Page images
PDF
EPUB

» Nous finirons par une réflexion que nous recommandons à la sériense attention de la chambre: Messieurs, si l'honneur, la fortune, l'existence même de vos familles étoient compromises devant un tribunal, et que tout recours vous fût interdit contre le jugement, vous trembleriez à la seule pensée de l'erreur dont elles pourroient être la victime. La société vous permet à tous ce recours, non-seulement à un second tribunal, mais à un tribunal suprême qui peut vous renvoyer à une autre cour, et annuler encore ce dernier arrêt. Eh bien! niessieurs, la France, votre patrie, la société toute entière soutient un grand procès, et, on peut le dire, devant ses tribunaux. C'est son honneur, c'est sa sûreté, c'est son existence même qui est menacée; le recours qu'elle vous donne à tous contre l'erreur d'un premier jugement, elle vous le demande à tous contre l'erreur d'un premier choix, et dans ce genré, la, patrie vous donne plus de sûretés que vous ne pouvez lui en rendre. Si les juges institués par elle trompoient sa confiance, si des attentats contre l'ordre public demeuroient impunis, ou n'étoient punis qu'avec mollesse ou pusillanimité, c'en seroit fait de la France, et des jugemens tels que des exemples trop récens nous autorisent à les supposer, auroient des suites plus graves qu'une sédition.

» Prenez-y garde, les tribunaux sont la dernière ressource de la France; elle n'a pas encore, elle n'aura peut-être pas, de quelque temps, de force militaire assez imposante. Ce que la France a de plus cher, sa religion, sa royauté, son Roi, sa famille régnante, sa tranquillité intérieure, sa considération au dehors, peut-être l'intégrité de son territoire, dépendent plus qu'on ne pense de l'autorité de ses tribunaux, et de l'équité sévère et impartiale de leurs jugemens. Qu'on ne s'arrête pas aux mots quand les choses pressent de toutes parts: la lettre morte de la loi tue, c'est l'esprit qui vivifie; et c'est dans l'esprit de la loi de l'inamovibilité que votre commission vous propose une modification qui ne la suspend momentanément que pour la rendre plus utile. Développer l'esprit d'une loi n'est pas innover; la modifier n'est pas la détruire.

» Vu l'art. 59 de la chartre : « Les cours et tribunaux ordinaires, » actuellement existans, sont maintenus; il n'y sera rien changé que >> par une loi ».

» Et l'art. 58: « Les juges nommés par le Roi sont inamovibles ».

>> Votre commission, Messieurs, a l'honneur de vous proposer:

>>

Que Sa Majesté sera suppliée de porter un projet de loi,

» 1o. Pour que le nombre de cours et tribunaux soit réduit;

» 2o. Pour déclarer que les juges seront inamovibles après un an, compter de leur installation ».

[ocr errors]

Dans la séance du 18, M. le duc de Feltre a, comme nous l'avons dit, apporté un projet de loi sur les cours prevòtales.,

[ocr errors]

Il en a exposé les motifs et les dispositions dans le discours

suivant :

« Le Roi nous a ordonné de vous présenter un projet de loi tendant à rétablir les juridictions prevôtales, et à les substituer temporairement aux cours spéciales. La chartre constitutionnelle a autorisé ce rétablissement pour les cas où il seroit jugé nécessaire, et des événemens affreux n'ont que trop tôt justifié sa prévoyance.

>>Vous avez senti, messieurs, combien il devenoit urgent et nécessaire de recourir à ce puissant moyen de tranquillité, et c'est pour répondre au vou exprimé plusieurs fois dans votre enceinte, que Sa Majesté a fait rédiger le projet que nous vous présentons.

>> Sans doute, il seroit à désirer que l'on n'eût jamais à se départir, dans la recherche des crimes, de cette marche lente et sage prescrite également par la politique et par l'humanité, et qui constitue ce qu'on appelle les formes ordinaires de la justice.

» Mais il est des époques malheureuses où la société, attaquée avec violence, est obligée de traiter en ennemis ceux qui, placés dans son propre sein, lui déclarent en quelque sorte une guerre ouverte, et à les frapper avant qu'ils deviennent assez forts pour la détruire elle-même : lorsque l'habitude des lois et du respect pour l'autorité a été interiompue; lorsque de vains regrets et des ressentimens de tout genre entretiennent la fermentation dans les esprits; lorsque la multitude est prête encore à se laisser agiter par des suggestions insensées, la justice a besoin de plus de force et de promptitude: elle doit faire briller son glaive avec plus d'éclat, pour jeter l'épouvante dans l'ame des méchans, et pour contraiudre les hommes égarés à prendre dans le calme de la réflexion le sentiment de leurs vrais devoirs.

» Telle a été, dans tous les temps, dans tous les pays, l'origine de ces juridictions spéciales, plus occupées du fond que des formes, qui semblent, aux yeux d'un observateur superficiel, négliger un moment la sécurité individuelle, parce qu'elles ont pour objet de lui donner, avant tout, la seule base réelle et durable, la sûreté de l'Etat.

» Remède salutaire, quand un gouvernement paternel, les retenant dans leurs justes limites, n'en use que pour ramener la paix, et pour les rendre elles-mêmes promptement inutiles; instrument terrible quand un gouvernement imprudent permet qu'elles deviennent des armes dans la main des factions.

>> Elles ne s'appliquent, par leur nature, qu'aux cas où il y auroit danger de voir les malveillans se porter aux attentats publics, aux violences manifestes, à ces actes dont il est impossible à la calomnie de feindre l'existence, et où la certitude du corps du délit ne laisse, pour ainsi dire, aux juges d'autre soin que d'examiner la part individuelle qu'y a prise chacun des accusés.

» Mais si jamais on vouloit les employer contre des crimes secrets, comme ces complots tramés dans l'ombre, dont les meilleurs citoyens peuvent être si aisément accusés; si la sagesse de ceux qui exercent ces fonctions n'étoit garantie par les règles prescrites par leur devoir, et

attestée, aux yeux de tous, par la publicité de leurs actes ; si un' gouverpement régulateur, enfin, ne se réservoit les moyens de s'associer a chaque instant à cette sagesse, bientôt les juridictions extraordinaires serviroient les passions encore plus que la justice; l'innocence ellemême en concevroit un juste effroi, l'opinion publique se révolteroit contre elles, et le gouvernement se verroit peut-être ébranlé par les institutions dont il auroit cru faire son plus ferme appui.

>> C'est d'après ces principes que les plus célèbres magistrats de la monarchie, que les Lhôpital, les d'Aguesseau, avoient constitué jadis nos juridictions prevôtales.

» Elles n'étoient destinées, dans l'origine, qu'à maintenir la discipline dans les armées, et à réprimer les excès des gens de guerre. Par une conséquence fort naturelle, ou leur attribuoit les procès des déserteurs, de tous les vagabonds, et des individus déjà condamnés.

» Leur utilité connue les fit employer contre les crimes publics commis avec violence, quels qu'en fussent les auteurs; vols sur les grands chemins, avec effraction, avec port d'armes et violence publique, attroupemens illicites, séditions, émeutes populaires, levées illégales de troupes; en un mot, tout ce qui menacoit le repos public, tout ce qui pouvoit devenir plus dangereux si la punition n'en étoit pas éclatante et rapide, entra dans leur compétence; mais à mesure que cette compétence s'accrut, à mesure qu'elle embrassa un plus grand nombre de crimes, quelles que fussent les personnes qui les avoient commis, les occasions d'en abuser se multiplièrent, et il fallut que de sages ordonnances en réglassent l'exercice.

» Ainsi les juridictions prevôtales étoient bien éloignées d'avoir rien qu'on puisse appeler révolutionnaire, mais l'instruction en étoit prompte, le jugement souverain, l'appareil imposant.

» Čes juges armés, qui se transportoient subitement, rapidement, partout où se commettoient les désordres, effrayoient la multitude, et P'idée seule d'être jugés prevôtalement inspiroit aux plus mutins une réserve salutaire; le crime reculoit et le danger cessoit.

» Le Gode d'instruction criminelle aujourd'hui en vigueur a établi, sous le nom de cours spéciales, des tribunaux qui ne sont pas sans analogie avec les juridictions prevôtales: ils jugent, sans jurés et sans recours en cassation, les crimes des vagabonds et des geus sans aveu déjà condamnés, et quelques crimes de la nature de ceux qui supposent ane violence publique.

» Mais, il faut le dire, l'énumération de ces crimes, faite pour un temps paisible, ne sunt malheureusement pas aujourd'hui.

» Leur poursuite et la procédure préparatoire conservent la lenteur des formes ordinaires: la compétence de ces cours doit se juger à la cour de cassation; ce qui, pour les départemens éloignés, retarde beaucoup trop l'ouverture des debats et le jugement définitif.

» Il est vrai qu'on admet trois militaires parmi ces juges, mais sans les charger de l'instruction, et sans que leur présence accélère en rien la marche des affaires. On a donc pensé avec raison qu'il y auroit de grands avantages à se rapprocher de l'ancien ordre de choses, cu le combinant avec notre organisation judiciaire actuelle.

[ocr errors]

>> On a même trouvé dans l'organisation actuelle des moyens de perfectionner en quelques points cet ancien ordre de procédure.

>> On a donc établi un prevôt militaire qui mettra dans la recherche, des crimes et dans la poursuite des criminels l'énergie naturelle à sa profession.

>> Comme autrefois, on régularise ses opérations par l'assistance nécessaire d'un jurisconsulte.

>> En multipliant assez les prevôts pour qu'il y en ait un dans chaque département, on pourvoit plus efficacement que dans l'ancien régime à la tranquillité publique, puisque le nombre de ces officiers ne montoit alors qu'à trente-trois.

» La compétence ne sera plus jugée comme celle des cours spéciales à la cour de cassation, mais à la cour royale du ressort. On n'attendra même pas l'arrêt de compétence pour ouvrir les débats, et l'on hâtera ainsi le moment où la peine viendra effrayer et retenir ceux qui seroient tentés d'imiter les coupables.

>> Les formes de l'instruction établies par les cours spéciales serout conservées, parce qu'elles offrent à l'innocent tous les moyens de se justifier, en atteignant ceux à qui la complication des formes ordinaires laisse quelquefois les moyens de se soustraire à la conviction. Quant à la compétence, vous remarquerez, messieurs, qu'on a attribué aux cours prevôtales les crimes et attentats contre la sûreté du souverain et de l'Etat, et qui sont spécifiés dans le Code des délits et des peines, ou dans la loi récemment rendue sur les cris et autres actes séditieux, toutes les fois que ces crimes et attentats seront publics ou accompagnés de violences publiques.

» Mais on en a soigneusement distrait les crimes secrets, les complots, et tout ce qui n'étant pas en quelque sorte flagrant, tout ce qui poue vant être inventé ou dénaturé par la calomnie, ou tenir à des trames. dont il faut se garder de rompre le fil par trop de promptitude, a besoin d'être scruté et examiné avec la maturité des formes ordinaires. >> Ces sortes de crimes ne peuvent plus causer aucune inquiétude, aujourd'hui que la loi sur les mesures de sûreté publique à donné au gouvernement le droit d'empêcher leurs auteurs d'en reprendre la

Suite.

» Agir autrement, ce seroit s'exposer à tous les genres d'injustice. » Un gouvernement légitime ne doit voir qu'avec horreur tout ce qui pourroit ressembler, même de loin, à ces détestables tribunaux, si indignes de leur nom, qui ont ensanglanté notre patrie à une époque dont tout François voudroit pouvoir effacer le souvenir.

>> Qu'il nous soit permis de vous redire en finissant, que le but de cette loi est de faire renaître enfin dans tout le royaume ce calme que des institutions semblables entretinrent autrefois, et que vingt années de tempêtes cruelles rendent nécessaire; d'intimider les méchans qui verroient de nouveaux malheurs avec joie, pour peu qu'ils offrissent de nouvelles chances à leur ambition; de les isoler de cette foule d'hommes foibles dont ils font les instrumens de leurs crimes; de rassurer enfin les citoyens honnêtes contre la crainte sans cesse reuaissante de nouvelles convulsions.

» La loi remplira infailliblement ce but, lorsque son exécution sera confiée à des mains fermes et pures. C'est ce dont la sagesse du Rot et sa sollicitude constante pour le bonheur de son peuple ne doivent permettre à personne de douter.

Nous ne donnerons pas aujourd'hui le texte du projet de loi, faute de place. On en verra aisément l'esprit et les principales dispositions par le discours qui précède. Peut-être d'ailleurs ce projet subira-t-il des amendemens, et vaut-il mieux en réserver l'insertion pour le temps où il aura été converti en loi. Il est fort long, et contient 55 articles.

Le 20, il y a eu comité secret à la chambre. La séance toute entière a été consacrée à entendre quatre orateurs seulement, qui ont parlé sur le projet de loi pour la réduction des tribunaux, et la suspension de l'institution défmitive des juges. M. Pasquier a parlé contre les conclusions du rapporteur, a proposé de passer à l'ordre du jour sur la réduction, attendu que le gouvernement s'en occupoit, et a demandé la question préalable sur l'institution. M. Cardonnel, président de la cour royale de Toulouse, a appuyé le projet, et proposé seulement un amendement quant à la suppression actuelle des tribunaux de première instance. M. Royer-Collard a combattu les deux propositions du rapporteur. M. RouxLaborie a proposé d'ajourner la question de la réduction, et d'adopter la suspension de l'institution définitive.

COUR D'ASSISES DE PARIS.

L'affaire du sieur Lavallette avoit attiré une foule trèsconsidérable. Elle a commencé le lundi 20, sous la présidence de M. le conseiller Cholet; M. Hua, étant avocat général. L'accusé étoit couvert d'ordres,et portoit entr'autres le grand cordon de la légion d'honneur. On a donné lecture de l'acte d'accusation, d'où il résulte que le 20 mars, à neuf heures du matin, Lavalette se rendit à l'Hôtel des Postes, en disant: Je prends possession des postes au nom de l'empereur. Il fit dire à M. Ferrand qu'il pouvoit emporter ses papiers, écrivit à Buonaparte, arrêta les proclamations du Roi, et expédia des ørdres au nom de l'empereur. Ainsi il a usurpé des fonctions

« PreviousContinue »