Page images
PDF
EPUB

rendu avant la Restauration. On sait qu'à cette époque il y avait beaucoup de précautions à prendre contre les placards et les affiches. Mais depuis, la police s'est avisée de se croire propriétaire de nos murailles et d'en disposer arbitrairement.

La sûreté publique réclame à cet égard un règlement de police. Vous allez juger, par un seul fait, combien cela est intéressant. On a publié un ouvrage, qui ne périra pas, d'un de nos collègues dont nous déplorons la perte, de l'illustre général Foy. Eh bien! jamais la police n'a permis qu'on annonçât sur les murs de Paris l'ouvrage du gé néral Foy.

M. Dupont (de l'Eure). Comment! est-il possible !.....

M. Méchin. On ne l'a pas permis,

Il me suffit d'avoir indiqué la nécessité d'un règlement à cet égard: ce n'est pas à moi à le proposer; mais il me semble qu'il doit être appuyé sur une loi, et fait de manière à ce que le préfet de police ne regarde pas nos murailles comme les siennes, et qu'il n'en dispose pas arbitrairement pour la publicité.

Je ne vois pas non plus la nécessité d'ajouter les mots non raisonnés au mot catalogues; car il me paraît bien difficile qu'un libraire publie un catalogue sans l'accompagner de notes et d'observations.

M. Dudon. La commission avait l'intention de comprendre dans le paragraphe les avis et affiches dont la publication aura été permise par l'autorité municipale; c'est par une erreur d'impression que ces mots ont été omis.

M. de Cambon. J'ai d'abord eu de la peine à me rendre compte des motifs de la déclaration de guerre intentée par M. Sirieys aux almanachs. J'avoue que je croyais ces petits livres parfaitement inoffensifs; mais en cherchant ce motif, j'ai cru l'apercevoir. Effectivement, on peut trouver dans l'Almanach royal l'indication des fonctions dont sont revêtues telles ou telles personnes, et sans doute a-t-on pensé que ce serait là un sujet de libelle. Vous savez que déjà on a fait un crime à un journal d'avoir accollé au nom de certain individu, la place qu'il exerce ou qu'il avait exercée. Je ne crois pas que cette considération soit suffisante; à moins que le ministère n'avoue, en adoptant cet amendement, que l'objet du dépôt est de supprimer les ouvrages déposés. Comme je ne pense pas que l'on fasse cet aveu, je ne vois pas l'utilité de l'amendement. Nous avons, sous le nom d'almanachs, une foule d'ouvrages fort utiles, tels que l'Almanach des longitudes, l'Almanach du bon jardinier.... (On rit.) Je vote le rejet de l'amendement.

M. de Peyronnet, garde des sceaux. Messieurs, j'ai à vous soumettre une observation que je crois importante et qui n'a pas encore été aperçue dans le cours de la discussion sur l'alinéa que nous discutons.

Il me semble que la commision a commis une véritable méprise dans l'addition qu'elle a proposée à cet alinéa. Si nous ne nous trompons pas, elle a voulu satisfaire à des réclamations justes en elles-mêmes, et qui lui avaient été adressées par des imprimeurs et des libraires; elle a voulu empêcher l'espèce de dommage que ceux-ci pourraient éprouver dans les cas qu'ils avaient désignés par leurs pétitions.

Messieurs, en quoi peut consister ce dommage? Il ne peut résulter que de l'omission qu'on aurait faite de l'exception réclamée pour eux par le gouvernement dans l'article 5 du projet. En effet, les libraires disaient, et je crois avec fondement, que si on n'exceptait pas les catalogues et les prospectus de l'obligation de payer le timbre, on leur imposerait une charge qui nuirait considérablement à leur industrie et à leur commerce. Cette observation, que je reconnais très fondée, n'aurait excité aucune surprise de notre part, si la commission n'avait pas, en rejetant l'article 5 du projet de loi, rejeté en même temps l'exception faite en faveur des catalogues, des prospectus et même des almanachs. Elle a reporté cette exception dans l'article 3, et ici, il me sera facile d'établir qu'elle n'a aucune espèce d'avantage. En effet, les libraires et les imprimeurs sont-ils intéressés à acquérir la facilité de distribuer leurs prospectus et leurs catalogues cinq jours plus tôt ou plus tard? en quoi cela peut-il nuire à l'industrie des uns et au commerce des autres ! Il n'y avait qu'un motif d'urgence qui pât raisonnablement justifier ici l'exception; et ce motif n'existe pas. N'y aurait-il pas au contraire danger? Il me semble que ce danger est frappant. S'il est manifeste qu'on peut abuser d'une manière grave pour la société des titres des ouvrages auxquels s'appliquerait l'exception, vous devez vous préserver de ce danger. Or, il serait très facile d'abuser du titre de prospectus pour affranchir du délai de cinq jours des ouvrages singulièrement dangereux. Il y a même des ouvrages volumineux très condamnables, et qui pourtant seraient moins dangereux pour la société, à cause de leur étendue, que les prospectus et annonces qu'on pourrait faire de ces ouvrages. Ainsi. l'Origine des cultes, par exemple (je désigne cet ouvrage sans crainte parce qu'il a été condamné), quoique très répréhensible, trouve peu de lecteurs, et par cela même est moins dangereux que ne le serait son prospectus. Vous savez que les rédacteurs, suivant l'usage adopté par eux, ont soin d'indiquer dans le prospectus, le sujet et les principales parties du livre, ainsi que les propositions fondamentales sur lesquelles l'auteur s'appuie. Le prospectus de l'Origine des cultes serait par conséquent bien plus dangereux et condamnable que le livre lui-même. Cependant, si vous admettiez l'exception, des prospectus qui pourraient être impies au dernier degré et funestes pour la société au dernier excès, seraient affranchis du délai que vous avez voulu établir pour garantir l'ordre social.

Il est donc évident, que par cette exemption, vous exposeriez la société à un danger réel, D'un autre côté, il n'y aurait aucun avantage pour le commerce de la librairie. J'ose me flatter que vous serez frappés de ces considérations toutes puissantes, et que vous vous déterminerez à préférer à la rédaction de la commission, celle qui avait été proposée et qui satisfait à tous les besoins.

M. Casimir Périer. Renoncez-vous au timbre? car, dans la discussion, c'est une chose importante à savoir.

M. de Peyronnet, garde des sceaux. On me demande si le gouvernement renonce à l'article 5 du projet de loi. Je ne crois pas qu'il soit nécessaires de répondre en ce moment à une semblable question: l'exception peut dépendre du vote de la Chambre sur l'article 5; mais il

n'y a pas de nécessité à rattacher cette exception à l'article 2 qui lui est tout à fait étranger.

M. le Président. Je dois dire à la Chambre que l'exception a été proposée par M. Héricart de Thury,

M. Dudon. Il vous a été adressé, des divers points de la France, un grand nombre de pétitions. Les unes ne contenaient que des considérations générales; les autres entraient dans des détails très circonstanciés sur les mouvements du commerce. La plupart sollicitaient l'exception dont dont il s'agit. Nous avons prêté à ces pétitions toute l'attention qu'on doit à des réclamations fondées sur des intérêts particuliers lorsque l'intérêt général n'en est pas compromis. Plusieurs libraires, surtout ceux qui colportent dans les villes, qui fréquentent les foires, nous ont représenté que ces foires sont de courte durée et qu'il importe beaucoup à leur commerce qu'ils puissent, dès l'ouverture, faire distribuer leurs catalogues. Les libraires qui fréquentent la foire de Beaucaire ont exposé que si leurs catalogues étaient soumis au délai de cinq jours, la foire serait fermée avant qu'ils puissent être distribués, et qu'ainsi leur commerce en éprouverait un grand dommage sans aucun bien pour le public. Cette considération nous a paru fort raisonnable. Cependant, dans la crainte du danger très réel que vient de signaler M. le garde des sceaux et pour éviter les ruses qu'on pourrait employer, la commission a eu soin de dire que l'exemption ne s'appliquerait qu'aux prospectus et catalogues non raisonnés. Par cette désignation on entend bien que les catalogues ne doivent contenir que l'indication des livres mis en vente. Il est très possible que parmi ces livres annoncés dans les catalogues, il s'en trouve de coupables et dont la justice doive ordonner la saisie. Alors on procédera, non pas contre le catalogue, mais contre le livre. L'annonce du livre, dans un catalogue, répandu avec profusion, est une preuve de la bonne foi du libraire, qu'il n'entend pas soustraire un mauvais livre à l'action des tribunaux. Mais si le catalogue présentait des extraits raisonnés des doctrines de l'ouvrage, alors il ne se trouverait plus dans les termes de l'article et pourrait être condanmé. C'est ainsi que nous avons entendu cette disposition.

Quant à l'observation présentée sur le mot almanachs, je ne sais pas trop comment je pourrai la défendre ou la combatire. Nous avons des almanachs qui ne sont que des calendriers. Si certains almanachs contiennent des vers licencieux, des anecdotes scandaleuses, ils rentrent dans les dispositions de l'article 1er. Au surplus, que vous substituiez le mot cale ndrier au mot almanachs, cela me paraît assez indifférent, car on peut abuser de l'un comme de l'autre de ces titres.

M. Bonet, rapporteur. Je vais vous parler en mon nom et en celui de mes collègues, que j'ại consultés; ils ont pensé comme moi que, sous le nom d'almanachs, on publie une foule de livres qui peuvent contenir des choses dangereuses et qu'ainsi il vaudrait mieux substituer le mot calendriers. Quant aux mots catalogues non raisonnés, il nous a paru qu'il pouvait être urgent de publier promptement un catalogue. L'addition des mots : non raisonnés, répond aux inconvénients qu'on a signalés. Quant aux prospectus, comme ils présentent ordinairement une suite de raisonnements, une analyse de l'ouvrage, il y aurait des incon

vénients à les affranchir du dépôt, c'est ce qui nons détermine à proposer de retrancher le mot prospectus.

M. Bacot de Romand. Si j'avais une opinion à émettre sur la préférence qu'on doit accorder aux catalogues ou aux prospectus, je la donnerais aux prospectus, parce qu'il y a pour les prospectus plus d'urgence. (Murmures.) Je parle pour les provinces, Un homme arrive dans une ville; il a des curiosités à montrer, un cabinet d'histoire naturelle.

M. de Maquillé. Cela est permis par l'autorité municipale.

M. Bacot de Romand. Mais le prospectus d'une souscription? Arrivé dans une ville, il présente les conditions de la souscription; il a donc besoin de distribuer promptement un prospectus. Je soutiens que la commission a été fort bien inspirée en ajoutant le mot prospectus, et je vote pour qu'il soil conservé.

M. le Président met aux voix la substitution du mot calendriers au mot almanachs, et elle est adoptée.

La Chambre adopte ensuite le retranchement du mot prospectus. L'addition des mots catalogues non raisonnés est également adoptée.

Paragraphe additionnel: « Aux écrits qui ne sont relatifs qu'à des intérêts privés, et qui ne sont pas destinés à être mis en vente. »

Ce paragraphe est adopté sans discussion.

M. Labbey de Pompierres a la parole pour motiver une addition relative aux pétitions distribuées aux Chambres.

M. Labbey de Pompierres. La commission a déclaré qu'elle s'opposerait à tout amendement qui ne serait pas fondé sur l'urgence. Le ministère a paru seconder cette disposition de la commission. Je ne puis pas soutenir que les pétitions distribuées aux Chambres soient nécessairement urgentes. Je n'ai voulu que prendre date pour le cas où le timbre viendrait frapper les pétitions, et empêcherait par là qu'elles nous parvinssent. Ainsi, je demande de pouvoir reproduire mon amendement à l'article 5.

La Chambre adopte sans discussion une addition proposée par M. Pardessus, relative « aux theses ou dissertations faites pour les concours et actes publics des Facultés, publiées avec les visas requis par les règlements et statuts de l'Université royale.

[ocr errors]

M. le Président. Paragraphe additionnel, proposé par M. le général Sébastiani:

« Aux écrits relatifs aux élections de la Chambre des députés, publiés dans le cas d'une ordonnance de dissolution, ou dans celui de l'expiration légale de ses fonctions, depuis cette ordonnance ou depuis cette expiration jusqu'à la clôture des collèges électoraux, et, en cas d'élection partielle, aux écrits publiés dans le département où l'élection aura lieu, depuis l'ordonnance de convocation du collège électoral jusqu'à sa clôture. »

M. le général Sébastiani. Messieurs, l'amendement que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre, renferme une question constitutionnelle importante; mais avant de vous en entretenir, permettez-moi de vous donner quelques explications sur les dispositions additionnelles que je propose.

J'ai demandé que les écrits relatifs aux élections soient affranchis de l'obligation du dépôt de cinq jours depuis l'époque de la publication de l'ordonnance de dissolution de la Chambre, ou depuis l'expiration légale de ses pouvoirs jusqu'à la clôture des collèges électoraux: la dissolution de la Chambre, vous ne l'igorez pas, est une mesure que le gouvernement emploie rarement, et l'expiration des pouvoirs n'est que septennale. Le court espace qui sépare l'ordonnance de dissolution ou l'expiration légale des pouvoirs des nouvelles élections, ne laisse craindre aucun danger, et ne peut pas effrayer même les esprits les plus ombrageux sur les écarts de la presse. D'ailleurs, ma demande est la conséquence naturelle et rigoureuse du principe que vous venez d'adopter relativement aux écrits qui concernent les projets de loi publiés entre la présentation de ces projets et la délibération définitive des deux Chambres.

Mais abordons succinctement la question constitutionnelle.

La Chambre élective renferme en entier l'élément démocratique de notre constitution; elle doit être le produit de l'élection populaire, comme la Chambre des pairs est le produit de l'élection royale. Immuable par l'hérédité, la Chambre des pairs devient un pouvoir conservateur; et telle est la sagesse de notre pacte fondamental, que la pairie concourant au choix de la Chambre élective, elle imprime un caractère de conservation à l'élément démocratique lui-même, qui, par sa nature, est destiné à communiquer le mouvement et la vie à l'ordre social. De son côté, l'aristocratie, d'élément de trouble qu'elle était trop souvent sous la monarchie pure, acquiert encore davantage, par ce concours, le caractère d'élément conservateur que lui confère notre pacte social.

Pour que la Chambre élective soit l'expression de l'opinion générale, il est indispensable que la nation jouisse, aux époques des élections, de la liberté la plus étendue de la presse, et d'une publicité sans bornes. Il faut que cette opinion puisse être avertie, éclairée; qu'elle soit enfin mise en état de se prononcer sur l'administration qui gouverne, qu'elle lui accorde ou lui retire son appui. Mandataires des collèges électoraux, notre mandat serait déchiré, le vote des lois et de l'impôt vicié, si quelque gêne, si quelque entrave existait dans l'expression de la volonté de ceux que nous représentons.

Je pourrais, mais cela serait contraire à mes habitudes et à mes goûts, citer à l'appui de mon opinion, les opinions anciennes des ministres qui dirigent aujourd'hui l'administration; je pourrais citer l'exemple de l'Amérique, de l'Angleterre; mais nous n'avons besoin ni de l'autorité des principes professés autrefois par les ministres, ni des exemples de l'Angleterre et de l'Amérique, pour déterminer notre vote. L'intérêt même de la société exige impérieusement l'adoption de l'amendement que j'ai proposé.

J'ai entendu exprimer quelques craintes sur le danger de donner trop d'étendue à la liberté de la presse au moment des élections, qui, de leur nature, agitent la société. Mais vous avez une législation sévère, levier puissant de répression, qui ne permet pas de concevoir les plus légères inquiétudes, et, d'ailleurs, une sorte d'excitation est nécessaire à cette époque.

Je ne prétends pas laisser le gouvernement désarmé au moment des élections; je sens qu'il est nécessaire qu'il puisse maintenir la tran

quillité, qu'il exerce même sa part d'influence sur le choix des députés; mais vous savez que l'influence qu'il possède est immense, qu'il nomme depuis les plus hauts emplois jusqu'à celui de garde forestier : il a des préfets, des sous-préfets, des procureurs généraux, une foule d'employés, tous dirigés par lui dans le sens des élections qui lui conviennent. Serait-il juste d'empêcher en même temps l'opinion de se manifester, et voudriez-vous vicier les élections en privant un candidat des moyens de se faire entendre? Je ne veux pas rappeler le scandale des dernières élections; j'espère qu'ils n'auront plus lieu; et c'est pour atteindre ce but, que je propose des mesures qui peuvent nous préserver de leur renouvellement. Si vous maintenez la disposition qui exige un dépôt de cinq jours pour tous les écrits relatifs à la presse, il arriverait peut-être aussi qu'un candidat ne pourrait répondre à une calomnie, à un bruit sourd répandu la veille ou le jour même de l'ouverture des collèges électoraux, qu'après la clôture de ces collèges. On a dit que la difficulté était levée parce que les réponses des candidats étaient, dans ce cas, des écrits relatifs à des intérêts privés, et placés dans l'exception; mais n'est-il pas possible que, dans la crainte de compromettre son état, un imprimeur refuse de publier sans dépôt un écrit, sur le caractère public ou privé duquel il sera dans l'incerti

tude?

J'espère que la Chambre et que le ministère lui-même adopteront un amendement qui est essentiellement utile à la liberté des élections, sans qu'il en puisse résulter aucun inconvénient.

M. de Vaublanc. Je rends justice aux intentions qui ont dicté l'amendement qui vous est proposé; rien sans doute de plus important que le moment des élections; rien de plus inconstitutionnel que d'empêcher, de quelque manière que ce soit, la liberté des élections; mais sans nous arrêter au principe en lui-même, nous devons voir si la proposition ne contrarierait pas ce principe.

de

Quel est le but que vous avez voulu atteindre en adoptant le dépôt de cinq jours pour tous les écrits au-dessous de vingt feuilles ? C'est d'empê cher la circulation rapide d'écrits séditieux, et même calomnieux, propres à porter le trouble dans la société et dans les familles. Or, y a-t-il une circonstance où des auteurs, dirigés par mauvaises intentions, puissent être plus disposés que dans celle des élections, à répandre le venin de la calomnie et de la sédition ? Vous le savez Messieurs, c'est un instant de fermentation inévitable, que ceux qui veulent agiter l'opinion publique ne manquent pas de saisir. Je ne pense pas qu'une liberté semblable, qui peut facilement dégénérer en licence, doive être protégée au moment même des élections. Ce qu'on demande produirait le contraire de ce qu'on veut. Trop de ferments de division existent alors pour vouloir encore les augmenter par la dispense que l'on réclame pour les écrits de cette espèce.

Si la concurrence pour les élections peut être noble et franche, elle peut aussi, et c'est une malheureuse condition de l'humanité, être excitée par les passions les plus dangereuses. Vous avez jugé que toute espèce d'écrits d'une certaine dimension devait être arrêtée pendant cinq jours, afin que la partie publique qui veille à l'ordre social puisse réprimer ce qui est mauvais. Je répète que c'est précisément au moment des élections que la calomnie et la licence peu

vent être plus disposées à se répandre de tous côtés dans le royaume; et qu'ainsi il y aurait imprudence à affranchir ces sortes d'écrits du dépôt de cinq jours.

M. le général Sébastiani vous a dit que la quesstion qu'il mettait en avant était constitutionnelle. Non, Messieurs, elle ne l'est pas. La question constitutionnelle est dans la liberté des opinions et non dans la liberté laissée aux écrits qui peuvent augmenter la fermentation qui existe à l'époque des élections. Vous ne donnez pas cette faculté aux écrits publiés sur la littérature; comment accorderiez-vous ce privilège à des écrits qui, par leur nature, peuvent entraîner les plus graves inconvénients? J'en appelle au témoignage des membres de la Chambre qui ont suivi avec attention la fermentation des esprits au moment des élections.

Je vote contre l'amendement.

M. Benjamin Constant. Je demande pardon à la Chambre si, pour soutenir un amendement, je me présente avec un discours écrit; mais j'ai fait plus d'une fois, et hier encore, l'expérience qu'en nous répondant, MM. les ministres défigurent nos paroles. M. le ministre de l'intérieur, vous avez tous pu le remarquer, en niant un fait que j'affirme, et dont je vous apporterai sous peu les preuves à la tribune, a transformé une invitation de consulter les personnes qui étaient à portée de savoir ce fait, en un appel à ces personnes dont la position ne leur permettrait pas d'y répondre. Je ne voudrais pas avoir chaque jour à vous fatiguer, en demandant à parler pour des faits personnels, seul moyen que la clôture nous laisse de rectifier ce qu'on a dénaturé. J'ai donc mis par écrit chacune de mes paroles, parce qu'elle feront foi contre les citations fausses et les interprétations malveillantes.

Pour soutenir l'amendement de mon honorable collègue, M. le général Sébastiani, je n'ai pas beloin de longs développements: la notoriété publique, la mémoire de toute la France, ainsi que la vôtre, attestent de quelle manière les dernières élections ont été conduites. Nul n'a oublié ce qui a été fait, ce qui a été prouvé; non seulement les listes électorales ont été bouleversées, les électeurs légitimes rayés de ces listes, de faux électeurs inscrits (Murmures à droite et au centre), et je ne dirai pas simplement autorisés, mais forcés à voler par des menaces, et sous peine de destitution, s'ils n'usurpaient pas des fonctions dont l'usurpation est punie de deux à cinq ans d'emprisonnement par le Code pénal; non seulement, dis-je, de pareils excès ont été commis, mais des libelles ont été répandus contre les candidats; les autorités, chargées de pervertir le système électoral, ont choisi le moment où ces libelles pouvaient produire un effet qu'ils espéraient devoir être irréparable.....

Plusieurs voix: Vous n'êtes pas dans la question.

M. Benjamin Constant. Je suis parfaitement dans la question, car il s'agit de savoir comment on répondra à de semblables libelles. En effet, si l'article qu'on vous propose avait existé, les candidats calomniés, soit par l'autorité, soit par leurs concurrents, se seraient vus privés de toute possibilité de défense. Je pourrais nommer d'honorables membres de cette Chambre qui n'ont dû leur élection qu'à la faculté qu'ils avaient alors de faire imprimer,sans aucun délai, et même pendant la dernière

T. XLIX.

nuit qui précédait les opérations définitives de leur collège, une réfutation des diffamations et des mensonges dirigés contre eux. Cette faculté, l'article 2 du projet de loi la leur enlève. Maintenant ces agents dont M. le président du conseil a flétri le zèle exagéré, tandis que son collègue, M. le ministre de l'intérieur, a cru devoir honorer ce zèle de ses éloges, les agents négligeront-ils les avantages que cet article leur offre? Pourvu que ces libelles soient répandus quatre jours avant l'élection, toute réplique sera impossible.

On m'assure qu'à cette objection, présentée dans les bureaux, un ministre a opposé la faculté qu'avaient les candidats de s'y prendre à temps et de faire déposer ce qu'ils voudraient rendre public de manière à ce que leur écrit paraisse en temps utile; c'est-à-dire qu'il faudrait répondre cinq jours d'avance à ce qui ne sera dit que cinq jours après; il faudra prévoir les incalculables inventions de la calomnie; il faudra deviner les attaques dont jusqu'alors on n'aura eu nulle idée. Quand je vous disais que MM. les ministres se jouaient de l'intelligence de la Chambre, certes, je n'avais pas tort.

Que si vous me soupçonniez de prêter gratuitement à MM. les ministres une chose absurde, vous en devriez d'autant plus voter l'amendement qui vous est proposé, čar, si vous le rejetiez, vous feriez précisément ce que vous trouvez absurde qu'on mette dans la bouche des ministres. La réponse que je leur attribue tend à ce que les candidats se défendent quand il n'est plus temps; votre vote tendrait à ce qu'ils ne puissent pas se défendre du tout.

Messieurs, c'est votre cause que je défends, bien plus que la nôtre. Députés de Paris, vieillis dans la lutte éléctorale, appuyés sur des électeurs qui ont l'expérience des tourniquets et autres ruses ministérielles (Murmures), nous avons peu de chose à craindre de ces ruses et des libelles qui en font partie. Toute cette artillerie s'est épuisée sans succès. Sous ce rapport, à la vérité des allégations près, nous sommes dans le cas de MM. les ministres. On a dit contre nous tout ce qu'on pouvait dire, seulement je crois que ce qu'on a dit contre MM. les ministres est vrai, et je sais que ce qu'on a dit contre nous est faux. (On rit.)

Nos honorables électeurs le savent courageux, indépendants, ils n'ont ni besoin, ni crainte des ministres; ils nous voient chaque jour défendre leurs droits, avec trop peu de talent peut-être, mais avec un zèle qui, sans être un mérite, car c'est un devoir, leur prouve au moins que nous sentons l'importance de notre mission. D'ailleurs, nous avons à Paris, pour repousser la calomnie et les calomniateurs, des journaux qui peuvent, du soir au lendemain, publier nos réclamations.

Mais par la loi des postes, les journaux de déparlements sont anéantis. Par l'article que nous voulons amender, tout autre moyen de publication vous sera enlevé. Regardez vos rangs. Ne voyez-vous pas la place où siégeait un homme dont je ne partage pas les opinions, mais dont je ne conteste ni le talent ni l'indépendance. Qui l'a écarté? Ce ministère qui lui dut son pouvoir, ce ministère qui, sans l'éloquente et mémorable adresse dont il fut le principal rédacteur, serait encore sur les bancs de l'opposition, forcé de professer sur nos libertés les doctrines qu'il désavoue aujourd'hui.

Je vous parle donc dans vos intérêts, parce que, dans cette occasion, vos intérêts se trouvent être ceux de la France. Vous devez vouloir que les

47

élections ne soient pas dominées par les ministres; car vous êtes d'avance exclus par ces ministres, vous tous qui, après les avoir secondés quand vous partagiez leurs opinions, refusez aujourd'hui d'abdiquer votre conscience. Rappelezvous que les services antérieurs ne comptent pour rien; que le dévouement qui s'arrête paraît une révolte; que M. Delalot a été banni de cette Chambre par le ministère qui lui devait tout, et qu'aux élections prochaines, les ministres, après vous avoir ôté la publicité qui serait votre défense, ordonneront à leurs agents et à leurs écrivains d'empêcher à tout prix que les électeurs ne nomment tel ou tel député qui fut leur ami (Mouvements en sens divers).

Si MM. les ministres s'opposent à cet amendement, c'est qu'ils veulent que leur système soit complet. Ils vous l'ont exposé enfin franchement et naïvement, en repoussant l'amendement de la commission sur la publication des écrits sur les lois présentées, etc.

On vous a dit que l'amendement n'est pas admissible parce que les élections sont un moment de fermentation; mais ceux qui voudront attaquer auront eu tout le temps de déposer leurs écrits.

M. de Vaublanc, dans ce qu'il a dit, n'a pas fait attention qu'il empêche la défense quand il n'empêche pas l'attaque, parce que ceux qui voudront calomnier un candidat calculeront l'époque précise où ils devront faire le dépôt, pour rendre la réponse impossible. C'est priver le calomnié de tout moyen de défense, sans enlever au calomniateur les moyens d'attaque.

J'ignore si ce nouvel effort pour sauver une de nos libertés de leur grand naufrage, me vaudra de nouveau quelques-unes de ces réponses déclamatoires ou dédaigneuses dont cette tribune retenti durant cette discussion. Je les attends sans crainte. Les déclamations sont peu dangereuses. Le lendemain le public les lit et voit que, dans un flot assourdissant de paroles sonores, pas une pensée n'est contenue, pas une objection n'est affaiblie. Quant au dédain, le public sait aussi que ce dédain tombe sur la France; que c'est la France qui demande les explications qu'on lui refuse et les libertés qu'on lui ravit; et que les hommes qui lui refusent ces explications et lui ravissent ces libertés sont les mêmes qui, durant cinq ans, les avaient réclamées et invoquées, pour conquérir, par ce déguisement astucieux et perfide, le moyen de les attaquer toutes et de les anéantir.

M. de Vaublanc, de sa place. Je demande à répondre par un seul mot à ce que vient de dire M. Benjamin Constant. Je n'ai pas oublié la défense des candidats calomniés. Le paragraphe que vous venez d'adopter permet de publier des écrits dans l'intérêt privé qui ne sont pas destinés à être mis en vente.

M. Casimir Périer. Mais seront-ils distribues?

M. de Vaublanc. Rien n'empêche de distribuer aux électeurs un papier imprimé.

M. Dudon. L'heure est trop avancée pour que je suive les deux préopinants dans les développements qu'ils ont présentés. La Chambre a déjà prévu l'explication que je vais lui donner et qui la déterminera, sans doute, à repousser l'amendement comme inutile.

La question qu'on a soulevée se présentait naturellement à l'esprit. Toutes les lois sur la liberté de la presse indiquent assez qu'on doit redoubler de surveillance pour conserver intact, s'il est possible, le privilège de la liberté de la presse au moment de faire de nouvelles élections. Cette question n'avait pas échappé à la commission; elle l'avait prise en grande considération; mais au lieu de la présenter en termes restric tifs, comme l'a fait M. Sébastiani, elle l'a étendue de manière à ce qu'on puisse faire usage des moyens d'attaque et des moyens de défense dans toutes les positions où les citoyens peuvent se trouver.

Mais à l'époque de la convocation des collèges électoraux, les sujets que l'on traite se rapportent à des intérêts de différentes espèces; les uns sont d'un ordre général, les autres ne concernent que les particuliers. Le préopinant a une trop bonne mémoire pour ne pas se rappeler qu'on peut provoquer la dissolution de la Chambre dans un écrit qui, non seulement attaque nos institutions, mais qui calomnie les membres nouvellement élus. Une brochure publiée en 1820, a appelé à grands cris cette dissolution, parce que, disait-on, les députés qui siégeaient sur ces bancs n'étaient pas les véritables organes de l'opinion publique. De nouvelles élections ont eu lieu; et depuis on n'a pas changé de langage. Ne devonsnous pas admirer la longanimité de la Chambre qui, chaque jour, se laisse injurier par des orateurs qui viennent dire qu'elle n'est que le résultat de l'intrigue, que c'est un miroir fallacieux qui ne réfléchit point la véritable opinion publique! (Mouvements en sens divers.) Messieurs, de semblables suppositions peuvent se reproduire au moment de la dissolution ou de l'expiration de vos pouvoirs. En calomniant ainsi la masse entière, on excite une méfiance générale contre ceux qui en font partie. La diffamation qui attaque les personnes n'est qu'un mal particulier. Nous avons prévu ces deux cas : si le pamphlet est dans les limites de l'article 1er, il doit être soumis au dépôt de cinq jours. L'auteur sera trop heureux d'avoir le temps de la réflexion et de s'arrêter au moment où il va calomnier des citoyens qui ont déjà mérité les suffrages des électeurs et qui sont encore dignes de les obtenir. Souvent l'éloge d'un candidat est une manière détournée de faire la critique d'un autre candidat qui ne partage pas la même opinion. Si la défense est présentée comme elle doit l'être, le projet de loi, loin de la restreindre, la favorise; elle rentre dans l'exception que vous avez adoptée relativement aux écrits qui concernent des intérêts privés, non destinés à être mis en vente. Cette distinction est, je crois, dans l'intention de tous, et elle sera sans doute adoptée par le ministère.

Je demande, en conséquence, la question préalable sur l'amendement de M. le général Sébastiani.

(On demande la clôture de la discussion.) M. Rouillé de Fontaine obtient la parole contre la clôture.

M. Rouillé de Fontaine. Je n'ai pas l'intention de prolonger cette discussion. Je me borne à adresser une seule question à MM. les ministres.

D'après l'explication que vient de donner M. Dudon, l'un des membres de la commission, le sens de la disposition paraît clair. Je demande à MM. les ministres s'ils l'entendent de manière

[ocr errors]
« PreviousContinue »