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A la séance d'ouverture, M. Vicaire avait dit :

«Notre institution est née, en quelque sorte, de la force même des choses. C'est la meilleure preuve qu'elle a sa raison d'être, qu'elle sera pleine de vitalité et qu'elle rendra de nombreux et utiles services. » Il ne savait pas si bien dire.

Reprenant l'idée émise par Lavoisier en 1787, le Comité demanda tout d'abord la construction d'un grand canal de navigation et d'irrigation, reliant la Loire au Cher, traversant la Sologne du NordEst au Sud-Ouest. Un service spécial de la Sologne, attaché au Comité, fut créé en même temps à l'Administration des Ponts-etChaussées.

En fait, malgré de nombreuses études, jamais le grand canal projelé ne fut exécuté. L'opinion n'était pas unanime sur son utilité et l'Etat recula devant une dépense de 22 millions.

Par contre, grâce aux efforts du Comité et du service spécial, de nombreuses routes agricoles furent ouvertes, qui contribuèrent au relèvement de la Sologne, des chemins de fer et des tramways furent construits, un réseau de fossés d'assainissement sillonna la contrée, les rivières furent curées, le marnage des terres cultivées fut organisé.

En même temps, dès sa constitution, le nouveau Comité de la Sologne mettait au concours « les procédés de boisement qui doivent être suivis de préférence dans la Sologne ». Car l'importance du reboisement n'avait pas échappé aux membres du Comité.

« La Sologne, avait dit M. Roncin, sous-inspecteur des Forêts à Orléans, prospère au temps où les forêts couvraient la moitié de son sol, est devenue stérile quand les bois n'en couvraient plus que la dixième partie. C'est démontrer la cause de sa stérilité. Le boisement, ou plutôt le reboisement, est donc le plus puissant levier pour rendre à la Sologne sa richesse et sa salubrité. »

A partir de ce moment, les plantations se multiplièrent rapidement. M. Brongniart estimait que sur les 500.000 hectares que comprend la Sologne, 300.000 devaient être boisés.

On avait, au début, propagé surtout le pin maritime, par semis. La graine était peu coûteuse, la réussite assurée. La faveur dont jouissait le pin maritime dura jusqu'en 1879. Brusquement, ces

immenses plantations, qui couvraient 80.000 hectares et que les propriétaires voyaient arriver en âge d'exploitation, furent détruites en totalité par un hiver exceptionnellement long et rigoureux.

Déjà l'année précédente un verglas particulièrement intense avait brisé un grand nombre de pins. Pendant l'hiver 1879-1880, le ther momètre descendit à 28° au-dessous de zéro. Toutes les pineraies maritimes furent anéanties. Seuls survécurent les jeunes plants enfouis sous le manteau de neige et protégés par lui. Les pertes furent estimées à 40 millions de francs.

Le désastre était immense et le découragement s'empara des propriétaires qui voyaient leurs longs et patients efforts subitement anéantis. M. Boucard, conservateur des Forêts à Tours, fut chargé par le Gouvernement d'apprécier les dommages causés aux pine. raies de Sologne et d'indiquer les remèdes à apporter à la situation.

Dès 1880, le ministre de l'Intérieur mettait une somme de 25.000 francs à la disposition du préfet de Loir-et-Cher et une somme de 12.000 francs à la disposition du préfet du Loiret. Sur le conseil de M. Boucard, ces sommes furent employées à acheter de la graine de pin sylvestre et de pin maritime.

Car on eut soin de ne pas rejeter complètement le pin maritime qui avait supporté tout le désastre. On estima que la rigueur de l'hiver de 1879-1880 était tout à fait exceptionnelle et que le pin maritime, par la facilité avec laquelle on se procurait sa graine, par la rapidité de sa croissance, restait pour les propriétaires de Sologne une essence de premier ordre.

Mais, on conseilla de ne plus donner au pin maritime qu'une place restreinte dans les plantations, en mélange avec le pin sylvestre qui n'avait pas gelé et auquel on donna la préférence.

Enfin, M. Boucard indiqua aux propriétaires les méthodes de plantation du pin sylvestre.

Les secours de l'Etat consistèrent en des distributions de graines et de plants.

La graine fut achetée par les soins de l'Administration des Forêts. Elle était essayée au domaine des Barres. Chaque propriétaire. demandant de la graine en recevait au plus la quantité nécessaire pour reboiser deux hectares. Au delà, la quantité demandée était l'objet d'une réduction, en tenant compte de la demande et des disponibilités. On comptait pour un hectare 4 kilos de pin sylvestre, en sylvestre pur, et 2 kilos de pin sylvestre et 5 kilos de pin maritime en mélange.

Les prix de cession (car, pour éviter tout gaspillage, la graine ne fut pas distribuée gratuitement) furent de la moitié des prix d'acquisition, soit de 2 fr. 25 par kilo de graine de pin sylvestre et de o fr. 50, puis o fr. 35 par kilo de graine de pin maritime.

Au cours des deux années 1880 et 1881, il a été distribué ainsi à prix réduit dans les deux départements, 14.700 kilos de graines de pin sylvestre et 23.900 kilos de graines de pin maritime. En 1883, 1.000 kilos de graines de pin maritime furent encore délivrés par l'Administration des Forêts aux propriétaires des trois départements, moyennant une redevance de o fr. 20 par kilo.

En même temps, M. Boucard se préoccupa de créer des pépinières spéciales destinées à fournir des plants aux intéressés.

Pour calmer les impatiences et, pensait-on, pour gagner du temps, on avait acheté la première année des plants au cominerce. Ces plants furent reçus par une commission composée de trois inspecteurs des Forêts. C'était du pin sylvestre de deux ans, dont un de repiquage, provenant d'Orléans, La Ferté-Saint-Aubin, LamotteBeuvron et Romorantin. On distribua ainsi 3.500.000 plants de sylvestre achetés au commerce au cours de l'automne de 1881. Les listes des bénéficiaires étaient arrêtées par les préfets et les plants délivrés aux propriétaires sinistrés à raison de 1 franc le mille.

Ces premières distributions donnèrent des résultats très médio cres. La reprise des plants achetés au commerce, malgré les précautions prises, fut à peu près nulle.

A partir de 1882, au contraire, les plants de pin sylvestre distribués aux propriétaires provenaient de six pépinières spéciales créées par l'Administration des Forêts à Lamotte-Beuvron, Salbris, Lanthenay, Neung-sur-Beuvron, Saint-Laurent-des-Eaux et SaintCyr-en-Val. La surface totale de ces pépinières était de 8 hectares. Elle fut portée en 1883 à 10 hectares 30 ares. Les terrains étaient loués à raison de 50 francs par hectare en moyenne. Ils furent clôturés, bien cultivés et fumés.

Pour gagner du temps encore, l'Administration avait acheté 4 millions de plants d'un an au commerce et ces plants avaient été repiqués dans les nouvelles pépinières.

A chaque pépinière était affecté un ouvrier auxiliaire que l'on avait soin d'intéresser à la production en lui allouant une prime de o fr. 10 par mille plants repiqués de bonne qualité livrés aux propriétaires. De plus, un pépiniériste de profession était chargé des semis et des repiquages. Il allait de pépinière en pépinière, éðu

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quant les auxiliaires, sous la direction des agents de l'Administration des Forêts.

Les semis étaient centralisés à la pépinière de Salbris avec de la graine provenant de la sécherie de Fontainebleau.

En 1882, 5.700.000 plants sortant cette fois des six pépinières spéciales furent distribués aux propriétaires à titre gratuit. Les intéressés n'avaient à leur charge que le transport des plants pris à la pépinière.

En 1883, on distribua 11.175.000 plants repiqués et 5.428.000 plants d'un an.

En 1884, 12.000.000 de plants repiqués furent encore répartis entre les propriétaires.

En 1885, on distribua 7 millions de plants repiqués et 12 millions de plants d'un an.

Au total, de 1881 à 1885, les propriétaires de Sologne reçurent 56.800.000 plants de pin sylvestre. La répartition se faisait dans la proportion de 56 % pour le Loir-et-Cher, 30 % pour le Loiret et 14% pour le Cher.

Il est intéressant de rapprocher de ces chiffres les dépenses correspondantes. De 1881 à 1885, les crédits alloués sur le budget du ministère de l'Agriculture pour le fonctionnement des pépinières s'élèvent au total à 139.000 francs, ce qui fait ressortir le prix de mille plants de pin sylvestre pris à la pépinière à moins de 2 fr. 50, alors que dans le commerce, ces plants valaient à l'époque de 6 à 8 francs le mille.

Les propriétaires qui, au début, avaient manifesté une certaine méfiance, adressaient au contraire depuis 1883 des demandes de plus en plus importantes et témoignaient leur reconnaissance à l'Administration des Forêts et en particulier à M. Boucard qui avait été véritablement l'âme et la volonté de cette entreprise de reconstitution.

En 1885, 50.000 hectares étaient déjà reboisés sur les 80.000 détruits par la gelée. Résultat vraiment magnifique et qui avait été obtenu avec une rapidité surprenante et une mise de fonds tout à fait minime.

A partir de 1885, les crédits furent supprimés. Les propriétaires continuèrent l'œuvre du reboisement en créant un peu partou des pépinières volantes.

Vingt ans après le désastre, en 1900, la Sologne avait regagné le temps perdu. Dans son ouvrage sur la Sologne edité à cette

époque, ouvrage auquel je viens de faire de nombreux emprunts, M. Denizet pouvait dire « Les plantations de pins ont actuellement une étendue plus considérable qu'avant la gelée. Celles qui, suivant les conseils de M. Boucard, ont été créées aussitôt après, sont déjà entrées en exploitation productive. >>

M. Boucard avait été aidé dans cette tâche par MM. de la Taille et de Maisonneuve, le brigadier Julien et le chef de pépinière Clément, qui furent pour lui des collaborateurs précieux.

Le Comité se préoccupa également d'assurer aux bois de Sologne les débouchés nécessaires.

L'utilisation des bois de pin avait été à l'origine la grande difficulté. Un propriétaire de Sologne, M. de Laage de Meux, eut l'idée de faire fendre ses pins, de les lier en cotrets et de les proposer aux boulangers d'Olivet, près d'Orléans. Ceux-ci les acceptèrent d'abord avec une certaine hésitation, puis ils en redemandèrent. Bientôt après, les boulangers des communes voisines employèrent les cotrets de pins et en furent satisfaits. Le grand débouché des pins de Sologne était trouvé.

Un peu plus tard, M. de Laage prit l'initiative de peler les pins à blanc et d'en expédier à la boulangerie de Paris. Cette tentative eut un plein succès et la Sologne devint le fournisseur presque exclusif de la Capitale pour les bois de boulangers.

Lorsque survint la gelée de 1879-1880, la boulangerie parisienne fut obligée de chercher ailleurs et particulièrement dans les Landes, les bois que la Sologne ne pouvait plus lui fournir en quantité suffi

sante.

D'ailleurs, la boulangerie commençait à transformer ses fours. L'exposition de 1889 avait fait connaître de nouveaux modes de chauffage à l'aide du coke, de la houille et même du gaz d'éclairage. On pouvait craindre que le mode de chauffage au bois ne vint à disparaître. En réalité, ni le gaz, ni la houille, ni le coke n'ont donné pleine satisfaction et la boulangerie emploie encore le bois à l'heure actuelle, mais du bois de qualité inférieure. De plus, des régions qui ne fournissaient pas Paris autrefois y envoient aujourd'hui leurs, produits.

Il fallait trouver de nouveaux débouchés.

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