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signée par des Anglois et des Prussiens. Cette convention est l'ouvrage des étrangers; elle n'a été ni ratifiée, ni approuvée par le Roi. D'ailleurs, si les défenseurs de l'accusé avoient voulu offrir ce moyen comme préjudiciel, ils devoient, d'après l'arrêt de la chambre, le présenter cumulativement. D'après ces motifs, les commissaires du Roi requièrent que par respect pour la dignité nationale, qui seroit blessée en invoquant un traité conclu avec des révoltés, et que, suivant les règles de l'instruction criminelle et l'arrêt de la cour, il soit défendu aux défenseurs de faire usage de la convention du 3 juillet.

M. le chancelier dit qu'il auroit pu s'opposer au développement d'un moyen qui auroit dû être présenté au commencement du procès; mais qu'il a cru devoir consulter la chambre, qui a pensé comme lui qu'on ne pouvoit invoquer une convention à laquelle le Roi est resté si fort étranger, qu'il a rendu l'ordonnance du 24 juillet, dans le temps même où les troupes des souverains alliés occupoient la capitale; ordonnance qui fut contre-signée par le ministre même qui avoit été président de ce qu'on appeloit le gouvernement provisoire. En conséquence, M. le chancelier interdit aux défenseurs de faire usage de ce moyen.

M. Dupin, conseil de l'accusé, dit que le maréchal n'est plus François, par le traité du 20 novembre, qui a fait passer Sarre-Louis sa patrie, sous une autre domination.

Le maréchal Ney s'écrie avec véhémence, qu'il est François et qu'il mourra tel. Puis il déroule un papier et lit: Jusqu'ici ma défense a paru libre, je m'aperçois qu'on l'entrave. Je remercie mes défenseurs de ce qu'ils ont fait et de ce qu'ils sont disposés à faire encore; mais j'aime mieux n'être pas du tout défendu que de n'avoir qu'un simulacre de défense. Je suis accusé contre la foi des traités, et on m'interdit de les invoquer. Je fais comme Moreau ; j'en appelle à l'Europe et à la postérité.

M. le procureur du Ror dit que si on a un reproche à faire au ministère public, c'est d'avoir trop accordé à l'accusé. Il a eu la plus grande latitude dans sa defense; on lui a accordé tous les délais, plus même qu'il n'en avoit demandé; on a souffert que les défenseurs étalassent dans cette enceinte des maximes bien peu françoises.

M. le chancelier dit au défenseur qu'il peut continuer son

plaidoyer, en se renfermant dans la question. Le maréchal défend à ses avocats de parler, puisqu'on refuse d'entendre tous ses moyens.

Après un moment de silence, et avoir conféré avec les ministres, M. le procureur du Roi dit que puisque le maréchal persiste et que la défense cesse, l'accusation doit cesser aussi. Il ne répondra pas aux argumens des défenseurs. Il lit donc son réquisitoire, et demande que le maréchal Ney, comme coupable d'avoir entretenu des intelligences avec Buonaparte, de lui avoir livré ses troupes, d'avoir excité plusieurs personnes à le reconnoître, et d'avoir trahi le Roi et l'Etat, soit condamné à la peine capitale, d'après le Code pénal.

Le maréchal ayant dit n'avoir rien à répondre sur ce réqui sitoire, on fait sortir l'accusé, les témoins et l'audience, et les pairs entrent en délibération à cinq heures. Ils y restent jusqu'à onze heures et demie. Alors la séance est redevenue pu- . blique. Les défenseurs de l'accusé sont absens.

M. le chancelier prononce l'arrêt qui porte que Michel Ney est convaincu de haute trahison, et qu'il est condamné à la peine de mort. Ce jugement sera signifié aux défenseurs et à l'accusé.

M. Bellart requiert que le condamné soit déclaré avoir manqué à l'honneur, et ne plus faire partie de la légion d'honneur. M. le chancelier faisant droit au réquisitoire, déclare en effet que Ney ne fait plus partie de la légion.

Le 6 décembre, à cinq heures du soir, le maréchal Ney, au sortir de l'audience, a été reconduit à sa chambre. Après s'être promené quelque temps, l'air agité, il s'est mis à table, et a diné. Pendant son repas, il s'est aperçu qu'un couteau, placé près de lui, fixoit les regards des personnes qui l'entouroient, et il l'a jeté à quelques pas, en disant : Je ne crains pas la mort. Il s'est ensuite couché, et a dormi plus de deux heures,

Il étoit plus d'une heure du matin quand M. Cauchy, secrétaire de la chambre des pairs, est venu lui lire son arrêt. Le maréchal s'y attendoit, et a paru écouter avec calme. Après avoir rempli un triste ministère, lui a dit M. Cauchy, oserai-je vous parler d'autres objets? M. le curé de SaintSulpice est ici; il vient vous offrir les consolations de la religion. Elles pourront adoucir la rigueur de votre situation.

Le maréchal avoit en ce moment assez de monde dans sa chambre, et n'accueillit pas alors la proposition de M. Cau

chy; mais une heure après il a de lui-même appelé M. Depierre, qui étoit resté constamment au Luxembourg; ils ont passé ensemble près d'une heure et demie. Le maréchal avoit été élevé dans des sentimens religieux. Il savoit plusieurs prières par cœur. A la fin de la confession, il a pris, suivant l'usage de l'Allemagne, la main du curé pour la baiser. Le curé se jetant dans ses bras, l'a embrasse de la manière la plus affectueuse. Ils sont restés encore quelque temps ensemble à s'entretenir d'objets de religion. C'est alors que le maréchal a dit à M. Depierre: Monsieur le curé, j'ai besoin de prières; faites dire, je vous prie, des messes pour moi, et le plutôt possible; et il lui a en même temps donné une somme, tant pour cet objet que pour les pauvres.

Le maréchal a vu ensuite sa famille; à huit heures un vétéran a été prendre un fiacre à la place Saint-Michel. Le ma- › réchal y est monté un peu avant neuf heures, après avoir fait monter avant lui M. le curé de Saint-Sulpice, qu'il avoit désiré revoir dans ce moment suprême, et qui, pendant la route, lui a suggéré les réflexions les plus analogues à sa situation. La voiture, après avoir traversé le jardin du Luxembourg, s'est arrêtée au bout de la nouvelle avenue, en dehors de la grille qui est vis-à-vis l'Observatoire. Il n'y avoit lä que plusieurs détachemens:

La voiture s'étant arrêtée, le maréchal a embrassé son confesseur, et lui a remis une tabatière d'or qu'il l'a chargé de porter à sa femme. Il est descendu, a marché d'un pas ferme au lieu de l'exécution, et a lui-même commandé la décharge d'une voix assurée. Des vétérans étoient chargés de l'exécution. Ainsi a péri au milieu de sa carrière un homme coupable d'une grande faute. On a été étonné que mieux inspiré par lui-même ou mieux conseillé par ses amis, il n'ait pas reconnu plus noblement ses torts, et qu'il ait cherché, pendant un mois, à chicaner avec la justice et à marchander sa vie. La veille de sa mort encore, il a joué un peu la comédie en appelant à la postérité dont le jugement est déjà prononcé sur lui, et en feignant qu'on entravoit sa défense, quand il n'avoit plus rien à dire pour sa justification. Espérons du moins que la voix de la religion, si puissante dans ces derniers momens, n'aura pas inutilement retenti au fond de son cœur, et puisse le sacrifice de sa vie avoir expié ce que Dieu et les homes avoient à lui reprocher!

Ce qui a rendu la dernière séance de la chambre des pairs si longue, le 6 au soir, c'est qu'il y a eu cinq appels nominaux sur les différentes questions posées. Le dernier appel, relatif à la peine, a présenté 140 voix pour la mort et 12 pour la déportation. Le nombre des votans étoit de 161; mais il y avoit quelques réductions à faire, à raison de parenté entre quelques-uns des pairs.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

Dans la séance du 4, dont nous avons déjà parlé, on a adopté la loi sur les cours prevôtales. Le résultat du scrutin donné boules blanches et 13 noires. 290

a

Le lendemain il n'y a point eu de séance publique ni de comité secret. Les membres se sont réunis dans les bureaux.

La chambre a nommé plusieurs commissions composées chacune de neuf membres; la première pour l'examen des pétitions; la deuxième pour l'examen du projet de loi relatif aux cantons de Montbelliard et d'Audincourt; la troisième sur celui relatif aux dettes des colons, et la quatrième sur celui portant suppression des substituts des procureurs-géné

raux.

Dans la séance du 8, le rapporteur de la commission chargée de l'examen du projet de loi relatif au sursis accordé aux colons de SaintDomingue, fait connoître l'avis de la commission, qui est pour l'adoption du projet.

A deux heures, tous les ministres sont introduits. L'attention pur blique, puissamment excitée par cette démarche, l'a été encore plus par un éloquent discours de M. le duc de Richelieu, qui a fait sentir le besoin de mesures fermes, et qui en a montré l'efficacité par de grands exemples pris dans notre propre histoire, et donnés par Henri IV lui-même. Nous ferons connoître ce discours. Nous devons nous borner aujourd'hui au projet de loi présenté par le ministre. Il est ainsi conçu: 1. Amnistie pleine et entière est accordée à tous ceux qui directement ou indirectement ont pris part à la rebellion et à l'usurpation de Buonaparte, sauf les exceptions ci-après. 2. L'or- » donnance du 24 juillet continuera d'être exécutée à l'égard de tous les individus compris dans l'art. 1er de ladite ordonnance. 3. Les individus compris dans l'art. 2 de ladite ordonnance sortiront de France dans les deux mois qui suivront la promulgation de la présente. 4. Tous les membres et alliés de la famille Buonaparte, jusqu'au degré d'oncle et de neven inclusivement, seront exclus à perpétuité du royaume, et sont tenus d'en sortir dans le délai d'un mois, sous la peine portée par l'art. 91 du Code pénal. Ils ne pour

ront y jouir d'aucun droit civil et y posséder aucuns biens, titres, rentes et pensions, et ils seront tenus de vendre, dans le délai de six mois, les biens de toute nature qu'ils possédoient. 5. La présente amnistie n'est pas applicable à toutes les personnes contre lesquelles ont été dirigées des poursuites ou sont intervenus des jugemens avant la promulgation de la présente loi. Ces poursuites seront continuées et les jugemens exécutés conformément aux lois. 6. Ne sont point compris dans la présente amnistie les crimes ou délits contre les particuliers, à quelque époque qu'ils aient été commis. Les personnes qui s'en seroient rendues coupables, pourront être poursuivies conformément aux lois.

Cette lecture finie, toute l'assemblée se levant à la fois a fait retentir la salle du cri répété de Vive le Roi.

Extrait d'une lettre de M. Benoit-Joseph Flaget, évêque de Bardstown, dans les Etats-Unis, à un de ses amis à Paris.

Grayson County, 21 janvier 1815. Depuis mon retour en Amérique, mon cher, je vous ai écrit plusieurs fois, soit de Baltimore, soit du Kentuckey; mais je n'ai jamais reçu de réponse, et peut-être aussi n'avez-vous pas reçu mes lettres. Vous devez avoir appris néanmoins que, dès les premiers jours de mon arrivée dans mon diocèse, mon séminaire, composé de trois jeunes François, dont un sous-diacre, commença à être en exercice. Quelques jeunes gens du pays s'y sont joints dans la suite. Il y en a qui se sont retirés peu après; mais d'autres plus constans, ou mieux appelés, y sont encore, et me donnent beaucoup de satisfaction. Quatre d'entr'eux ont reçu la tonsure l'année passée, et trois ou quatre autres la recevront dans le cours du carême. Tout cela va lentement, parce qu'il faut commencer par les premiers élémens, et puis parce que la vocation à l'état ecclésiastique est une chose absolument nouvelle en ce pays. Les courses considérables que nous sommes obligés de faire, les privations de toute espèce qui accompagnent nos fonctions, l'extrême difficulté d'obtenir du peuple quelque secours, repoussent les jeunes gens; et comme il y a peu de pays au monde où il y ait plus de facilité de gagner de l'argent, on se tourne plutôt du côté de la fortune que vers un état où l'on n'envisage que la pauvreté et le travail. J'espère cependant que lorsque j'aurai pu ordonner trois ou quatre jeunes gens du pays, le germe de la vocation s'y développera.

J'ai été menacé de perdre M. David, qu'il étoit question de rappeler à Baltimore. Mais j'ai représenté le besoin que j'avois de ce digne ecclésiastique pour mon séminaire. Il en est le supérieur, et en même temps curé de la paroisse. Cette école seroit tombée s'il l'avoit quittée, et il l'a mise sur le meilleur pied. En été, les jeunes gens se lèvent à quatre heures et demie. Ils ont trois quarts d'heure de méditation, puis assistent à la messe. Les études ou les classes vont jusqu'à sept heures et demie. Alors on sonne le déjeûner, qui consiste en un verre de

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