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s'ouvrit dans des circonstance plus graves, plus imposantes. Jamais il n'y eut obligation plus impérieuse de faire connaître, de faire entendre toute la vérité.

Des lois importantes nous serons proposées. Quelques-unes sont nécessaires; quelques autres seront utiles, tutélaires, si elles sont rédigées suivant l'esprit et les besoins des peuples, si elles prennent leur source et leur base dans l'amour du roi pour ses sujets, dans le dévouement des sujets pour le roi.

Mais avant de nous livrer à ces hautes discussions, il en est une d'un ordre bien plus élevé encore, que les événements ont tout à coup suscitée, et dans laquelle l'égoïsme, l'indifférence pourraient seuls garder le silence.

Je n'entends point parler ici de la bonté ou des défectuosités de la Charte du Portugal, de l'héroïsme ou de la folie du marquis de Chaves, de la légitimité de Don Pedro ou de celle de Don Miguel. Nous ne sommes point juges de ce grand procès, dont toutes les pièces ne sont pas d'ailleurs sous nos yeux.

Mais il s'agit d'une légitimité bien autrement importante pour nous, de la légitimité des Bourbons qui est visiblement menacée dans l'avenir, et dans le présent même. Il s'agit par conséquent de notre Charte, qui est aussi menacée; car les Bourbons, qui nous ont donné la Charte, et la Charte qui défend les Bourbons, sont inséparables, et, à ce compte, la bonne foi devrait faire rencontrer sur le même terrain tous ceux qui veulent sincèrement la Charte et les Bourbons, tous ceux qui veulent sincèrement la gloire et la prospérité de la France. A ce compte, on ne doit point attribuer à de la répugnance pour les gouvernements constitutionnels, la répugnance qu'éprouve tout vrai Français à être à la suite des Anglais. A ce compte, la question de savoir si on approuve ou si on blâme la Charte du Portugal, et la question de savoir s'il faut approuver ou blâmer ce que veut ou ne veut pas l'Angleterre, sont deux choses tout à fait distinctes, tout à fait différentes.

La première question, que nous n'avons ni à examiner ni à décider, on ne saurait trop le répéter, ne nous intéresse point, ou ne nous intéresse que très indirectement. Chacun peut avoir son opinion sur ce sujet. Les uns peuvent croire que le gouvernement constitutionnel sera favorable aux Portugais; d'autres peuvent penser qu'ils se trouveraient mieux d'un gouvernement plus analogue à leurs anciennes Cortés et à leurs mœurs actuelles. Ceux-ci peuvent imaginer que la Charte qu'on leur donne, ou qu'on leur impose, comme on voudra, n'est pas encore assez républicaine; ceux-là qu'elle n'est pas encore assez monarchique.

Tous ces débats ne nous intéressent que pour nous faire mieux sentir le prix de celle que nous avons; car, sans elle, grand Dieu! que deviendrions-nous? que deviendraient la monarchie, le pays, au train dont on nous mène?

Mais ce qu'il nous importe de savoir, c'est si, dans l'esprit du gouvernement anglais, l'amour des peuples entre pour quelque chose dans son amour des Chartes; et si c'est pour le plus grand bien du peuple portugais qu'il tient tant à celle qui est aujourd'hui la cause ou le prétexte de tant de troubles?

Pour décider cette question, il suffit de rappeler le passé qu'on oublie si vite; et, si ma mémoire ne m'est point infidèle, ces mêmes Anglais qui s'agitent maintenant si violemment

pour donner au Portugal un gouvernement constitutionnel, ne se seraient pas agités moins violemment naguère pour lui donner un gouvernement absolu. Et cependant, au moment même où s'ourdissait une trame odieuse, le roi si paternel du Portugal méditait, préparait pour ses peuples une loi qui pût répondre à leurs vœux et satisfaire à leurs besoins! Et cependant un honorable diplomate, suivant que je l'ai entendu dire, et par lui-même et par des Portugais de distinction, écrivait dès lors au gouvernement français ces paroles, que les événements actuels rendent si remarquables:

« Si on n'aide pas le roi de Portugal dans son dessein de donner à ses peuples une loi monarchique, avant dix-huit mois, on verra à Lisbonne une charte républicaine donnée par D. Pédro, et des habits rouges pour la soutenir! »>

Et, comme je connais les sentiments généreux de ce diplomate, et ceux du noble ministre qui dirigeait alors les affaires étrangères, je ne puis croire que les obstacles à l'accomplissement des desseins de Jean VI soient provenus ni de l'un, ni de l'autre.

Enfin, M. Canning a parlé en ministre anglais, et son pays a applaudi. Rien de plus naturel que de voir une nation applaudir à des ministres qui parlent et agissent dans l'intérêt de sa gloire. Mais applaudirons-nous aussi? La France répondra par notre voix que, loin d'applaudir, elle est indignée!

Cependant un ministre français est venu répéter, fortifier même les accusations du ministre anglais contre le roi d'Espagne (M. le ministre des finances ne les a point diminuées dans cette séance); et c'est ici que l'étonnement devient inexprimable quand on considère le caractère loyal du ministre accusateur; car le roi d'Espagne n'a cessé, ne cesse de déclarer qu'il n'est pour rien dans l'entreprise du marquis de Chaves, et nous nous trouvons entre un ministre qui affirme et un roi qui nie. Mais tout de suite, comme pour nous soulager de cette pénible position, c'est du pays même d'où est partie l'accusation, que part la défense; c'est un général en chef, pair d'Angleterre, qui montre au ministre pair de France l'imprudente précipitation de son assertion. Qui, en effet, n'a lu ces paroles du noble duc de Wellington: Qu'on ne se hâte pas d'accuser le roi d'Espagne; son malheureux pays est livré à l'anarchie la plus complète, et il n'a peut-être pas été maître de ses capitaines, de ses gouverneurs de province. »

Le pays est livré à l'anarchie la plus complète! Par la faute de qui? Est-ce dans cet état que le Dauphin de France l'a remis au ministère?'

Le roi n'est pas maître de ses capitaines, de ses gouverneurs! Il n'est donc pas rétabli sur son trône? M. le Dauphin l'avait pourtant délivré de sa captivité de Cadix.

Pourquoi alors ces millions jetés en Espagne? Pourquoi, ce qui est plus précieux encore, ce sang versé de nos soldats? cette modération du prince dans la victoire? ces succès de la bravoure? ces triomphes de la discipline? Pourquoi tout cela? Pour voir la France placée entre la honte d'une retraite et le danger d'une guerre!

Certes toute hostilité sans motifs de notre part serait plus qu'une imprudence; certes, nous devons prendre soin des intérêts du commerce français; mais entre ces intérêts et ceux de notre gloire, il n'y aurait pas à hésiter, et les négociants français eux-mêmes n'hésiteraient pas. Mais les nations seules qui sont préparées à la

guerre se montrent vraiment désireuses de la paix, et sont certaines de la conserver.

Que les ministres ouvrent donc enfin et franchement les yeux sur notre position, sur la leur. Après les victoires de M. le Dauphin, un instant ils ont pu diriger la politique européenne. Cet instant est déjà loin de nous. Mais si nous ne sommes plus en position de donner une direction, au moins, soyons assez forts pour ne recevoir dé lois de personne!

Quant à nous, Messieurs, sachons conquérir la considération en sachant faire entendre la vérité. Que nos paroles soient fermes et énergiques, comme celles échappées de l'âme royale et française qui semblait pressentir la jactance de l'étranger. Certes, demandons au roi la répression de la licence, mais en même temps la conservation des libertés publiques; car elles deviennent plus nécessaires, plus salutaires encore, ces libertés, lorsque la gloire du monarque veut qu'il se confie entièrement à son peuple, et lorsque son peuple ne peut et ne veut trouver la sienne que dans son dévouement à son roi.

M. le vicomte de Martignac dit que la question suscitée par les événements est grave, car il s'agit de la légitimité des Bourbons visiblement menacée dans l'avenir et par conséquent de notre Charte qui est aussi menacée.

Après avoir tracé le tableau de la situation du Portugal et laissé toute liberté aux diverses opinions qui se manifestent sur sa constitution, l'orateur s'attache à faire sentir qu'il nous importe surtout de savoir si c'est pour le bien du Portugal que l'Angleterre vient y soutenir à main armée la constitution de Dom Pédro. Pour résoudre cette question, il demande comment les Anglais, si ardents aujourd'hui, ont été si froids lorsque le roi Jean voulait lui-même octroyer une Charte à son peuple; cette circonstance lui rappelle un mot de ce roi adressé à notre ambassadeur, dans lequel Jean VI exprimait la crainte qu'à sa mort il ne vint une constitution du Brésil avec des bataillons rouges pour la soutenir. Enfin, il remarque que ces mêmes Anglais qui veulent aujourd'hui imposer une constitution au Portugal ne furent peut-être pas étrangers aux armes remises à un prince sans expérience, pour combattre son propre père à l'époque où ce père voulait faire don à son peuple d'une constitution monarchique et constitutionnelle. De ces faits connus de toute l'Europe, l'orateur conclut que la conduite du ministère anglais est le résultat, non de son amour pour la Charte, mais du désir qu'il a d'introduire la guerre civile d'abord en Portugal, puis en Espagne et dans la France même. Ce sont des colonies et non des Chartes que veulent les Anglais. Prêts à voir tomber leur puissance dans les Indes, ils songent à se préparer d'autres ressources, et ils tentent, dans ce but de détruire le pacte de famille qui unit les rois du continent.

Ici, l'orateur analyse le discours de M. Canning et la réponse de M. le ministre des affaires étrangères. Le roi d'Espagne ne cesse de déclarer qu'il n'est pour rien dans la révolte du marquis de Chaves et la France se trouve ainsi entre un ministre qui affirme et un roi qui nie.

Revenant aux motifs de la guerre d'Espagne, l'orateur s'attache à faire sentir qu'elle n'a aucun rapport avec ce qui se passe aujourd'hui en Portugal. En effet, la France n'avait pas pour but d'imposer une constitution à l'Espagne, mais de servir son roi. Il termine en disant que l'adresse,

en ce qui regarde le Portugal, n'ayant pas l'énergie nécessaire pour repousser les injures faites à la France, il demande qu'elle soit renvoyée à la commission.

M. Hyde de Neuville dit qu'il doit à la Chambre une explication sur le mot du roi Jean, cité par le préopinant. Il ne croit pas que tout ce qu'il a pu dire sur le Portugal où il a eu l'honneur de représenter le roi de France, doive être publié; car, comme diplomate, il ne lui est jamais arrivé de répéter les instructions qui lui étaient données, mais il a pu répéter ce qui avait été dit publiquement par le roi.

Tout le monde sait que Jean VI, le plus sage des hommes et le plus malheureux, n'a jamais cessé de vouloir donner des institutions à son peuple et qu'il désirait même de le faire jouir de tous les avantages de la charte française. Le not rapporté par le préopinant est très vrai et ce bon roi avait prévu qu'à sa mort, il viendrait une constitution du Brésil et que cette constitution serait appuyée par des habits rouges.

L'orateur termine en se félicitant d'avoir trouvé cette occasion de payer un tribut de respect à un roi dont la sagesse ne se montre que trop aujourd'hui.

M. le général Sébastiani (1). Messieurs, lorsqu'à l'annonce d'une troupe de factieux, sous la conduite des Chaves et des Silveira, rentrait en Portugal pour y intervertir l'ordre de successibilité à la couronne, et y proclamer la déchéance d'un roi, l'Angleterre s'empressait d'accourir à la défense de son plus ancien allié, nous nous demandions tous avec anxiété quel parti suivrait le gouvernement en de si graves conjonctures, et le commerce et l'industrie avaient déjà pris l'alarme, se croyant autorisés par cet appel à l'honneur français qui termine le discours du trône, à expliquer dans le sens le moins pacifique le vague des expressions du ministère sur le choix de ses alliés. Mais aujourd'hui des paroles plus rassurantes sont venues dissiper ces inquiétudes, et, pour la première fois peut-être, les ministres du roi ont suivi une marche constitutionnelle en plaçant sous les yeux de la Chambre des pairs et de la nation des documents qui auraient dù être plus complets, mais qui cependant sont capables de nous faire apprécier leur politique. Pour la première fois aussi, nous avons à donner une pleine et entière adhésion aux mesures qu'ils ont prises, de concert avec la Grande-Bretagne, pour prévenir toute injuste agression de l'Espagne contre le Portugal, dont nous avons, avec les principales puissances de l'Europe, reconnu la charte, don d'une main royale. Il reste cependant, Messieurs, quelques points obscurs à éclaircir; il nous reste surtout à savoir quel genre de garanties on doit demander à l'Espagne pour que désormais elle ne trouble plus ses voisins dans la paisible jouissance de cette liberté que leur a si noblement départi la sagesse éclairée du

trône.

Le gouvernement du roi n'ayant pu, dit-on, rester indifférent à des événements qui faisaient éclater d'une manière si évidente, ou le mépris de ses conseils, ou l'impuissance de les suivre, a dù témoigner sur-le-champ à l'Espagne sa dés

(1) Le discours de M. le général Sébastiani n'a pas été inséré au Moniteur. Nous l'empruntons au Constitutionnel du 28 décembre 1826.

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approbation en rappelant de Madrid son ambassadeur. Pourquoi alors laisser cet ambassadeur sous le poids de l'accusation portée contre lui par le ministre portugais? Pourquoi ne pas dire qu'il a fidèlement suivi ses instructions, et qu'il n'est entré dans aucune menée capable de nous compromettre avec le Portugal, et par là avec ses alliés? L'honneur national s'indigne de tout soupçon qui pourrait porter atteinte à la loyauté de nos relations diplomatiques, et ce sentiment me force à provoquer des explications. Je les provoque parce qu'il faut que la vérité soit connue et que, d'après la nature des révélations, la responsabilité ministérielle pouvant se trouver engagée, il serait alors de la dignité de la Chambre d'examiner si elle n'a point à user du droit dont l'investit notre pacte fondamental.

Messieurs, vous voyez aujourd'hui les funestes conséquences du système erroné et dangereux de l'intervention. L'Autriche intervient à Naples et en Piémont, nous intervenons en Espagne, l'Espagne intervient en Portugal. Ainsi, sous ce masque trompeur, peuvent se déguiser des projets d'usurpation et de conquête, ou se prolonger l'occupation indéfinie et la possession armée d'un pays. Notre invasion de la Péninsule, à qui at-elle été profitable? A l'Espagne? mais elle n'a fait qu'accroître les fléaux qui la désolent, et sous lesquels elle doit succomber. Là, Messieurs, des populations égarées confondent dans un cri féroce la sainte inquisition et le roi absolu; là reparaît ce tribunal redoutable qui, au nom d'un Dieu de paix, ordonnait les massacres et allumait la flamme des bûchers. Triste pays que la Providence semble avoir destiné à éclairer le monde sur les déplorables résultats d'un despotisme sans frein, marchant sous l'escorte de la superstition et du fanatisme! Mais cette leçon qui sort comme du milieu des ruines est un bien inaperçu des prévisions du ministère français; ces ruines mêmes sont son ouvrage et l'accusent, puisque c'est à la révocation de l'ordonnance d'Audujar, fruit heureux d'un principe funeste, qu'il faut les attribuer. Oui, Messieurs, je le dis avec pleine conviction, de cette révocation fatale datent les pillages, les proscriptions, les meurtres; de là, les menées des apostoliques et le séditieux royalisme des volontaires; de là, tous ces brusques changements, ces disgrâces soudaines, ces faveurs suivies de l'exil, devant lesquels se retire même une incorrigible fidélité; de là, la dégradation du pouvoir royal, le trône placé dans les cloîtres, et le cordon des Cyrille substitué au sceptre; et si même en ce moment la tranquillité de l'Europe est compromise, si des révoltés portugais sont rentrés, le fer à la main, dans leur patrie pour y sacrifier la légitimité à l'absolutisme, n'en doutez point, tous ces malheurs, tous ces crimes ont pris naissance et s'enchaînent du jour de cette révocation.

Mais cette occupation a-t-elle été du moins avantageuse à la France? Messieurs, vous avez entendu l'homme d'Etat qui dirige les affaires étrangères d'une grande puissance voisine, se charger de nous apprendre que, si par amour pour la paix il n'avait pas voulu s'opposer à notre invasion de la Péninsule, il s'était attaché à la rendre inutile, préjudiciable, à la transformer pour nous en un fardeau ingrat et onéreux. J'ignore si ce ministre a poussé aussi loin la prévision et le calcul dans ses combinaisons politiques; mais vous n'ignorez pas, mais la France entière sait avec vous, que les tristes présages de l'opposition à ce sujet ne se sont que

T. XLIX.

trop malheureusement accomplis. Il est temps enfin de placer l'Espagne dans l'heureuse impuissance de se nuire à elle-même ou de nuire à ses alliés, en la délivrant du joug des apostoliques, ces jacobins de l'école actuelle, qui l'entraînent dans des voies de perdition, et en la conduisant à l'établissement d'institutions sages qui, affermissant le pouvoir légitime et la liberté des peuples, nous garantissent du retour des mêmes fautes, devenues peut-être alors irréparables. Les partisans de cet ordre d'idées, qui admet le principe de l'intervention, ont, moins que d'autres, le droit de repousser ces conseils; mais ce n'est point à des promesses vaines, cent fois renouvelées et cent fois enfreintes, qu'il faut se borner; on ne peut attendre que d'un régime fixe et durable la préservation des dangers qu'a fait planer sur l'Espagne la turbulence frénétique d'un gouvernement qui, jusqu'ici, n'a montré de persistance que dans le mal; et lorsque tout annonce que ce gouvernement a tenté de nous entraîner dans une nouvelle guerre, il y aurait imprévoyance de notre part à ne pas en exiger les assurances solennelles, positives, contre le retour de semblables hasards.

Messieurs, de l'Espagne à la Turquie, la transition est si naturelle, que c'est à peine changer de pays. Constantinople n'est plus un gouvernement; il est devenu un execrable champ de carnage. La férocité musulmane se dévore elle-même, et les mers qui ont reçu les cadavres du patriarche Grégoire et de tant d'autres victimes, roulent maintenant dans leurs flots les têtes sanglantes de quinze mille Ottomans.

On se demande, dans le discours de la couronne, d'où vient cette inconcevable prétérition de la Grèce. Ah! lorsque tout ce qui porte un cœur d'homme ne demande, comme on l'a si bien dit, qu'à aller vaincre sur les champs de bataille de Miltiade, ou mourir sur le tombeau de Léonidas, on ne saurait trop blâmer cet impitoyable silence du ministère. En Orient, Messieurs, toute notre politique consiste à sacrifier la Grèce à la Turquie, et la Turquie aux Russes. Cependant on annonce hautement (et c'est encore ici l'Angleterre qui prend l'initiative) la création d'un hospodarat tributaire qui ne comprendrait que le Péloponèse et les îles affranchies de la mer Egée. Que deviendraient, dans ce cas, les populations chrétiennes de la Mégaride, de l'Attique, de la Béotie, de la Phocide, des deux Locrides, de l'Etolie? Sont-elles destinées à quitter leurs foyers domestiques pour aller se parquer dans la Morée, ou à tendre, dans le sein de leurs pénates, leurs têtes dévouées à l'inexorable cimeterre des musulmans? Qui repeuplerait, en cas de fuite, cette terre veuve de ses habitants? Veuton aider les Turcs à créer au loin des déserts? Et, dans cet hospodorat même que ferait-on des places fortes qui s'y trouvent? Coron, Modon, Navarin, Patras, seraient-ils livrés aux Grecs ou conservés à la Turquie? Toutes questions indécises, difficiles, insolubles dans ce système.

Messieurs, il n'en est qu'un de raisonnable et c'est celui que je vous proposais l'année dernière, lorsqu'au nom de la religion et de l'humanité, j'insistais sur la formation d'un état indépendant entre l'Asie et l'Europe, qui, composé des provinces que la Turquie possède dans cette dernière contrée, assurerait, en posant des limites à la Russie, la tranquillité des Etats qu'elle menace; aux Grecs, qui sont les véritables habitants de ce vaste et beau pays, aux Grecs seuls en appartiennent l'administration et le gouverne

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ment; les Turcs n'y sont que campés, il est temps qu'ils ploient leurs tentes et repassent pour toujours en Asie. Tous les cabinets de l'Europe, préoccupés de la pensée de fermer le Bosphore aux armées russes, ont obligé la Turquie d'accéder à l'ultimatum d'Ackermann, qui accorde au colosse du nord, sous le nom de haute protection, l'inféodation des provinces de la Moldavie, de la Valachie, de la Servie, boulevards naturels de Constantinople.

Mais a-t-on oublié le sort de la Pologne? N'est-ce pas sous le protectorat russe que cette barrière de l'occident de l'Europe a été renversée, qu'elle a perdu son existence et un nom indépendant? Etrange destinée de la Russie d'entendre partout vanter sa modération au moment même où elle obtient, pour le présent et surtout pour l'avenir, d'incalculables avantages; au moment où, forcée, par une imprudente agression, de porter une partie de ses forces sur l'Araxe, elle franchit ce fleuve, menace Erivan et Tauris, exécute enfin son projet de compléter sur la mer Caspienne la ligne du Phase qu'elle a déjà obtenue sur le Pont-Euxin, et va mettre à sa merci la Perse et l'Asie-Mineure! On espère en vain garantir l'Orient en rajeunissant, dans le sang des janissaires, et à l'aide d'une armée permanente, disciplinée suivant la tactique européenne, les membres épars de la vieille monarchie d'Orcan. Si l'on ne peut contester à Mahmoud la main de fer et l'impassible férocité de Pierre le Grand, cette main n'a pas préludé dans les chantiers de Saardam à la destruction des strélitz, et ce n'est pas de l'enceinte obscure d'un sérail que le génie de Pierre se leva sur sa nation. Les doctrines mêmes de l'islamisme s'opposent à toute pensée de régénération sociale, et il y a dans le caractère ottoman je ne sais quoi de fatal qui tient de la destinée, et qui est inflexible et irréformable comme elle. La Grèce seule eût pu de ce côté rassurer notre avenir contre les gigantesques accroissements de la Russie; la Grèce qui, avilie, dégradée par quatre siècles d'esclavage, étonne la terre depuis six ans, par le glorieux spectacle d'une population de huit cent mille âmes luttant contre les forces encore redoutables d'un empire de vingt millions d'habitants.

Messieurs, deux colosses de puissance, l'Angleterre et la Russie, se partagent aujourd'hui le monde; mais il restait au gouvernement français un assez beau rôle, c'était celui de se porter défenseur de l'indépendance de tous les peuples, en jetant avec le Nouveau-Monde les bases d'une alliance maritime, et en resserrant les nœuds d'une alliance continentale avec les Pays-Bas, la Bavière, le Wurtemberg; enfin, avec tous les membres du grand corps germanique. Un pareil but pouvait être hautement avoué, parce que la nation qui en aurait conçu la pensée, étrangère pour elle-même à toute idée d'agrandissement, eût assis sur la justiçe et sur l'intérêt de tous les fondements de sa politique. Mais que nous sommes éloignés de tout système de prévoyance et d'avenir, nous dont la marche changeante et capricieuse, au lieu de s'appuyer sur la base assurée de l'opinion publique, ne se dirige que d'après des influences nobiliaires et surtout sacerdotales.

Aussi, quand nous aurions pu, selon la belle expression de M. Canning, donner l'existence à un nouveau monde en suivant, en précédant même l'acte de reconnaissance de l'Angleterre, nous nous contentons d'y envoyer de simples agents commerciaux; quand la Grèce à genoux

a imploré notre secours, nous avons repoussé sa prière et refusé de la relever. Un caractère de faiblesse et de nullité s'empreint ainsi dans toutes nos relations diplomatiques; on dirait que le gouvernement, tombé en tutelle, ne peut faire un pas sans autorisation. Voyez l'empire britannique, attend-il, pour agir, le bon plaisir de personne? Est-ce à nous à craindre d'imiter son indépendance; nous, porteurs naguère de volontés toutes-puissantes; nous, les dominateurs de l'Europe! Cette France, si fière, si active, si belliqueuse, serait-elle donc destinée à ne plus assister que comme étrangère, par hospitalité, par courtoisie, à ces grands débats où s'agite le sort du monde? Messieurs, une telle humiliation n'est pas faite pour ce pays. Le langage élevé et puissant du ministre britannique, dans lequel des hommes dont j'honore le caractère, ont cru voir un ton de hauteur voisin de l'insulte, ne s'adresse pas à la France, qui a tenu si longtemps le spectre des nations; c'est au ministère qu'il s'adresse lorsqu'il déclare que, pour allumer en Europe une effroyable conflagration, il n'aurait qu'à rallier à la cause de l'Angleterre le mécontentement des peuples. Tels sont, Messieurs, les résultats d'un système qui met en désaccord le gouvernement et la société; la force n'est que dans leur concert; elle n'est que là où le gouvernement est le plus zélé défenseur des institutions nationales. Censeur loyal et inébranlable de tous les actes qui porteraient quelque atteinte à nos libertés, je suis d'autant plus autorisé à tenir aux ministres ce langage sévère, qu'au moment où l'honneur national serait compromis, je ne balancerais pas à voler à la défense des intérêts de la gloire et de la patrie. Qu'au lieu donc de se plaindre d'un discours qui ne fait que révéler le secret d'une position connue aujourd'hui de tous, on s'attache à en détruire la cause; elle est toute dans la marche fausse, impopulaire, antinationale de notre politique intérieure.

Je vais maintenant répondre aux discours de M. le président du conseil et de notre honorable collègue M. de Martignac. M. le président du conseil s'est enveloppé de tant de réserve, que ce n'est pas une extrême difficulté que j'ai pu saisir l'ensemble et la direction de sa pensée. J'ai dû m'étonner qu'il nous ait parlé de l'alliance des cinq grandes puissances comme encore existante, comme agissant ensemble dans la discussion et la conduite des affaires politiques en Europe.

La Sainte-Alliance serait donc recomposée, puisque c'est de concert avec elle que toutes les négociations se dirigeraient à Madrid?

M. le président du conseil serait donc encore dans cette alliance! Ce n'est pas là ce qui m'étonnerait; mais voudrait-il nous faire entendre que l'Angleterre elle-même y est rentrée? Certes, tel n'est pas l'esprit du discours de M. Canning, ni de ceux de M. Peel et de lord Bathurst. Qu'est donc devenue cette alliance avec l'Angleterre dont le discours de M. de Damas a semblé révéler le secret? M. le président a fait résulter toutes les assurances de paix qui doivent calmer nos inquiétudes de l'accord inaltérable de ces puis

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l'appel de son roi pour venger l'honneur national.

seule place de Cadix, et que nous occupons toutes | impunément la France; elle répondra toujours à
ses forteresses. M. le ministre des finances me
permettra d'être moins satisfait que lui de notre
situation dans un pays où l'on méprise nos con-
seils, où l'on est du moins dans l'impuissance de
les suivre. Le discours de M. le ministre des
affaires étrangères à la Chambre des pairs est
clair et précis le résultat de l'invasion, de tant
de dépenses, de tant de sacrifices, nous est main-
tenant connu. Et où pourrons-nous espérer dé-
sormais exercer quelque influence si l'Espagne,
qui ne vit que de notre appui; si l'Espagne dont
nous occupons toutes les places fortes, nous mé-
prise et ne fait aucun cas de nos avis? Et l'on
nous vantera encore les avantages de l'alliance
avec ce pays, la puissance des relations de fa-
mille des deux dynasties! Mais on me répondra
que la cour de Madrid s'est trouvée dans l'impos-
sibilité de suivre nos conseils.

Ainsi, après quatre ans de paix, d'occupation, la France n'a pu imprimer à Madrid une direction assez sage pour établir un gouvernement libre dans ses mouvements et dans ses actions; les désordres, les divisions le déchirent et l'affaiblissent au point qu'il ne peut faire ce qu'il désire, qu'il ne peut respecter ses voisins, maintenir l'état de paix, Les apostoliques séditieux le dominent avec tant d'empire! Et plût au ciel que leur influence ne se fit pas sentir à Paris, et n'affaiblit pas la force et la volonté du ministère lui-même! Mais ne nous occupons maintenant que de l'Espagne et de nos rapports avec elle. Au moment où je parle, on fait à Madrid un traité de paix avec le Portugal, et par quelle influence; par quel intermédiaire? par l'intermédiaire, par l'influence du ministre russe. Le cabinet de Saint-Pétersbourg est plus puissant à Madrid que nous. La France est à présent en état de juger l'habileté de nos ministrés dans la conduite de nos affaires extérieures.

M. de Martignac, remontant à la situation de P'Espagne, à l'époque qui précéda l'invasion, s'est attaché à nous développer, avec son talent accoutumé, la nécessité d'intervenir dans les affaires intérieures d'un Etat voisin dont les bouleversements menaçaient la France elle-même. Get argument n'est pas nouveau; c'est celui dont se servirent les ministres et tous ceux qui appuyèrent l'intervention, dont les funestes effets me paraissent aujourd'hui devoir faire apprécier le principe. Qui peut ne pas être frappé de ses dangers et de ses conséquences?

Par ce système, vous vous croiriez donc autorisés à intervenir en Belgique, en Bavière, à Bade, en Prusse? Mais non; vous avez un autre système pour cette dernière puissance, c'est celui de pousser la timidité jusqu'à en souffrir les offenses les plus graves. Deux villages, dans la délimitation de nos frontières, étaient encore en discussion, et pouvaient fournir matière à de longs débats. La Prusse, fatiguée apparemment des lenteurs de la négociation, a tranché la difficulté en les occupant militairement. Nous avons envoyé quelques compagnies d'infanterie dans les villages voisins pour être spectatrices, pour ainsi dire, d'un pareil acte de violence! Il fallait repousser la force par la force et montrer qu'avec la France, de pareils actes sont de faibles arguments. Il faut accomplir tous les devoirs d'un bon voisinage, il faut montrer des égards pour toutes les puissances voisines ou éloignées; mais lorsqu'elles s'écartent des égards qu'elles nous doivent à leur tour, il faut développer cette énergie qui commande le respect. On n'insulte pas

M. de Villèle, président du conseil, justifie le gouvernement de n'avoir pas eu assez d'influence sur l'Espagne, en rappelant ce qui s'est passé sous Louis XIV et sous le dernier gouvernement. A aucune époque, le peuple espagnol n'a été docile aux conseils. Le ministre pense que la vérité aura plus d'influence sur la Chambre que de simples assertions et qu'elle rendra hommage à la manière dont a été dirigée la campagne de 1823 et à la manière dont les affaires depuis cette époque ont été conduites, puisque la seule action du roi de France, la seule force qu'il pouvait déployer en donnant des conseils était de dire : Je vous retirerai mes troupes si vous continuez à agir contre vos propres intérêts. »

Quant à l'affaire des deux villages en discussion sur les frontière de la Prusse, les faits avancés ne sont pas exacts, puisque les villages, jusqu'à ce jour, avaient toujours été occupés par la Prusse, et que la France n'avait autre chose à faire qu'à attendre la fin des discussions diplomatiques ouvertes à ce sujet.

La suite de la discussion est renvoyée à demain.

La séance est levée à sept heures.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
PRÉSIDENCE DE M. RAVEZ.

Comité secret du mercredi 27 décembre 1826 (1).

Le procès-verbal de la séance en comité secret, du 26 décembre, est lu et adopté.

L'ordre du jour est la suite de la discussion du projet d'adresse en réponse au discours du trône.

M. de Bouville dit qu'il adhérerait au projet d'adresse présenté par la commission, si, depuis le moment où le discours du roi a été prononcé, il n'était survenu un nouveau document, qui est le discours du ministre des affaires étrangères, qu'on peut regarder comme un commentaire dé celui du roi, en ce qu'au lieu du terme générique d'alliés qui semblait indiquer l'Espagne et les puissances continentales, le ministre a nommé ou du moins désigné l'Angleterre et accusé l'Espagne; il y a plus, une espèce d'hostilité a eu lieu de la part de la France envers cette puissance, par le rappel de notre ambassadeur. Ainsi nous lui retirons notre appui et nos conseils, au moment où ils lui seraient le plus nécessaires et où elle en connaîtrait mieux le prix; nous la laissons, pour ainsi dire, aux prises avec une puissance qu'elle ne peut regarder comme amie et que l'orateur est aussi surpris qu'affligé d'entendre nommer l'alliée de la France. Un ministre a dit hier que cette alliance n'était que celle des cinq grandes puissances, mais l'Angleterre s'est visiblement détachée de cette alliance sous le ministère de M. Canning, soit par la manière dont elle s'est expliquée sur la grande et noble mission remplie par la France en 1823, soit parce

(1). Ce comité secret est inédit.

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