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garantir. Cette disposition était trop onéreuse pour les endosseurs; on ne saurait raisonnablement les obliger à justifier de l'existence de la provision, laquelle résulte de faits qui leur sont étrangers. Les rédacteurs du Code sentirent la nécessité d'une modification; mais au lieu de déclarer simplement que le porteur perd son recours contre les endosseurs, faute par lui d'avoir fait protester la lettre de change en temps utile, ils prirent le terme moyen de déclarer que l'acceptation vaut preuve de l'existence de la provision, à l'égard des endosseurs; de telle sorte que ceux-ci seront libérés de tout recours à défaut de protêt Nous démontrerons au numéro suivant que ce point de vue repose sur une erreur, et que le législateur n'aurait pas dú faire entrer la question de la provision dans la matière de la lettre de change. Aussi MM. Vincent' et Nouguier font remarquer avec raison que la rédaction de l'art. 117 est pleine de confusion et d'obscurité, et qu'il eût pu être supprimé en entier. En un mot, la loi sur la lettre de change ne doit pas s'occuper de l'obligation du tireur de faire la provision; elle ne doit statuer sur l'influence de la provision que par rapport à la question qui fera l'objet du numéro suivant.

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VI. Une question importante en matière de lettres de change, est celle de savoir si le porteur qui a négligé de remplir l'une des obligations à lui imposées par le droit de change, par exemple, celle de faire protester dans les délais fixés, conserve néanmoins le droit d'exercer son recours contre les endosseurs précédents? En ne considérant que l'article 117 du Code de commerce, on

1 T. II, p. 334.

2 T. I, p. 199.

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serait disposé à penser que, pour échapper au recours du porteur qui s'est placé dans ladite hypothèse, les endosseurs sont tenus, lorsque la lettre de change n'a pas été acceptée, de justifier qu'il y a eu provision: mais qu'en cas d'acceptation, les endosseurs sont libérés du soin de faire cette justification, parce qu'à leur égard l'acceptation établit la preuve de la provision. Mais telle n'a pas été l'intention des rédacteurs du Code, ainsi qu'il résulte des articles 168, 169 et 170, qui déclarent le porteur déchu de tout recours contre les endosseurs, après l'expiration des délais prescrits. M. Vincent 1 explique très-bien de quelle manière cette contradiction a passé dans le Code. « Quand, » dit-il, « la discussion arriva aux articles 168-170, il fut enfin accordé que la déchéance serait absolue au profit des endosseurs : la circonstance de l'acceptation leur devient étrangère : dès lors, ce qu'on avait dit à l'article 117, sur la présomption ou la preuve qui en serait tirée, n'avait plus de sens; on convint de retrancher les deux premiers paragraphes qui s'y rapportent; mais en mettant en harmonie avec le nouveau système adopté le troisième paragraphe qui devait rester seul, on oublia de faire le retranchement, et les deux phrases, désormais insignifiantes, sont restées, au hasard d'induire en erreur ceux qui y cherchent une disposition applicable. » Cette explication confirme l'opinion que nous avons émise plus haut, qu'on eût mieux fait de supprimer l'article 117. La circonstance que la provision a été faite ou non, ne saurait exercer aucune influence sur les endosseurs : ils doivent être indéfiniment exempts de tout recours de la part du porteur qui n'a pas fait protester en temps

'T. II. p. 335.

utile, parce qu'ils ne sont pas tenus de procurer l'acceptation du tiré, et qu'ils n'ont aucun pouvoir de le contraindre à la donner; de même le fait de l'acceptation ne saurait exercer aucune influence sur eux. La libération pure et simple des endosseurs vis-à-vis le porteur négligent se trouve également établie par le Code des Pays-Bas1, qui a supprimé l'article 117 du Code français; par le projet de Wurtemberg et par la loi hongroise: cette dernière ajoute que le porteur qui a laissé passer les délais prescrits, ne peut pas même former au civil une action récursoire contre les endosseurs.

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La position du porteur qui a fait protester après les délais, est différente vis-à-vis le tireur. Aux termes de l'article 117 du Code de commerce, le tireur, dans ce cas, reste obligé vis-à-vis le porteur. Cette disposition a passé dans les nouvelles lois*. Le projet de Wurtemberg porte : « Après l'expiration des délais prescrits pour la présentation de la lettre de change, pour le protêt ou pour l'exercice de l'action en garantie, le tireur » n'est libéré qu'autant qu'il prouve que le tiré avait provision à l'échéance. » La nouvelle loi hongroise s'exprime dans les termes suivants : « En cas de retard, » soit dans la présentation à l'acceptation, soit dans » la levée du protêt, soit dans la notification, le por» teur est déchu, à l'égard du tireur, de tous les droits

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1 Art. 108.

* Art. 589.

3867.

* Code des Pays-Bas, art. 108.-Code d'Espagne, art. 448.— Code du Portugal, art. 331.

Art. 579.

Art. 67. V. le commentaire de M. Wildner, t. I,

P. 162.

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qui, d'après le droit commun, ne s'éteignent que » par la prescription, pourvu que le tireur prouve qu'au jour de l'échéance il avait une créance incontes» table à exercer contre le tiré, et que celui-ci était alors » en état de payer le montant de ladite créance; mais le » tireur est tenu de transporter sa créance au porteur jusqu'à concurrence du montant de la lettre de change.»> Ces dispositions ont leur base dans un principe de toute justice. Le tireur s'était obligé à faire payer la lettre de change par le tiré : faire la provision était le moyen le plus sûr d'arriver à cette fin. En fournissant la provision, le tireur a rempli son obligation, et le porteur doit subir les conséquences de sa négligence. Mais si le tireur n'a pas fait la provision, cette omission de sa part doit tourner à son préjudice, et on doit admettre que si le porteur s'était présenté en temps utile chez le tiré, cette démarche serait restée inefficace, parce que le tiré, qui n'était pas couvert, n'aurait pas donné son acceptation. Si, dans l'hypothèse qui nous occupe, le tireur n'était pas tenu d'indemniser le porteur, il s'enrichirait au préjudice de celui-ci, malgré que ce soit lui qui ait commis la première faute. Cette argumentation se trouve aussi dans les auteurs français1; elle a été particulièrement développée par M. Einert. Il peut s'élever quelques doutes dont nous allons discuter la valeur.

La première question qui se présente est celle de savoir laquelle des parties doit rapporter la preuve? En Allemagne, on a quelquefois prétendu mettre à la charge du porteur la preuve que le tireur n'a pas rempli son obligation de faire la provision, parce que cette preuve

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Frémery, p. 112; Persil, p. 349; N ouguier, p. 400.

2 Page 224.

fait partie du fondement de sa demande. Mais le Code français et les lois citées exigent avec raison que le tireur justifie avoir fait la provision, parce que ses obligations comprennent celle de la fournir, et qu'il doit établir qu'il a rempli ses obligations.

Une autre question présente plus de difficultés : quelle est la preuve à faire par le tiré pour arriver à sa libération? Aux termes de l'article 115 du Code de commerce, il doit justifier qu'il y a eu provision, et, d'après l'article 116, il n'y a provision qu'autant que le tiré, à l'échéance de la lettre de change, est redevable au tireur ou à celui pour le compte duquel la lettre de change est tirée, d'une somme au moins égale au montant de la lettre de change. Le projet wurtembergeois' exige la preuve que le tireur a droit de réclamer du tiré une somme d'argent ou une valeur, pour le payement de laquelle une demande peut être formée en justice. Aux termes de la loi hongroise, le tireur doit avoir contre le tiré une créance incontestable.

Nous avons vu plusieurs cas litigieux dont la solution a offert des difficultés sérieuses. Dans une espèce, le tireur fit preuve que le tiré lui avait ouvert un crédit de 10,000 fr. et l'avait autorisé à tirer des lettres de change sur lui. Dans une autre espèce, le tireur avait adressé au tiré des marchandises en commission, à l'effet de les vendre pour son compte ou de s'en payer s'il tirait des lettres de change sur lui. Dans une troisième espèce, le tiré avait acheté et reçu du tireur des marchandises pour la valeur de 1,000 fr.: le tireur, en se prévalant de 500 fr. sur son acquéreur, devait s'attendre à l'acceptation et au payement de la lettre de

1 Art. 581.

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