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obstant les dispositions qui considèrent cet endossement comme une simple procuration, en lui refusant l'effet d'opérer le transport de la propriété, il est d'un usage général, d'après le témoignage de tous les auteurs', et sans qu'on l'emploie dans un but de fraude; des jurisconsultes estimables, par exemple M. Horson3, reconnaissent que l'usage du commerce a du commerce a dérogé à la loi. La jurisprudence des tribunaux français s'est déclarée en faveur de l'usage; car elle admet que l'endossement en blanc produit les effets d'un endossement parfait, lorsque le porteur justifie qu'il en a fourni la valeur3, et que le porteur d'un endossement en blanc peut transférer valablement à un tiers la propriété de la lettre de change*.

En examinant, sous le rapport législatif, s'il y a lieu ou non d'admettre l'endossement en blanc, on a ordinairement confondu deux questions distinctes :celle de savoir si le porteur peut être contraint de se contenter de cet endossement, et celle de savoir si la loi doit sanctionner la convention des contractants qui sont d'accord d'employer cette espèce d'endossement? Il faut répondre négativement à la première question, et affirmativement à la seconde. A la vérité, le préjudice dont le détenteur d'un endossement en blanc est menacé peut déterminer un négociant à refuser de s'en charger; mais la possibilité de ce préjudice possible ne saurait

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Frémery, Études, p. 433; Persil, De la lettre de change, p. 208. 2 Questions, t. II, question 84.

3 Jugement du trib. de commerce de la Seine, du 30 déc. 1836, et arrêt de la cour royale de Paris, du 8 avril 1837.-(Ce dernier arrêt a été cassé le 30 décembre 1840. V. la Gazette des tribunaux, du 19 mai 1837 et du 31 décembre 1840. (Note des directeurs de la Revue.) Persil, ibid., p. 212; Nouguier, t. I, p. 300 à 304.

engager le législateur à interdire un usage qui, depuis des siècles, a offert des avantages aux commerçants: il doit s'abstenir d'autant plus de prononcer une prohibition, qu'elle peut être plus facilement éludée. En effet, souvent le détenteur d'un endossement en blanc le remplit avant d'en faire usage, et on ne saurait lui défendre d'opérer ce complément. A Leipzig, où la loi avait généralement interdit l'endossement en blanc, l'usage s'en conserva cependant, et une jurisprudence bien entendue reconnut au porteur le droit de remplir cet endossement.

Nous ajouterons une dernière considération. Si le législateur veut être conséquent, il ne doit point s'arrêter à moitié chemin; il ne doit point se borner à reconnaître la validité de l'endossement en blanc dans le cas où il aurait été rempli plus tard 1; il doit également statuer sur la question de savoir à qui appartient le droit de remplir l'endossement. En effet, si l'on exige que ce complément ne puisse être effectué que par l'endosseur lui-même, auteur de l'endossement en blanc, il sera souvent impossible de satisfaire à cette prescription. Ainsi, lorsqu'un négociant de Paris reçoit, le 15 août, de son correspondant de New-York une lettre de change payable à Lyon le 1er septembre, il y a impossibilité de renvoyer l'effet aux États-Unis pour remplir l'endossement. Si l'on se borne à exiger d'une manière absolue que l'endossement soit rempli, on accorde par là même au porteur le droit de le remplir; mais dès que ce droit existe, la prescription de la loi ne produira aucun effet, et on ouvrira la porte à des faits illicites.

C'est ce que prescrit la loi hongroise, § 35.

Dans cet état de choses, le législateur devra tout simplement abandonner au libre arbitre du commerçant la faculté d'employer l'endossement en blanc, et de l'accepter comme valable, s'il lui est présenté.

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V. Suivant le Code de commerce, la doctrine de la provision est l'une des plus importantes en matière de lettres de change1. Aux termes de l'article 115, la pro. vision doit être faite par le tireur ou par celui pour le compte de qui la lettre de change est tirée. L'article 116 détermine les cas dans lesquels la provision est réputée faite. L'article 117 ajoute que « l'acceptation suppose la provision ». Les codes des Pays-Bas, d'Espagne et du Portugal ont reproduit les mêmes dispositions. Par contre, les nouvelles lois allemandes sur la matière des lettres de change ne renferment aucune disposition analogue; elles gardent le silence relativement à la provision, excepté dans un seul cas, celui où le porteur, qui exerce son recours, a négligé de faire protester la lettre de change. L'examen de diverses causes régies par le droit français et par le droit allemand me porte à ne pas hésiter à donner la préférence au système allemand, et voici mes raisons. Sans doute, fournir la provision est, de la part du tireur, le moyen principal d'assurer l'acceptation et le payement de la lettre de change; mais le législateur a tort de compliquer la matière très- simple de la lettre de change, en y faisant entrer les dispositions relatives à la provision,

1 On trouve un exposé très-clair de cette doctrine dans une dissertation de M. Asser, De pecunia quæ provisionis nomine debiti cambialis solutione destinata. Amsterdam, 1834.

2 Art. 106.

1 Art. 448. 'Art. 328.

qui donnent souvent lieu à des difficultés et des procès : il doit laisser au tireur le choix des moyens à prendre pour assurer l'acceptation et le payement de la lettre de change. Le tireur garantit au preneur cette acceptation et ce payement, et il est même tenu du cas fortuit, en cas de non-payement; mais la loi ne doit pas prescrire la manière dont le tireur s'acquittera de son obligation: une prescription de ce genre a pour effet déduit certains droits à son preneur en que le profit, bien qu'en droit le mode employé par le tireur pour assurer le payement de la lettre de change lui soit complétement indifférent. En imposant au tireur l'obligation précise de faire la provision, la loi prescrit une mesure que très-souvent le tireur n'exécute cependant pas dans le sens de la loi. On sait que dans la majeure partie des cas, le négociant tire la lettre de change à crédit. Le banquier permet au commerçant, qui n'a pas encore acquis un renom suffisant de solvabilité illimitée, de tirer sur lui jusqu'à concurrence d'une certaine somme dans ce cas, le tireur est certain que sa traite sera acceptée; néanmoins il n'existe pas de provision dans le sens de la loi. D'autres fois le tireur n'est point créancier du tiré, ni ne jouit d'un crédit spécial auprès de ce dernier; cependant il se repose sur sa réputation de solvabilité généralement reconnue ; il compte avec raison qu'en considération de sa position, le tiré acceptera la traite, parce qu'une autre fois ce dernier pourra aussi fournir sur lui. Pourquoi le législateur interdiraitil ces opérations qui se présentent si fréquemment? Les auteurs allemands les plus renommés, qui ont écrit sur la matière des lettres de change', sont unanimes pour

1 Treischke, Encyclopaedie, t. 1, p. 329; Einert, p. 223 et 224.

critiquer les dispositions des articles 115 et 116 du Code français: on trouve la même doctrine dans les motifs du projet de Code de commerce préparé pour le Wurtemberg 1.

La disposition de l'art. 117 du Code de commerce, portant que « l'acceptation suppose la provision,» amène de nouvelles difficultés; car il n'est pas vrai que l'acceptation de la lettre de change suppose que l'accepteur ait reçu la provision. En fait, dans la plupart des cas, au contraire, l'acceptation a lieu sans que la provision ait été faite au préalable; c'est parce que le tiré a promis au tireur de lui accorder un crédit, ou parce qu'il connaît la solvabilité de celui-ci, ou enfin parce qu'il se trouve avec lui en compte courant. D'ailleurs, en France, la jurisprudence n'attribue pas toujours le même sens au mot suppose; souvent il est pris comme synonyme de faire preuve, mais en règle générale, on ne l'emploie que comme équivalant à celui de présomption. Cependant c'est une erreur de soutenir que l'acceptation n'établit qu'une présomption contre l'accepteur ; car il ne peut être admis à la preuve contraire.

L'art. 117 n'a eu pour but que de consacrer une disposition positive concernant les endosseurs, et c'est pourquoi il porte: « Elle en établit la preuve à l'égard des endosseurs. » L'ordonnance de 1673, titre V, art. 16, obligeait les tireurs ou endosseurs des lettres de change, de prouver, en cas de dénégation, que ceux sur qui elles étaient tirées leur étaient redevables ou avaient provision; sinon, ils étaient tenus de les

1 Page 509.

2 Pardessus, Traité du contrat de change, t. 1, p. 92; Persil, p. 133; Nouguier, t. I, p 197 à 199.

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