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(Samedi 9 décembre 1815.)

(No. 139.)

Traduction nouvelle des Prophéties d'Isaïe, avec un Discours préliminaire et des notes; par Eugène Genoude (1).

A ne considérer les Prophéties d'Isaïe que sous le rapport littéraire, le goût y trouveroit encore assez de sujets d'admiration et d'éloges. La magnificence des images, la vivacité des tours, l'énergie et la rapidité des pensées, pourroient donner lieu à un assez riche commentaire. On y releveroit tour à tour, et cette sublimité d'idées quand l'auteur lit dans l'avenir, et cette simplicité de récits quand il raconte des événemens passés. On y verroit, comme dans Moïse et les autres écrivains sacrés, la grandeur des objets rehaussée par la concision d'un langage à la portée de tous. C'est bien de lui qu'on peut dire que le style est ce qui l'occupe le moins. La pompe des figures, quand elle se trouve sous sa plume, a l'air d'échapper à la richesse de son imagination; et la variété, le . mouvement, l'audace, la verve de sa composition, annonceroient encore le premier des écrivains à qui ne voudroit l'envisager que sous ce point de vue.

Mais combien ses prophéties acquièrent de force et de vigueur quand on y voit le langage de l'Esprit saint! Combien cette inspiration divine et le merveilleux accomplissement de tant de prédictions éton

(1) Un vol. in-8.; prix, 6 fr. et 8 fr. franc de port. A Paris, chez Adrien Le Clere, imprimeur de l'Archevêché; et à Provins, chez Lebéau.

Tome VI. L'Ami de la Religion et du Ror. H

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nantes ajoute à notre admiration! Combien la vé→ rité du fond accroît ici la beauté des tableaux! Ce n'est plus un écrivain doué de plus ou moins de génie, qui en suit les mouvemens, et qui nous ravit par l'élévation de ses pensées et par le nerf de sa diction; c'est un prophète du Dieu vivant, qui obéit aux inspirations de l'esprit, et par qui Dieu nous communique et les vues de sa Providence, et la sagesse de ses préceptes, et la profondeur de ses décrets, et les trésors de cette science qui embrasse le passé, le présent et l'avenir. Jadis les poètes païens, voulant nous peindre leurs sybilles et les prêtresses de leurs faux dieux, les supposoient agitées, hors d'elles-mêmes, et possédées d'une espèce de fureur. Ce n'est point avec ce désordre et ce tumulte que s'énonce la vérité; elle ne feint point une extase, une gêne, une ivresse, qui sont plutôt le cachet de l'imposture. Les prophètes, sous l'inspiration du vrai Dieu, conservent toute la liberté de leurs sens et tout le caractère de leur génie; seulement le flambeau sacré qui les éclaire ajoute à leurs lumières, et leur ouvre les secrets de l'avenir.

Isaïe, dit M. Genoude, qui paroît l'avoir étudié avec soin, Isaïe me paroît le premier de tous les poètes lyriques. Son style a tour à tour l'énergie et l'élévation de Moïse, et la douceur et la tendresse de David, sans que jamais on y remarque l'âpreté qu'on croit trouver dans Ezéchiel, ou la foiblesse qu'on a reprochée quelquefois à Jérémie. Ses narrations se distinguent par une rapidité qui ne s'attache qu'à l'essentiel. Il raconte les faits les plus merveilleux sans enflure comme sans étonnement; il parle de ses actions les plus éclatantes comme s'il s'agissoit d'un autre. Sa mission,

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prouvée par les événemens, a rendu ses écrits l'objet de la vénération de sa nation; et le christianisme, qui y a trouvé les titres de son origine et presque le récit de la vie de son auteur, a joint ses respects à ceux du peuple choisi. L'Eglise a fait entrer ses prophéties dans ses offices; les pères et les docteurs en ont admiré le caractère de grandeur et de vérité; et ses prédictions de l'avenir sont si frappantes, que saint Jérôme l'appeloit le cinquième des évangélistes.

Après avoir cité plusieurs exemples de la vigueur des pensées, de la beauté des figures, de l'onction des paroles, le traducteur continue ainsi : Les Prophéties d'Isaïe me paroissent une suite de chants sublimes qu'on doit lire et relire comme ce que la poésie lyrique offre de plus grand. Il est impossible de trouver plus de chaleur, plus de richesse de coloris, plus de génie enfin dans aucun poète. Isaïe, emporté par l'inspiration, ne dit rien de mortel; les plus grands objets sont peints, dans ses chants, avec les couleurs qui leur sont propres. Le monde renouvelé, une Jérusalem céleste apparoissant sur la terre, Dieu lui-même habitant parmi les enfans des hommes, le ciel fermé par le péché et ouvert par l'amour de Dieu, tout se suit et s'enchaîne dans ce poème admirable sur le Messie. C'est l'alliance du ciel et de la terre.

Tel est l'écrivain que M. Genoude s'est proposé de traduire. On se plaignoit, depuis long-temps, que nous n'eussions encore que des versions imparfaites de cette partie si importante de l'ancien Testament; la majesté de la parole divine disparoissoit sous un style dépourvu de force et de couleur. Lowth, en Angleterre, avoit cherché à lutter contre les beautés

de l'original. Nous ne sommes point assez familiers avec sa langue pour jager pleinement du mérite de sa traduction; mais nous savons que les Anglois en font le plus grand cas, et qu'ils la regardent comme un ouvrage classique. On verra donc avec plaisir qu'un François ait voulu enrichir notre littérature d'une version qui pût donner une idée de l'éloquence du phète, et on jugera du mérite de ses efforts par Jes passages suivans. Dans le premier, Isaïe raconte la défaite du roi de Babyloue. L'application est frappante;

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« Vous parlerez ainsi en figures contre le roi de Babylone, et vous direz: comment a cessé tout à coup ce maître impitoyable! Qui a mis fin au tribut qu'il exigeoit de nous? Le Seigneur a brisé la verge des impies, le sceptre des dominateurs; celui qui frappoit les peuples d'une plaie incurable, celui qui commandoit aux nations dans sa colère, et les persécutoit sans relâche, Toute la terre s'est tue dans une paix profonde; elle s'est réjonie, et a jeté des cris d'allégresse., Les sapins et les cèdres du Liban ont vu avec joie ta ruine. Tu dors, ont-ils dit? qui maintenant s'élèvera contre nous? A ton approche le séjour de la mort a été troublé jusqu'au Tond de ses abîmes; au-devant de toi se sont élancés les princes qui l'habitent : les maîtres de la terre, les rois des nations, sont descendus de leurs trônes. Tous ont élevé leurs voix, et ont dit: El quoi! tu as été blessé comme l'un de nous, tu es devenu semblable à nous. Ta gloire est tombée dans l'abîmé, ton cadavre est étendu sur la terre, les insectes te dévorent, les vers forment lon vêtement. Comment es-tu tombé du, ciel, astre lumineux, fils de l'aurore? Comment as-tu élé renversé sur la terre, toi le fléau des nations? Tu disois dans ton cœur je monterai par-dessus les cieux, j'établirai mon trône au-dessus des astres, je me veposerai près de l'aquilon, sur la montague du testament. Je m'élèverai au-dessus des nues, je serai semblable au Très-Haut. Mais tu seras jeté dans l'enfer, au plus profond de l'abime. Ceux qui te verront se pencheront vers toi, te regarderont de près, et diront: Est-ce là cet homme qui a troublé la terre, qui a ébranlé

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les royaumes, qui a fait de l'univers une solitude, qui a renversé les villes, et qui n'a cessé d'appesantir ses fers sur ses captifs? Les rois des nations sont morts dans la gloire: tous ont leur tombeau. Pour toi, jeté hors du sépulcre, comme une racine, souillée, comme des lambeaux couverts de sang, confondu avec des soldats tombés sous le glaive, précipité sans honneur dans la fosse, comme un cadavre hideux, tu n'entreras pas en partage de leur sépulture; tu as ruiné ton pays, tu as massacré ton peuple: la race des méchans ne durera pas toujours ».

Nous pourrions encore citer, dans le même genre, le chapitre XLVII, sur l'humiliation de Babylone; mais nous aimons mieux, pour montrer le talent de l'auteur sur des sujets divers, choisir le chapitre xt, où Dieu, après avoir châtié son peuple, lui annonce des pensées de miséricorde :

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« Console-toi, console-toi, mon peuple, dit le Seigneur ton Dieu. Parlez au cœur de Jérusalem, et appelez-la par son nom. Ses maux sont finis, son iniquité lui est pardonnée; elle reçu du Seigneur des grâces qui surpassent ses crimes. On entend la voix de celui qui crie dans le désert: Préparez la voie du Seigneur, rendez droits les sentiers de la plaine. Qu'on répare les chemins, qu'on applanisse les routes: abais sez les collines, comblez les vallons. La gloire du Seigneur va éclater, le Seigneur, va parler, toute la terre verra notre Sauveur. Une voix m'ordonne de crier, et j'ai répondu : que dirai-je par mes cris? Tous les mortels ne sont que de l'herbe, et toute leur beauté ressemble à la fleur des champs. Le Seigneur a répandu un souffle brûlant; l'herbe de la prairie s'est desséchée, sa fleur est tombée: oui, les peuples sont comme l'herbe de la prairie. L'herbe sèche, la fleur tombe, mais la parole de notre Dieu subsiste dans l'éternité. Montez sur le sommet de la montagne, vous qui évangélisez Sion; élevez la voix avec force, vous qui évangélisez Jérusalem. Criez encore plus haut, ne craignez pas. Dites aux villes de Juda: voici votre Dieu. Et voilà que le Seigneur Dieu paroît revêtu de force. Son bras signale sa puissance, le prix de sa victoire est en ses mains, ses œuvres le précè

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