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commun de l'Allemagne1, n'exigent point l'énonciation de la valeur fournie. Il y a, dans ce double fait, un avertissement donné aux législateurs des autres nations de ne point exiger des conditions inutiles. En matière de lettres de change, tout ce que le but de l'institution ne commande pas impérieusement ne devrait pas être ordonné par la loi. Des prescriptions inutiles sont nuisibles. Tous les jours le négociant le plus honnête et le plus expérimenté endosse des lettres de change dans l'intention d'en transférer la propriété, sans énoncer la valeur fournie, parce que l'usage du commerce ne reconnaît pas cette énonciation comme essentielle, et que, par suite, le négociant ne voit aucun intérêt d'employer ces mots. C'est ce qui arrive notamment dans le grandduché de Bade, où le Code de commerce français a force de loi. Cette omission non-seulement fait naître des procès qui peuvent porter préjudice au commerçant le plus probe, mais encore elle empêche la circulation des lettres de change, en ce que le porteur craindra de voir soulever par le tiré des exceptions motivées sur une prétendue lacune dans la filière des endossements.

La prescription d'énoncer, dans l'endossement, la valeur fournie est superflue; car la question de savoir si la valeur a été fournie intéresse uniquement l'endosseur et celui à qui il a passé l'effet ces deux parties peuvent s'entendre entre elles à ce sujet, de telle manière qu'elles le jugeront convenable; par exemple l'endosseur peut délivrer une quittance. Peu importe à l'accepteur ou aux porteurs subséquents, que chaque

1 Sieveking, Matériaux pour servir au développement du droit de change (Materialien zum Wechselrecht), § 189; Treischke, Encyclopédie du change (Wechselencyclopædie), t. I, p. 478.

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endosseur précédent ait reçu la valeur de son endossement: l'endosseur peut avoir fait donation de la lettre de change; il peut en avoir prêté le montant; il peut n'y avoir mis son endossement que pour faciliter la négociation de la lettre de change. Tout cela est indifférent pour cette circulation en général, et en particulier pour les porteurs subséquents de l'effet. Au surplus, il y a souvent impossibilité d'indiquer la manière dont la valeur a été fournie, parce qu'en réalité elle ne l'a pas été; il faut alors recourir à l'expression valeur en compte, qui, on le sait, se prête à toutes les interprétations possibles, et, au fond, ne fait qu'établir des présomptions. Le projet préparé pour le royaume de Wurtemberg1 déclare suffisante l'expression valeur entendue. Mais ce terme, s'il n'est pas une vaine formule, énonce uniquement que l'endosseur est d'accord avec celui à qui il a passé la lettre de change. Cet accord n'offre aucun intérêt aux autres parties de la négociation de la lettre de change, auxquelles, du reste, cette expression ne fait pas connaître les véritables conditions du prétendu accord.

y a un autre motif de supprimer la prescription d'énoncer, dans l'endossement, la valeur fournie; c'est que la lettre de change parcourt ordinairement divers lieux où les lois n'exigent point cette énonciation, et où, par conséquent, les endosseurs ignorent la nécessité de faire cette mention; et, par suite, ils sont exposés à ce que l'omission tourne à leur préjudice.

La nouvelle loi hongroise a sagement fait en n'exigeant point l'énonciation de la valeur fournie; et plu

1 §§ 552 et 567; motifs, p. 476.

2 $29. V. le Commentaire de M. Wildner, vol. 1,

P. 76.

sieurs auteurs français, parmi lesquels nous signalerons M. Frémery', ont démontré que cette prescription du Code de commerce est dénuée de toute base rationnelle.

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IV. L'endossement en blanc mérite une attention particulière. Un fait digne de remarque, c'est que, nonobstant les dispositions des articles 137 et 138, il se fait en France un grand nombre d'endossements en blanc, dont les auteurs ont cependant l'intention de transférer la propriété de la lettre de change. En Angleterre et aux États-Unis, les commerçants n'ont jamais élevé aucun doute sur la validité d'un endossement en blanc, et les lois des Pays-Bas et du Danemark" le reconnaissent formellement comme valable. Aux termes de la nouvelle loi hongroise, un endossement complet ne peut être attaqué sous le prétexte qu'il a été donné en blanc et rempli ensuite. La loi du royaume de Saxe, en date du 18 juillet 18407, reconnaît également

Études de droit commercial, p. 131.

Smith, Compendium of the mercantile law, p. 129; Thomson, Treatise, p. 229-302.

3 Kent, Commentaries of the American law, vol. III, p. 59; Ogilvie, dans son édition de Chitty, On bills of exchange, p. 256.

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* Art. 136.

5 Art. 12.

6 Art. 34.

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§ 15. En voici le texte : « La prohibition des endossements en blanc, prononcée par la loi de Leipzig relative aux lettres de change, est supprimée, en ce qui concerne les effets tirés d'un lieu » sur un autre. En conséquence, le porteur d'une traite endossée » en blanc n'est pas tenu de justifier d'une autre manière de sa » propriété, quoique cet endossement reste dans son état primitif » ou qu'il n'ait pas été suivi d'un autre endossement énonçant le ⚫ nom du porteur. »

la validité de l'endossement en blanc. D'après le projet préparé pour le royaume de Wurtemberg', l'endossement en blanc peut être donné par la simple signature de l'endosseur, et cet endossement transmet la propriété de la lettre de change. Le projet autrichien2 admet de même la validité de cet endossement. Le projet prussien de 1838 ' déclare, à la vérité, que l'endossement en blanc ne vaut que comme procuration; mais les rédacteurs des motifs annexés à ce projet ajoutent que plusieurs corporations de commerçants ont fait remarquer que les endossements en blanc sont indispensables au commerce; que souvent ils sont employés pour mettre en gage une lettre de change avant l'échéance; et qu'on peut admettre comme règle que le signataire de l'endossement en blanc entend donner au porteur le droit de le remplir. Lors de la réception du Code de commerce français dans le grand-duché de Bade, le législateur a fait une addition à l'article 138, portant défense au porteur d'un endossement en blanc, de le remplir.

Cet exposé comparatif des diverses législations en matière d'endossements en blanc, porte à conclure qu'il y a toujours imprudence ou légèreté de la part du législateur, lorsqu'il néglige d'appeler à son aide l'expérience des hommes pratiques et qui ont pu, dans l'usage quotidien, apprécier le mérite et les inconvénients d'une disposition. On ne saurait douter que déjà à une époque reculée, et aussitôt que l'institution des endossements eut pris quelques développements, les endossements en blanc n'aient été d'un usage général dans

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les grandes villes de commerce, parce que cette forme d'endossement était conforme à la véritable nature de la lettre de change, qui est de former un titre susceptible d'une circulation rapide et analogue à celle du papier-monnaie 1. La proscription des endossements en blanc, ou la disposition qu'ils ne vaudront que comme procuration, est le résultat, d'une part, de l'application, à la lettre de change, des principes relatifs à la cession et à la nécessité de justifier de la propriété du titre d'autre part, de la crainte des abus et dangers auxquels les endossements en blanc peuvent donner lieu. Le législateur oublia que l'intérêt des relations commerciales exige l'application d'endossements en blanc, et que ces endossements font accroître le crédit de la lettre de change en effet, par ce moyen, celle-ci obtient une circulation plus rapide, puisque les personnes par les mains desquelles elle passe par l'effet d'endossements en blanc ne se soumettent pas à l'obligation de garantie et sont, par suite, plus disposées à entrer dans les opérations de change. Celui qui fait escompter en blanc une lettre de change en conserve la propriété, et les périls sont à ses risques tandis que si l'endossement était rempli, les périls éventuels seraient aux risques de l'escompteur. Ainsi s'explique pourquoi les auteurs qui se sont pénétrés des véritables besoins du droit dechange, par exemple M. Einert*, insistent sur la nécessité de maintenir l'endossement en blanc. En France, non

1 C'est aussi l'opinion de M. Einert, p. 126-1 29.

2 Wildner, Commentaire de la loi hongroise, vol. I, p. 88.

3 Journal pour l'administration de la justice et l'administration proprement dite, dans le royaume de Saxe (Zeitschrift fur Rechtspflege und Verwaltung in Sachsen), t. III, p. 350.

Page 126.

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