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connoissance, trois ou quatre écrits que sa plume féconde a enfantés en moins d'un an. Il les varie sous toutes lesformes; il compulse, il compile, il abrège, il commente, il se fatigue; ce qui est d'autant plus fcheux que, n'étant plus jeune, il auroit plus besoin de ménagemens. Cet homme, aujourd'hui si verbeux, n'avoit jamais écrit avant le moment actuel; il avoit laissé passer les épo ques les plus fâcheuses de la révolution sans se plaindre; mais la perspective du fléau dont nous sommes menacés l'épouvante et le désole, et dans un danger si pressant il ne s'est pas cru permis de rester muel. Tout le monde est soldat dans les temps de crise. Il s'est done armé de toutes pièces, et le voilà qui fait un feu roulant sur ses ennemis. Voulez-vous savoir quels sont les traits qu'il leur décoche? Il a d'abord lancé dans le public la Vé rité de l'histoire eclésiastique, contre certains Mémoires qui lui déplaisent fort; il a fortifié cette première brochure d'une seconde intitulée : Les Jésuites tels qu'ils ont été dans l'ordre religieux, moral et politique. Ces deux attaques n'ayant pas eu apparemment beaucoup de succès, potre vigoureux champion a déchargé un coup de sa massue dans une Première Lettre à l'au teur des Mémoires, lettre qui, par conséquent, nous menace au moins d'une seconde ; et enfin dans le moment où je parle, il vient encore de descendre dans la carrière, et de donner un dernier pamphlet, intitulé: Du rétablissement des Jésuites en France. Mais admirez l'injustice et le mauvais goût du siècle; rien de tout cela ne se vendoit. Il a donc fallu donner ce précieux écrit. On l'a colporté partout, on l'a distribué à tous les pairs, à tous les députés; car il étoit pres sant de les prémunir contre le danger. Il n'y avoit pas de temps à perdre. L'ennemi étoit aux portes. On avoit signalé sur les côtes de Provence le bâtiment qui portoit à Barcelonne les Espagnols que Ferdinand VII rappelle. On prétend même qu'on a vu à Paris quelques Jésuites qui se rendoient d'Italie en Angleterre, sans rese pect pour les arrêts du parlement, qui leur interdisent

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de passer par la France. Enfin, il y en a eu qui ont osé s'arrêter quelque temps dans la capitale, sous prétexte que M. l'abbé Chauvelin étoit mort, que les décrets de bannissement étoient tombés en désuétude, et qu'il y avoit prescription.

à son

Ces faits scandaleux ont réveillé le zèle de notre auteur, et ici nous sommes obligés de relever une méprise qu'on a faite dans un journal, où on a attribué cette production à une des colonnes de l'église constitutionnelle, à l'ami des Noirs, à l'avocat des Juifs, etc. It fant rendre justice à qui elle est due. La brochure dont il est question n'est point de cet illustre conventionnel; mais bien d'un homme moins fameux, qui, dans ses trois écrits précédens, avoit déduit ses qualités, et laissé deviner son nom: mais qui, cette fois, s'est enveloppé de plus de mystères. On le reconnoît toutefois à plusieurs indices, à son zèle pour l'ancienne magistrature, affection pour de vieilles erreurs, et au soin qu'il a de se citer lui-même. L'ancien magistrat paroît ici armé de tous les argumens du barreau, et son premier moyen, celui qu'il propose avec le plus de confiance, c'est que les Jésuites ont été jugés, et que l'on ne pourroit les rétablir sans faire injure à la mémoire des anciens magistrals, et encore plus à celle de Louis XV et de Louis XVI. Mais d'abord qui lui parle du rétablissement des Jésuites? c'est lui seul qui élève cette question, et qui veut faire du bruit. Nous ne songions à rien moins. Nous n'émettons même ici aucun you pour ce rétablissement qui l'épouvante. Nous ne traitons ce sujet que sous le rapport historique. Il doit être assurément bien permis de juger un fait arrivé il y a soixante ans, et de repousser d'anciennes calomnies, et c'est à cela que nous voulons nous borner en ce moment. Ensuite que fait ici Louis XVI, qui n'a pris aucune part à la destruction des Jésuites? Le bref de 1773 étoit rendu quand ce prince montą sur le trône, et la destruction des Jésuites étoit consommée. Il n'étoit donc pas en lui de ressusciter cet ordre; mais

il en rappela les membres dans leur patrie, et fit cesser la proscription inique portée par les parlemens, Quant à Louis XV, Dieu nous garde de vouloir offenser sa mémoire; mais on sait qu'il ne joua dans cette affaire qu'un rôle passif, et qu'un ministre puissant mit en mouvement les ennemis des Jésuites, et facilita leurs complots. Si M. S. a tant de respect pour les princes, il devroit bien compter aussi pour quelque chose l'opinion du vertueux Dauphin, père du Roi actuel, qui mit tant d'intérêt à la conservation des Jésuites, et qui ne dissimula pas la douleur que lui causoit leur destruction. Le sentiment d'un prince si sage, si religieux, si éclairé, peut mettre quelque poids dans la balance.

Mais, dit M. S., ce seroit faire une injure manifeste à la mémoire des anciens magistrats. Oh! vraiment il a de la bonté de reste de s'intéresser si fort à la réputation de ces messieurs, morts il y a quelques quarante ou cinquante ans. De bonne foi, voudroit-on nous faire illusion sur les motifs qui les ont fait agir? Ne commoîton pas les causes de la destruction des Jésuites? Les jansénistes ne se sont-ils pas vantés que c'étoient eux qui renversoient la société, et les philosophes, de leur côté, ne se sont-ils pas donné la gloire d'avoir contribué à cette bonne oeuvre? D'Alembert ne dit-il pas dans sa Correspondance, que c'est la raison et l'Encyclopédie qui ont frappé ce grand coup? Se flatte-t-on que nous ayons oublié les intrigues qui eurent lieu alors, les ressorts qu'on fit jouer, les passions que l'on mit en mouvement? Dieu fasse paix à messieurs du parlement; mais des historiens récens n'ont-ils pas révélé quelquesuns des moyens secrets que l'on employa? Quelques parlemens de province répugnoient à cette mesure; ou 'n'omit rien pour les gagner. Dans d'autres, l'injustice se trahit elle-même. Ici; on commença par décider que les conseillers qui faisoient partie des congrégations des Jésuites ne pourroient avoir voix dans cette affaire; mais alors, pour montrer une exacte impartialité, ne fal

loit-il pas exclure aussi des délibérations les ennemis déclarés des Jésuites? Là l'emportement alla jusqu'à qualifier d'impies les constitutions des Jésuites. Le concile de Trente avoit appelé leur institut pieux (pium); on prétendit que cette interprétation étoit contraire à la bonne foi. Comment qualifier une telle fausseté?

S'il étoit possible de méconnoître la passion qui dicta le jugement, on ne pourroit s'empêcher au moins de la voir empreinte dans ces deux bannissemens successifs. Deux fois le parlement bannit en masse quatre mille religieux, sans distinction d'âge ou de mérite, d'innocent ou de coupable, quoique leurs ennemis mêmes reconnussent qu'il y avoit parmi eux beaucoup d'innocens. Or, une telle proscription est elle seule une preuve d'animosité, et le parlement la décréta deux fois. Deux fois il bannit à perpétuité un corps entier de religieux qu'il avoit dissous. Ensuite quel étoit le droit du parlement à proscrire ainsi un ordre approuvé et autorisé dans le royaume? De quelle autorité jugeoit-il des constitutions munies de l'assentiment de l'Eglise? De quelle antorité annulloit-il des voeux, c'est-à-dire, la chose la plus 'indépendante de la puissance civile? L'Eglise ne devoitelle pas être consultée dans cette affaire? Non-seulement on ne l'écouta pas; mais on supprima, que dis-je, les magistrats les plus sages en rougissent aujourd'hui, on brûla même les brefs du Pape et les Mandemens des évêques en faveur de la société. Les ennemis seuls des Jésuites purént écrire contre eux; leurs amis furent sévèrement punis. On bannit aussi à perpétuité deux ou trois écrivains qui avoient osé élever la voix pour leur défense. Voilà quelle fut l'impartialité de ces magistrats, dont l'honneur touche si vivement M. S.

S'il s'agissoit ici d'opposer autorité à autorité, nous aurions à faire valoir des avis et des décisions qui pourroient contre-balancer ceux des parlemens. Clément XIII, qui étoit peut-être juge aussi compétent sur ces matières que des magistrats, donna en faveur de la société une

ble

bulle solennelle et des brefs nombreux. Quarante-cinq évêques, convoqués par le Roi pour émettre leur avis à cet égard, s'exprimèrent de la manière la plus favorapour le corps, et plusieurs assemblées du clergé successives réclamèrent avec force contre l'abus que les parlemens faisoient de leur pouvoir, et contre leur mépris de l'autorité ecclésiastique. Il étoit assez connu qu'à la cour, M. le Dauphin, la Reine, la Dauphine et les autres princesses, étoient loin de partager les vues des ministres, et d'approuver leur mollesse ou leur connivence avec les magistrats. Quelques parlemens mêmes ne purent être gagnés, et laissèrent les Jésuites tranquilles. Les personnes les plus attachées à la religion ne se dissimuloient pas le but de toute cette intrigue, et en prévoyoient les résultats funestes. On ne se méprenoit pas au motif qui animoit les parlemens, et ils eurent abondamment le soin de mettre à toute leur conduite en cette occasion le cachet de la haine et de la vengeance. Ils poursuivoient dans les Jésuites les ennemis de leurs prétentions exagérées, et des hommes qui s'étoient toujours déclarés contr'eux dans leurs disputes avec la cour. Ils poursuivoient surtout les ennemis de l'appel et des appelans. Car il faut bien le

dire, puisqu'aussi bien les faits sont notoires en le

Le parı

lement de Paris favorisoit, depuis quarante ans, les nouvelles opinions, et en avoit pris les partisans sous sa protection spéciale. Il comptoit dans son sein de fervens admirateurs des miracles de Saint-Médard et même des convulsions. On l'avoit vu constamment prendre le parti des uns et des autres contre les évêques, et il aima mieux se faire exiler une fois que de ne pas sévir contre un Mandement de l'archevêque de Paris, où le diacre Paris, les miracles et les Nouvelles étoient traités avec quelque irrévérence. Toute l'histoire de ce temps-là dépose de ces préventions obstinées, et de cette faveur presque honteuse accordée par le parlement à un parti d'extravagans et de fanatiques; et M. S., qui nous cite avec confiance, comme de graves autorités, les discours de

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