. C'est un fait historique, et l'ordon

nance du 5 juin 1824 en fait foi. Qui donc a pu empêcher l'effet de cette volonté royale, si ce n'est la politique anglaise ? Et si ce n'est elle, ce sera donc la nôtre; car personne n'ignore que l'Angleterre et la France étaient les seules puissances qui exerçassent alors une influence réelle sur le cabinet de Lisbonne. Si la faute en était à nous, nous serions bien coupables envers ce peuple malheureux! Faudra-t-il en accuser notre ambassadeur, qui avait alors toute la confiance du roi Jean ? Mais, outre que son noble caractère repousse tout soupçon à cet égard, il eût été rappelé par sa cour, s'il eùt agi contrairement à ses instructions. Il est bien plus naturel de penser que le gouvernement anglais n'a pas voulu que le peuple portugais fût heureux et libre sous sa permission, et qu'aujourd'hui encore, c'est moins la liberté qu'il lui apporte, que la guerre civile. Il a à venger le renvoi de lord Beresford et les tentatives faites en dernier lieu par cette nation pour se soustraire à sa domination.

Mais ne vous y trompez pas; ce n'est pas seulement cette partie de la Péninsule qu'il a vouée au désordre et à l'anarchie, c'est la Péninsule entière. Le journal du ministère anglais, Le Sun, ne vous laisse aucun doute à cet égard. Le gouvernement espagnol a atteint, dit-il, le terme de son existence, il faut que finalement l'Espagne soit sacrifiée, et M. Canning lui-mème ne sépare pas l'Espagne du Portugal, dans ce qu'il appelle les bornes étroites où la nouvelle guerre peut s'allumer.

Et voilà, Messieurs, les projets auxquels nous allons prêter secours et assistance; voilà l'alliance à laquelle nous allons sacrifier la monarchie de Philippe V, les liens du sang, le pacte de fainille! Eh! pourrions-nous en trop faire pour ces bons alliés qui se vantent, eu plein parlement, de nous avoir pris pour dupes, de nous avoir vus avec plaisir tomber dans un piège dans lequel nous nous débattons en vain, et d'où nous ne pouvons sortir avec honneur?

On nous parle de l'agression du gouvernement espagnol; parce qu'il n'a pu empêcher les émigrés portugais de rentrer armés dans leur patrie, parce que cette rentrée semblerait avoir été favorisée par quelques officiers espagnols chargés de les désarmer, et cette accusation a été répétée par M. le ministre des affaires étrangères. Mais combien de fois des bandes armées sorties du rocher de Gibraltar ont-elles tenté de porter l'insurrection en Espagne, et si elles n'ont pas été accueillies comme le sont les émigrés portugais, ce n'est pas au gouvernement anglais qu'il faut en savoir gré.

On ose parler d'agression! mais l'agresseur n'estil pas celui qui s'est vanté au parlement d'Angleterre, non d'avoir profité, dans l'intérêt de son pays, de la séparation des colonies espagnoles d'avec la métropole, mais d'être l'auteur de cette séparation, d'avoir appelé à l'existence les nouvelles républiques formées du démembrement de la puissance espagnole? Et l'on demanderait encore de quel côté est venue l'agression?

Cette agression prétendue de l'Espagne, on voudrait nous en rendre responsables; on a osé suspecter notre bonne foi, et nous avons eu à subir aux yeux de l'Europe les mépris du ministère anglais, l'ironie de ses justifications, l'arrogance de ses menaces éventuelles. Ne sommes-nous donc plus la France de Louis XIV, les soldats de Fontenoi et d'Austerlitz?

On nous propose, Messieurs, de nous associer à la politique anglaise, politique dans laquelle nous aurions pour alliés les alliés de Quiroga et de

tous les mécontents de l'Europe. Quel rôle pour la France!

Les mécontents!... Mais n'en est-il donc pas en Angleterre? Et le ministère anglais croit-il qu'un peuple d'ouvriers affamés, et cinq millions d'hommes blessés dans leurs sentiments religieux soient des sujets bien affectionnés? Croyez-moi, Messieurs, l'Eole anglais a plus d'intérêt que personne à tenir enchaînées les tempêtes dont il pourrait bien le premier éprouver les ravages; les prospérités de l'Angleterre pourraient avoir plus d'analogie qu'on ne pense avec la cour du roi des vents.

M. le ministre des affaires étrangères menace le gouvernement espagnol de lui retirer notre appui, parce qu'il aurait méprisé ses conseils, ou qu'il aurait été impuissant à les suivre. Remarquez bien cette alternative. Ainsi, parce que, à la suite de nos victoires, nous avons laissé l'Espagne livrée à l'anarchie, parce que cette anarchie s'est prolongée pendant trois années en présence de notre armée d'occupation, nous viendrions aujourd'hui punir le gouvernement espagnol de n'avoir pu empêcher quelques réunions d'émigrés portugais, favorisées par une partie de la population espagnole de rentrer armées dans leur patrie? et en punition de son impuissance, nous le livrerions sans défense aux hostilités, non du Portugal, comme le dit M. le ministre, car le Portugal et l'Espagne paraissent être parfaitement d'accord dans leur haine pour la Charte brésilienne, mais de l'Angleterre qui, après avoir allumé la guerre civile en Portugal, essaierait de la propager en Espagne ? Mais quel serait pour nous le résultat d'une semblable politique? de nous retrouver dans une situation pire que celle où nous étions il y a quatre ans, avec 300 millions de dettes de plus, également odieux aux deux partis qui divisent l'Espagne. Et s'il était permis, lorsqu'il s'agit de l'honneur de la France, de descendre à des considérations d'argent, je demanderais si, dans ces circonstances, une rupture avec l'Espagne ne serait pas un abandon des sommes qui nous sont dues pour les frais de notre armée d'occupation? Car vous ne pensez pas que vos bons alliés vous permettent de vous payer par la conquête. Non, Messieurs, dans une société pareille, le partage est déjà fait; pour eux sera le profit et pour nous la honte!

M. le ministre des affaires étrangères, d'accord avec M. Canning, s'efforce de trouver une ressemblance entière entre l'occupation de l'Espagne en 1823, par les armées françaises, et l'intervention actuelle de l'Angleterre dans les affaires du Portugal; mais la différence des positions est trop frappante pour vous échapper. En 1823, la Péninsule était en feu; le gouvernement français pouvait craindre que l'embrasement ne se communiquât à la France; il pensa qu'il était non seulement de son intérêt, mais de son devoir de l'éteindre. Ici, c'est un gouvernement qui veut, ou auquel on fait vouloir changer les lois de son pays. La nation voit avec peine cette révolution, et se soulève pour l'empêcher. C'est ici une affaire de famille et qui ne peut en rien compromettre la sûreté ou les prospérités de l'Angleterre.

lci, Messieurs, je désire que la Chambre me comprenne bien. Je ne suis rien moins que le partisan du gouvernement absolu. Je ne suis point de ceux qui croient fermement à la légitimité du Grand Turc.Je pense que partout où le despotisme et l'arbitraire règnent, il y a usurpation sur les libertés des peuples; car jamais un homme n'a consenti volontairementà devenir la propriété d'un autre, à ce que son existence, celle de sa famille, sa fortune, dépendis

sent du caprice d'un favori ou de plus bas encore. Je sais qu'avec le temps il se forme dans les nations des intérêts nouveaux auxquels il faut des garanties nouvelles, des besoins nouveaux auxquels il faut satisfaire. Je désire sincèrement que chaque peuple jouisse de la somme de libertés dont il est susceptible, mais je pense que le temps seul et des améliorations successives doivent amener des changements dans leur situation; que ce n'est point en brusquant lears idées, leurs mœurs, leurs préjugés mêmes qu'on peut opérer des changements; que ce n'est point surtout en employant la violence, et qu'il n'y a rien de plus ridicule que de vouloir contraindre un peuple à être libre malgré lui, que de prétendre qu'une même forme de gouvernement doive convenir à toutes les nations. Les lois, dit Montesquieu, doivent être tel lement propres au peuple pour lesquels elles sont faites, que c'est un grand hasard ́si celles d'une nation peuvent convenir à une autre.

Laissons, croyez-moi, le ministère anglais se faire le don Quichotte du gouvernement représentatif, et n'allons pas nous traîner à sa suite comme ce grotesque personnage dont parle le roman de Cervantes; cette allure ne nous convient pas.

C'est sans doute une fort belle conception que le gouvernement représentatif, et s'il tenait dans la pratique ce qu'il promet dans la théorie, il n'est personne qui ne fût frappé des avantages qu'il offre par-dessus tous les autres, pour le bonheur des nations. Mais, si l'observateur qui cherche à voir au fond des choses n'apercevait le plus souvent, sous ces brillants dehors, que servilité, corruption, esprit de coterie, et un énorme accroissement dans les charges publiques, ne penserait-il pas qu'une nation élevée dans d'autres idées est excusable de montrer de la répugnance pour cette forme de gouvernement, lorsque surtout elle lui est apportée par une main dont les présents doivent lui être suspects?

J'ai cependant, Messieurs, quelque plaisir à penser, quand, je vois notre ministère entrer dans une ligue pour donner des institutions au Portugal qui n'en veut pas, qu'il ne refusera plus de donner à la France celles qu'elle réclame depuis si longtemps, et surtout qu'il ne songera plus à restreindre les libertés que nous possédons encore. Ce serait, en vérité, porter trop loin l'esprit de contradiction.

Je n'ai plus qu'une observation à faire à la Chambre. La modération est une qualité très louable, mais, portée à l'excès, elle peut recevoir un autre nom. Nous nous permettons quelquefois d'adresser à nos ministres, avec les égards convenables, des vérités qui ne leur plaisent pas toujours; mais nous ne devons pas endurer qu'ils soient traduits à la barre du parlement britannique pour s'y voir traiter avec aussi peu de ménagement par les ministres anglais. Quelle que soit, sur d'autres matières, la diversité de nos opinions, nous n'en aurons jamais qu'une quand il s'agira de l'honneur national.

Je pense que nous devons prendre dans l'adresse un ton d'autant plus haut qu'on cherche à nous déprimer davantage, et je demande qu'elle soit renvoyée à la commission pour y être soumise à une nouvelle rédaction.

M. Agier (1). Messieurs, jamais session ne

(1) Le discours de M. Agier n'a pas été inséré au Moniteur; nous l'empruntons au Journal des Débats du 28 décembre 1826.

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